Au sommet des Bois-Noirs, les ruines d’Urfé présentent un aspect inquiétant au crépuscule. Le visiteur invité à reconnaître la trace sanglante que la main du sire d’Urfé a laissée sur le mur de sa chambre ne peut s’empêcher d’avoir un frisson.
On dit que le seigneur de ce lieu fut surpris par des voleurs en pleine nuit dans la chambre de son donjon où il dormait avec toute sa famille. Se saisissant de son épée, il voulut défendre les siens, mais ses agresseurs réussirent à lui porter des coups mortels. On imagine que sa main ensanglantée s’agrippa au mur de pierre alors qu’il glissait dans la mort. Cette empreinte macabre semble toujours visible. Elle devient même plus vive et plus rouge chaque fois que l’on essaye de la faire disparaître.
Véritable drame ou légende ? Il existe bien un manuscrit du XVIe siècle qui donne tous les détails de cette affaire. Selon ce récit assez précis, ce crime aurait eu lieu en 1418. La main est celle de Jean d’Urfé, fils d’Arnulphe qui avait épousé dix ans plus tôt Éléonore de Lavieu. L’histoire ne dit pas clairement ce qu’il advint de cette dernière, mais il est très probable qu’elle fut assassinée comme son mari. Dans la chambre du crime, il y avait également un petit Antoine qui dormait dans son berceau. La légende rapporte que les voleurs hésitèrent à le tuer sachant qu’ils ne seraient pas reconnus. Ils firent un pari et lui tendirent une pomme et une pièce d’or. L’enfant choisit la pomme et ils en déduisirent qu’ils n’auraient pas à craindre sa vengeance. L’enfant fut sauvé et consacra sa vie au service divin à La Chaise-Dieu.
Mais c’était sans compter avec le sire d’Albon, seigneur de Saint-Forgeux et parent de Jean d’Urfé. Ce dernier était de passage en Roannais quand cette affaire eut lieu. Il entreprit de retrouver les voleurs et diligenta une enquête qui fut menée rondement. Elle fit apparaître que la somme dérobée était considérable puisque Jean d’Urfé avait réuni assez de pièces d’or pour racheter la seigneurie de Crémeaux. Les voleurs étaient donc bien renseignés et ils avaient su déjouer les défenses de l’antique château d’Urfé pour commettre leur forfait. Naturellement les enquêteurs s’intéressèrent aux familiers de ce lieu. C’est ainsi que les serviteurs de Jean et Éléonore furent retrouvés et avouèrent leur crime odieux. La Justice du bailli du Forez fut d’autant plus impitoyable qu’à cette misérable période les actes de brigandage ainsi que les jacqueries se multipliaient dans le royaume de France. Les criminels furent donc condamnés à mourir du terrible supplice de la roue. Le bourreau du Forez vint à Saint-Marcel-d’Urfé et la sentence fut exécutée en présence de la population réunie. Les bois d’Urfé résonnèrent longtemps des cris des suppliciés, dit-on.
Renaud des Gayets est l’auteur de l’ouvrage Le Forez et la guerre de Cent Ans,