Le texte de Sauret n’avait jamais été publié, sans doute à cause de la difficulté du décryptage. L’intégralité du texte et une introduction historique et analytique ont été publiées par mon épouse. B.S.H.A.P p. 287.
- Page du livre de raison de Jehan Sauret
- Jackie décrypte sous la surveillance de sa chatte mai 99
Jacqueline Carcenac a fait œuvre de paléographe dans une transcription littérale qui respecte l’absence de ponctuation chez Jehan Sauret. Ce n’est pas simple à comprendre pour celui qui ne sait pas décrypter les vieux parchemins. La graphie utilisée par Jehan Sauret est la lettre Flamande courante, elle servait à écrire des documents officiels et les requêtes. Elle était réalisée à la plume d’oie.
- Signature de Jehan Sauret en flamande courante
J’ai transcrit le texte en français moderne pour le rendre plus accessible.
Pour présenter ce texte, je laisse la parole à Jacqueline Carcenac :
Albert Vigié (1843-1928) était maire de Belvès et doyen de la Faculté de Droit de Montpellier. En classant de vieux papiers, il a mis la main sur un petit cahier, œuvre d’un des consuls de la ville de Belvès et il en a fait cadeau aux Archives Départementales de la Dordogne où il est conservé sur la cote 2 E 1608.
Jehan Sauret, consul de la ville de Belvès, a tenu son livre de raison dans lequel il relate quotidiennement son travail, les dettes de ses clients et les évènements familiaux ou autres.
A l’occasion de la peste de 1628, il a écrit quelques feuillets pertinents sur l’épidémie.
Il semble que Sauret ait rédigé ce journal à son seul usage, ce n’est pas la copie d’un rapport adressé aux autorités, il n’y a aucune note sur le destinataire. Le seigneur temporel et spirituel de Belvès était à l’époque François de Sourdis, évêque de Bordeaux.
Sous le règne de Louis XIII, la peste ravagea à plusieurs reprises le Périgord et notamment la châtellenie de Belvès en 1628 et 1629. De 1631 à 1634, le « mal de Bologne » fit plus de 10.000 victimes à Périgueux, Bergerac et Sarlat.
Ce procès-verbal faict sur la maladie contagieuse en ville nous montre la violence de cette épidémie. La famille Lafaige, composée de huit personnes disparut en trois mois.
Dans ce texte, nous rencontrons les notables de la cité, avec parfois des noms encore portés. Jehan Hugon était le sergent chargé de faire appliquer les décisions, Jacques Montet était le greffier, Guillaume Laville était notaire royal. En 1627, Marc Géraud Palisse, sieur des Plantades, était bachelier en droit, juge de la présente ville et juridiction. Il mourut en 1640. Les Palisse seront juges ou procureurs jusqu’à la veille de la Révolution. En 1619, Guillaume Bonfils, sieur de la Moissie, était procureur d’office de la juridiction de Belvès, nous dit A. Vigié, pour l’avoir trouvé dans les papiers de la famille Bonfils Lascaminade. Or nous avons bien connu un descendant, Paul Bonfils de Lascaminade, l’auteur d’Anaïs Monribot. La Moissie existe toujours. Quant aux Philipparie, on les retrouve souvent dans l’histoire de Belvès et un descendant était professeur de mathématiques. La maison de la Mothe est encore debout. Un autre descendant était boucher dans le centre de Bordeaux et quand, encore étudiants, nous lui rendions visite nous repartions avec un beau morceau de viande, cadeau de Belvésois.
Annet de Garrigou était le « docteur en médecine », Jehan Delpech « l’apothicaire » et Roche « compagnon chirurgien ». Le premier malade avait été scarifié par un « opérateur étranger ».
Après le décès de Radegonde en 1880 et de Marie en 1883, il n’y a plus trace de Sauret dans l’état civil de Belvès et, pour retrouver les descendants il faut se rendre à Tarbes. Sauret habitait dans la rue Sous la Ville.
La porte d’entrée du couvent des frères prêcheurs existe encore et celui-ci, bien remanié, abrite les bureaux de la Mairie. Sauret était à la messe dans l’église du couvent quand on est venu le chercher pour lui annoncer un cas de peste. De l’église il ne subsiste que le clocher : « A la Révolution, la ville acheta le couvent et ses dépendances : l’église servit à de multiples usages, (salle d’élection, de réunion publiques, de clubs, de prisons, etc...) ; on ne fit aucune réparation aux toitures et bientôt la voute, pénétrée par les eaux, s’effondra ; la nuit qui précéda cet accident, un convoi de prisonniers de guerre avait couché dans l’église. A partir de ce moment, les murs de l’église devinrent une carrière de pierres à bâtir… In « Histoire de la châtellenie de Belvès » A. Vigié, BSHAP, 1901.
Avec ce rapport sur la peste à Belvès, nous sommes en présence d’un récit clair, écrit avec élégance par le notaire d’un gros bourg. Ainsi que François Ier l’avait ordonné, il est en français et seulement deux mots occitans se retrouvent : le faure (le forgeron) et les paouvres (les pauvres). Les formes du XVII° siècle ne sont pas encore bien établies, la langue est en évolution. On trouve par exemple les deux mots : « comme il hussoit fait » et « heussoit ».
Il emploie l’imparfait du subjonctif : « ne fréquentasse », « ny entrat ». Le conditionnel tient lieu d’indicatif. Le sens des mots a dérivé depuis lors : « préservatifs » a pris un sens restreint et « affiché » signifiait fermé, condamné. Une affiche était un piquet de fer que l’on plantait pour tenir quelque chose. De nos jours, on « fiche en terre ». Il emploie souvent la redondance « inhibé et déffendu » pour bien marquer son autorité.
Le texte comporte les contractions et abréviations en usage à cette époque.
La graphie manque de rigueur, il écrit : « subjet » ou « subiet ». L’emploi des majuscules est fantaisiste et tient probablement au plaisir de tracer une belle lettre.
On sourit au chafre (surnom) Mingepertres (Mange pour trois) qu’il faut prononcer à l’occitane.
Signes cliniques
Le diagnostic de peste était facile à porter en 1628, la grande pandémie de la peste noire sévissait depuis trois siècles et les mesures à prendre en cas d’épidémie étaient codifiées, imprimées dans de nombreux ouvrages ou transmises oralement. Elles furent appliquées de façon à peu près identiques dans toute la France pendant l’épidémie de 1628.
Dans son rapport Suret nous indique les signes qui lui permettaient de porter un diagnostic :
• Ganglions durs et douloureux : « au bras, une enflure découpée et scarifiée au rasoir... à l’aine une petite glande... sur le genou comme une brûlure, très douloureuse ... au-dessous de l’aisselle une enflure. »
• Saignements par « le nais et la bouche ».
• Violents maux de tête.
• Vomissements.
Le docteur Garrigou fait un interrogatoire orienté et demande « s’ils avaient remarqué au corps du défunt aucune tâche ou enflure ».
Sauret n’ose porter de lui-même un diagnostic : Chaberneyrie est manifestement mort de la peste, mais il manquait un chirurgien pour l’affirmer et le consul ne pouvait prendre de décision en son absence.
Traitement
Remèdes
Empiriquement et encore de nos jours, il parait logique de faire mûrir une grosseur manifestement purulente, comme un furoncle, avec des compresses. Rien de plus naturel qu’en 1628 on ait mis sur les bubons des emplâtres d’herbe bouillie, les recettes variant avec chacun : essence de térébenthine, de sauge, de sureau infusé dans du vin, huile de camomille. Après incision au fer rouge, le bubon pouvait être vidé avec une ventouse.
Sauret se rendait chez Jehan Delpech, l’apothicaire faire préparer les remèdes et l’on peut penser que, comme ailleurs, ils étaient à base de sang de vipère, de bave de crapaud, et de multiples plantes odoriférantes. Notre consul et notaire les rapportait ensuite au malade, alors qu’il connaissait parfaitement les risques de la contagion. Chaque apothicaire avait ses recettes, mais la plus célèbre des compositions était la thériaque, mélange secret de nombreux ingrédients avec des sirops à base de miel. La thériaque était réputée pour guérir de tous les venins, surtout ceux des serpents et, contenant de l’opium, elle était efficace contre la toux et la douleur, ce qui devait être apprécié.
Sauret distribuait des préservatifs pour éviter l’épidémie, sans nous en donner la recette, qui pour lui devait être banale. En général, c’était des amulettes remplies de poudre de corne de licorne ou de vif argent pour les riches, et pour les autres des éponges imbibées de vinaigre et d’aromates. Les livres de recette abondaient à l’époque. Les médecins portaient un masque avec un long nez et dans la partie antérieure de celui-ci on plaçait des préservatifs. Mâcher un morceau de racine d’angélique était efficace.
Parfums :
Les « parfums » jouaient un grand rôle dans la prévention et pendant l’épidémie. Sauret les ordonnaient à chaque fois.
Les parfums provenaient de feux de romarin, de pin, de laurier, de thym, de serpolet, de genévrier, plantes abondantes dans le pays ou de soufre.
Sauret n’a pas dû faire brûler de l’encens et de la myrrhe chez Lafaige et il ne dit pas s’il prenait tous les matins un jus d’oignon avec du vin blanc et s’il parfumait sa maison. Il ne nous renseigne pas non plus sur ses vêtements ; peut-être avait-il des pantalons de cuir rentrant dans les bottes, ce qui le mettait à l’abri des puces.
Isolement :
Comme partout, l’isolement était absolu. Quand la maison était trop pestilentielle, les survivants allaient vivre dans une cabane que l’on construisait dans leur jardin et d’où ils ne devaient jamais sortir. Un homme d’armes les surveillait nuit et jour, on leur faisait passer la nourriture « au bout d’une fourche ».
Les suspects ne devaient communiquer avec personne. L’isolement durait quarante jours, mais si entre temps un nouveau cas se déclarait dans la maison, l’isolement était prolongé de quarante jours de plus. Les suspects de Floirac (Fleurat) avaient l’ordre de ne pas se rendre à la ville ni de fréquenter personne. Les voisins ne devaient avoir aucune conversation avec eux. Les corps étaient enterrés rapidement avec les habits sans rassemblements et dans le jardin attenant à la maison. Les nombreux traités de cette époque mettent tous en évidence la nécessité de l’isolement et la place primordiale de la contagion, mais un seul médecin évoqua le rôle possible des puces, des punaises et des poux.
Les portes de la ville étaient surveillées pour éviter l’abord des étrangers et des pauvres venant des lieux suspects.
Les Belvésois qui avaient une maison à la campagne s’y réfugièrent, comme les riches des villes, comme les héros du Décaméron de Boccace, mais la peste souvent les rattrapait. On suivait le précepte d’alors : Cito, longue, tarde (Pars vite, au loin et reviens tard)
Discipline et autorité
La seule façon d’enrayer la peste était de mettre en œuvre des mesures draconiennes, l’isolement en particulier. Cette lutte était du ressort de l’administration et les édiles ne fuyaient pas leur responsabilité et le bacille, comme l’a fait Montaigne, alors maire de Bordeaux. Le juge, le médecin, l’apothicaire, le consul et les hommes d’arme étaient sur la brèche ; ils connaissaient les dangers de la contagion, mais faisaient leur travail. Il est extraordinaire qu’aucun ne fut atteint : Géraud Palisse mourut en 1644 de sa belle mort ainsi que Sauret à 80 ans. Leur sens civique et leur dévouement étaient grands.
Sans cesse Sauret donnait des ordres, charge les hommes d’armes de les faire respecter pour tenter d’enrayer l’épidémie à Belvès et dans les villages autour. Il fait fermer et clouer les maisons, enferme les familles pendant quarante jours renouvelables avec interdiction d’avoir la moindre relation avec les voisins, et mise sous surveillance constante. On frémit en lisant la requête des malheureux enfermés pendant cinq mois, qui ont obéi aux ordres et n’ont pas essayé de s’échapper.
L’administration de la ville n’abandonne pas les malades à leur sort, elle leur procure de la nourriture. Les Lafaige ont le droit de se rendre à la fontaine de Font de Bragues. Les autres fontaines sont surveillées jour et nuit par Jehan Delmon. Sauret fait fermer et murer des portes ou une rue. S’il le faut, il oblige une femme d’aller vivre dans une cabane avec la fille Lafaige et quand toutes les deux sont mortes, il met à l’écart dans une autre cabane Jehan de Guirot, le mari, suspect, pensant s’en servir en cas de nécessité pour enterrer les morts. Mis à part le premier décès, les enterrements se font à la sauvette, sans tarder, dans le jardin et non à l’église, sans prêtre, sans rassemblements, « pour esvitter à plus grand accidant ». A juste raison, Sauret redoute la contagion.
Les consuls administrent les biens des morts. Cette discipline très dure était acceptée par les habitants ; mais que pouvaient-ils faire d’autre ? Le souvenir des épidémies précédentes les avait préparés à la résignation devant le fléau de Dieu.
PROCES-VERBAL FAICT SUR LA MALADIE CONTAGIEUSE EN VILLE
Par Jehan Sauret
Adaptation Michel Carcenac
21 avril 1628
Ce jour 21 avril 1628, j’assistais à l’office des ténèbres du Vendredi Saint au couvent des Frères prêcheurs quand Maître Géraud Palisse, juge de la ville de Belvès, vint m’annoncer qu’un fils de Michalou Lafaige, marchand, qui avait fréquenté au Bugou, lieu suspect de contagion, était mort, ou à l’extrémité. On avait envoyé quérir un prêtre. Il était urgent de s’enquérir de la vérité pour que personne ne fréquente la maison de Lafaige. Nous avons quitté la messe pour nous rendre devant la maison. Nous n’avons rien pu apprendre des voisins, sinon que le fils Lafaige était au plus mal.
En attendant que le médecin et l’apothicaire nous donnent des détails sur la maladie, nous avons interdit aux voisins et à tout le monde d’entrer et de sortir de la maison. Aussi, à ceux qui étaient dans la maison d’en partir. Pour l’exécution de notre ordonnance, nous avons commandé à Jehan Ugon notre sergent, de se tenir devant la porte du village pour empêcher d’entrer et sortir.
Nous sommes alors revenus sur la place publique. Là, on m’assura que le fils Lafaige était mort. J’ai alors fait quérir pour l’interroger monsieur Annet de Garrigou, docteur en médecine, qui avait soigné le fils Lafaige.
Vu l’importance de l’affaire, nous lui avons demandé s’il avait observé du venin ou des signes de contagion, ceci afin de prendre les meilleures décisions possibles. Monsieur Garrigou nous répondit qu’il était vrai que le fils Lafaige avait été secoué par une fièvre continue avec du venin. Pendant sa maladie il lui avait souvent demandé, ainsi qu’à ceux qui le servaient, s’il avait présenté des taches ou des enflures. Ils avaient dit que non, pourtant il lui était sorti une petite glande à la cuisse et à l’aine, Le sieur Garrigou s’était fâché et s’était retiré pour ordonner des remèdes et avant qu’il ait eu le temps de me prévenir le fils Lafaige mourut.
Nous avons demandé au sieur Garrigou s’il ne serait pas à propos de retarder jusqu’au lendemain matin pour enterrer le corps après l’avoir examiné pour voir si l’on y remarquait des taches ou des enflures, l’heure étant trop tardive. Il fut du même avis.
Nous avons interdit aux habitants de la maison d’envelopper le corps dans un linceul jusqu’au lendemain matin et de sortir de la dite maison.
Au même moment on nous dit que Pierre Vigier, boucher et beau-frère du mort, lui avait souvent rendu visite pendant sa maladie et qu’il allait tuer une bête le lendemain matin, veille de Pâques pour approvisionner les habitants. Nous avons défendu à Vigier de le faire, ni de se rendre à la boucherie jusqu’à nouvel ordre. Et, nous avons permis à Pierre Murat, son consort, de se rendre à la boucherie.
Dressé le présent procès-verbal dans la ville de Belvès les jours et ans susdits. Sauret consul.
22 avril 1628
Et le lendemain, vingt-deux Avril 1628, aux environs de six à sept heures du matin, en compagnie du sieur Garrigou, médecin, nous nous sommes rendus à la maison de Lafaige située au Barry des Turcals dans un petit jardin. Nous avons fait descendre ceux qui étaient dans la maison et qui avaient vu le corps. Le sieur Garrigou leur demanda s’ils n’avaient pas remarqué quelques taches ou enflures. Ils répondirent qu’ils avaient vu à l’aine une petite glande mobile sans inflammation. La nuit précédente, le corps avait rendu par le nez et la bouche du sang qui démontrait que c’était une pleurésie.
Ne pouvant en savoir davantage car il n’y avait en ville aucun chirurgien pour examiner le corps, nous avons été contraints de nous retirer et, suivant l’avis du sieur médecin, avons permis de faire ensevelir le corps pour éviter une plus grande corruption.
- La façade de la maison de Lafaige
4 mai 1628
On vint nous dire que la femme de Michalou Lafaige était décédée après être restée malade 12 à 15 jours. Plusieurs habitants nous ont assuré qu’elle avait été traitée et médicamenté tous les jours par le sieur médecin et Jehan Delpech apothicaire, lesquels ne m’avaient rien dénoncé de la dite maladie. Ils l’auraient fait s’ils avaient reconnu le danger et nous nous serions renseignés davantage sur cette maladie.
7 mai 1628
Nous, Héliès de Malaurie, avocat au parlement et Jehan Sauret consul, étant sur la place, plusieurs personnes nous ont déclaré que Michalou Lafaige était gravement malade et frappé à un bras de la peste. Ceci nous incita, avec le sieur Garrigou médecin et plusieurs autres habitants, à nous rendre devant la maison Lafaige. Michalou se mit à la fenêtre avec le bras en écharpe et son bonnet de nuit. Lui ayant demandé ce qu’il avait au bras, il nous répondit que c’était une enflure et qu’un étranger se disant opérateur, la lui avait découpée et scarifiée avec un rasoir et par-dessus mis un emplâtre. De la fenêtre, après avoir défait le pansement de son bras il le montra au médecin. De plus, il dit avoir sur un genou une petite tache comme une brûlure, de la taille d’un sou et très douloureuse. Il avait de grands maux de tête et vomissait. Son petit fils était au lit, malade.
Le médecin l’a longuement interrogé sur sa maladie et ensuite nous lui avons dit de rentrer avec défense absolue de sortir, lui et les autres de sa maisonnée. Nous avons interdit aux voisins d’entrer dans la maison jusqu’à nouvel ordre.
Ceci fait, nous sommes allés à la boutique de Jehan Delpech, maître apothicaire, pour y faire préparer des remèdes et des emplâtres pour Lafaige et des préservatifs pour ceux de sa maison, suivant l’ordonnance du médecin. Ces préparations lui ont été apportées sur le soir.
8 mai 1628
Le lendemain 8 mai, on nous avertit que le petit fils de Michalou Lafaige était mort et que son grand-père demandait la permission de l’ensevelir. Nous lui avons ordonné de le faire mettre en terre dans le jardin attenant à la maison, pour éviter une plus grande contagion. Ce qui a été exécuté par ceux qui restaient dans la maison.
Lafaige demanda la permission de déménager dans une autre maison qu’il possédait sous la ville, à l’écart pour changer d’air ce qui pensait-il, le soulagerait. Nous lui avons permit avec l’accord du médecin.
Après son départ nous avons fait fermer et clouer la porte de la maison et murer les bouts d’une petite rue où se trouve l’entrée de la boutique, pour empêcher d’entrer et de sortir.
Dans la maison il restait deux filles de Lafaige et quelques domestiques.
Nous avons interrogé les voisins car ils avaient fréquenté Lafaige avant qu’il fut frappé. C’étaient Mondissou du Barris, Guillem son fils et Pierre Vigier, gendre de Lafaige. Nous leur avons interdit de sortir de leurs maisons, eux et leur famille pendant quarante jours, et de ne fréquenter personne. Vigier qui avait une maison aux champs aurait aimé s’y retirer avec sa famille. Il le fit quelques jours après avec sa famille.
- La rue des Piles est la petite rue qui a été muraillée, la porte d’entrée du magasin se voit encore sur la façade, ayant été transformée en fenêtre.
10 mai 1628
Le mercredi 10 mai Lafaige étant décédé dans sa maison de Montcuq, suivant nos commandements il a été enseveli dans le jardin joignant cette maison avec ses habits et linges. Arnaud Lafaige son fils nous l’ont assuré ainsi que Mingepertres et Roche compagnon chirurgien qui avait pansé le mort. Répondant à notre demande d’examen du feu Lafaige, Roche nous a répondu que outre le mal qu’il avait au bras, il lui été sorti sous l’aisselle une enflure et que peu après il décéda.
En notre présence et celle de plusieurs habitants, nous avons fait brûler des parfums dans la dite maison. J’ai fait fermer et murailler la porte du côté de la rue et interdit de sortir. Pour qu’ils ne manquent pas d’eau, tant pour leur nourriture que pour leur lessive, je leur ai octroyé comme fontaine celle de Font de Brague, à l’écart du passage et des fréquentations de personnes. Pour éviter que les infectés ou ceux qui le deviendront ne se rendent aux deux autres fontaines de la ville, j’y ai mis pour les garder Jehan Delmon dit Patau qui a dressé une cabane pour y demeurer jour et nuit sans en partir.
19 mai 1628
On nous a rapporté que dans la maison de Jehan Chaberneyrie, forgeron près de l’hôpital, une jeune fille était morte. Nous y sommes allés avec le médecin et Jehan Delpech apothicaire, pour voir le corps et l’examiner.
Le corps a été descendu dans la rue enveloppé dans un linceul. Le médecin et l’apothicaire n’y ont trouvé aucun mal suspect. Plusieurs voisins nous ont attestés que la morte avait langui longtemps et que toute sa vie elle avait été maladive. Nous avons permis de l’ensevelir au cimetière de Moncuq sans assemblée.
Mais vu ce qu’il se passait et pour prévenir les accidents qui pourraient arriver parmi ceux qui fréquentaient Chaberneyrie, nous avons interdit, à lui et à ceux de sa maison, de sortir de quelques jours et de ne fréquenter personne, ce qu’ils ont fait. Quelques jours plus tard Chaberneyrie est tombé malade et décéda en ayant été pendant sa maladie examiné en notre présence par le sieur médecin sans qu’il ait trouvé aucun mal suspect. Il a été enseveli au cimetière de Moncuq sans autres personnes que ceux qui le portaient, étant donné tous ceux qui avaient eu la maladie contagieuse dans la maison de Lafaige. Arnaud Lafaige et Minzepertres sont morts et ont été ensevelis dans le jardin. Ne serait resté vivant qu’une fille Lafaige et les domestiques. Pour préserver de l’infection cette fille, seule survivante de la famille, elle a été mise dans une cabane dressée dans une pièce de terre de feu Lafaige près du cimetière de Moncuq avec une femme pour l’assister. Au préalable, on les vêtit d’habits neufs et on leur donna des préservatifs. Mais quelques jours plus tard, la dite Lafaige y est morte et a été enterrée au cimetière jouxtant la terre de Lafaige. La femme qui la servait décéda quelques jours plus tard ; elle a été enterrée dans le jardin de Lafaige par Jehan de Guirot son mari.
Celui-ci, autant pour avoir eu sa femme malade que pour avoir fréquenté d’autres lieux suspects et aussi pour s’en servir si nécessaire pour l’enterrement des morts, nous lui avons fait dresser une cabane dans la pièce de terre où était enterrée sa femme. Avec interdiction d’en bouger jusqu’à ce qu’il en soit ordonné autrement. Aux fins de la nourriture, outre les dons particuliers que les habitants pourraient lui faire, nous lui avons attribué deux sols par jour de pain et vin à prendre sur le revenu de l’hôpital et six liards de l’héritage du feu Lafaige, le tout pour provision.
Aussi, pendant la maladie, on nous a rapporté que Pierre Vigier, gendre de feu Lafaige s’était retiré dans sa maison sous la ville avec notre permission. Nous avons donné l’ordre aux syndics de fermer et clouer sa maison, ce qui a été exécuté.
De même à cette époque, plusieurs habitants du village de Floirat, de la paroisse de Monplaisant qui dépend de notre consulat, étaient tombés malades et étaient décédés de la peste.
Nous nous y sommes acheminés plusieurs fois pour leur donner les ordres nécessaires et l’assistance qu’il nous serait possible. Nous avons défendu aux habitants du village de fréquenter personne ni de s’éloigner de chez eux. Et à tous leurs voisins d’avoir aucune conversation avec eux. Et de fréquenter la ville de Belvès, ce qui leur a été signifié par Hugon notre sergent. Pour s’assurer de la bonne exécution des avis de la Jurade, nous avons ordonné qu’un garde soit posté à toutes les portes et avenues de la ville pour empêcher l’entrée des étrangers et des pauvres venant des lieux suspects.
Nous avons ordonné à tous les habitants de nous prévenir des maladies qui arriveraient dans la ville pour que nous puissions donner les ordres nécessaires lesquels seraient publiés et affichés au poteau de la place publique par Jacques Montet notre greffier.
9 août 1628
Sur quoi, faisant droit à une requête de Pierre Vigier et de Marguerite Lafaige son conjoint, nous nous sommes renseignés sur le dernier décès dans la maison de Lafaige et après l’avis d’Annet Garrigou docteur en médecine, nous avons permis aux suppliants de sortir de la maison pour éviter une plus grande infection de leur personne et de s’installer dans la cabane que Vigier avait fait préparer dans la pièce de terre appartenant à feu Lafaige. Nous leur avons ordonné de n’en partir de quarante jours ni de fréquenter personne. Défense aussi à tous les habitants et voisins de les aborder sous peine d’être repoussés et tenus pour infectés et enfermés dans leur maison.
Et aussi nous avons enjoint à Vigier de faire préparer des fiches pour fermer et assurer les portes et fenêtres de la maison afin qu’elle ne puisse être volée et pillée. Et de nous avertir de l’heure à laquelle les requérants voudront sortir.
Fait à Belvès par devant nous consul soussigné le 9 août 1628.
Et le même jour vers 8 heures du matin dans notre maison, par devant nous consul a comparu Vigier qui nous a dit avoir fait faire les fiches de fer, pour fermer les portes et fenêtres de la maison de feu Lafaige. Il était sur le point de les faire poser après avoir fait sortir ceux qui étaient encore dans la maison et il venait nous demander de l’accompagner pour juger de la fermeture. Nous l’avons suivi immédiatement avec Pierre Palisse et Géraud Boisson, syndics, maître Guillem Laville notaire royal et plusieurs autres habitants de la ville.
Nous nous sommes rendus devant la maison Lafaige et nous avons conseillé à ceux qui étaient dedans de sortir par derrière et par devant après avoir mis en ordre la maison. Ils ont dit l’avoir fait grâce aux fiches et clous qu’on leur a donnés et à de grosses pièces de bois qui étaient derrière.
Tout était bien fermé excepté une fenêtre du côté de la rue par où ils sont sortis en notre présence après l’avoir clouée par en dessous. Ils sont descendus dans la rue par une échelle à bras. Nous leur avons ordonné de se retirer dans leurs cabanes et de ne pas enfreindre nos ordonnances précédentes. Nous leur avons permis de garder un peyrol, un chaudron de cuivre, un bassin d’airain, quatre écuelles, un plat et une assiette d’étain. Les sieurs Molenier Lafaige et Cousset m’ont dit les avoir sortis de la maison pour s’en servir le temps qu’ils demeureraient dans les cabanes. Ils nous ont dit qu’ils nous les feraient voir et en rendraient compte quand on le leur demanderait. Ils ont déclaré sous serment n’avoir rien pris ni emporté d’autre de la maison.
Et les sieurs Molenier Lafaige et Cousset me l’ayant réclamé, j’ai enjoint à Vigier et Lafaige conjoint de les fournir en vivres sur le compte de l’héritage de feu Lafaige pendant le temps qu’ils demeureront ici et jusqu’à ce que il en soit autrement ordonné. De même, il leur appartient de tenir la maison en bonne et sure garde.
De tout ci-dessus j’ai dressé le présent procès-verbal à Belvès les ans et jours ci-dessus. Sauret consul
REQUESTE DES ENFERMES
Voici le texte reçu par Sauret, à la requête de personnes en quarantaine depuis cinq mois et attesté par lui, notaire, à la fin de la dernière ligne.
Sur la requête faite par Marguerite Moleine veuve de feu Jehan Cosset, Jeanne Lafaige veuve de feu Estienne Cosset, Jeandou Sep et François Cosset.
Leur représentant, dans la personne de J. Garrigue.
Celui-ci dit qu’il y a environ cinq mois, il est venu dans la maison de feu Michel Lafaige marchand, frère de Jeanne Lafaige et que cette maison était infestée par la peste. De cette maladie étaient morts Lafaige Suzanne Moleine, sa femme sœur de Marguerite, trois fils et deux filles de Lafaige et Suzanne.
Dans cette maison les requérants ont été enfermés avec Estienne Cosset, mari de Jeanne Lafaige et la femme de Jean Guirot sur l’ordre de messieurs les consuls de Belvès. Et depuis ce jour Cosset est décédé dans la maison et aussi la femme de Jean Guirot.
Depuis, les requérant sont toujours restés enfermés sans oser sortir et enfreindre les interdictions qui leur étaient imposées,
Et que, par la grâce de Dieu étant à deux mois et plus de la mort de la femme Guirot, la dernière à décéder dans la maison.
Et que depuis ils ont été plusieurs fois parfumés tellement qu’à présent il ne peut y avoir chez eux aucun soupçon de maladie.
En conséquence ils désirent sortir de la maison pour se retirer en quelque lieu pour se faire parfumer encore plus amplement et changer d’habits. Également se faire désinfecter complètement au cas où quelques germes d’infection leur resteraient.
Pour ne pas enfreindre la défense qui leur avait été faites de sortir sans la permission, ils ne sont pas partis sans y être autorisés.
La maladie à coronavirus que nous subissons actuellement présente bien des similitudes avec la Peste à Belvès en 1628. Les malades et leurs proches étaient mis en quarantaine absolue pendant des mois parfois, on essayait divers traitements, les médecins, apothicaires et consuls faisaient leur devoir, les étrangers ne pouvaient entrer, les cadavres s’entassaient et ils étaient enterrés où l’on pouvait. Les ordres donnés par les autorités étaient exécutés sans protester.
Lors de cette enquête il fut très utile que les vieux noms de rue aient été souvent conservés, sans parler du nom des villes !