« Le 18 avril 1915
Mes chères filles,
…Chères filles, voilà trois jours qu’il fait un temps magnifique. Je suis dans un pays où il ne fait pas chaud. Ce matin, le temps était frais, mais ce soir il fait bon.
…Je vous avais promis des bagues, mais dans notre déplacement, avec tout ce fourbi, je les ai tombées en cherchant quelque chose dans ma poche. Le lendemain, en descendant de l’autobus, j’aperçois une petite bague, je la ramasse. Je reconnais qu’elle était à moi.
Comme elles étaient dans un papier, je me suis dit, elles sont toutes perdues.
L’autobus était passé dessus. Comme il avait plu, ça ne les a pas écrasées mais elles sont un peu abimées. Je les réparerai quand j’aurai le temps.
…à vous mes grosses filles, les meilleurs baisers de votre papa chéri. Léonard Rouffie. » [1]
« Braine - Grotte des Boves – Atelier du baguiste Bretand » [2] Au verso : « Brétand, le graveur de bagues, dans son atelier de la grotte de B. »
« Cependant le père Blaire reprend sa bague commencée.
Il a enfilé la rondelle encore informe d’aluminium dans un bout de bois rond et il la frotte avec la lime. Il s’applique à ce travail, réfléchissant de toutes ses forces, deux plis sculptés sur le front. Parfois il s’arrête, se redresse, et regarde la petite chose, tendrement, comme si elle le regardait aussi.
-Tu comprends, m’a-t-il dit une fois à propos d’une autre bague, il ne s’agit pas de bien ou de pas bien. L’important, c’est que je l’aye faite pour ma femme, tu comprends ?
Quand j’étais à rien faire, à avoir la cosse, je regardais cette photo (il exhibait la photographie d’une grosse femme mafflue), et alors je m’y mettais tout facilement, à cette sacrée bague. On peut dire que nous l’avons faite ensemble, tu comprends ?
La preuve, c’est qu’elle me tenait compagnie et que j’ lui ai dit adieu quand je l’ai envoyée à la mère Blaire.
Il en fait à présent une autre où il y aura du cuivre. Il travaille avec ardeur. C’est son coeur qui veut s’exprimer le mieux possible et s’acharne à une sorte de calligraphie.
Dans ces trous dénudés de la terre, ces hommes inclinés avec respect sur ces bijoux légers, élémentaires, si petits que la grosse main durcie les tient difficilement et les laisse couler, ont l’air encore plus sauvages, plus primitifs, et plus humains, que sous tout autre aspect.
On pense au premier inventeur, père des artistes, qui tâcha de donner à des choses durables la forme de ce qu’il voyait et l’âme de ce qu’il ressentait. » [Extrait de « Le Feu » d’Henri Barbusse]
Des journaux, à l’époque, expliquent comment les Poilus réalisent ces merveilles. Voir ce lien :
http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Grafitti/Bagues_01.htm
ou encore celui-ci sur l’artisanat de tranchées (très bien fait et très complet) :