De nos jours, on peut dire que la justice est clémente, par rapport aux peines encourues au 19e siècle. On jugerait disproportionnée la lourdeur de la peine à subir, en fonction des fautes commises, et surtout pour des maigres larcins. On ne badinait pas avec les affaires de vol, qui étaient très sévèrement sanctionnées, particulièrement pour les récidivistes.
Evoquons par exemple le cas de Martin LOHNER, célibataire, né en 1805, ressortissant de la commune d’Ebersmunster, petite cité située dans le Ried, entre Benfeld et Sélestat, dans le Bas-Rhin.
Martin écumait la région, autour de son village, faisant même des incursions sur Sélestat, la cité moyenne voisine. Tisserand de métier, sans doute n’avait-il pas de travail, ou bien son emploi ne lui suffisait-il pas pour vivre. Aussi volait-il plus par nécessité, peut-être, que par vice.
Ses vols sont surtout de nature "alimentaire" : du vin, des volailles, du pain... Il finit par se faire arrêter par la maréchaussée. Des plaintes sont déposées, et Martin est déféré devant le tribunal correctionnel de Schlestadt (Sélestat).
Le 14 février 1831, il est condamné à 5 années d’emprisonnement, 16 francs d’amende, 5 ans d’interdiction et 5 ans de surveillance de la haute police pour vols. Lourde peine, longue dégradation. Martin a alors 26 ans.
Les geôles de l’époque sont glauques et sordides. La vie en prison est très dure. Martin purge sa peine et en 1836, à 31 ans, il est libéré et revient à Ebersmunster vivre dans la famille de son frère Mathias, journalier.
Cette année-là eut lieu un recensement, et Martin y figure, avec sa profession de tisserand. Exerçait-il ce métier de manière suivie ou épisodique ? Et puis, un emploi était difficile à se procurer pour un ex-taulard. Avait-il le vol dans le peau ? Toujours est-il que sa condamnation n’avait pas dû suffire à la calmer, car il recommence ses exactions.
Deux affaires de vols commis en 1838 et 1840 dans la commune d’Ebersheim, village voisin, au préjudice d’un certain FUCHS, vont le faire "replonger". Il est de nouveau arrêté et traduit en justice.
Cette fois, déclaré coupable avec circonstances aggravantes, Martin LOHNER se trouve de plus dans la grave position de récidiviste.
L’acte d’accusation du 2 novembre 1840 lui est notifié avec l’arrêt de renvoi le 17 du même mois. Le 27 novembre 1840 : procès verbal de remise dans la maison de justice. Il ne s’agit plus cette fois de correctionnelle, mais d’un procès d’assises.
Après l’instruction, Martin est extrait de prison, le 3 décembre 1840, pour le jugement d’assises, qui portera le numéro 146. On y donne son signalement, qui nous procure une idée du physique de Martin :
- Martin LOHNER, 35 ans, tisserand, né et domicilié à Ebersmunster.
Taille d’1m55 - cheveux et sourcils châtains - front saillant - yeux gris - nez moyen - bouche grande - menton rond - visage maigre - teint brun - barbe châtain.
On rappelle la condamnation subie en 1831, et l’on précise ce pour quoi il est de nouveau aujourd’hui devant la justice :
- Accusé I : d’avoir le 5 septembre dernier, soustrait frauduleusement une miche de pain et un pot contenant du sirop, au préjudice d’Antoine FUCHS, d’Ebersheim, avec les circonstances que ce vol a été commis :
- 1° de nuit,
- 2° dans une maison habitée,
- 3° à l’aide d’escalade.
Avait-il si faim qu’il lui faille dérober ces ingrédients ? Il n’avait en tous cas peur de rien, à s’introduire ainsi dans une maison habitée, la nuit, sa petite taille lui facilitant sans doute l’intrusion par escalade. Et l’acte poursuit :
- Accusé II : d’avoir, il y a deux ans, soustrait frauduleusement deux oies, au préjudice dudit FUCHS, avec les circonstances que ce vol a été commis :
- 1° de nuit,
- 2° dans une maison habitée.
Il avait donc déjà "visité" cette maison ! Le nommé FUCHS l’avait reconnu, et Martin fut donc bien obligé d’avouer cet autre vol de volailles.
Le jugement tombe... impitoyable ! Martin LOHNER est condamné à 5 années de travaux forcés, assorti de la mention "qu’après avoir subi cette peine, et pendant toute la vie, il demeurera sous la surveillance de la haute police, et qu’en outre il sera frappé de la dégradation civique".
Il est donc "triquard" ! Seul acte de clémence : "la Cour le dispense néanmoins de l’exposition".
La peine de l’exposition, qui venait se rajouter, ne frappait en principe que les récidivistes, sauf pour les moins de 18 ans et les plus de 70 ans. Elle consistait en ce que le condamné, dûment enchaîné, demeure durant une heure exposé aux regards du peuple sur la place publique. Au-dessus de sa tête, sera placé un écriteau portant en caractères gros et lisibles, ses noms, sa profession, son domicile, sa peine et la cause de sa condamnation. Position dégradante et avilissante s’il en est, venant s’ajouter à la peine prononcée par le tribunal. Mais là, on fait exception pour Martin, qui en est dispensé.
Voilà donc Martin LOHNER qui part pour sa peine des travaux forcés. Aucun document n’a été trouvé indiquant le lieu où il fut envoyé.
Il ne semble pas être revenu un jour à Ebersmunster ou à Sélestat. En tous cas, les recensements suivants ne le mentionnent pas dans l’une ou l’autre de ces villes.
A-t-il purgé toute sa peine ? Est-il mort durant ce laps de temps ? S’est-il exilé ailleurs après sa libération ? A-t-il encore "replongé" ? On ne le saura sans doute jamais.
Il est évident qu’il est déshonnête de voler, et que ce sont des actes graves qu’une société ne peut accepter. Pourtant on peut ressentir quelque compassion pour cet homme, sans excuser ses actes, devant la sévérité des peines auxquelles il a été condamné, brisant sa vie, le dégradant, pour des volailles et quelques victuailles, et qui n’était pas pour autant un vrai criminel.
La disproportion est si frappante par rapport aux délits commis de nos jours et aux peines encourues et prononcées !