Que d’élégance, que de légèreté dans cette passerelle suspendue sur la Dordogne ! Au bord de la plage, protégé par le roc, un jardin recouvert d’une tonnelle. Devant le château, un homme semble intrigué par le photographe, on n’en voit pas beaucoup à l’époque. Antoine est peut-être venu prendre un cliché de l’endroit où sa mère est née, Au Port, des maisons perdues dans le feuillage, au-dessus du jardin.
En lançant en travers de la rivière cette armature aérienne, les disciples d’Eiffel n’avaient pas songé aux bœufs, oui, aux bovins qui refusaient de passer la passerelle, suspendue de surcroît. Apercevoir de leurs gros yeux les eaux de le Dordogne leur donnait la chair de poule.
Les transports automobiles devenant plus pesants et plus encombrants, on décida de construire un vrai pont, suspendu lui aussi, mais plus large et plus moderne. C’est alors que les agriculteurs de Groléjac, instruits par l’expérience de la passerelle, exigèrent que le parapet fut très haut, de sorte que les bœufs et les vaches, et surtout les ânes, ne puissent voir le vide et au fond du vide les eaux souvent tumultueuses de la Dordogne !
Les ingénieurs des Ponts et Chaussées admirent démocratiquement que les animaux avaient le droit de manifester leur préférence. Les travaux débutèrent le 1er avril 1930, l’inauguration eut lieu le 14 juin 1933, sans défilé de chars... à bœufs.
La mise en circulation fut effective le 18 octobre 1933, mais pendant les travaux on avait installé une passerelle provisoire. Respectueux des ruminants, et en vue de leur éviter l’angoisse de la traversée au-dessus du vide, les ingénieurs conçurent des rambardes épaisses et hautes, en béton comme le reste de l’ouvrage. Même les automobilistes ne voient plus la rivière.
De nos jours, il n’y a plus de bœufs pour emprunter cet " ouvrage d’art " horriblement laid.
Découvrir Le Périgord d’Antoine Carcenac : (photographies 1899 - 1920).