On a écrit des centaines de livres sur cette jeune fille que l’on nommait Jehanne la Pucelle. Outre ses faits de guerre et ses campagnes, ses procès retentissants et le mystère de sa naissance, on peut tenter de connaître un peu mieux le personnage à travers témoignages et documents divers.
La seule représentation de Jehanne qui lui est contemporaine, d’après ce que l’on pense, est un dessin naïf, griffonné sur une minute par un clerc, en 1431. Elle y porte les cheveux longs. Si, à la guerre, ne serait-ce que pour porter le casque, ses cheveux étaient coupés "à la soldade", elle avait pu les laisser repousser durant ses longs mois de détention.
Si Jehanne était sans doute gynandroïde [1], elle avait toutefois l’aspect d’une femme. M. Lebrun des Charmettes la décrit ainsi :
"le front moyen, les yeux fendus en amande, de couleur entre le vert et le brun, des sourcils finement dessinés, un nez droit, une bouche petite, un creux au menton, le teint blanc et les cheveux châtains." [2].
On dirait que M. Lebrun des Charmettes a bien connu Jehanne ! Nous lui laissons la responsabilité de cette description.
D’après le métrage de tissu nécessaire pour lui confectionner une robe et une huque, à Orléans, on a pu évaluer qu’elle mesurait environ 1m60.
Cette jeune fille "belle et bien faite" adoptait surtout des tenues d’hommes, mais n’en affectionnait pas moins les beaux vêtements de femme. Elle raffolait même des belles tenues : étoffes chatoyantes, velours de soie, robes d’homme bordées des fourrures les plus rares. Un tissu fourni par Jehan Lhuillier, à Orléans, atteindra le prix fabuleux de 170 francs-or le mètre [3]. Vêtements souvent brodés de feuilles d’orties, emblème familial choisi par le duc d’Orléans [4].
Quand elle portait des habits d’homme, Jehanne soulignait son élégance par le port de chapeaux ou de chaperons ornés d’une longue bande de tissus déchiquetés.
C’est l’histoire d’un de ces chapeaux que l’on va retracer ici, pour connaître un peu plus le caractère et les sentiments de Jehanne, à travers les objets lui ayant appartenu et qu’elle affectionnait.
Jehanne ne portait pas l’armure en permanence et, en dehors des opérations militaires, endossait le costume de ville des chevaliers : "des lacets noués en dehors du pied, un pourpoint et des chausses ajustées, un petit chapeau de feutre sur la tête, et des habits de drap d’or et de soie, bien fourrés, et de diverses couleurs" [5].
L’un de ses chapeaux eut un destin particulier, et parvint jusqu’à la Révolution où il disparu de la manière qui va suivre.
Nous en possédons plusieurs descriptions :
- Ce chapeau de la Pucelle, conservé à l’Oratoire d’Orléans, est d’un "satin bleu", avec quatre "rebras" brodés d’or, et enfermé dans un étui de maroquin rouge, avec des fleurs de lys d’or [6].
- Les Pères de l’Oratoire conservent dans leur sacristie le chapeau de la Pucelle d’Orléans, de "velours bleu" brodé en or [7].
- Il était d’un "satin bleu", avec quatre rubans, brodés d’or et enfermé dans un étui de maroquin rouge, portant des fleurs de lys d’or, et contenant l’écrit du père Métezeau (voir ci-après) [8].
- Il était conservé dans une boîte de sapin : en "feutre gris", à grands rebords, mais retroussé par devant et le bord attaché par une fleur de lys en cuivre doré, fort allongée. Le feutre était fort endommagé par les insectes. Au sommet était une fleur de lys en cuivre doré, de laquelle descendaient des spirales, en cuivre doré, assez nombreuses, et terminées par des fleur de lys pendant sur les bords du chapeau. La coiffe était en "toile bleue" [9]
- Jehanne portait un "chapeau de feutre" [10].
- Le chapeau devait être "de couleur bleue" à l’origine, ce que confirme une des verrières de l’église Saint-Paul à Paris [11].
- En "satin bleu, bordé d’or, avec un rebras", c’est-à-dire un segment de bord relevé contre la calotte. Celle-ci était surmontée d’une fleur de lys en cuivre doré, de laquelle rayonnaient des filigranes d’or de Chypre, cousus en torsade sur la calotte. A l’extrémité de chaque filigrane était attaché une petite fleur de lys métallique. L’ensemble formait donc, à mi-hauteur environ de la calotte, comme un collier de fleurs de lys clinquant [12].
Depuis le 29 avril 1429, date de son arrivée à Orléans, Jehanne logeait chez Jacques Boucher, trésorier du duc d’Orléans [13] et son épouse Jehanne Lhuillier, dont le frère confectionna la huque. Elle dut être fort bien reçue, et s’y plaisait, car elle qualifia des hôtes comme "ses bons amis du grant hostel de la porte Renart."
Logée dans cette maison avec, entre autres, ses frères Pierre et Jehan, ainsi que Jehan d’Aulon, son fidèle écuyer, elle partageait, comme cela se pratiquait à l’époque, le même lit que la fille de la maison, la petite Charlotte (9 ans), et l’on dormait nu.
On peut imaginer qu’elles discutaient ensemble, le soir, avant de s’endormir. Jehanne avait pris en amitié cette petite fille, et était sans doute pour elle comme une grande soeur.
Rien d’étonnant qu’elle lui laisse un souvenir d’elle, ce qu’elle a dû faire, après avoir séjourné dix jours chez Jacques Boucher, au moment de son départ, le 10 mai 1429, pour entreprendre la campagne de Loire après la délivrance d’Orléans. Elle reviendra à plusieurs reprises chez le trésorier.
Au moyen-âge, lorsqu’on voulait remercier quelqu’un de son affection ou de sa gentillesse, il était coutume d’offrir un objet personnel, ou de lui faire don par testament. Jehanne ne déroge pas à cette règle, et elle offrit plusieurs autres de ses objets personnels [14]
C’est ainsi que ce chapeau échoue dans la famille de Jacques Boucher. C’était le chapeau qu’elle portait "à la ville", en satin bleu, bordé d’or, avec un "rebras", c’est-à-dire, nous l’avons vu, un segment relevé contre la calotte. Celle-ci était surmontée d’une fleur de lys en cuivre doré, de laquelle rayonnaient des filigranes d’or de Chypre, cousus en torsade sur la calotte. A l’extrémité de chaque filigrane était attaché une petite fleur de lys métallique.
Au 17e siècle, on trouve ce chapeau dans la descendance d’Antoine Boucher, le frère de Charlotte. Durant un certain temps, les descendants de Jacques Boucher se transmirent cette relique de Jehanne.
Le précieux dépôt quitta Orléans, passant tranquillement d’une génération à l’autre durant plus de 200 ans, jusqu’à Marguerite de Thérouanne, épouse de Jean de Métezeau (voir ci-après). Celle-ci, voulant certainement mettre fin aux pérégrinations de ce chapeau, et afin qu’il soit en sûreté, le confia à son beau-frère, Paul Métezeau, prêtre de l’Oratoire de Jésus, en 1631, afin qu’il soit conservé par cette institution [15]. Le Père Métezeau en fit don à l’Oratoire d’Orléans en 1691 (doc. II). C’est ainsi que le chapeau de Jehanne revint à Orléans.
Les Oratoriens gardèrent fidèlement et respectueusement leur relique jusqu’à la Révolution, l’ayant déposée près de la chapelle, dans leur sacristie. Elle y resta encore 100 ans.
Les tourments de la Révolution, l’expulsion des religieux, suite à la loi du 13 février 1790, firent craindre à la congrégation des Oratoriens la disparition du chapeau historique.
Voulant le préserver, et afin qu’il reste à Orléans, ils le confièrent à l’une des plus honorables familles Orléanaises, en la personne de Madame de Saint-Hilaire, née Jogues de Guedreville.
En 1791, le chapeau de Jehanne fut donc conservé par Madame de Saint-Hilaire, d’un vieille et honorable famille d’Orléans, dans son hôtel particulier, sis vis-à-vis de l’église Notre-Dame-de-Recouvrance, dans le vieux quartier historique de la ville, à deux pas de l’endroit où s’élevait la maison du trésorier qui avait hébergé Jehanne [16].
Vers la fin août 1792, une bande de révolutionnaires vauriens et excités, conduite par "Léopard" Bourdon, représentant du peuple, se rendent à l’hôtel de Madame de Saint-Hilaire, et somment cette femme de leur livrer le chapeau, pour le détruire. Celle-ci tenta de s’y opposer, mais il lui fût répondu par des cris de mort. Pour sauvegarder sa vie et celle de ses enfants [17], elle céda par obligation, et livra le chapeau à ces fous furieux ivres de vin et de sang.
Ces sauvages allumèrent un feu dans la cour de l’hôtel [18] dans lequel ils jetèrent le chapeau de la Pucelle, dansant, criant et chantant le "ça ira", pendant que la seule relique de Jehanne que possédât Orléans était réduite en cendres !
Il reste à préciser, selon les sept témoignages ci-avant, que le fameux chapeau était de couleur bleue (cinq témoignages), avec des rebras ou rebords retroussés (trois témoignages), garni de fleurs de lys dorées (quatre témoignages), en feutre (deux témoignages) et dans un étui de maroquin rouge (deux témoignages).
L’un des témoignages le dit "en velours", et un autre avec quatre rubans, détails de fait peu importants.
Arrêtons-nous aux témoignages de ceux qui l’ont vu réellement chez les Oratoriens, l’abbé Lenglet-Dufresnoy, en 1754, M. Beauvais de Préau, en 1778, et à M. de Loynes, qui a vu le chapeau à l’Oratoire, puis chez Madame de Saint-Hilaire, et qui en fit la description ci-avant en 1830 (description n°4), et qui a même spécifié qu’il "était fort endommagé par les insectes".
Voilà l’histoire du chapeau historique de Jehanne la Pucelle.
Sources :
Med. Orléans - Bull. SAHO.
Voir aussi les documents en pièces-jointes.