Pendant deux ans, Annie Louveau et moi-même, nous avons parcouru les routes du département à la recherche des lavoirs communaux encore présents et nous avons consulté attentivement l’ensemble des dossiers d’archives concernant ces constructions dans la série 2 O qui rapporte les relations des municipalités avec la préfecture.
Dans un petit village du Nord de la Sarthe, nommé Bourg-le-Roi, en 1825, le maire écrit au sous-préfet "pour la plus grande utilité des habitants de cette commune, qui ne savaient précédemment où laver leurs linges, avant la vente des biens nationaux, il fut réservé lors de l’aliénation d’une partie des biens de la cure de cette commune une portion de terre d’environ 5 ares aboutant sur un petit ruisseau afin d’y faire pratiquer un lavoir public, faute de centimes communaux les habitants à leurs frais ont fait faire ce lavoir du mieux qui leur a été possible de sorte que ce terrain ou pour mieux dire ce lavoir sert journellement aux habitants de tout le bourg pour les lessives." En ce début de XIXe siècle, ce n’est pas d’un lavoir couvert qu’il s’agit mais des premiers aménagements réalisés, des maçonneries empêchant les terres de s’écrouler dans l’eau avec des madriers de lavage permettant aux femmes de s’installer autour du point d’eau. Dans ce bourg, la municipalité a pensé, dès la mise en place de l’administration communale a réservé cet emplacement qui prendra le nom de Lavoir de la Nation dans les documents suivants.
Pour beaucoup de communes, le manque de centimes communaux pour les travaux nécessaires à l’établissement de lavoirs était un sujet de préoccupation quand il fallait aussi construire une maison d’école, une maison commune, entretenir les chemins communaux, l’église et le presbytère. Les habitants y participaient largement soit en argent soit en journée de travail, soit en don de matériaux.
Le maire poursuit à propos d’une haie que veut planter un voisin du lavoir, le long du chemin d’accès, "une bonne haie d’épine blanche parfaitement soignée et entretenue sera de la plus grande utilité pour les lessives" puis il demande l’autorisation d’affermer les boues et engrais du lavoir par la voie des enchères.
Pour le linge de maison et de corps, la buée avait lieu deux fois par an, au printemps et à l’automne et se déroulait sur trois jours. Le coulage de la lessive en était le point central : à l’aide du vide-buée, la femme versait l’eau chaude du chaudron au-dessus du cuvier rempli de linge ; celle-ci se chargeait de la soude contenue dans les cendres placées dans ce cuvier puis retournait chauffer. Ce circuit se répétait maintes et maintes fois, au moins pendant six heures. Le lendemain, les femmes se rendaient au lavoir pour terminer la corvée en frottant et rinçant ce linge. Il était étendu sur le pré ou sur les haies d’épines blanches. Les cendres lessivées, la charrée, étaient dispersées comme engrais dans le jardin tout comme les boues du lavoir. Le jus de lessive servait ensuite au linge de couleur qui était lavé plus régulièrement.
Le Lavoir de la Nation de Bourg-le-Roi sera couvert en 1884. C’est la grande période des lavoirs couverts, entre la guerre de 1870 et celle de 1914-1918.
Et là, encore une fois, le manque de moyens financiers fera que la municipalité abandonnera son premier projet de couvrir le bassin sur ses quatre côtés pour n’en garder que deux, comme le montre ce document d’archives.
Bien sûr, au détriment des femmes qui, pour une partie d’entre elles, continuera à laver sans être abritées des intempéries, en plein soleil, en plein vent, sous la pluie.
Il fut entretenu au fil des années aussi souvent que nécessaire par le cantonnier et les villageois. Aujourd’hui, au bout d’une belle allée ombragée, dans un écrin de verdure, c’est un élément du patrimoine, bien valorisé. Un banc, juste en face, vous invite à vous y reposer un moment et peut-être, le bruit des battoirs et les rires des femmes parviendront jusqu’à vous.
Les documents d’archives permettent quelquefois d’entrevoir l’ensemble de la vie du village. Ainsi à Cherré, 145 personnes participent à la souscription pour l’acquisition d’un passage en vue de la construction d’un lavoir au bord de l’Huisne et versent au total 1349 F dont 200 F de la part du maire et 100 F de la part de son adjoint. Dans la liste de tous les souscripteurs, nous touchons la vie de ce village près de la Ferté-Bernard (sous-préfecture) : maire, adjoint, curé, sacriste, institutrice, notaire, médecin, fabricant de toiles (10), tisserand (11), arçonnier (2), maçon (4), menuisier (3), boucher (3), boulanger (2), épicier (4), scieur de long (3), tuilier (4), charron, tailleur de pierre (4), pépiniériste, serrurier, facteur, commissaire, perruquier, aubergiste, maître d’hôtel, cabaretière, cordonnier, coquetière, charpentier chaufournier, cafetier, jardinier, tourneur, cultivateur, herbager, agent voyer, maréchal des logis, marchand de farine, tabac, fruits, chaux, propriétaires et rentiers. Nous sommes dans une région où le travail du chanvre occupe beaucoup de main d’œuvre.
Si ce lavoir se situe dans un quartier ouvrier près de la ville, un autre lavoir, au centre du village, est couvert à la même époque et le maire tient à marquer son rôle en faisant apposer une plaque.
Les échos des dissensions se retrouvent aussi dans ces documents. Ainsi à Sceaux-sur-Huisne, en 1868, l’évêché demande au préfet d’"aviser aux moyens à prendre pour éloigner de l’église un lavoir public". Un particulier offre son terrain, les souscripteurs insistent sur la nécessité de déplacer ce lavoir qui apporte de l’humidité à la sacristie et dont "les roulements des battoirs, les conversations des laveuses entendues dans l’église troublent l’exercice du culte". Mais beaucoup de mécontents qui craignent la baisse du niveau de l’eau dans les puits et lavoirs existants, dans les abreuvoirs au profit "des souscripteurs [...] tous de riches propriétaires et chose remarquable qui ont presque tous chacun chez eux pompe et lavoir alimentés par différentes sources". Dans leur pétition, ils soulignent que "l’ouvrier ne peut pas réclamer parce qu’il a peur de déplaire à M. Untel, l’indigent a peur de manquer à recevoir son pain du bureau de charité, celui qui a des enfants à l’école gratuite est paralysé par le même fait."
Le lavoir sera bien déplacé après deux enquêtes de commodo et incommodo, sans aucune dépense communale.
Non loin de l’église, il a été restauré en 2006.
Ainsi, quand les documents d’archives le permettaient, nous avons essayé de rendre compte des discussions soulevées par la construction de ce bâtiment communal.
Les cartes postales représentant des lavoirs ont le plus souvent comme intitulé "un coin où l’on bavarde". Certes, mais si vous regardez attentivement chacune de ces vues, c’est avant tout un lieu où l’on travaille. Le lavoir communal est celui qui est fréquenté par les laveuses du village ; elles s’y retrouvent tous les jours, par tous les temps, aussi bien les grandes chaleurs que les gelées. Il en faut de l’énergie pour passer toute sa journée, à genou dans la boîte à laver, à frotter, rincer le linge. Et celui-ci en raconte beaucoup sur l’intimité de ses propriétaires. Le lavoir est l’endroit où les femmes se retrouvent entre elles, pouvant évoquer sans contrôle des pères ou des maris, leur situation, leurs soucis, leurs préoccupations.
Le livre "Lavoirs en Sarthe" regroupe l’ensemble de l’inventaire de ce patrimoine, encore très présent sur notre territoire grâce aux efforts conjugués du conseil général, des municipalités, des communautés de communes et des bénévoles.
Contact : connaitre.lavoirssarthe[arobase]orange.fr