Un enfant ondoyé à la maison jumeau avec une tête
Le vingt quatrieme jour de juillet mil sept cent quatre vingt six est né un enfant du legitime mariage de René Laire et Perrinne Sonnet son epouse, mariés en cette église il y a environ quatorze ans demeurant au village des Gourfaux ondoyé à la maison par M[aî]tre Jean Baptiste Berthé maître chirurgien demeurant à Oisseau, au terme de sept mois ; jumeau, enfant double, ayant deux corps bien distincts, se tenant intimement unis à partir depuis l’implantation du cordon par la partie antérieure de leur poitrine, ayant leur col confondu absolument ensemble et ayant chacun leurs vertebres cervicales et se terminant par une tête seule, dont la figure est située sur le côté, c’est à dire sur l’épaule de l’un et sur celle de l’autre, la figure très bien formée excepté la levre inferieure adherente avec le bout de la langue qui contraint la levre inférieure de rentrer dans la bouche ; portant six dents très bien distinctes et compactes autant que l’âge peut le permettre ; tout le front jusques aux sourcils recouvert de poil extremement long, la fontanelle supérieure de la tête de la structure ordinaire, la fontanelle postérieure un peu plus elevée à raison de la grandeur de l’os occipital qui est beaucoup plus large et extremement plat aux deux angles superieurs de l’os occipital se trouvent deux grosseurs qui paroissent être le derrière de chaque tête, et à l’extrémité inferieure de l’os occipital, il y a deux petites appendices charnues qui paroissent être la reunion de deux oreilles, le sujet au surplus ayant chacun deux bras chacun deux jambes et deux cuisses on ne peut mieux conformés toutes les extremités tant superieures qu’inferieures sont absolument egales tant en longueur qu’en grosseur n’ayant qu’un même ombilic ; ainsi que chacun leur bassin qui se trouve pour lors divisé et ayant chacun leur sexe féminin bien distinct et les extremités inferieures on ne peut mieux conformées. A été inhumé dans le cimetière de ce lieu par nous vicaire soussigné en présence de maître Jean Garnier curé, de maître Julien Benoist Le Chat vicaire, de Julien Durand cordonier, de Pierre Nourry, de François Guiard, de Pierre Seigneur, et du pere qui tous ont signé avec nous excepté le père.
Julien Durand, Pierre Seigneur, P. Noury, F. Guiard, J. Garnier curé de Saint Mars, J.B. Le Chat vic[aire], B. Berthe, Benoist vic[aire]
Saint-Mars-sur-Colmont, registre BMS 1777-1787 (mairie), vue 150/156.
Notes : Le curé n’a pas été avare de détails. Nous pouvons plaindre la pauvre mère, l’accouchement a dû être très douloureux, et il n’est point cité de césarienne ! Ce couple était marié depuis 14 ans, cet enfant avait dû être très attendu. Quel désespoir pour eux. Nous ne leur avons pas trouvé d’autre enfant sur le registre.
Nos anciens qualifiaient de "monstreuses" ou "d’étrangetés" les naissances d’enfants qui présentaient des malformations physiques. Les cas n’étaient pas rares et l’on en trouve de nombreux exemples dans les témoignages des contemporains ou dans les registres paroissiaux. Si les parents, honteux ou apeurés, on les comprend, préféraient assurer une certaine discrétion à ces naissances insolites, il arrivait souvent que le "monstre" fût exposé publiquement à la curiosité des badauds ou des fidèles venus prier pour le salut de "l’estrange créature". Certains témoignages nous révèlent aussi que quelques parents, peu scrupuleux ou trop miséreux, trouvaient leur compte dans l’exposition du fœtus monstrueux : celle-ci devenait alors une source d’un profit inattendu. Parfois, saisissant l’opportunité, et au nom de la médecine ou de la curiosité, le praticien local revendiquait le petit corps afin de procéder à une autopsie... où pour l’ajouter à la collection anatomique d’un cabinet de curiosités.
L’ondoiement est un baptême administré en urgence lorsqu’un nouveau-né risque de mourir avant d’avoir été porté à l’église. Ce "petit baptême" peut être donné par toute personne, clerc ou laïc, en versant de l’eau sur la tête de l’enfant et en prononçant la formule consacrée. Si l’enfant survit, il sera ensuite porté à l’église pour compléter la cérémonie.
Cet ouvrage, étude inédite, se propose de vous faire découvrir quelques-unes de ces mentions insolites et de vous en montrer la richesse historique et généalogique. Il répond à bien des questions au sujet de ces textes insolites qui parsèment les registres paroissiaux : Pourquoi certains curés notent des mentions insolites ? Que nous apprennent-elles sur la vie quotidienne de nos ancêtres ? Comment repérer, déchiffrer, transcrire et commenter ces témoignages du passé ? Comment les utiliser pour compléter notre généalogie et l’histoire de notre famille ou de notre village ?
Il s’agit du premier numéro de Théma, la nouvelle collection d’histoire et de généalogie.