Drôle d’époque pour les Paroissiens
Bonjour, amis du XXIe siècle,
Je m’appelle Nicolas Florent TOUSSAINT, je viens de fêter mes 26 ans, je réside à Damvillers (tout nouveau département de la Meuse). Tailleur d’habits est mon métier qui m’a été transmis par mon père qui le tenait du sien, je suis né en 1765 à Marville en Lorraine, territoire français depuis tout juste 25 ans...
Lorrains depuis la nuit des temps, plus attachés à leurs racines et à leurs traditions qu’à ceux qui les gouvernent, les membres de ma famille ont traversé, sans trop de dommages, les vicissitudes d’une histoire mouvementée liée à notre territoire frontalier.
Depuis 1789, on s’intéresse beaucoup aux événements qui se passent à Paris et la municipalité prend bien soin de modeler sa conduite sur celle de l’assemblée constituante. La révolution avançant à grands pas, un espoir d’émancipation et de liberté nous anime, à notre esprit apparaît un avenir brillant. Mais cette heureuse confiance commence à faiblir et la panique passe à son comble quand on aperçoit, en 1791, quelques soldats prussiens dans la région de Commercy [1].
Pour défendre la nouvelle patrie, contre cette 1re coalition, la majorité des hommes de notre commune, âgés de 18 à 40 ans, a rejoint les rangs des gardes nationales ou les bataillons de volontaires nationaux, mon jeune frère, Jean-Baptiste, en fait partie. Même le boulanger et le boucher sont partis, restent quelques vignerons indispensables à l’approvisionnement des troupes en garnison dans le village.
Passés les moments d’euphorie patriotique, la révolution, pour maintenir sa pérennité, a pris des mesures d’une extrême rigueur contre tout suspect au nouveau régime. Le spectre de la guillotine et du bagne commence à faire régner un sentiment de terreur.
Heureusement, notre village est relativement épargné par les horreurs et les excès des exaltés mais tous ces bouleversements commencent à nous peser. D’autant plus que le commerce s’est arrêté depuis un certain temps et que les provisions commencent à manquer. Le pain est tellement rare qu’il vaut trente sous la livre, quelques secours en riz adoucissent un peu nos conditions de vie misérables et nous attendons, avec impatience, les prochaines récoltes.
Les femmes du village deviennent des lionnes à ne pouvoir nourrir suffisamment leur famille [2], seul le secours de la religion peut, leur accorder un peu de réconfort par ces temps de malheur.
La cure de notre paroisse
Notre bon curé se nomme Gérard Mandre, il a choisi la voie la plus difficile pour arriver jusqu’à nous. Il a réussi au concours de l’institution du concile de Trente et a obtenu, par ses qualités de jeune docteur en Sorbonne, la cure de Damvillers en 1784 à l’âge de 37 ans.
C’est un lettré qui prend soin de ses registres qu’il remplit d’une belle écriture sereine qui lui confère un grand respect de notre part. Il est dévoué et participe à notre joie pendant les baptêmes et les mariages. Quand cela se présente, sur la parole de la Sage-femme qui a procédé à l’ondoiement de nourrissons en grand péril de mort à la naissance, il donne les bénédictions indispensables au repos de ces petites âmes et apporte ainsi l’apaisement aux parents et soutient les vivants lors des nombreuses cérémonies de deuil.
Le 27 novembre 1790, un décret oblige, sous peine de révocation, tous les religieux à prêter serment à la Constitution Civile du clergé. Dès lors, certains jurent serment, on les appelle les assermentés ou les constitutionnels.
Heureusement, notre province prend quelques retards dans l’application de ce décret et notre bon curé officie encore en ce début 1791, dans l’église dépouillée de tout ornement. Mais cela ne va pas durer...
C’est à partir du 23e jour du mois d’avril de cette année 1791, que tout part de travers, Gérard Mandre, exilé à Verdun pour écrire ses mémoires, est remplacé par un curé assermenté.
Il se nomme Nicolas Fauvelle, est né en 1751, baptisé à la paroisse de St Médard de Verdun, a été vicaire auprès de A. Rouyer à Issoncourt de 1777 à 1778. Pour une raison qui m’échappe, il a résigné, devant notaire en 1786, en faveur de Mr X…., curé, qui est tenu de lui verser une pension à vie, dans la limite de 30% des revenus de la cure à laquelle il vient de renoncer [3]. En 1790, il a prêté serment en renonçant à ses vœux d’origine. Il devient fonctionnaire de l’état et perçoit une pension de 1200 £.
Nous voici donc affublés d’un prêtre du renoncement et, même s’il n’est pas le seul dans ce cas, on ne va ni l’accueillir en fanfare, ni lui jeter des pierres, comme dans certains villages de la région.
Les registres perdent en présentation mais il remplit ses fonctions de charge d’âmes, ni plus, ni moins bien qu’un autre. Je reçois, d’ailleurs, sa bénédiction lors de mon union avec Anne, le 16 août 1792 sur l’acte de mariage, il a signé : « Nicolas Fauvelle, curé de Damvillers ».
A partir de 1793, il n’est plus question de bénédiction, conformément aux exigences en vigueur, les actes sont inscrits sur un « Registre Civil » et le nom de notre officiant est suivi de la mention « Officier Public ».
Au fil des mois, les révolutionnaires continuent leur œuvre de déchristianisation par un durcissement des règles à observer.
Suite à l’avènement, le 6 octobre 1793, du calendrier républicain dans lequel on supprime tous les Saints remplacés par des noms de fruits, de fleurs...nous commençons à perdre l’espoir du salut éternel auquel nous étions habitués depuis des temps immémoriaux.
Le mariage du curé le 14 avril 1794
Le coup de grâce arrive le 25 germinal de l’an II de la République Française, une et indivisible quand à 9 heures du matin, l’officier du conseil général de la commune de Damvillers prononce, après les formules d’usage, que le citoyen Nicolas FAUVELLE et Barbe Geoffroy sont unis par le mariage... [4].
- AD Meuse – DAMVILLERS - Naissances, Mariages, Décès (1792-1802) (2 E 149 (3) - Extrait de l’acte de mariage de Nicolas FAUVELLE, curé de Damvillers avec Barbe GEOFFROY le 14-04-1794.
Ma femme en tombe de sa chaise quand je lui apprends la nouvelle.
Sans attendre l’arrêté du 21 fructidor (7 septembre 1794), il a renoncé à ses vœux, encore une fois…
Pour finir mon histoire, il a quitté la commune pour aller s’installer à Verdun.
J’ai appris par la suite que de cette union en juste noce avec sa jeune épouse de 24 ans, sont nés trois enfants : Hyacinthe née le 18 thermidor de l’an II, Joseph Nicolas en 1797 et Jean Nicolas en 1799.
Âgé de 54 ans, il est mort, à son domicile de Verdun, le 20 mars 1806 à quatre heures de l’après-midi, en présence de sa femme.
Il est cité sur l’acte de décès comme Sieur Nicolas Fauvelle, ex curé, pensionnaire, dit Ecclésiastique... [5].
Il n’a pas renoncé aux liens sacrés du mariage.