Cette porcelaine était ensuite mise en vente à des négociants dans l’hôtel des ventes de la Compagnie : l’hôtel Gabriel, et, dans l’esprit des acheteurs, la ville de Lorient était le port de transit de la porcelaine de Chine.
Mais, après la fin de la dernière Compagnie des Indes, la Compagnie de Calonne, la ville de Lorient a eu aussi sa manufacture de porcelaines et des pièces de bonne qualité, à la fois pour le matériau et pour leur décoration, sont sorties de cet établissement qui a eu toutefois une vie éphémère, de 1790 à 1808.
La région de Lorient était propice à l’installation d’une fabrique de porcelaines car, en effet, dans les environs très proches, au Kernével et dans un lieu situé dans le voisinage de l’aqueduc de la Compagnie des Indes : " le chemin des fontaines ", il existait dans le sous-sol les matières premières nécessaires à la fabrication de la porcelaine.
Le lieu d’implantation
La manufacture de porcelaines de Lorient était implantée dans le lieu dit " Bois du Faouëdic ", puis " Bois du Blanc " et dénommé au milieu du XIX° siècle " Blanc ". Ce lieu se situe, actuellement, à l’extrémité de la passerelle de chemin de fer, côté Lorient où se trouvaient, au XVIII° siècle, les bâtiments de la Compagnie de l’Isle et Costes de Saint-Domingue repris par le sieur Arnous pour y implanter son chantier de construction navale. L’édifice servant d’atelier et de magasin à la manufacture, était implanté à la pointe nord du Blanc. Le bâtiment s’étendait, sur une longueur d’environ vingt mètres, parallèlement à la rivière, Le Scorff. Les fours à porcelaines étaient construits en face du magasin contre le mûr d’entourage d’un jardin.
Les propriétaires et les directeurs
Le créateur de la manufacture fut un dénommé Chaurey dont l’origine est inconnue. Il arriva à Lorient en avril 1790 et monta la manufacture vers cette date. Dès octobre 1791, Chaurey avait déjà de graves difficultés financières. Il manquait d’argent pour payer ses ouvriers et en contre partie de leur travail, il leur assurait la nourriture et le logement en prenant des accords avec des aubergistes payés par des obligations. Pour éviter la fermeture de son entreprise, Chaurey obtint un prêt de 1 500 livres du Directoire du département. Cette somme assez faible ne permettait pas de redresser la société mais tout au plus d’attendre le retour des navires envoyés en Amérique. Début 1793, Chaurey fut assigné devant le tribunal par le sieur Danier, menuisier, et le sieur Druay, couvreur, en paiement de billets signés pour régler des travaux réalisés par ceux-ci dans son atelier du Blanc. Mais, Chaurey avait déjà quitté la ville.
Malgré la situation désastreuse de l’entreprise et le mauvais climat social qui régnait à cette époque dans le pays, Chaurey eut un successeur. Ce dernier fut l’un de ses ouvriers, François Sauvageau, natif de la paroisse de Saint-Lambert de Vaugirard-lès-Paris, tourneur en porcelaines. Celui-ci se maria à Lorient, à l’âge de trente-trois ans, avec Marie Fouquet et sur son acte de mariage, en date du 5 mars 1793, il est désigné comme " Directeur de la Manufacture de porcelaines de Kerentrech ". Pour assurer le devenir de la société, Sauvageau diversifia sa production et c’est ainsi qu’il se mit à fabriquer de la chaux et des briques pour l’arsenal de Lorient. Sauvageau mourut à Lorient, le vingt-cinq pluviôse an XIII, à l’âge de quarante-cinq ans.
Il laissa derrière lui une veuve avec un jeune garçon. Marie Fouquet, sa femme, dès la mort de son mari, voulut vendre la manufacture tout en assurant la poursuite du travail dans les ateliers.
Ce ne fut que plusieurs mois après le décès de Sauvageau qu’un acquéreur se présenta, un jeune rentier de Lorient, nommé Lazarre-Marie Hervé. Hervé était marié avec une fille du négociant Julien-Louis de Monistrol.
Celle-ci était co-propriétaire du Blanc avec ses frères et sœurs. Avant de signer l’acte de vente de la manufacture, Hervé établit des arrangements avec ses beaux-frères et belles-sœurs sur la propriété du Blanc et dans le contrat rédigé devant notaire, la manufacture y est décrite en ces termes : " 1° Que de la succession bénéficiaire dudit feu sieur Sauvageau il dépend un établissement ou manufacture de porcelaines formée au quartier nommé le Bois du Blanc, succursale dudit lieu de Kerentrech, en la commune de Lorient, ainsi que tout ce qui se trouve en dehors et en dedans, savoir : porcelaine achevée, porcelaine ébauchée, en pâte et couverte, le four, l’entourage, la couverture, la maison à côté du four, celle qui est dans le jardin, les meules, tours, cazettes, rondeaux, bois [...] ". L’acte de vente est établi en date du 7 nivôse an XIV. Le nouveau directeur âgé de vingt-deux ans n’avait aucune connaissance sur la tenue d’un établissement industriel et sur le travail de la porcelaine. Ce manque d’expérience fut à l’origine de la perte de sa fortune et de la manufacture, cela en moins de deux ans.
L’établissement fut fermé en 1808. Hervé quitta Lorient et alla se fixer à l’île Maurice. De retour à Lorient, après seize années d’absence, Hervé ne retrouva rien de l’établissement où il s’était ruiné.
Les employés
Le créateur, Chaurey fit venir des quatre coins de la France des ouvriers porcelainiers tels qu’ébaucheurs, mouleurs, tourneurs, trempeurs, décorateurs et brunisseurs, etc. Certains provenaient de Paris, d’autres, de Nantes, de Strasbourg, de Limoges et de Mayence.
C’est ainsi que les frères Jacques et François Sauvageau vinrent pour le premier de Vaugirard à côté de Paris et le deuxième de Nantes ; le dénommé Joseph Petit arriva de Strasbourg tandis qu’Hanroux provenait de Limoges et Questscher de Mayence. D’autres ouvriers, dont la provenance nous est inconnue, travaillèrent dans l’établissement tels que Guenet, Semer, Nicolet et Poillo. Les deux derniers appartenaient encore à la manufacture, à la veille de sa fermeture, en 1807. A cette époque, la manufacture employait de trente à quarante ouvriers.
Sous la direction de Sauvageau, dans l’annuaire morbihannais de l’an XII, il est précisé : " Comme cette manufacture fournit bien plus à l’étranger et pour les colonies que pour la consommation intérieure du pays, il n’est pas étonnant qu’en temps de paix elle ait plus d’activité qu’en temps de guerre ; aussi en temps de paix elle occupe quarante deux ouvriers, tant peintres que figuristes et tandis qu’en temps de guerre elle ne peut en occuper que douze, du nombre desquels sont des artistes d’un très grand mérite. " Cet extrait nous indique donc que la manufacture employait de 12 à 42 personnes.
A l’époque d’Hervé, le personnel était moins nombreux et se composait d’une douzaine de personnes : deux tourneurs, un mouleur, un émailleur, un brunisseur, un doreur, un peintre et quatre ou cinq hommes de peine.
La production
Les porcelaines fabriquées au Blanc étaient en général des porcelaines dites d’office : assiettes, plats, bols, accessoires de table, services à thé et à café. Mais, il est sorti aussi des ateliers des œuvres d’art et d’ornement. C’est ainsi que nous trouvons la description de deux vases produits dans la manufacture lorientaise ayant appartenu à Henry du Faouëdic : " Leur forme est Médicis, ils ont une hauteur de 26 centimètres, leur sujet est une grisaille, camaïeu sur fond jaune d’antimoine, posé au pinceau avec décors d’or bruni ; la bride or bruni, chêne-tresse sur la gorge entre-fillets or bruni, chaque anse formée d’un anneau. Sur la panse de l’un de ces vases, le peintre Huyon a reproduit la fondation de Lorient ; un petit génie présente à Pallas, qui le couronne, le plan de la ville ; la déesse satisfaite est assise, le coude appuyé sur un globe terrestre, où un autre génie marque avec le compas le point où doit s’élever Lorient. De petits demi-dieux enfantins mesurent les matériaux et taillent les pierres, autour d’eux, les attributs de l’architecture et des beaux-arts. Dans le fond, un dieu marin troublé dans sa retraite exprime l’onde ruisselante de sa chevelure. Sur l’autre vase, formant le pendant, le peintre a célébré la prospérité de Lorient. La ville personnifiée est sur un gouvernail, à ses pieds est couché Mercure, dieu du Commerce, tenant à la main le caducée de la paix. D’un côté, un petit génie confectionne des ballots de l’autre côté, le génie du Scorff épanche paisiblement ses eaux, dans le fond, un navire à la voile étendue.
Au-dessus de ce sujet, au-dessous de la panse du vase est le culot guirlandé de feuille de laurier, entre deux doubles files d’or bruni. Le pied est jaune uni avec deux cordons noirs, au champignon et à la baguette ; ce pied est posé sur une base porcelaine, marbre grisaille ".
A cette époque, la porcelaine était un produit de luxe et celle en provenance de Chine avait une excellente réputation. Le marché, pour la manufacture lorientaise, était donc assez étroit et son premier directeur avait pour ambition les Etats-Unis d’Amérique et les colonies françaises.
Des peintres de qualité ont travaillé dans cette manufacture. Deux noms sont arrivés jusqu’à nous, Huyon, membre de l’académie de peinture et Raynal dont la spécialité était les portraits. Une jeune ouvrière brunisseuse, Mlle Martin, fut remarquée par Raynal pour ses dispositions au dessin et il lui donna quelques leçons. Elle peignit, notamment, de jolis semés de bleuets, au feuillage vert tendre qui décorent un grand nombre de porcelaines lorientaises.
Les marques de fabrique pour reconnaître les porcelaines lorientaises sont les suivantes :
- P.L. en bleu (ce qui signifie : Porcelaine Lorientaise),
- La première lettre du nom de l’ouvrier porcelainier : L. pour Landry, N. pour Nicollet, G. pour Guenet, P. pour Poillo, J. pour Jubin, S. pour Semer et certaines avec la lettre T. dont le nom de l’ouvrier nous est inconnu,
- Le nom de l’acquéreur écrit en couleur brune et en particulier celui d’Halley (nom d’une famille lorientaise).
Sources :
1. Jégou (François) - La manufacture de porcelaines de Lorient (1790 -1808) - Typographie de Victor Auger - Lorient - 1865.
2. Archives municipales de Lorient - Fonds Gaigneux - 4 Z 9 - dossier 107.