Nous chercherons à discerner les faits contenant en germe cette fermentation révolutionnaire dans les dernières années de l’ancien Régime. Pour cela nous nous appuyerons sur la remarquable introduction au chapitre "à l’épreuve de la Révolution" par Claude Langlois et Timothy Tackett dans l’Histoire des catholiques en France (Privat, 1980) ; ainsi que sur divers travaux d’historiens régionaux.
Que représente le clergé en 1789 ? Si l’Eglise est riche et puissante, il faut d’emblée constater une grande disparité dans les situations et distinguer deux grandes catégories de prêtres :
- Le haut clergé : archevêque, évêques -qui tous en 1789 sont nobles-, chanoines des chapitres et collégiales.
- Le bas clergé : prêtres chargés des paroisses urbaines et rurales, vicaires et chapelains.
Certes, il existe des évêques très riches et des évêchés crottés très pauvres, des curés de campagne à haut revenus et des curés réduits à la portion congrue. Mais ce qui sépare le haut clergé du bas clergé, ce n’est pas la richesse du coffre, de la basse-cour ou de la table, mais l’incommensurable distance créée par la naissance : un riche roturier n’est rien face à un évêque pauvre mais bien né ou à un abbé mitré (Pierre Pierrard, Histoire des curés de campagne).
La richesse foncière
En 1786, l’archevêché de Vienne compte deux collégiales, quatre chapitres (ceux de Saint-Maurice, Saint-Pierre, Saint-André-le-Haut, Saint-Sévère), un prieuré, sept paroisses intra muros, plusieurs couvents, un séminaire dirigé par les Oratoriens, 43 prieurés dans le diocèse, 14 monastères, 414 cures et 245 chapelles.
Jean-Georges Lefranc de Pompignan (né à Montauban le 22 février 1715) est depuis 1774 archevêque de Vienne après avoir été évêque du Puy-en-Velay depuis 1742. Il va jouer un grand rôle dans les premiers mois de la Révolution.
Les religieux possèdent des terres dans toutes la région viennoise. L’emprise foncière du clergé entraîne une richesse importante par l’exploitation qui en est faite (faire-valoir direct, affermage en argent, bail à mi-fruit). Le clergé viennois retire également des revenus des paroisses dont il est patron c’est-à-dire dont les chanoines d’abbaye nomment le curé (voir notre ouvrage L’Ancien Régime en Viennois -1650/1789) pour tout ce qui concerne les finances de l’Eglise dans cette région).
Le clergé paroissial
L’Almanach du Viennois pour l’année 1783 nous donne l’état ecclésiastique du diocèse de Vienne :
- Condrieu, en Lyonnais : M. Bonnardel, curé...
- Saint-Clair-du-Rhône et Saint-Alban sa succursale : M. Albert, curé...
- Saint-Prim : Acarias, curé...
- Chessieu et Auberives son annexe : Reynaud, vicaire...
- Chonas : Puis, curé...
- Clonas : Astier, curé...
- Saint-Maurice-l’Exil : Tulpin, curé...
Au fil de la Révolution, nous retrouverons ces curés. Face aux événements, ils adoptent des attitudes différentes :
- Quelques uns deviennent de fervents curés révolutionnaires et le restent.
- Certains sont, au début, favorables à la Révolution mais tiédissent voire même sont victimes, persécutés sous la Terreur.
- D’autres enfin s’opposent dès les premiers jours et continuent leur combat des années malgré de grandes difficultés.
D’emblée se pose la question de comprendre pourquoi ces prêtres, de la même génération, ayant reçu le même enseignement dans les séminaires catholiques, réagissent de manière si extrême et différente !
Ne sont-ils pas curés et confrères, dans des paroisses voisines les unes des autres ? Ces prêtres se fréquentent, s’aident même pour remplacer un malade ou un absent... Pourquoi vont-ils arriver à se déchirer ?
Connaître leurs aspirations, leurs revendications à l’aube de la Révolution peut nous éclairer.
Le clergé du règne de Louis XVI a été modelé par les séminaires mis en place par le Concile de Trente. Les études y durent 5 ans (2 ans de philosophie, 3 ans de théologie). Ordonnés prêtres après ce cursus, la période de vicariat (souvent dans une paroisse de leur diocèse d’origine) est un bon apprentissage aux fonctions de curés auxquelles ils se destinent.
Faisons connaissance avec les curés Albert et Bonnardel :
Originaire de la Drôme, Jean-François Albert, curé de Saint-clair, naît le 13 mars 1753 à Miribel. Il est le fils de Sieur Jean et Françoise Rousset. Son père Jean est dit marchand en 1759 et 1761. Son acte de sépulture (mort à 64 ans le 7 octobre 1782) nous apprend qu’il est capitaine chatelain c’est-à-dire un homme revêtu d’autorité sur le village de Miribel. Jean-François est le deuxième garçon du couple. Ils auront cinq autres enfants. Jean-François Albert est baptisé le 15 mars, son parrain, est Jean-François Thier, notaire royal à Saint-Donat-sur-L’Herbasse, sa marraine Demoiselle Lucie-Catherine Mottet, son épouse.
De sa naissance en 1753 à son arrivée à Saint-Clair, on reste dans l’ignorance des études au séminaire suivies par J.F. Albert.
Le 26 mai 1782 (il a alors 29 ans) il succède à Pierre Clamaron, curé de Saint-Clair, décédé à 30 ans le 30 avril 1782.
Durant les années qui précèdent la Révolution, son rôle de prêtre l’occupe. Toutefois le curé Albert s’absente régulièrement, remplacé alors par ses vicaires et parfois par le curé Accarias du village voisin de Saint-Prim.
Pierre Bonnardel est né à Lyon le 3 janvier 1723. Il est le fils de Charles Bonnardel (baptisé à Condrieu le 24 février 1668) maître chirurgien à Lyon, marié en secondes noces à Saint-Nizier, le 29 mai 1709, à Jeanne Thioly.
Le parrain du futur prêtre est Messire Jean-Pierre Monnier, docteur en théologie et curé de Chavanay. J. Beyssac, dans ses Notes généalogiques sur la famille Bonnardel à Condrieu et à Lyon d’où sont tirées ces données biographiques écrit : (Pierre Bonnardel) fit d’assez fortes études puisqu’on le voit revêtu du grade de bachelier en droit canon.
Une lacune dans les registres d’ordination de l’archevêché de Lyon ne permet pas de le suivre dans son accession aux premiers ordres sacrés : il était diacre lorsqu’il tint sur les fonts baptismaux, le 3 octobre 1746, Pierre Jammarin, de la paroisse de Saint-Michel près Condrieu. Ordonné prêtre le 27 mai 1747, il dut pendant plusieurs années exercer son ministère à la campagne... En mars 1755, il devint vicaire de la paroisse de la Platière à Lyon, poste qu’il occupa jusqu’à sa nomination à la cure de Condrieu en mai 1758."
Exerçant leur vocation à moins de cinq kilomètres de distance, ils vont prendre des voies radicalement opposées au cours de la Révolution. Pourtant il n’y a que le Rhône qui les sépare... peut-être l’âge ?
Les aspirations du bas clergé dauphinois
Le bas clergé est très mobilisé : les protestations endémiques depuis plusieurs décennies, contre les abus en matière financière et disciplinaire et contre la hiérarchie, les suggestions pour réformer l’Eglise gallicane en revenant aux principes de la primitive Eglise, culminent en un véritable flot de pamphlets, en 1787-1789, émanant des curés de tout le royaume qui demandent que la régénération de l’Eglise s’opère conjointement à celle que l’on envisageait pour l’Etat. Presque toujours, le bas clergé identifie sa lutte contre l’aristocratique haut clergé à celle du tiers Etat contre la noblesse. Parmi, des dizaines, citons seulement un passage de la célèbre adresse des Curés de Dauphiné à leur confrères Recteurs de Bretagne : "Comment voulez-vous obtenir de la considération tant que ne serez que les pasteurs d’un troupeau d’esclaves... Nos évêques ne pourront se résoudre à nous regarder comme leurs coopérateurs, vous ne rentrerez dans la plénitude de vos droits que du moment que le peuple rentrera dans la plénitude des siens... (C. Langlois et T. Tackett, op. cit.).
Renée Bony nous explique : "Dans leurs paroisses les curés et vicaires n’ont d’autres revenus que la portion congrue... La hausse des prix rend leur situation financière de plus en plus précaire... Les revenus annuels du casuel (droits provenant de baptêmes, sépultures, mariages) sont trop modiques pour compenser cette insuffisance... Les inégalités sont trop flagrantes aux yeux du bas clergé : les revenus des prieurs, chanoines ou abbés suivent une courbe ascendante... C’est à Vienne que les curés dauphinois trouvent vers 1780 leur porte-parole : c’est le curé Henri Reymond de la paroisse Saint-Georges. Son mémoire, à l’adresse du roi, souligne les difficultés financières qui les assaillent, et qui les gênent dans l’exercice d’un ministère aussi indispensable à la Religion qu’à l’Etat" (Vienne à la veille de la Révolution).
Henri Reymond naît à Vienne le 21 novembre 1737, son père est négociant dans le quartier Saint-Martin. Elève des Jésuites de Vienne, il poursuit ses études chez les Oratoriens de Valence. Nommé curé de Saint-Georges, église voisine de Saint-Pierre, il entre en conflit avec le chapitre de cette abbaye.
Dès 1776, il publie Droit des curés et des paroisses, et en 1781 un Mémoire à consulter pour les curés de la province de Dauphiné.
Son rôle auprès des curés ira grandissant en 1789.
2 janvier 1789 : Jean Georges Lefranc de Pompignan, archevêque de Vienne, est élu député du clergé dauphinois aux Etats Généraux convoqués par Louis XVI.
29 août 1799 : Le Pape PIE VI meurt en captivité à Valence, prisonnier du Directoire, après l’invasion de ses états par les troupes de BONAPARTE.
Entre ces deux dates qu’un peu plus de dix années séparent, la France fille aînée de l’Eglise, connaît en matière religieuse de grands bouleversements. Beaucoup auront des conséquences durant tout le XIXe siècle.
Certains ont encore de nos jours une influence.
Pour suivre l’histoire religieuse, à la fois riche et complexe de cette période charnière il nous faut un bon fil conducteur, la chronologie : les événements se succèdent, leur rythme s’accélère. On assiste à un effet domino, chaque épisode entraînant une réaction en chaîne.
Suivant en cela Xavier De Montclos dans son "Histoire religieuse de la France", trois grandes époques peuvent être déterminées.
1. Celle de la Constitution Civile du clergé : sa préparation et sa mise en place en Dauphiné et en Viennois. Les premières oppositions qu’elle suscite. Les premières, et plus durables, fractures qu’elle provoque au sein du clergé et des fidèles (1789 à 1792).
2. La Terreur anti-religieuse : guerre fratricide entre jureurs et réfractaires suivie d’une lutte brutale contre les personnes et les biens, menée par des proconsuls qui s’attaquent non seulement au catholicisme, même constitutionnel, mais au protestantisme et au judaïsme (1792 à 1794).
3. La séparation de l’Eglise et de l’Etat : années marquées par une accalmie dans les luttes anti-religieuses, puis une reprise de la persécution. Après le coup d’Etat du 18 Brumaire, le Premier Consul Bonaparte, entamant les négociations avec le Saint-Siège, cherche à rétablir la paix civile et religieuse (1794-1799).
Nous allons maintenant débuter cette histoire en détail.
La pré-révolution dauphinoise
La révolte du Parlement de Grenoble contre l’autorité monarchique occupe les années 1787 et 1788.
Les réformes administratives et judiciaires prônées par les ministres de Louis XVI sont rejetées par les notables et les parlementaires. En mai 1788, à Grenoble, le Duc de Clermont Tonnerre fait enregistrer par la force les édits royaux. Il exile les parlementaires rebelles. Le 7 juin, la population déclenche une émeute pour empêcher leur départ : c’est la Journée des Tuiles. Mais force reste à la loi. A l’Hôtel de Ville de Grenoble, les trois ordres de la ville réclament alors la réunion des Etats du Dauphiné, avec représentation du Tiers égale à celle des deux autres ordres, et la convocation des Etats Généraux. Ils invitent les trois ordres (Noblesse, Clergé et Tiers Etat) de tout le Dauphiné à s’unir en une assemblée. Elle se tient le 21 juillet 1788 à Vizille. Les députés de la province obtiennent satisfaction sur deux points :
- Un arrêt du 2 août 1788 du Conseil du Roi décide d’une assemblée à Romans pour la composition des Etats du Dauphiné.
- Le 8 août, un autre arrêt annonce la convocation des Etats Généraux. Les édits de mai sont annulés, les ministres réformateurs renvoyés, les parlementaires sont autorisés à rentrer d’exil.
- Le réveil du Tiers Etat
Assemblée de Romans
L’assemblée préparatoire se tient à Romans entre début septembre et mi-novembre 1788. Elle se déroule sous la présidence de l’archevêque de Vienne Lefranc de Pompignan. En juin-juillet, il s’est opposé à l’assemblée de Vizille, illégale car non convoquée par le Roi. Sa lettre pastorale aux curés de son diocèse du 15 juillet dénonce les facteurs de division et invite les curés à prêcher le calme et le respect des lois.
Outre l’archevêque de Vienne, pour l’ordre du clergé dauphinois sont députés à Romans :
- l’abbé de Saint-Albin et l’abbé Bernard, chanoines de l’église de Vienne.
- De Rachais et De Laporte doyen et chanoine-comte du chapitre Saint-Pierre et Saint-Chef
- Perronnet et Reymond sont les députés des diocèses (Lors de la 2e session début novembre, seul Reymond reste à son poste).
Les bourgs, paroisses et communautés du Viennois ont nommé également des députés. Ce sont : Vienne, Reventin, Vaugris, Côtes d’Arey, Chonas, Vernioz, Auberives, Saint-Clair, Surieu, La Chapelle-de-Surieu, Assieu...
Ils ont pour noms : Peyrard, Chabroud, Almeras Latour, Revollat, Danthon (rien à voir avec son célèbre homonyme !), Jocteur Montrosier, Labbe, Pagnoud, Vivier, Thevenin, Servant, Reymond, Giroud, Jaquier. Beaucoup sont notaire, avocat, médecin ou procureur, ils sont cultivés, savent écrire et s’exprimer verbalement... Ce n’est pas le cas de toute la population !
L’assemblée de Romans a des prérogatives étendues, en matière fiscale notamment. Une décision importante est prise à Romans pour la procédure élective aux Etats de Dauphiné qui doivent se réunir :
- Egalité du nombre des députés du Tiers Etat avec celui des deux autres ordres réunis ; délibération faite en commun par les trois ordres et vote par tête. Ce qui met le Tiers en position de force vu son nombre.
- Ce règlement électoral adopté à Romans sera réclamé pour les Etats Généraux du Royaume. Le refus royal pour son application déclenchera la rébellion du Tiers Etat... et le ralliement du clergé. Mais n’anticipons pas.
Etats du Dauphiné
Le 1er décembre 1788 s’ouvre à Romans la session des Etats de Dauphiné, présidée par l’archevêque de Vienne, avec comme secrétaire Jean-Joseph Mounier, avocat à Grenoble (né le 12 novembre 1758, il vient d’avoir 30 ans).
Une partie des travaux de l’assemblée est consacrée à décider de l’élection des représentants du Dauphiné aux Etats Généraux et à leur mandat. La session se passe à Romans durant tout le mois de décembre. Les députés du clergé viennois sont Aimé-François Corbeau de Saint-Albin (né en 1744) doyen du chapitre Saint-Maurice et Charles-Emmanuel de Gratet de Dolomieu, chanoine-comte de Saint-Pierre et Saint-Chef.
Un seul représentant du bas clergé, le curé de Chirens Fuzier, siège à Romans. Les Etats du Dauphiné se séparent le 16 janvier 1789 après avoir désigné leurs représentants aux Etats Généraux prévus à Versailles en mai 1789.
Evidemment Jean-Georges Lefranc de Pompignan, qui a joué à Romans la modération et le compromis entre les différentes tendances, est désigné député de l’ordre du clergé. Avec l’archevêque de Vienne, Charles-Emmanuel de Gratet de Dolomieu et Aimé-François De Saint-Albin sont désignés députés.
Ils seront accompagnés de Jacques-Bernardin Colaud de La Salcette, chanoine de l’église cathédrale de Die.
Les "cahiers de doléances" des curés du Viennois
Thierry Giraud dans les Viennois sous la Révolution (plaquette éditée pour l’exposition des Musées de Vienne en 1989), nous explique :
Ce sont les curés du diocèse de Vienne qui expriment les premiers de vives critiques contre leur sous-représentation au sein du clergé autant aux Etats provinciaux de Romans que dans la députation du Dauphiné aux Etats Généraux. Contrairement aux dispositions royales, rendues postérieurement pour les autres provinces, les curés dauphinois n’ont pu ni se prononcer sur le choix de leurs délégués, ni avoir un représentant à Versailles.
En effet le règlement royal qui fixe les modes de désignation des députés est du 24 janvier 1789. Il n’y a donc pas de cahiers de doléances en Dauphiné comme il en existe ailleurs dans le Royaume ; cahiers rédigés au cours des élections aux Etats Généraux.
Le 23 février 1789, Dubouchet, curé de Saint-Sevère et Henri Reymond, curé de Saint-Georges, sont chargés de faire part de la détermination de leurs collègues auprès des responsables provinciaux pour exprimer leurs doléances et les faire parvenir aux Etats Généraux. Sous l’impulsion de Reymond, un petit mémoire est imprimé rappelant la position des curés dans le contexte politique particulier du Dauphiné... Cet opuscule se termine sous la forme d’une requête réclamant au Roi de pouvoir rédiger leurs doléances et d’envoyer à Versailles trois députés complémentaires avec voix consultative. Les aspects matériels, condition essentielle d’une revalorisation de leur statut social, ne sont pas absents de leurs revendications.
De l’autre côté du Rhône
Dans les autres provinces aussi on désigne les représentants aux Etats Généraux. Le règlement royal du 24 janvier 1789 qui organise les élections aux Etats Généraux assure une majorité écrasante aux curés dans les assemblées locales du clergé. Chaque curé y siégera en permanence tandis que les chanoines n’auront qu’un délégué pour dix. Si bien que l’évêque, qui ne dispose que d’une seule voix, est sur le même pied que le simple curé desservant de paroisse.
Pour le Lyonnais, les députés du clergé sont Jean-Antoine de Castellas, doyen de l’église de Lyon ; Antoine Flachat, curé de NotreDame de Saint-Chamond et Izieux, Jean-Marie Mayet, curé de Rochetaillée et Louis Charrier de La Roche prévôt du chapitre noble et curé d’Ainay.
A. Kleinclausz dans son Histoire de Lyon (tome Il) écrit, parlant des élections, (le clergé étant réuni dans la chapelle des Pénitents de Gonfalon) : Groupés derrière le prévôt d’Ainay, Charrier de la Roche, les curés de campagne menèrent rudement bataille contre les gros bénéficiers. Il y eut des "clameurs", des propos "peu mesurés" et les représentants de l’archevêque ne réussirent pas à se faire entendre" En Forez, les curés Thiolier de Chavanay, Journel de Saint-Pierre-de-Boeuf, Dumas de Véranne, Oriol de Lupé sont électeurs à Montbrison en mars 1789.
Comme en Dauphiné, les curés sont convaicus du bien-fondé de leurs doléances :
- réforme de l’Eglise de France ; mise à la disposition de la nation des biens du clergé, extinction des vœux monastiques et suppression des ordres religieux...
- dans le domaine financier : abandon des privilèges fiscaux, augmentation de la portion congrue, réaffectation des dîmes à leur fonction originale, suppression de toute quête et casuel (la nation doit subvenir aux besoins du culte).
- enfin, le bas clergé demande l’accès des non-nobles aux hautes fonctions ecclésiastiques, choix des évêques fait selon la valeur des hommes et non la naissance. Résultat de ces élections provinciales 208 curés élus pour 296 repré sentants du clergé !
Nous sommes début 1789. Le clergé est divisé ! Le bas clergé est favorable aux réformes. Les hauts dignitaires de l’Eglise veulent garder leurs prérogatives.
- Joie publique après le rappel du Parlement
Le pays, miné par une crise financière et par la disette, est sur le qui-vive. Beaucoup mettent leurs espoirs dans la réunion des Etats Généraux pour sortir du marasme. Ceux-ci s’ouvrent à Versailles le 5 mai 1789.
La sécession du tiers état et le ralliement du clergé au tiers
Les deux principales revendications du tiers état durant la campagne de l’élection des députés aux Etats Généraux sont le doublement du tiers afin d’avoir autant de députés que la noblesse et le clergé réunis, et le vote par tête et non par ordre, un député égal une voix.
Après bien des péripéties politiques le doublement du tiers est admis, mais la question du vote n’est pas tranchée lors de l’ouverture des Etats Généraux. Le discours royal, puis ceux du garde des sceaux Barentin, et du ministre des Finances Necker n’apportent rien de décisif.
Le doublement du tiers ne signifie plus rien si la délibération et le vote par ordre sont maintenus.
Dès le 5 mai au soir, des députés du tiers mènent des conciliabules. Le lendemain, lorsque les députés se présentent, ils sont dirigés dans trois salles séparées, une pour chaque ordre.
Se désignant "Députés des communes" le tiers refuse la séparation en ordre et invite les autres ordres à se réunir à lui pour vérifier leurs pouvoirs en commun. La noblesse rejette, par 141 voix contre 47, le vote par tête et commence la vérification. Dans la salle des Cent-Suisses, la majorité est plus courte contre le vote par tête : le clergé n’a que 133 voix contre alors que 114 députés sont favorables à la réunion avec le tiers état.
Le tiers récidive dans son appel aux deux autres ordres à se réunir. Il multiplie les démarches auprès des curés. En effet leur cause est commune, le tiers état et bas clergé contre l’aristocratie laïque et cléricale.
Trois curés du Poitou rejoignent le tiers le 13 juin : Jallet, Ballard et Le Cesve. On les porte en triomphe. On s’embrasse. Le lendemain Dillon, encore un curé poitevin, se joint à ses collègues. Puis c’est le tour de l’abbé Henri Grégoire, curé d’Emberménil. Il va tenir un rôle éminent durant toute la Révolution. Il est accompagné du curé Besse et de deux curés bretons Loaisel et Guegan.
Le 15 juin : Marolles et Mougins, le 16, Clerget et Rousselot de Franche-Comté... puis Berthereau, Joubert, Lucas, Laurent, Longfre.
"Les élus du tiers étant égaux en nombre à ceux des deux autres ordres réunis, ces adhésions du bas clergé suffisent pour que l’Assemblée se déclare constituée et entame l’étude d’une loi constitutionnelle fondamentale. Le 17 juin, à midi, la réunion des représentants vérifiés de la majeure partie de la nation se proclame Assemblée nationale :
La Révolution est faite, la Nation primant désormais la Royauté, et c’est l’intervention des curés dissidents qui l’a déclenchée. Les évêques, les aristocrates, le roi veulent réagir, mais il est trop tard. Aux prélats qui rappellent leur supériorité, Jallet, Le Cesve, Gregoire opposent, en termes vigoureux, l’égalité absolue de tous les représentants du peuple. " (Pierre Pierrard, Histoire des curés de campagne).
Le 19 juin, ils sont 127 curés à avoir rejoint le tiers ; le 22 juin lorsque l’Assemblée nationale s’installe en l’église Saint-Louis, 149 députés du clergé sont présents.
Malgré l’injonction de Louis XVI aux trois ordres de se séparer, le 24 juin 150 prêtres rejoignent le tiers. Le 25 juin, 47 députés de la noblesse les imitent. Louis XVI est forcé de capituler et invite les députés qui lui sont restés fidèles à rallier les libéraux.
L’archevêque de Vienne Lefranc De Pompignan, ayant favorisé (comme Saint-Albin et Gratet De Dolomieu les deux autres députés du clergé viennois) la réunion du tiers état au cours des journées du 22 et 23 juin est élu président de l’Assemblée nationale le 3 juillet par 700 voix sur 793 ! Avec pour secrétaires l’abbé Grégoire et l’abbé Sieyes.
Le 9 juillet 1789, l’Assemblée nationale se déclare Constituante.