Dans l’album laissé par Charles Bourcet, une photo m’intrigue tout particulièrement.
- Page de l’album avec la photo de l’avion
- " Froméréville Avion tombé près de nous. Dans le bas, on voit le village de Froméréville"
La légende sur la photo : Le 20 / 4 / 1916 Avion français tombé près de Froméréville. L’aviateur a été tué par 2 balles de mitrailleuses. Dans le fond, on voit le village de Froméréville
Une rapide recherche me permet d’identifier le type d’appareil : c’est un Nieuport [1].
Retrouvez cet avion et son pilote
"Pour la suite des aventures de ma Section de Projecteurs, à Verdun entre mi avril et fin mai 1916, j’aimerais en savoir plus sur un avion français abattu vers Froméréville en avril 1916 .
Voir la photo de l’avion en question sur mon article :
http://www.histoire-genealogie.com/spip.php?article1572
Comment connaitre l’escadrille dont fait partie ce Nieuport Bébé ?
Peut être, grâce aux JMO de l’aviation, pourrait on retrouver l’identité de ce pilote ?"
C’est "la bouteille à la mer" que je poste le 19 décembre 2010 dans la rubrique "aviation" du Forum Pages 14-18 [2].
Une première réponse, signée Bruno, arrive le jour même, bientôt suivie d’autres :
- une possibilité serait qu’il s’agisse du Nieuport du Sous-Lieutenant Jean Peretti abattu dans la région de Verdun le 28 Avril 1916 après un combat aérien. Son avion ayant atterri dans les lignes françaises, il a été transféré dans un hôpital de campagne à Vadelaincourt [3]. Voir le site d’Albin à propos de l’escadrille N°3 [4]
- Gilles pense également à l’avion du Sous-Lieutenant Jean Peretti de la N°3, les célèbres "Cigognes". Il s’est écrasé à Thierville suite à un combat aérien contre un biplace.
"D’après Jacques Mortane, Leur dernier vol, il a reçu une balle dans les reins puis "domptant la douleur, il eut la force de revenir jusqu’à nos lignes et essaya d’atterrir dans les plaines de la Meuse. A environ 150 mètres du sol, alors que son vol se poursuivait impeccable, Peretti dut s’évanouir. On croyait qu’il allait se poser, lorsqu’on vit son appareil s’effondrer brusquement et s’écraser dans une prairie".
- Pour Gérault également,tout porte à croire qu’il s’agit de l’avion de Peretti, première victime de l’escadrille N°3 sous sa forme d’escadrille de chasse. Quelques pilotes de l’escadrille ont été envoyés sur Verdun suivant les désirs de De Rose qui y concentre les meilleurs chasseurs français.
Peretti étant de patrouille avec André Chainat dans l’après-midi, il est rapporté ceci :
"Le 28 Avril l’escadrille N°3, au cours d’une reconnaissance lors de l’offensive générale avait perdu le Lieutenant Peretti. Celui-ci, poursuivi par un fokker qu’il avait attaqué, avait reçu une balle dans les reins. Sa mitrailleuse enrayée l’avait obligé à rompre le combat. Son appareil était tombé entre la Meuse et le canal, à 200 mètres au Nord de Thierville. Peretti avait été relevé mort".
Thierville est à environ 4 kilomètres de Froméréville. Jusque là, tout semble correspondre. Cependant Deullin rapporte le combat dans une lettre à Brocard, et il indique que l’appareil est une bouillie sans nom… ce qui n’est pas le cas du Nieuport visible sur la photo qui à part l’hélice semble être dans un état relativement correct.
Gérault me demande de confirmer la date indiquée sur la photo.
La légende inscrite indique bien la date du 20 avril 1916 :
« Le 20 / 4 / 1916 Avion français tombé près de Froméréville. L’aviateur a été tué par 2 balles de mitrailleuses. Dans le fond, on voit le village de Froméréville ».
C’est peut être une erreur de date de Charles Bourcet, le "commentateur" des photos de la "Collection Schutz".
- Bruno apporte de nouveaux éléments :
"J’ai un autre récit sur la mort du Sous-Lieutenant Jean Peretti. On parle ici aussi "d’avion en miettes". Possible qu’on soit sur une fausse piste, car le Nieuport sur le site de Michel est en relatif bon état.
Le 28 avril, l’officier le plus ancien de l’escadrille, le sous-lieutenant Peretti, disparaissait. En patrouille avec Chainat dans la région du fort de Douaumont, Peretti s’était lancé contre un Fokker. Il avait tiré une dizaine de cartouches quand, brusquement, sa mitrailleuse s’enraya par défaut de percussion.
Dans l’impossibilité de réarmer, l’officier préféra rompre le combat et s’en aller. Il effectua une glissade à gauche, passa sous son ennemi et plongea vers Verdun. Mais le Fokker devançant cette manœuvre, se colla au Nieuport.
A 200 m de distance, il tira une longue rafale. Peretti reçut dans les reins une balle qui lui fractura le bassin. Il trouva quand même la force de revenir près de Verdun et tenta d’atterrir dans une prairie située en bordure de la Meuse. A bout de forces, il négocia un virage à droite.
Son avion traversa alors les branches d’une ligne de peupliers et s’écrasa au sol. Peretti fut projeté en avant et se fractura le crâne ainsi que le pied. Le Nieuport était littéralement en miettes.
La mort tragique de Peretti causa une émotion considérable au sein de la N°3. Elle signifiait qu’en moins de deux mois tous les officiers du détachement avaient été mis hors de combat. Dans les jours qui suivirent, les pilotes de la N°3 s’employèrent à venger Peretti [5] .
- Gérault m’écrit :
"J’ai pour ce qui me concerne un doute sur le fait que ce soit l’avion de Péretti... Le positionnement de l’église ne semble pas concorder avec le lieu exact où l’avion serait tombé.
Seulement il est très difficile d’apprécier la chose, la résolution de la photo étant beaucoup trop faible... Vous serait-il possible de me transmettre une photo en plus grosse résolution ?
Un ouvrage existe qui répertorie les pertes et les victoires de l’aéronautique française (The French Air Service Chronology 1914-1918)... il y a cependant des trous et il n’y a pas de pertes indiquées pour le 20 Avril.
Il est plus difficile de trouver ce genre d’info avec les JMO de chasse présentes dans le secteur de Verdun à ce moment là.
Ce sont quelques pilotes de la 3 (5 ou 6 pilotes, il me semble dont Peretti) la 15, la 23, 6 pilotes de la 38, la 57, la 65 de Nungesser, la 67 de Navarre, et la 69".
- J’écris le jour même à Dominique, "gardien" des photos :
Je suis en contact avec un groupe de passionnés d’aviation militaire de 14-18 sur un Forum et ils pensent avoir trouvé le nom du pilote tué en vol en avril 1916 vers Froméréville... mais un doute subsiste car la date de l’événement est huit jours plus tard au même endroit.
Pourriez vous m’envoyer assez rapidement, recto verso et en grande définition, la photo intitulée "Avion abattu à Froméréville" en réglant le contraste de façon à pouvoir lire la date indiquée (je lis le 20 avril 1916) ? Merci d’avance.
Quelques jours plus tard, je reçois la "nouvelle" photo
- Je l’adresse à Gérault... La veille de Noël arrive sa réponse :
"Merci pour la photo, qui est nettement plus lisible que celle mise en ligne sur le forum. Cette recherche est en effet passionnante, mais me semble plutôt complexe.
Je ne suis pas tout à fait sûr que ce soit l’avion de Peretti (en dehors de la date).
En effet, le Sous lieutenant Deullin dans un rapport au commandant de l’escadrille 3 localise très précisément le point de chute de l’appareil, entre la Meuse le canal à environ 200 m du pont de Thierville (extrait de carte joint, cercle bleu).
et d’après la distance et la topographie du terrain je ne pense pas que l’on puisse voir Froméréville comme sur la photo. Il y indique de plus que l’avion est en miettes.
C’est pourtant cette hypothèse émise qui, en cas d’erreur de date sur les notes indiquées sur la photo, reste la plus plausible. Je n’ai pas trouvé d’indication de perte française entre le 17 et le 20 avril.
Il reste une piste à suivre : il y a sur l’intrados de l’aile supérieure un marquage qui correspond au type de l’avion (Nieuport type 16) et au-dessus un numéro de 3 chiffres qui correspond au n° de série de l’appareil.
Pouvez-vous demander à votre correspondant, soit un scan en très haute définition de cette zone, soit qu’il vous donne le chiffre exact indiqué à l’aide d’une loupe ou d’un compte-fil ?
Peut-être que nous pourrons trouver des précisions sur le pilote de l’avion ou sur l’escadrille dans laquelle cet appareil était affecté."
- Début janvier 2011, Gérault écrit sur le Forum :
Je reviens sur cet avion supposé être celui de Peretti, l’affaire me perturbe !! Michel Guironnet a eu la gentillesse de me transmettre un zoom sur le n° de ce Nieuport que voici :
- Zoom sur l’intrados de l’avion
- Le numéro dévoilé : 950 16
Il s’agit donc du Nieuport 16 n° 950, je n’ai de mon côté rien trouvé concernant l’affectation de ce Nieuport... Si l’un des membres du forum a les moyens d’en savoir plus au sujet de cet avion ce serait formidable".
- Albin intervient à son tour :
"Cet avion ne correspond pas à celui de Peretti car son avion s’est écrasé et a terminé sa course en débris. Plusieurs témoignages concordent dans cette voie.
Je pense qu’il faut mieux chercher un avion qui a eu des problèmes à l’atterrissage et qui a terminé sa course en cheval de bois. Les 2 pales d’hélice sont en lambeaux.
Ce qui signifie que l’hélice tournait encore lors du contact avec le sol.
Le train a souffert mais est encore complet. Si on était en présence d’une collision avec le sol à pleine vitesse, le train aurait été pulvérisé.
En outre, cet avion dispose seulement d’une mitrailleuse Lewis sur l’aile supérieure.
Elle n’a donc pas pu, suite à un défaut de synchronisation, couper les pales.
Reste à savoir si le pilote de ce Nieuport 16 est réellement mort de 2 balles, et si ce n’est pas le militaire qui a pris ces photos qui a fait une association hasardeuse. Je passe le relais. Bien cordialement".
En mars, dépouillant les JMO du 32e Corps d’Armée (dont fait partie la 69e DI avec sa Section de Projecteurs) entre mars et mai 1916 [6], je trouve que la 40e DI est alors aidée par les escadrilles MF 41 et MF 72.
Le 25 avril il est précisé que l’aviation ennemie bombarde les bâtiments de notre aviation à Brocourt, probablement Brocourt en Argonne à 13 kms de Fromeréville où est abattu le Nieuport 950.
Je poste l’information sur le Forum... cela peut être utile.
- Toujours à la recherche d’indices sur "mon avion", je note en mai que sur place, à Fromeréville, stationne alors la 34e Cie d’aérostiers. Sont signalés également les escadrilles C 38 et C 39. Je consulte les "carnets" de celles ci sans résultats !
- Blake apporte sa contribution :
"Peretti est descendu le 28 avril sur le N°893, donc c’est autre chose.
Le 950 a fini avec le RFC ("Royal Flying Corps", nom de l’armée de l’air UK) auquel il est livré en août 1916 comme A 216, son nouveau numéro d’immatriculation. Il ne devait donc pas être très endommagé".
Cela suppose, je ne suis pas spécialiste, que cet avion à continuer de voler après son accident !
Bruno éclaire ma lanterne : "Oui il a continué à voler. Pour le compte de la RFC à qui la France à livré le Nieuport no 950. Sous les couleurs anglaises, l’avion à pris le no d’immatriculation A 216".
Où a atterri cet avion ? : essai de localisation
- Détail agrandi de la photo
« 20 avril 1916 Avion français tombé près de nous… Dans le fond on voit le village de Fromeréville ». L’église est bien visible, le clocher sur la droite de l’opérateur qui prend la photo. A l’arrière plan, une crête avec une route qui monte en serpentant depuis le village.
Si le « commentateur » écrit « tombé près de nous » alors qu’il cantonne à Fromeréville, le lieu d’atterrissage de l’avion ne doit pas être très loin.
Essayons de nous repérer sur la carte !
- L’église et la place en 1916
L’église en 1916, devant à droite, le pont, et à gauche, la mairie… Au fond de la photo, un chemin qui monte en serpentant ! Cette vue doit être prise du nord-est, avant la place du village (le nord est en bas).
Grâce au satellite, nous retrouvons nos repères : l’église (avec son clocher à droite) et devant, le pont… avec le nord en bas, bien sûr !
La photo de l’avion en avril 1916 semble donc être prise au nord-ouest de Fromeréville, à quatre ou cinq kilomètres du village… Et le chemin qui serpente ? Peut être est-ce celui qui monte au Fort des Sartelles ?
- carte d’état-major aimablement communiquée par Gérault
Laissons le mot de la fin à Gérault qui m’écrit le 16 septembre dernier :
A la suite de ce post, j’avais bien continué à penser à cette histoire, et j’étais même allé sur place pour me donner une petite idée sur le site même. Il y a en fait peu de point de vue, le village étant bien encaissé et ayant vu sur place je pense comme vous que l’atterrissage a eu lieu au Nord du village…. A peu près là où je l’ai indiqué sur l’extrait joint.
Les escadrilles qui sont dans le secteur à ce moment là sont les suivantes :
- N 15 Lemmes
- N 23 Vadelaincourt
- N 37 Ste Menehould ( mais est passée par Brocourt un peu avant)
- N 57 Lemmes
- N 65 Bar le Duc Béhonne
- N 67 Froidos (vient de quitter Brocourt)
- N 69 Lemmes
Mais l’affaire n’est pas si simple, un pilote blessé au-dessus de Douaumont va chercher le terrain le plus proche pour pouvoir se poser.
Un pilote de la N 65 par exemple, escadrille stationnée à Bar le Duc, a très bien pu se poser à Brocourt, le terrain étant aménagé, s’il était à bout de force.
Mais bon, en admettant qu’il puisse y avoir une préférence pour un Nieuport de la 37 ou de la 67.
Il y a par exemple Lucien Hudellet de la N 67 qui est blessé le 21 avril… la source est le “French Air Service War Chronology” et il y a parfois dans ce livre des erreurs de transcription… ou peut-être, aussi, que la photo a été prise le 21, qui sait !!
... Je suis tout aussi curieux que vous sur cette affaire.
Le mystère reste entier !