Un billet, lui aussi non signé, est intercalé dans le mémoire et émet l’hypothèse, d’après un avis de 1923 de monsieur Martineau, ancien gouverneur de l’Inde, que l’auteur serait Law de Lauriston [1] .
La transcription diffusée ci-après respecte la pagination et les lignes du manuscrit. Il a toutefois été procédé à une modernisation du texte pour l’orthographe afin d’en faciliter la lecture. La transcription a été réalisée à partir du microfilm.
- Photographie de la première page du mémoire prise sur le lecteur de microfilm
Le contexte historique Tout semble calme en Inde mais la guerre fait rage en Europe ; c’est la guerre de Succession d’Autriche. Les Anglais veulent casser l’activité commerciale de la France en Asie. En 1741, Joseph-François Dupleix est nommé gouverneur en Inde. En septembre 1746, de La Bourdonnais s’empare de Madras et l’amiral anglais Boscawen est vaincu à Pondichéry en 1748. Les Français et les Anglais signent alors un traité de paix à Aix-la-Chapelle. Les Français échangent Madras contre des territoires en Amérique du Nord. Dupleix essaye de ruiner le commerce anglais en Inde du sud en établissant une sorte de protectorat. Mais cette ingérence agace les actionnaires de la Compagnie des Indes française et en 1754 Dupleix est rappelé en France. Il est alors remplacé par Charles Godeheu qui a pour mission de signer des traités avec les Anglais. Il leur redonne ainsi Madras. Mais en 1756 la guerre de Sept Ans éclate en Europe. Le général Lally, baron de Tollendal, est envoyé en Inde. Après plusieurs victoires en 1758, il se heurte aux forces de Robert Clive qui ont repris Chandernagor aux Français et Calcutta au Nabab du Bengale lors de la bataille de Plassey. Lally-Tollendal est battu à Wandiwash en janvier 1760 et il capitule à Pondichéry après huit mois de siège en janvier 1761. La menace française sur les intérêts britanniques est définitivement écartée. En 1763, le traité de Paris est signé mettant fin à la guerre de Sept Ans. La France se voit contrainte d’abandonner tous ses territoires au profit de la Couronne d’Angleterre, à l’exception de cinq comptoirs : Chandernagor, Pondichéry, Karikal, Mahé et Yanaon. |
Mémoire sur la situation présente des
Anglais et des Français dans l’Inde
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Les affaires de l’action française dans l’Inde, méritent toutes
l’attention du Ministre de la Compagnie ; elles sont aujourd’hui dans
un délabrement qui exige de prompts remèdes. On y est tellement
épuisé de toutes espèces de moyens et de ressources, que si la guerre
continue, et qu’on ne remédie pas promptement au mal présent, la
Compagnie doit s’attendre à la ruine prochaine des établissements
qui lui restent dans l’Inde. La paix est aujourd’hui le plus grand
bien qui puisse nous arriver, et comme Dieu peut la donner lorsqu’on
y pensera le moins, mon dessein est, dans cet écrit, de faire part
de mes réflexions sur l’accommodement qu’il sera nécessaire de
faire avec les Anglais pour y assurer l’état de l’une et de l’autre
nation. Nous nous étions en vain flatté de nous y procurer une
supériorité des idées. Le coup est manqué. Si la justice et la raison
présidaient aux traités, les deux nations devraient moins se régler
sur la situation respective où elles se trouveront à la paix, pour
faire un accord entre elles, que sur l’intérêt que l’une et l’autre
ont au rétablissement de la tranquillité. Ce serait à ce point
seul, qu’elles devraient s’arrêter, surtout si l’accord doit se faire
en Europe. Depuis que les deux nations se font la guerre dans
l’Inde, elles ont éprouvé tant de différents succès qu’il pourrait
arriver que lorsqu’on travaillera à cet accord, la nation qui s’y
croira supérieure, y aura reçu des échecs qui lui feront désirer dans
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l’Inde, la paix qu’elle ne voudra accorder en Europe qu’à des
conditions dures. Mais il y a tout lieu de craindre que la préoccupation
n’éloigne les Anglais d’un principe aussi raisonnable, et comme il est
question je décide sur un parti à prendre, il me parait nécessaire de
faire connaître ici la situation de la Compagnie ; et pour en
donner une plus juste idée, je commencerai par retracer celle où elle
était à l’arrivée des troupes du Roy. Je parlerai ensuite de son
état actuel dans l’Inde, et de celui des Anglais dans le Bengale
après quoi j’exposerai mes réflexions sur l’accommodement à faire,
et je terminerai par quelques observations générales.
Situation de la Compagnie dans l’Inde à l’arrivée
des troupes du Roy
La perte de Chandernagor n’avait rien changé à la situation des
établissements de la Compagnie dans les autres parties de l’Inde, nous y
étions au contraire devenus plus forts par la division que les Anglais
avaient été obligés de faire de leurs forces pour soutenir les avantages
qu’ils avaient eus dans le Gange contre nous. Et contre les
Maures [2] , nous nous emparâmes de ces côtés-ci du fort d’Etvamsson
et de ses dépendances. M. Morain dans le nord détacha quelques
troupes de Mazulipatam qui prirent le fort de Mellepelly, en même temps
que M. de Bussy se rendit maître de Vizigapatam, dont il jugea
à propos, d’accord avec les officiers de son armée, de raser les
fortifications. La prise de cette place, et celle de Mellepelly nous
rendirent maître du Nord, et privaient les Anglais d’une branche
considérable de leur commerce à cette côte et semblaient enfin nous
assurer une tranquille possession des quatre provinces et de Mazulipatam
jusqu’à la fin de la guerre : nous n’y avions plus ce concurrent et M
de Bussy faisait la loi dans le Dekan. Nizamaly frère de
Salabetjïngue, voulut s’y emparer de l’autorité. M de Bussy se
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transporta à Ayderabas et remit par sa seule présence les choses sur
le pied où il les avait laissé à son départ et rétablit Salabetjïngue
dans ses droits et dans ses pouvoirs.
Nous étions de ce côté-ci dans un état d’égalité avec les
Anglais. Leurs troupes étaient campées à Cangivaron et les nôtres
à Nauraravachy et couvraient les concessions de la Compagnie. Les
habitants, exceptés les frontières y vivaient tranquilles et
y faisaient leurs récoltes avec sûreté. Les troupes blanches
étaient exactement payées, ainsi que les troupes noires, à l’armée
comme dans les postes, nous n’avions aucun revenu pour
fournir à cette dépense et à toutes les autres.
Les principaux seigneurs de la province d’Arcotte étaient pour nous.
Les Anglais n’avaient pour eux que Mahamtalikam ; ses trois frères
s’étaient rangés de nôtre côté. Masukan l’un deux, était dans le Maduré,
assez mal à son aise à la vérité, mais les deux autres Abdoulealkan
et Nagiboulakan possédaient beaucoup de pays et pouvaient nous
être utiles. Ils m’offraient tous les jours leurs troupes et leurs
services contre les Anglais et ne demandaient que l’occasion de
donner des preuves sur la sincérité, de leurs sentiments. Le Roy
de Panjavu a toujours été plus porté pour les Anglais que pour
nous mais ce prince n’aime point la guerre et parait moins disposé à
se refermer dans une exacte neutralité. Naudiraja, beau-père du
Raja du Maïssour, gouvernait ce royaume et comptait sur nous
pour se rendre maître de Trichinopoly qu’il ne perdait point des
postes à Cheringham. Nous continuons à tenir les Anglais en échec
de ce côté-là, le pays nous était ouvert depuis Paliacatte
jusque Sécole frontière de la province de Calek et dans
quelqu’endroit de l’empire Mogol où un Français put aller. Il s’y
ressentait de la considération où M de Bussy était dans le
Dekan.
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Le comptoir de Mahé se soutenait avec les fonds que
nous y faisions passer d’ici par la voie de Pattemar.
Telle était notre situation à l’arrivée des troupes
du Roy, envoyées dans l’Inde pour la sûreté de nos
établissements et pour y détruire les Anglais.
Situation actuelle de la Compagnie dans l’Inde
Les forces qui nous sont parvenues bien dirigées et sagement
employées suffisaient pour parvenir à ce que l’on proposait,
si elles fussent arrivées plus tôt et ensemble, la défaite des Anglais
était assurée, elles les y auraient trouvées sans force. Nos espérances,
à l’arrivée de la première division de l’escadre de M le comte d’Aché
qui mouilla en cette rade le 8 septembre 1757, furent aussitôt évanouies que
conçues, et le départ précipité de cette escadre qui remit à la voile trois
jours après pour s’en retourner aux îles nous fit manquer une
occasion de prendre le fort St David dont la conquête si elle eut été
faite de ce temps-là, eut bien avancé nos affaires. On se réduisit à faire
le siège de Chatoupet, où l’on consomma beaucoup plus d’argent
et de munitions que ne paraissait l’exiger cette mauvaise place.
On se contenta de ce petit avantage, et l’on resta avec l’inaction
jusqu’à l’arrivée de M de Lally, qui arriva ici avec toute
l’escadre de M le comte d’Aché le 28 avril 1758 ; M de
Lally sans perte de temps marcha sur le fort St David, en fit le
siège, et le deux juin s’en rendit maître ; et peu de jours
après il s’empara de Divicoté. Que ne devions-nous pas
augurer de la rapidité de nos conquêtes. Les Anglais effrayés
avaient évacués tous leurs postes de dehors exceptés Trichinopoly
pour réunir et rassembler leurs forces à Madras où l’on aurait dû
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marcher, mais il aurait fallu pour assurer le succès de cette
entreprise être les maîtres de la mer, notre escadre s’était battue
avec celle des Anglais à son arrivée à la côte et la victoire était très
indécise. M le comte d’Aché qui n’avait pu rassembler tous ses vaisseaux
pour le combat eut ensuite le malheur d’en perdre 70 pièces de
canons qui s’échoua à la côte. L’escadre anglaise était devant
Madras et par sa présence rassurait cette place ; et comme on
manquait d’argent pour une entreprise de cette importance. M
Lally se détermina à l’expédition du Tanjaour qui devait en procurer,
mais qui eut le plus mauvais succès, ternit l’état des premières
conquêtes et décrédita nos armes dans l’esprit des gens du pays.
Si l’on avait eu le poste de Cheringham que l’on avait abandonné
pendant le siège du fort St David, nous sentirions sa nécessité
mais même à notre détriment, on se serait épargné cette disgrâce.
Les deux escadres s’étant rejointes au sud de la côte, se sont
livrées un second combat dont l’évènement n’a pas tourné à
l’avantage de la notre, qui est revenue à Pondichéry pour se
disposer à son départ et qui est partie le 2 de septembre pour s’en
retourner aux îles.
La prise d’Arcotte dont M de Lally s’empara quelques temps après
à la faveur de quelques intelligences que Rezasach avait dans la place,
consola un peu M de Lally de l’échec qu’il venait de recevoir à toujours
cette conquête devait nous procurer des ressources pécuniaires. Il
fut proposé à M de Bussy un projet pour tirer de l’argent de
Palengar de la partie du nord de la province. M de Lally parut
d’abord le garder, mais il en fut ensuite détourné par la crainte qu’on
lui fit concevoir qu’il ne fut aucun doute au dessein où il était d’assiéger
Madras pendant l’hiver ; de sorte qu’il ne pensa plus qu’à
cette entreprise. En effet, il rassembla ses troupes à Cangivron, et il
marcha sur Madras, où il arriva le 4 décembre 1758, jour mémorable par une
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sortie que firent les Anglais sur nos troupes qui s’étaient emparées
de la ville noire, et qui après un combat sanglant et opiniâtre
obligèrent les ennemis à se retirer dans leur place avec perte de
trois pièces de canons et de 350 hommes environ, tant tués que
blessés ou prisonniers. Je ne m’arrêterai point à faire le détail de ce
siège que l’on a été obligé de lever après soixante trois jours de travaux
et de peines, et après y avoir perdu plus du tiers de l’armée et l’élite
des officiers : nos terres pendant cette malheureuse expédition, ont
été ravagées et pillées par les troupes noires que les ennemis
avaient en campagne ; le fort de Chinguelpet que l’on avait
négligé de prendre, leur servit de point d’appui et de place
d’armes, et favorisait les diversions qu’ils ont faites pendant le
siège ; on a changé les fermes [3] pour se mettre en état de faire
cette entreprise et on les a données à Mrs Miran et Abeille
sur la promesse qu’ils ont faite de donner cinq laks [4] de roupies [5]
comptant qu’ils n’ont point donné. On a rappelé pour renforcer
l’armée, une partie des troupes que nous avions dans le nord et
on a laissé le commandement de celles qui sont restées, à un
officier incapable qui s’est fait battre à plate couture par une
armée inférieure à la sienne tant en homme qu’en artillerie, et
qui est venu ensuite se renfermer dans Mazulipatan, où il a été
pris par escalade, avec une garnison plus forte en européen que
l’armée assiégeante. Nous avons perdu en 4 mois de temps les riches et
vastes possessions que nous avions dans le nord, le fruit de vies ou,
de peines et de travaux et de beaucoup de sang français répandu et que la
Compagnie pouvait au moins regarder comme un nantissement
sur lequel elle devait se rembourser des dépenses qu’elles lui ont
occasionnées et de douze à treize laks qu’elle a aujourd’hui à payer
tant à M. de Bussy qu’à divers particuliers. Les Maures ont
repris les quatre provinces et les Anglais sont restés maîtres de
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Mazulipatam et de ses dépendances. Abdoulatkaust et Nagiboulak
Suresav Mahautalislan ont conçu des inquiétudes et de la
jalousie de l’autorité que l’on s’est trop pressé de donner à Rezarach,
l’ennemi de leur famille dans la province d’Arcotte. Ils n’ont point
eu de confiance dans la parole de M. de Lally, ils se sont rejetés du
côté des Anglais, dont ils avaient abandonné le port, et leur ont donné
pendant le siège de Madras les secours qu’ils devaient nous fournir.
Nagiboulakan pour leur procurer la sécurité de son retour a fait
massacrer quelques français restés à Mellour, sa principale
résidence.
Après avoir été repoussés de Tanjaour dans le sud de
Pondichéry et de Madras, dans le nord, chassées de Mazulipatam
et des quatre provinces, privées par conséquent de ses ressources, soit
en vivres ou en argent que nous pouvions en retirer, réduit aux
revenus que nous avions dans la province d’Arcotte et que pouvaient
produire des possessions qui venaient d’être ravagées et pillées
comme je viens de le dire, nous devions nous attendre à éprouver
ici une grande misère et bien de l’embarras pour fournir aux
dépenses sur le pied où elles étaient. Les fonds venus par la
frégate La Fidèle, consistant en quatre cent mille roupies, avaient
été consommés pendant le siège de Madras avec ce qu’avaient
pu fournir les fermiers et deux cents mille roupies environ, dont
moitié provenait de la redevance de Tirapety et l’autre moitié d’un
emprunt fait par forme de taxe aux habitants de Pondichéry.
Les troupes n’ont point été payées, et l’on a eu beaucoup de peines
à fournir à leur subsistance. Il a fallu avoir recours à des moyens
extraordinaires pour se procurer de l’argent, et pour suppléer à
son défaut, l’idée est venue à M de Lally de faire des billets qui
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tinssent lieu de monnaie, on en a d’abord répandu dans la ville
pour trois cents mille roupies et successivement on en a fait
sortir jusqu’à la concurrence de douze mille. Ils ont dès le
commencement perdu dans le public vingt cinq pour cent et
ont donné lieu à un ajustage qui a fait la fortune de quelques
particuliers à mesure qu’il en sortait l’escompte augmentait
et on les a vu perdre jusqu’à, quatre vingt pour cent. On en a
retiré depuis pour quatre cents mille roupies, le cour en est
devenu un peu plus facile, et ils en perdent plus aujourd’hui
que cinquante pour cent.
Les billets n’ont eu aucun cour à l’armée et n’étaient point
une ressource pour les dépenses du dehors ; Resarach propose à
M de Lally de donner quatre mille roupies, si on voulait le
faire Nabab de la province d’Arcotte dont il abandonnerait, à la
Compagnie les revenus tant que la guerre durerait. La proposition
fut faite au conseil et acceptée par le plus grand nombre. Je fus
contraire à cette nomination comme on le verra par les deux
mémoires que j’ai envoyé sur ce sujet à la Compagnie, et je n’ai
eu que M Lenoir de mon avis. Une somme aussi modique
relativement aux dépenses ne pouvait nous apporter un
soulagement sensible ; on se détermina à faire une seconde levée
d’argent sur les habitants noirs de la ville. Le Sr de la Salle
fut chargé de cette commission, et il y employa tant de dureté que
tous les habitants se soulevèrent. Les questions connues dans
le pays furent mises en usage pour les forcer par les tournées
à donner leur argent ; ils s’attroupèrent et firent retentir la
ville de leurs cris et de leurs clameurs. Les boutiques furent fermées
mais ce soulèvement n’ a pas eu de suites. La vue de deux poteaux que
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l’on a dressé dans le bazar à soumis ce peuple naturellement
timide, mais dont les plaintes ont été portées dans toute l’Inde.
Le souvenir des violences qui se sont commis en cette occasion
se conservera pendant plusieurs générations et rendra longtemps
à Dieu le nom de la nation.
La misère que nous ressentions n’était pas notre seule
inquiétude, le siège de Madras avait consommé nos munitions.
Il ne nous en restait pas dans la place de quoi faire une
défense de huit jours et nous n’y avions aucun approvisionnement
en vivres. Dans une position aussi dangereuse et aussi critique,
l’espérance du retour prochain de notre escadre nous soutenait.
Nous savions qu’elle devait revenir avec des forces supérieures
à celles de l’ennemi, et nous nous flattions qu’elle aurait des forces
qui aideraient à nous relever de nos pertes ; mais nos espérances se
sont encore une fois évanouies. Cette escadre a paru que le 15 de
septembre après avoir eu un combat aussi indécis que le premier contre
celle des Anglais. M le comte d’Aché voulait partir le
lendemain de son arrivée, on a eu beaucoup de peine à le retenir
jusqu’au 1er octobre qu’il a remis à la voile pour s’en retourner à
l’île de France. Nous laissant ici deux vaisseaux de transport
chargés de poudre et de munitions de guerre, huit à neuf
cents hommes, tant soldats que matelots et cafres [6] , une caisse
de diamants provenant de Grantham, et environ 150 mil roupies
piastres. Le 30 septembre veille de son départ a été encore pour nous un
jour remarquable par la victoire que nos troupes campées à
Vandavachy ont remporté sur les troupes anglaises qui sont
venues les y attaquer. Le salut de la colonie a dépendu de cette journée.
Mais ces mêmes troupes qui venaient de la France se sont révoltées
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contr’elle dix huit jours après. Il leur était dû 8 mois de paye
qu’elles ont demandés les armes à la main. J’ai fait le détail
dans une de mes lettres à la Compagnie de cette révolte, qui a
duré cinq jours, pendant lesquels la colonie a eu lieu d’être
dans de vives alarmes. Il a fallu acquiescer aux conditions
que les révoltés ont imposées, il leur a été compté six mois
de paye, et on leur promit que les deux autres avoir qui
leur étaient encore dus, leur seraient payé le 10 du mois de novembre. Il a
fallu pour cela que chaque particulier envoyât son argenterie à la
monnaie ; cette ressource qu’on réservait en cas de siège n’a pas
produit, à beaucoup près ce qu’on en attendait ; elle a contribué
néanmoins avec ce qu’on a retiré de la taxe sur les Mallabarres
et une somme de dix mille pagodes d’or [7] que M de Lally a
fourni, à nous tirer d’embarras pour le moment.
Je ne vois aujourd’hui aucune autre ressource que celles que
fourniront les terres. Il s’en faut bien qu’elles suffisent, elles sont d’ailleurs
très incertaines, et dépendent des évènements de la guerre. Nous avons
des troupes disposées à la révolte, il y en a eu encore une à Arcotte
depuis celle dont je viens de parler. Que n’avons-nous pas à craindre
si nous ne sommes pas en état de les payer exactement elles sont
aujourd’hui supérieure en nombre à celle des Anglais, mais dans la
détresse où nous sommes, ce nombre ne peut servir qu’à accroître
nos embarras. Nous attendons M Morain de Gaujean, M
de Lally l’a rappelé avec toutes les troupes et les matelots qu’il a
emmenés avec lui pour forcer la garnison de Mazulipatam
il a trouvé cette place au pouvoir des Anglais à son arrivée en
rade et a été obligé d’aller se débarquer à Gaujean, où il est
entré en guerre avec Narendro un des plus puissants Rajas [8]
de la province de Chicacot. Il doit avoir trois ou quatre
cents hommes soldats ou matelots. Nous allons aussi bientôt
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recevoir deux cents hommes, de la garnison de Mazulipatam
échappés aux Anglais et qui se sont joints à l’armée de
Bassaletsingue, au devant duquel M de Bussy a été avec
150 dragons et sept à huit cents cavaliers du pays. L’adjonction de
troupes de ce seigneur avec les notre doit se faire à Arcotte. Ses
troupes auxquelles on assure qu’il doit six mois de paye,
pourront nous causer de nouveaux embarras, on a trop tardé à
répondre à ses offres et à ses propositions.
Il y a dix ans qu’une poignée de Français envahit tout
depuis le cap Comorin jusqu’à Calek. La nation continua de fleurir
sur cette côte jusqu’en 1758. On fit des conquêtes malgré l’escadre
Anglaise et la propriété de cette nation dans le Bengale pour qui
depuis ce temps avec une augmentation de forces considérable et avec
tant de dignitaire venus exprès pour détruire les Anglais.
Pourquoi la nation a-t-elle toujours été en décadence et même
dans la plus effrayante progression.
Voilà les Anglais maîtres aujourd’hui de Bengale et de toute
côte d’Orixa et de Coromandel. Ils le sont aussi de Surate et ils
viennent d’être confirmés dans le gouvernement de la forteresse
de cette ville, par une lettre du Vizir. M de Bussy du fond du
Dekan, a retardé d’une année cette entreprise et ce n’a été que depuis
son retour ici qu’ils l’ont mise en exécution. Ils nous ont réduit
malgré toutes nos forces à ce que nous possédons dans la province
d’Arcotte et au comptoir de Mahé. Ce dernier endroit ne reçoit plus
de secours, et étant abandonné comme il l’est à lui-même sans
argent, sans soldats, sans vivres et sans munitions. Il tient à
peu de chose. Nous sommes de ce côté-ci pour le moment présent
supérieur en troupes, mais on n’en est pas plus tranquille, outre
qu’on n’a pas de quoi les payer, l’expérience du passé donne de
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l’inquiétude pour l’avenir, on craint quelques catastrophes.
Nos troupes sont divisées en deux corps, chacun d’onze à douze
cents hommes, un desquels est à Cheringham. Les forces des ennemies
venues à Cangivron et prête à marcher consistent en deux
mille hommes environ. L’arrivée de l’amiral Cornich dans la baie
de Trinqemallé avec quatre vaisseaux de guerre, dix de transports et
deux mille hommes de débarquement va leur donner incessamment
une plus grande supériorité que celle que nous avons aujourd’hui.
Je vais à présent parler de leur situation présente dans le Bengale
et de ce qui s’y est passé de plus intéressant, depuis la défaite et de la
mort de Sourajotdula qui a suivi de près la prise de Chandernagor.
Situation des Anglais dans le Bengale
Pour bien juger de la situation des Anglais dans le Bengale, il faut
être instruit de ce qui s’y est passé depuis la révolution qui les en a
rendus maîtres. Tout le monde sait qu’elle a été une suite de la
trahison de Mirrafer contre Sourajetdola son maître et son
parent et de ses intelligences avec les Anglais. Le gouvernement
de Bengale devait en être et en a été effectivement le prix.
Rajaram gouverneur de Meduipour ville frontière du Bengale
et le grand passage des armées Marattendakalek refusa en termes
même outrageants de reconnaître le nouveau Nabab [9] . Les Anglais
le firent venir auprès d’eux sur un sauf conduit, ils lui
confirmeront son gouvernement et firent la paix avec le Nabab
malgré le Nabab lui-même. Le Raja devint dans la suite leur favori
leur conseiller et leur espion. Cette affaire finie, on s’occupa des
affaires de la province du Besérat dont Patna est la capitale
Rammaraim en était le gouverneur et rejetait l’autorité de Mirrafer
et la médiation des Anglais. On se détermina à marcher sur lui.
Le colonel Clèves partit avec 400 soldats blancs, deux mille cipayes [10] ,
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huit pièces de campagne et deux de siège et précéda le Nabab dont
l’armée consistait en 30 mille hommes. On avança jusqu’à deux
journées de Patna, et on entra en négociation. Rammaraim prit le parti
de s’accommoder, mais il le fit d’une façon offensante pour le Nabab
Il s’adressa aux Anglais et remit ses affaires entre leurs mains.
Ceux-ci agirent en souverain. Ils confirmeront Rammaraim dans son
gouvernement, s’en firent un allié puissant et forcèrent le Nabab
à le recevoir en grâce. Ce dernier trait fut extrêmement sensible au
Nabab, il avait destiné le gouvernement de Patna à son fils Miren
et le poste de premier ministre dans cette province au même Rammaraim.
Il avait compté que les Anglais, qu’il payait sur le pied d’un lak
par mois, étaient à ses ordres et il se trouvait réduit à se soumettre
à toutes leurs volontés. Le père et le fils furent également
indignés. Le fils parla avec violence, le père renferma en lui-même
son ressentiment. Rammaraim devant tout aux Anglais, la vie
l’honneur et les biens qu’il possédait, se déverra entièrement à eux,
et leur servit à balancer l’autorité du Nabab, qui ne put encore leur
refuser le commerce exclusif du salpêtre et de l’opium,
privilèges à la jouissance desquels, Rammaraim a reçu depuis
exactement la main.
Les évènements se passeront au mois de mars 1758 : l’ascendant
des Anglais augmentait tous les jours. Meduipour refusait le
Nabab du côté du Katek, Patna du côté de Lindostan. Le revenu
de Patna de tout temps affecté à l’entretien du gouverneur, et d’un
nombreux corps de troupes, on pouvaient lui être d’aucun soulagement
il lui fallait même toujours garder des troupes à Rajinnolle et
ailleurs sur les frontières du Bihar devenu pour lui suspect.
Le père et le fils avant de quitter cette province voulurent engager le
Colonel Cleves à rompre l’accord fait avec Rammaraim, mais le
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colonel fût inexorable, il poussa même à la nuit à des
extrémités, et à fermer au Nabab l’entrée du Bengale en
s’emparant des gorges de Savigally. Une querelle survenue
entre ses cipayes et des cavaliers de l’armée Maure eut des
suites qui le mirent en danger, un cipaye fut blessé, M
Cleves ordonna sur le champ qu’on se saisit du commandant
des cavaliers et qu’on le mena en prison. Celui-ci avec
quatre cents cavaliers démontés se défendit. La perte de
quelques-uns de ces gens le rendit furieux. Il assembla ses
amis et tous avec leurs troupes résolurent de se défaire des
Anglais. Le colonel n’avait que cent hommes avec lui, ses
troupes étaient à deux journées sur le chemin de Bengale.
Rammaraim et quelqu’autre accoururent à son secours. Le
Nabab fut fâché de les voir secouru et ne put s’empêcher
de le témoigner, il envoya néanmoins par bienséance quelques
troupes aux Anglais, mais elles se joignirent aux mécontents
et il le dissimula. Rammaraim apaisa le tumulte. Je ne
rapporte ce trait que pour faire connaître la disposition des
esprits. Le colonel menaça de brûler Patna. Ses guides à son
retour à Calcutta, lui firent traverser la ville de Mouxoudabat.
Il savait qu’il n’y était point aimé : il dit après en être sorti
que si on eut tiré sur lui, de quelques façons, un seul coup de
fusil, il y aurait tout mis à feu et à sang : les Maures étaient
irrités de ces menaces.
M Cleves était encore à Patna, lorsqu’il parût un
envoyé secret de Gagepatiraje Raja de la province de Chicacol
qui nous y faisait la guerre. Il n’avait qu’une lettre de créance
mais il faisait à fond les affaires de nos provinces. Il fit voir un
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plan de révolte, les forces des conjurés, leur argent, leur intrigue.
La situation de leurs terres, leurs forces, et finit par demander
un secours d’européens.
Les Anglais instruits de l’arrivée de nos forces craignaient
que nous ne fissions une invasion dans le Bengale, et pour la
prévenir, ils en firent une dans nos provinces. Si le projet que je
propose sans retenue même pour faire passer quelques troupes
à Chatighan et de là par un des bras du Gange à Daka
avait pu avoir lieu, les Anglais auraient été les victimes de
leurs combinaisons dont le succès au contraire, a été au delà
de leur espérance.
Quelques années après la nouvelle de la prise du fort St David
On engagea le Nabab à venir à Calcutta, et on lui fit tant d’instances
qu’il ne pût s’y refuser. Le Nabab y vint avec une armée et
campa vis-à-vis de Calcutta, mais il n’entra dans la ville qu’avec
peu de personnes. Au milieu des fêtes qu’on lui donna, les Anglais
aguèrent s’il ne serait pas à propos de se délivrer une bonne
fois pour toute des alarmes qu’il couvait en l’envoyant
à Madras et de mettre à sa place Emirbeg.
Cet homme fils d’un des médecins de Soujavtdola Sosbédar
d’Aoud, pays limitrophe du Béhar ne possédait avant la
révolution du Bengale ; lui et Chek-Kairoullak autre aventurier
étaient avec un nommé Pedro interprète armurier les émissaires
et les courriers de Mirrafer auprès de M Cleves, du vivant
de Soujavtdola. Après la mort de celui-ci Mirrafer lui
donna un lak, le gouvernement d’Ougly et 50 mil roupies
d’appointement. M Cleves lui fit présent d’un lak c’est un
homme d’un génie ordinaire, et dévoué aux Anglais dont il
était l’espion.
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Tel était celui à qui les Anglais voulaient donner le Bengale.
Les voix furent partagées et Mirrafer s’en retourne Nabab après
avoir donné trois laks aux troupes anglaises, mais il n’en
fut pas quitte pour cela, on l’engagea à donner l’investiture
de Maduipour pour à Rajaram il s’en défendit en vain ; ce pas fait
on le mena encore plus loin, on lui proposa de donner le
gouvernement d’Ougly et du Bordouan mis ensemble à
Naudé Coma Brame, homme d’esprit et favori des Anglais
et la province de Djehanguir Nagar Ouest Daka à Emirbeg.
C’étaient ainsi que les Anglais obligeaient leurs amis,
donnaient des entraves au Nabab et ruinaient leurs
ennemies. Le Nabab pour se tirer du mauvais pas où il s’était
engagé accorda tout et sortit de Calcutta. Un mois après, les
Anglais firent partir les troupes qu’ils destinaient pour le
Dekan et il leur resta dans le Bengale que 185 soldats.
Ce qui les engagea à faire venir 4 mil cipayes de Ceramé.
Ce fut pour………qu’il fallût voir l’effet des promesses du
Nabab. Le Bordouan fut uni à Ougly sur une même tête
mais Miren furieux fut intraitable sur la disposition que les
Anglais avaient faite de sa province. Ce jeune homme les
haïssait et ne s’en cachait pas, et il était adoré des peuples
précisément pour cela.
Il me reste encore à parler de la province de Pouronia qui fait
partie du gouvernement de Bengale. Chaonkoljïngne, frère de
Soujaetd de la gouvernance de cette province refusa après la mort du
vieux Alaverdikan de reconnaître son frère aîné et fut défait dans une
bataille. Son esclave se mis à sa place lorsque Mirrafer fut
nommé Nabab de Bengale ; cet esclave ne voulut point se
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soumettre à lui. Cadecuhassenkan, frère de Mirrafer, avait été
nommé en 1757 gouverneur de Patna, et on lui avait donné
Rammaraim pour divan [11] . Celui-ci le chassa de la ville prétendant
qu’il y avait fait entrer plus de monde qu’on en était convenu
Et qu’il avait eu des desseins contre sa vie. Cadecuhassenkan
revint à Mouxoudabat confus d’avoir manqué son entreprise
et furieux contre les Anglais et même contre le Nabab son frère.
On lui donna pour l’apaiser la mission d’aller saisir les
effets de l’esclave, il réussit dans sa mission, mais au lieu
d’envoyer les effets comme il le devait, il les garda et se cantonna
dans la province ; on lui envoya un homme de poids pour le
ramener doucement au devoir ; il lui fit couper la tête ainsi
qu’à toute sa suite, j’ignore ce qui s’est passé depuis dans
cette province.
Tout ce que je viens de rapporter m’a paru nécessaire pour faire
connaître le pouvoir et l’autorité que les Anglais ont usurpé
dans le Bengale et le degré de puissance où ils sont parvenus
dans lequel ils se sont maintenus par la crainte qu’ils
ont su inspirer. Le mécontentement des grands et du peuple
qu’ils n’ignoraient pas non plus que la haine qu’on leur portait.
La sermentation générale enfin qui régnait dans tout le pays
ne les ont point empêchés de faire passer leurs troupes dans le
Dekan, ils risquaient dans cette expédition les troupes qu’ils
y en envoyaient, et les avantager qu’ils avoient dans le Bengale. Le
conseil de Calcutta s’y opposa par des protestations de M Cleves
et a jugé autrement sur ce qui s’était passer à la côte et à Renssy.
Il avait cependant tout lieu de craindre des troubles qui
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règnirent à Mouxoudabat et des expéditions de Miren qui
en vint à des querelles ouvertes avec son père qu’il traitait
d’esclave des Anglais. Ce dernier ayant découvert un complot
formé contre lui, se défit d’un des principaux chef mais
les autres lui reprochèrent sa mort, la misère de l’armée
des fidèles tandis qu’on regorgeait d’argent à Calcutta. Ils
le traitèrent d’Anglais, ……………, sortirent en tumulte
passèrent le Gange au de-là de Mouxoudabat et campèrent
vis-à-vis le jour même toute l’armée les joignit et dans la nuit
le Miren quitta son palais et fût camper avec eux. Le
Nabab envoya demander du secours aux Anglais ; ceux-ci
s’excusèrent sur ce que toutes leurs troupes étaient dans le Dekan
et ils ne purent lui offrir que du canon. Le Nabab de là fut
indignés, son fils se saisit de sa personne mais il le relâcha
ensuite en lui interdisant toutes sortes d’affaires. Il ne
manqua en cette occasion pour faire la révolution qu’un corps
de troupes européennes. On parlait beaucoup des Français à
Mouxoudabat et ils étaient désirés.
Je tiens les faits que je rapporte d’un homme qui a été
Témoin, et qui même a été employé dans les affaires qui leur
Ont donné lieu : je pourrais entrer dans le plus grand détail
si je ne craignais de donner trop d’étendue à ce mémoire
Mais je crois que ce que j’en dis, est suffisant pour donner une
juste idée de l’état des affaires à Bengale, et des facilités qu’on y
trouverait en y allant avec des forces pour y causer une
Révolution : il s’agirait moins de susciter des affaires aux Anglais
que de tirer parti de celles qui leur surviennent tous les jours.
Les Hollandais y ont envoyé au mois d’août dernier neuf
vaisseaux et treize à quatorze cent hommes de troupes, tant blancs que Malais
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pour y soutenir leur commerce. Nous avons appris ici que les
Anglais sous le nom du Nabab s’opposèrent à l’entrée de ces
forces dans le Gange, et que le Nabab se disposait à descendre
sur Chinchurat avec une armée de 40 mille hommes.
Les Anglais ont fait faire en peu de temps de grands travaux
à Calcutta, ils ont rétabli et réparé leur loge qu’ils appellent le
fort William et l’ont fraisée palissadée et entourée d’un
fossé, d’un chemin couvert et d’un glacis, ils ont fait du côté du
Gange une batterie de la longueur du fort garnie de grosses pièces
bien montées élevée de trois pieds au-dessus de l’eau et dominée par
le fut du fort, ils ont entouré la ville de Calcutta d’un mur de
jardin et ont fortifié les portes d’un petit fossé plein d’eau.
Je joins à ce mémoire un plan de la nouvelle forteresse qu’ils
ont fait bâtir. Ils l’ont construite sur un tertre entre la ville et
Govimpour, à cinq cents pas du bord du Gange pour
s’éloigner de l’artillerie des vaisseaux. Elle avait été désenvasée
rapidement sur un terrain ferme en apparence, mais elle s’est
affaissée. Les fortifications ont baissé de six pieds et se sont
écroulées en quelques endroits : on l’a rebâtie sur
nouveaux frais et avec plus de précautions, et on l’a mise en peu de temps
en état de défense ; vingt mille hommes y travaillaient. On
assure que ce fort où il n’y avait encore aucun logement comptait
33 laks de roupies.
Les Anglais possèdent une lisière de terrain depuis Banquibazard
jusqu’à Goulpy inclusivement qui leur rapporte 150 mil roupies de
revenu. Ils ont montré les salines de Maligmahal de sorte
que les voilà dans le Bengale en possession du commerce du sel
ou salpêtre était éphémère ; si le Nabab eut disposé de la province
de Daka comme ils le souhaitaient, ils devaient faire un fort à
Daka et fortifier les principales rivières qui y conduisent.
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Un des fils de l’empereur qui s’est sauvé de la forteresse de
Delly et qui est actuellement à la tête d’un parti est venu au
mois d’avril dernier à Patna avec une armée de 80 mil hommes
et en a fait le siège. Mais il a été obligé de le livrer à l’arrivée
de l’armée de Mirrafer commandée par son fils ayant avec lui
400 Anglais et cinq mille cipayes armés à l’européenne. La
discussion qui était parmi les chefs de l’armée du prince, le
défaut d’argent et de munitions de guerre ont fait manquer cette
entreprise. MahancontiKam qui commandait les troupes de
Sourajotdata y a aussi beaucoup contribué. Ce seigneur sur
quelques motifs particuliers a obligé M Law à rester
derrière et a attendu quinze jours à Benarez avec son
détachement. M Law avait reçu à Choterpour lettres
sur lettres qui l’engageaient à se rendre auprès du prince.
Rammaraim gouverneur de Patna paraissait disposé à un
accommodement ; mais dès qu’il a su que M Law n’était point
à l’armée il n’a voulu écouter aucune proposition et n’a pensé qu’à
se défendre. M Law au surplus n’avait pas assez de forces
pour se soutenir à Patna, mais dans l’attente où il est
toujours d’une escadre française, il pensait que cette expédition
pourrait causer dans le Bengale une diversion favorable à ses
opérations supposé, comme cela pourrait être qu’elle ont été au bord
du Gange.
Les détails dans lesquels je viens d’entrer ont eu pour objet de
donner une idée de la situation où nous étions dans l’Inde à l’arrivée
des troupes du Roy et de celle où nous sommes actuellement et de la
position des Anglais dans le Bengale. Je vais présentement y ajouter
mes réflexions sur l’accommodement à faire entre les deux nations dans
l’Inde, supposé que la paix se fasse entre elles en Europe.
++++
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Réflexions sur le projet d’accommodement
à faire entre les Français et les Anglais
Cet accommodement n’est pas possible, où il faut que nous
renoncions au commerce de l’Inde, si les Anglais veulent se
prévaloir de leurs avantages pour nous faire des conditions
telles qu’il leur conviendra. C’est donc du principe que j’ai établi
au commencement de ce mémoire, qu’elles devraient partir pour
parvenir à une paix solide et durable et c’est sur ce
fondement que je regarde le traité conditionnel arrêté en 1755
entre M Godeheu et Saunder, comme devant servir de base
au traité définitif qu’il est question de faire.
La Prise que nous avons faite depuis du fort St David
de Goudelour et de Divicotté doit nécessairement y apporter de ce
côté-ci quelques changements. La sûreté et la tranquillité de Pondichéry,
le principal établissement de la Compagnie dans l’Inde, exige qu’elle
fasse tout ce qui dépendra d’elle pour s’opposer au rétablissement des
Anglais dans ces trois endroits. S’il fallait céder aux Anglais Karikal
et ses dépendances en compensation du fort St David et de Divicotté. Je
serais d’avis qu’on fit ce sacrifice, je doute qu’ils y consentent quoiqu’ils
auraient par cet échange une fois et au-delà plus de revenus que
Goudelour et Divicotté réunis ensemble n’en produisent, ils ne
feraient pas à Karikal le même commerce qu’ils faisaient au fort St
David et à Goudelour. Peut-être demanderont-ils à s’établir sur la
rivière de Portenove plus belle et plus profonde que celle de
Goudelour : ils seraient éloignés de Pondichéry de six lieues de
plus, mais c’est encore trop près. S’ils se contentaient d’avoir de
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simples loges dans un de ces deux endroits et même dans tous
les deux, je pense qu’on pourrait y consentir.
La Compagnie connaît les possessions qu’elle a aux environs dans
Pondichéry, et est en état de se déterminer sur ce qu’il lui conviendra
de garder. Le fort de Chinguelper a été si utile aux Anglais pendant
le siège de Madras, que j’ai lieu de penser qu’ils auront beaucoup de
peine à l’abandonner. De nôtre côté, il conviendrait à la sûreté
de Pondichéry de conserver Alemparvé et Gruggy. Carangouly et
Vaudavachy seraient aussi très nécessaires. Lepale
séparerait au nord Pondichéry nos possessions de celles des Anglais
et aussi, la rivière Portenove serait très propre à en
marquer les limites. Si l’on voulait conserver Chalembron dont
les revenus sont un objet considérable, il faudrait dans ce cas
l’étendre jusqu’au Coleran ; cet arrangement suppose que Goudelour
ne sera point rendu aux Anglais mais il souffrira je pense bien
de difficultés de leur part, s’il leur est proposé.
Les Anglais paraissent ne point s’embarrasser d’avoir des revenus
dans l’Inde. Ils sentent que leurs établissements peuvent s’y soutenir
par le commerce qu’ils y font ; et si jusqu’à présent ils se sont opposés
à l’agrandissement que nous avons voulu donner aux notres, je me
persuade que cela en a été qu’en vu de nous priver d’une ressource dont
ils n’avaient point besoin. Ils peuvent devenir aujourd’hui plus que
jamais difficiles sur cet article. Les succès qu’ils ont eus à Bengale
les ont dédommagés des dépenses qu’ils ont fait depuis que nous
sommes en guerre avec eux ; nous ne sommes pas dans le même
cas. La Compagnie doit dans l’Inde des sommes considérables.
Les revenus de ses possessions, lorsqu’elle en jouira tranquillement
sont un moyen sûr qu’elle a entre les mains pour éteindre en peu
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d’années toutes ses dettes. S’il ne lui est pas possible, ou qu’elle ne se
soucis pas de s’en assurer la propriété, ne pourrait-elle pas
prendre des arrangements pour les conserver pendant un temps
limité et suffisant pour s’acquitter, elle doit plus de cent laks.
Je ne m’arrêterai point sur la nomination du Nabab
à Arcotte si elle déferrée au Souba [12] du Dekan, elle tombera
suivant toutes les apparences sur Mahamatalikam peut-être
nous conviendront-ils de faire valoir notre condescendance sur
cet article ; mais dans la situation où sont aujourd’hui ces
choses, il me semble que nous devons nous en inquiéter peu. Le
Nabab, tel qui puisse être, aura toujours des raisons de nous
ménager. Rezasach ne doit point cependant être oublié, il convient
de lui assurer un …………et les honneurs du Nabab dont il
jouit.
Je passe actuellement à la partie du Nord
Nous n’avions point dans l’Inde de possession plus légitime
que celle de Mazulipatam et de ses dépendances. Si l’enchaînement
des affaires dans lequel on s’est trouvé engagé eut permis de
s’y borner, on n’aurait point eu de démêlés des Rajas
et des genidars indociles et toujours prêtes à se révolter, et huit
à neuf laks de revenus qu’on en aurait retiré, auraient tourné
entièrement au profit et à l’avantage de la Compagnie et il est
fâcheux que nous n’ayons pu nous y maintenir et il serait à
souhaiter qu’on put y rentrer. L’île de Divy et Mazupilatam
sont tellement dépendante l’une de l’autre qu’ils ne doivent point
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être séparé. Il convient que ces deux endroits appartiennent
à une seule et même nation. Si cependant il fallait opter,
je préférerais Mazulipatam.
Ce n’est point à Mazulipatam que se fabriquent les mouchoirs
qui portent le nom de cette ville ; les principales manufactures
de ces mouchoirs sont dans le district de Moutepelly distant
à trois lieues environ au sud de Mizampatnam, dont il est mention
dans le traité conditionnel. Possesseur de Moutepelly et de
ses dépendances, nous le serions de ces manufactures, et
d’une assez belle rivière qu’on nomme Pandarty. Mais on aurait
le Raj d’Ongol pour voisin, et comme il tient à ferme depuis
très longtemps les salines et les terres du district on aurait eu
la peine à les lui retirer. C’est un inconvénient. Il serait nécessaire
pour en jouir tranquillement de lui procurer quelque dédommagement
à l’égard de Mizampatam. On en prendra possession et on s’y
établirait sans aucune contradiction. Misampatman est de la
dépendance de Mazilipatam et Moutepelly de celle de Condavir
ces deux endroits peuvent rapporter chacun cent trente à cent
quarante mille roupies de revenus, provenant en plus grande
partie de leurs salines.
La Compagnie est instruite de la nécessité de rétablir le
comptoir qu’elle avait sur la rivière d’Yanou : c’est le centre de
toutes les manufactures de toiles qui se fabriquent de ce côté-là
et comme les Anglais s’y rétabliront certainement aussi si cela
n’est déjà fait, il faut que cette rivière soit neutre entre les deux
nations. On n’en aurait pas besoin si on s’établissait sur l’île
de Caranguy sur laquelle la Compagnie a déjà reçu plusieurs
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mémoires. Les embarcations chargées de marchandises
qu’on aurait à faire passer à Pondichéry s’expédieront de cet
endroit avec plus de sûreté et de promptitude s’il conviendrait
qu’il y eut quelques revenus attachés à ce comptoir pour en
couvrir les dépenses.
Gotinoivy situé sur la rivière droite de Godary serait
au défaut de l’île de Caringuy l’emplacement le plus propre
pour y faire l’établissement, les ruines de nôtre ancienne
loge sont de l’autre côté.
Si la Compagnie voulait avoir un autre comptoir à la côte
d’Orixa, il lui serait avantageux de l’établir à Gaujean : c’est
une aldée [13] située sur une assez belle rivière et d’où on tirerait de
grosses toiles, et beaucoup de vivres et autres secours nécessaire
pour Pondichéry par temps de guerre. Cet endroit est situé à quelques
lieues des frontières de la province du Katek, et à cinquante
lieues de Balaçor, et par cette situation peut-être utile à la
correspondance de Pondichéry avec les comptoirs du Bengale.
Les affaires de la Compagnie sont de ces côtés-ci dans une
situation si fâcheuse, que je ne prévois pas qu’elle puisse penser
à rentrer dans le Gange avant que la paix se fasse ou
peut-être que son existence dépend de son établissement dans
cette partie de l’Inde. Mais si elle ne s’y procure pas la
paix, un état d’égalité avec les Anglais tant pour les droits
et privilèges que pour l’étendue des possessions, elle y fera
longtemps dans l’abaissement, elle n’y aura ni crédit ni
considération et son commerce languira. Les droits et les
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les privilèges auxquels nous pouvons prétendre nous ont été
accordés par Souradyotoula peu de temps avant la prise de
Chandernagor ; il nous avait même donné la fausse darce
d’Ougly. Je ne connais point sur le Gange d’endroit plus
convenable que Chandernagor pour y faire le principal
établissement, il faut en obtenir la propriété ainsi que des
aldées aux environs qui pourraient être à notre
bienséance. Mais ils seront importants pour la Compagnie
de se faire concéder la rivière et le port de Chatigan situé
à une des embouchures du Gange. Cet établissement serait
très avantageux à la Compagnie en temps de guerre, il la
mettrait à portée de continuer, au moins en grande partie
son commerce toujours interrompu à Bengale dans ce
temps là, et on en tirerait beaucoup de secours pour
Pondichéry : c’est un endroit très abondant en vivres et
qui fournit d’ailleurs plusieurs sortes de marchandises.
Il n’est qu’à douze lieues du comptoir de Jougvia et à
trente environ de Daka. Il pourrait dans le traité être
mis en compensation avec la lisière de 30 lieues que les
Anglais possèdent aujourd’hui sur le bord du Gange
depuis Banquibazard jusqu’à Coulpy.
Les Hollandais ayant fait passer des forces dans le
Bengale voudront sans doute y être sur le même pied que nous
et les Anglais.
Quoique nous fassions peu de commerce à Surate je ne
pense pas que la Compagnie voit avec indifférence des Anglais
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en possession de cette ville, ils sont maîtres de la forteresse et
gouvernent et commandent dans la ville sous le nom d’un
Nabab qu’ils ont placé, ils en retirent les droits et les
revenus qui font un objet de R. 4 à 5 cent mille sur le-
quel ils ont deux cent mille de dépenses, c’est au moins ce
que marque le Sr de Briancourt ; cette révolution fait
beaucoup plus de tort aux Hollandais qu’à nous, il faut
intéresser à y rétablir les choses sur l’ancien pied, ils n’y
sont aujourd’hui gènés dans leur commerce qui y a été
de tout temps très considérable et ils n’y recevaient des affronts.
Ne pourrait ou pas les engager à entrer dans le traité
que l’on fera pour l’Inde avec les Anglais. M Vanhek
gouverneur de Negapatam est disposé à se réunir avec
nous pour ce qui a rapport à Bengale, il attend des
ordres de Batavia, et il n’aurait déjà fait des
ouvertures s’il n’avait eu à traiter qu’avec moi et
avec le conseil.
Nous ne sommes pas moins désirés par les Maures à Surate
que nous sommes à Bengale, ils nous regardent dans l’une
et l’autre partie, comme la seule nation qui puisse les
délivrer du joug des Anglais qu’il souffrent avec peine.
Il serait à désirer qu’on put convenir en Europe d’une
neutralité pour qu’il n’y eut jamais de guerre dans ce pays n’y
entre les nations européennes qui y sont établies un pareil
accord lèverait bien des difficultés pour celui dont il doit être
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que……entre nous et les Anglais. Je me persuade que les
Hollandais y consentiraient volontiers mais je doute que
les présomptueux Anglais y soient disposés. Il aurait fallu
pour les y amener leur causer plus de mal que nous ne
leur en avons fait. La guerre dernière et la présente jusqu’à présent
ne leur a pas donnés que des avantages sur notre commerce qui
depuis quinze ans a souffert sept années d’interruption
pendant lesquelles ils ont continué le leur.
Observations générales
Lorsque je propose à la Compagnie de se réserver des livres, et
d’attacher des revenus à chacun de ses établissements, je ne me laisse
point aller à des idées d’agrandissement qui seraient condamnées et
qui seront traitées de chimériques dans les circonstances présentes. Si
mon dessein est uniquement de lui offrir un moyen d’acquitter ses dettes
et de décharger son commerce d’une partie de ses dépenses. La Compagnie a
eu raison de se plaindre des possessions qu’elle a eues dans le nord, elles lui
lui ont été à charge. Trente à trente deux laks de revenu qu’elle avait a
Mazulipatan et dans les quatre provinces se dissipaient en frais de guerre
et ne suffisaient pas. J’ai déjà dit qu’il était dû douze à treize laks
à M de Bussy et à plusieurs autres pour solde de différents comptes.
Ce qui s’est passé dans cette partie ne doit point l’arrêter. Si l’on peut
parvenir à faire un accord avec les Anglais qui assure la tranquillité
des deux nations dans l’Inde à l’égard l’une de l’autre et des gens du
pays, il ne sera plus question de guerre et moyennant une bonne
administration et telle qu’il plaira à la Compagnie de l’établir, qui
sera d’ailleurs déchargé de la magnificence et de la paix par ce qui
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régnaient à l’armée du Dekan et à Mazulipatam et en observant
enfin toute l’économie nécessaire pour se relever de tant de dépenses.
Les revenus que l’on retirera des terres que la Compagnie se sera
réservée, deviendront pour elle un objet réel et avantageux.
Il est nécessaire que la Compagnie se fortifie à Chandernagor.
Lorsqu’elle y rentrera ainsi que dans les établissements qu’elle
aura à la côte d’Orixa après tout ce qui s’est passé depuis dix
ans dans l’Inde, il ne nous conviendrait pas de nous mettre à
la discrétion des Maures, et dans le cadre de dépendre d’eux. C’est aussi
le sentiment des Anglais ; ces fortifications entraîneront la
Compagnie dans de grandes et dans de longues dépenses que
l’on pourra prendre sur les revenus attachés aux établissements de
qui les occasionneront.
Tout le monde pense et je l’ay déjà dit dans quelqu’une
de mes lettres à la Compagnie que lorsqu’il sera question de relèvement
à Bengale, il est nécessaire d’y reparaître avec des forces, quand bien
même la paix serait faite. L’exemple des Hollandais justifie ce
sentiment. Il ne faut pas y aller, si la paix est faite, dans le dessein
d’y faire la guerre, mais il faut y être en état de traiter avec le
Nabab sur un pied avantageux et indépendamment des Anglais.
Peut-être pourrait-on, profiter de la disposition des Maures à leur
égard pour en obtenir quelque réponse pécuniaire en forme de
dédommagement pour les établissements de notre colonie.
J’insiste encore ici pour que la Compagnie s’établisse à
Chatigan indépendamment de l’avantage qu’elle en peut retirer
pour son commerce en temps de guerre, c’est un port où de grands
vaisseaux peuvent entrer et qui à cet égard seul pourrait devenir
utile à la Compagnie. C’est un grand avantage que les Anglais
ont sur nous dans ces temps-ci, d’avoir un port dans l’Inde, et
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d’être toujours les maîtres du Gange, nos escadres obligées d’aller
hiverner à l’île de France, perdent en relâche et à aller et venir le
temps propice à leurs opérations. Je ne sais si c’est une chimère qui
m’a passé par l’esprit, et si j’ai raison de penser qu’on pourrait
tirer quelque bon parti de l’île Audaman, elle est située
à l’entrée du golfe, est et ouest de position et parait sur
la carte avoir trente lieues de long : elle est entourée de plusieurs
petites îles. Serait-elle sans aucun port ? On ne la connaît pas
bien, on sait seulement qu’elle est habitée par un peuple
sauvage, et qu’on dit même anthropophage. Je ne dis rien qui ne
soit dicté par le désir que j’ai de voir le commerce de la Compagnie
rétabli et augmenté. Qu’elle ne confie ses affaires qu’à des
personnes qui connaissent ses intérêts et qui lui soient attachés
et qui dépendent d’elles ; qu’elle paye ses dettes lorsque nous
aurons la paix, ou au moins qu’elle promette de les payer et
qu’on lui voit prendre des arrangements en conséquence
au grand commerce. L’Inde est pleine de ressources. Je lui
réponds, l’état fâcheux où se trouvent aujourd’hui
ses affaires, qu’elles s’y rétabliront en peu de temps. Aucune des
trois nations établies à Bengale et ne faisait plus de
commerce que les Anglais. C’est par terre dit que le commerce leur
avait donné, autant que par la force de leurs armes, qu’ils s’y
sont rétablis après en avoir été chassés, qu’ils ont pris
Chandernagor, et qu’ils sont parvenus à y causer une révolution
qui les a enrichis et qui les a rendus maître de tout le pays.
C’est par la même voie qu’ils ont réussi à Surate, quoiqu’ils n’y
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eussent qu’une loge, ils s’y étaient attribués pendant plusieurs
années une autorité qui balançait celle du gouvernement
Maure. Ils n’ont à Basura qu’un employé qui en exerce
une étonnante dans cette ville, il y fait la loi aux marchands,
des injustices, il les taxe, fraude les droits. Il ne se gêne pas
même sur ce qui regarde les finances. Le Massalem ou le
gouverneur, tolère cette conduite, a même des égards pour lui
et lui accorde des préférences qu’il ne doit qu’à l’ascendant
que le commerce donne partout à cette nation.
Soit que la neutralité pour l’Inde ait lieu ou non, il n’en a été
pas moins nécessaire que la Compagnie fasse fortifier tous
ses établissements et qu’elle profite de la paix pour les
mettre autant qu’il est nécessaire pour ces pays-ci à l’abri de
toute insulte et des évènements que les terres peuvent amener.
La guerre venant à se rallumer en Europe, je serais d’avis
qu’elle renonçât à tout projet militaire, ils lui ont été
jusqu’à présent trop préjudiciables par l’interruption de son
commerce, par les dépenses qui lui ont occasionné, et par
la ruine enfin de tous les particuliers qui forment la nation
dans l’Inde, dont le capital de paix, la perte de Chandernagor
et de Mazulipatam et diminue de plus de cinquante laks
de roupies, en se bornant à donner des ordres, pour
que l’on se tienne dans ses établissements, sur une bonne
défensive, et qu’on ne s’occupe que des moyens d’y
continuer son commerce. Il ne lui faudra pour le
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soutenir que des forces maritimes proportionnées
à celles de l’ennemie, qu’elle pourra obtenir de la
protection que le Roy lui a accordée jusqu’à présent.
A Pondichéry le 15 novembre 1759
Intérêts historique et généalogique Ce mémoire, d’un homme qui a une vision globale sur les événements en Inde à cette période de début de la guerre de Sept Ans, est un document historique important pour l’histoire de l’Inde. Il montre que les relations entre Français et Anglais sont très mauvaises et que les considérations stratégiques sont guidées principalement par les intérêts commerciaux. En particulier, l’auteur préconise, à plusieurs reprises, la paix pour favoriser le commerce français. Il peut aussi avoir un intérêt généalogique car il apporte des éléments sur les actions de quelques personnages importants mais il donne aussi des informations pour replacer, dans le contexte, la vie d’un ancêtre qui aurait participé à l’activité commerciale et aux nombreux combats dans la région. |
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