Elles avaient deux têtes, quatre bras, quatre jambes, s’entr’accolant par les bras : le tout bien formé en ses parties, avec poil et ongles. Chacune avait sa nature et son siège ouverts. Elles étaient conjointes depuis le milieu de la poitrine jusques au nombril, et vinrent au monde avant terme, au huitième mois.
La mère eut grand travail à son accouchement,les pieds étant sortis les premiers, contre nature.
Toutes deux n’avaient qu’un arrièrefaix commun [3], lequel enveloppait les deux têtes et les quatre jambes, sans les séparer. Celle qui était du côté gauche se présenta la première avec mouvement, indice de vie ; l’autre morte, pource qu’elle avait peu de chaleur naturelle, n’ayant qu’une artère ombilicale ; l’autre, qui a eu un peu de vie, en avait deux.
A la dissection des parties intérieures, qui fut faite aux écoles de médecine, à Paris, il ne s’est trouvé qu’un foie, un cœur, deux estomacs, et tout le reste des parties naturelles séparé par une membrane mitoyenne. Le foie était fort grand, assis au milieu, par-dessus uni et continu par-dessous, divisé en quatre lobes, dans lesquels se rendaient deux veines ombilicales. Le cœur, pareillement, était fort grand, assis au milieu de la poitrine, ayant quatre oreilles, et quatre ventricules et huit vaisseaux, quatre veines et quatre artères, comme si nature eût voulu faire deux cœurs ; et, encore qu’il y eût deux ventres inférieurs, il n’y avait néanmoins qu’une poitrine, séparée d’avec les ventres inférieurs par un seul diaphragme.
Note : Comment Pierre de l’Estoile a eu connaissance du fait rapporté ? Sa description de la dissection est très précise et très détaillée. Quelle est sa source ? Peut-être un journal local ou alors un informateur à l’école de médecine... A moins que notre chroniqueur n’ai été le témoin de l’opération chirurgicale. En effet, depuis la fin du XVIe siècle, les dissections sont effectuées devant un public d’étudiants et de curieux. Pierre de l’Estoile était peut-être du nombre !