Aubin confie à l’âge de 14 ans son fils au séminaire de Chartres. Devenu prêtre, celui-ci officie dans diverses paroisses de l’Eure-et-Loir, dont de longues années à Boisville-la-Saint-Père, gros bourg planté au cœur de la Beauce. La mission du curé de campagne lui est donc particulièrement bien connue d’autant qu’il a rencontré dans son enfance des oncles prêtres, réfractaires à la Révolution. Tout indique par conséquent qu’Aubin, lié à l’Eglise, se démarque de la tendance au détachement religieux de sa Beauce natale, lequel est fustigé par l’évêque de Chartres : « Le cultivateur ayant réussi dans son labeur semble dire à Dieu : tout cela est à moi, ce sont mes mains qui ont fait ceci et non le Seigneur. » De fait, l’assistance à la messe se réduit aux femmes, aux enfants et aux notables. Comme Aubin.
En outre, les mentalités sont encore imprégnées de superstitions à l’instar de celles que l’almanach « Le Messager de la Beauce et du Perche » prête à la mère Crédule qui contredit son curé : « j’ai vu d’saffaires ousque le Bon Dieu et la Bonne Vierge n’pouvaient ren. Voyons, vous qu’êtes un malin, dîtes-moi si le Bon Dieu peut empêcher les flambas, l’loup-garou ».
Tout ceci ne doit pas occulter le rôle de premier plan joué par le curé. D’abord, chaque village veut « son » curé ne serait-ce que pour les célébrations qui marquent les grandes étapes de la vie ; baptêmes, mariages, inhumations. Rien de pire que le binage, c’est-à-dire un curé écartelé entre le service de deux paroisses.
- Le curé, son bréviaire et le petit paysan. Messager de la Beauce et du Perche,1883.
Secondement, le curé est un homme d’influence. Il fréquente les notables de la commune dont il est l’invité de table et sait faire entendre sa voix. Sur l’école et l’instituteur par exemple. Le conseil municipal de Germignonville demande la « séparation des garçons et des filles par une cloison afin qu’il n’y ait pas communication entre eux ». C’est justement la position défendue par l’Eglise et, à Germignonville, le curé Goussard fait de la séparation des sexes l’une des conditions du legs qu’il destine à l’école. En 1843, il intervient auprès du préfet pour défendre l’instituteur : « Depuis quatorze ans que je le connais, sa conduite a toujours été honorable. »
Le curé se distingue de ses paroissiens par son mode de vie. Il bénéficie toute sa vie d’une rémunération assurée par l’Etat [2], ce qui en fait le seul fonctionnaire du village. Ce traitement est complété par les produits du jardin, les cadeaux des paroissiens et par le casuel. Sans être fortuné, il a donc des revenus qui le hissent dans la minorité aisée du village. De surcroît, ce célibataire n’a aucune personne à charge à part sa servante [3].
Ses fonctions le contraignent à un emploi du temps serré, divisé le matin en oraison, messe et méditation de l’Ecriture Sainte ; puis l’après-midi, en visites aux familles et à l’école. L’administration des sacrements – plus de cinquante par an à Germignonville –, les réunions du bureau de bienfaisance, de la fabrique et du comité local de l’instruction primaire complètent l’occupation des heures.
- Le curé et son malade. Les derniers sacrements. Messager de la Beauce et du Perche, 1863.
Aucune friction n’a filtré des archives entre le curé Goussard et ses paroissiens. Mais certaines nous sont parvenues de communes proches. Ainsi, le 28 mai 1837, celui d’Ymonville est apostrophé par Pierre Gallas lors de la procession de la Fête-Dieu : « - Toi, curé, tu n’as pas voulu qu’on sonne pour ma femme, elle valait mieux que ton bon dieu. Je te méprise. ». A Tillay-le-Péneux en 1848, le curé accuse l’instituteur d’être « rouge jusqu’à la moelle des os ».
Des incidents qui ne remettent pas en cause la place centrale du curé de village de cette première moitié du XIXe siècle en Beauce.
Enfin réédité !