Nous allons suivre maintenant au jour le jour, ce mouvement de révolte des ouvriers carriers de Méry sur Oise. Au départ, il concernait toutes les carrières qui exploitaient les gisements de pierre et de gypse sous la forêt de Montmorency : Taverny, Bessancourt, Frépillon, Méry, Mériel, Villiers-Adam et Parmain.
Le 12 mars 1910 : Envoi d’un préavis de grève
Le samedi 12 mars, les carriers par la voie de leur syndicat national déposent leurs revendications dans les mains des patrons. À tous, ils envoient un courrier précisant leurs revendications et font saisir un juge de paix, qui sera témoin de la négociation, comme l’oblige la réglementation du travail de l’époque. En même temps, ils décident à l’unanimité que si les patrons ne fixent pas avant le 19 mars une date pour entrer en pourparlers avec la délégation ouvrière, aucun ouvrier ne rentrerait sur les chantiers des carrières le lundi 21 mars.
Du 12 au 21 mars 1910 : Une réponse par voie d’affichage public
Les patrons pour toute réponse firent coller sur les murs de Méry et des communes environnantes des affiches sur lesquelles ils déclarent qu’ils ne veulent discuter qu’avec leur personnel. Ils refusent de reconnaître comme interlocuteurs, les représentants du Syndicat national des ouvriers carriers et tailleurs de pierre. Ils envoient le texte de leur refus au siège du Syndicat Ouvrier.
Le 22 mars 1910 : Il est à craindre que les 800 carriers du bassin ne suivent
Dans leurs journaux quotidiens, les Français peuvent lire le mardi 22 mars : « Une nouvelle grève vient d’éclater en Seine et Oise, dans la région de Pontoise où 350 ouvriers carriers ont abandonné le travail, hier matin, à Bessancourt, Méry sur Oise, Parmain et Villiers-Adam. Ils étaient depuis trois semaines vivement sollicités de se joindre aux mouvements de grève de la région…. Les terrassiers travaillant au doublement de la voie ferrée, sur l’Ouest-État, entre Pontoise et Gisors, ont eux-mêmes abandonné leur tâche ».
En effet, le lundi 21 mars, comme ils l’avaient annoncé, les ouvriers carriers viennent de cesser le travail. Ils déclarent qu’ils ne le reprendront que lorsque les patrons consentiront à discuter avec leur organisation syndicale et à accorder pleine et entière satisfaction à leurs revendications, qui sont : la suppression du tâcheronnat, la journée de dix heures, une augmentation de salaire, la signature d’un contrat collectif, etc…. Il est à craindre que les huit-cents carriers du bassin de Montmorency ne suivent le mouvement.
Le 23 mars 1910 : La grève s’organise à Méry
La CGT soutient la grève des ouvriers carriers de Méry. Elle leur a envoyé deux émissaires, les citoyens Vincent et Lapierre. En outre, elle leur alloue quotidiennement une somme de 400 francs. Le journaliste Pierre Tesche peut écrire dans son journal l’Humanité le 23 mars : « Les camarades sont pleins d’entrain et d’énergie. Les soupes communistes, installées à la Coopérative fonctionnent régulièrement. Plus de 1.800 portions sont distribuées tous les jours. Un délégué du syndicat est constamment sur les lieux. Ces jours derniers une tentative de conciliation a été faite par le sous-préfet de Pontoise. Les patrons la repoussèrent brutalement. Ils ont mis ainsi tous les torts de leur côté ».
Le 29 mars 1910 : Chacun reste sur ses positions. Premier défilé dans Méry
La grève des carriers qui dure depuis huit jours, demeure sans changement. Les maîtres carriers et les ouvriers paraissent décidés à ne plus céder. Ces derniers accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants, ainsi que de leurs camarades champignonnistes, qui par esprit de solidarité avaient demandé la veille de se joindre à eux, se sont réunis salle Veuve Paul Bélier, au nombre de 560. Après avoir entendu leurs meneurs, MM. Lecoq, Lapierre et Travert, exposer la situation et la mauvaise foi des patrons carriers qui se sont refusé à discuter avec eux, les grévistes ont décidé de ne réintégrer le travail que lorsque les maîtres carriers auront traité avec le syndicat. A sortie de la réunion, une manifestation a eu lieu. Elle a remonté la rue de Paris et s’est déroulée au chant de l’Internationale, drapeau rouge en tête. A Frépillon elle prit fin, puis les ouvriers carriers et leurs familles se sont rendus à la soupe communiste, établie au siège de la coopérative, sur la place de la mairie. Le sous-préfet de Pontoise était venu sur les lieux pour faire infléchir la conduite des patrons. Sa démarche s’est soldée par un échec.
Le 30 mars 1910 : Le juge de paix tente une conciliation
Le juge de paix de l’Isle-Adam, tente une conciliation. Les patrons vont-ils une fois encore refuser de négocier avec le syndicat ouvrier ? Les ouvriers carriers font appel aux habitants de la région pour alimenter leurs soupes communistes. En effet, tous les jours il est distribué entre 1.800 et 2.000 rations pour les 360 grévistes de Méry, qui sont pour la plupart chargés de famille.
Les « soupes communistes »
- Soupe communiste à Nantes – Grève des dockers
- Soupe communiste à Fougères – Grève de la chaussure
Les « soupes communistes » furent créées pour aider les ouvriers dans les conflits sociaux de longue durée.
Le matériel de subsistance appartenait aux Bourses du travail et les repas étaient financés par les Caisses syndicales.
Les repas avaient un prix de revient minime, variant de 0,20 franc à 0,40 franc par personne.
Ces soupes communistes furent consacrées lors de la longue lutte des travailleurs de la chaussure à Fougères, en 1907.
Pendant les grèves, ces repas pris en commun stimulaient les grévistes et atténuaient leur appréhension des lendemains incertains. C’était pour eux et leurs familles le pain assuré. C’était la solidarité renouvelée chaque matin et solidifiée par un contact permanent.
Le 05 avril 1910 : Réunion syndicale, puis défilé dans les rues de Méry
A 2 heures, le 5 avril, a eut lieu la réunion syndicale quotidienne. Ont pris la parole : M. Vincent, du syndicat des carriers et terrassiers de Seine et Oise, qui dénonça les conséquences qu’aurait la réussite du projet patronal et M. Trioulère, des tailleurs de pierre de la Seine, qui assure aux grévistes l’appui moral et financier de son organisation. Après la réunion, une manifestation défila dans les rues de Méry, conspuant devant leurs demeures les patrons récalcitrants. Drapeau rouge en tête, la manifestation prit fin sur la place de la mairie, où un gréviste clôtura cette manifestation par une chanson prolétarienne.
Le 06 avril 1910 : Réponse patronale au juge de paix, par voie d’affichage public
En réponse à l’affiche de M. le juge de paix de l’Isle-Adam, les patrons carriers font apposer sur les murs de la région, une affiche dans laquelle ils font savoir qu’ils ne sont disposés à entrer en pourparlers qu’avec leurs ouvriers respectifs, chacun en ce qui le concerne. De plus, ils déclarent qu’ils ne consentiront à écouter les désidératas des grévistes que lorsqu’ils auront réintégré les chantiers. Sinon, ils se verront dans l’obligation de fermer les carrières et ce pour une durée indéterminée. Lors de leur réunion hebdomadaire, tenue à Méry, les ouvriers carriers grévistes confirment qu’ils continuent la grève, malgré les menaces des patrons. Puis ils partent manifester au chant de l’Internationale dans la direction de Mériel. Les patrons carriers font courir le bruit qu’ils sont menacés des plus grands dangers et qu’ils ne sont pas en sûreté chez eux. Ils se barricadent dans leurs maisons, fermant toutes les issues, jusqu’aux soupiraux des caves. Ils font également courir le bruit qu’ils partent en villégiature, puisque leurs entreprises ne fonctionnent plus. En attendant, les marmites des soupes communistes fonctionnent de plus belle, et les grévistes sont bien décidés à continuer la lutte.
Les « jaunes » et les « renards »
Le « syndicalisme jaune » est un mouvement syndicaliste français, aussi connu sous cette dénomination dans d’autres pays : les « yellow unions ».
Cette forme de syndicalisme, constituée par opposition aux syndicats « rouges » socialistes ou communistes, refuse comme mode d’action la grève et l’affrontement direct contre le patronat. L’origine de ce mouvement vient du député Pierre Biétry, qui crée le 1er avril 1902, la « Fédération nationale des Jaunes de France ».
Pour les grévistes, les jaunes sont les non grévistes. Ce qualificatif s’est généralisé et a pris un sens péjoratif, qui dans ce récit désigne les « traîtres ».
Ces traitres, sont également appelés « renards ». Chaque grève de l’époque voit ses « chasses aux renards », dont le déroulement est toujours à peu près le même : des ouvriers sont en grève et d’autres continuent à travailler. Ceux qui ont cessé le travail usent de violence pour contraindre leurs camarades à suivre leur exemple. Ils envahissent la carrière ou le chantier. A coup de pierres, d’outils ou de bâtons, ils attaquent ceux qu’ils appellent des traîtres et qui ont refusé de se soumettre aux ordres des meneurs de la grève.
En 1910, même signalées, ces attaques ne frappaient que fort peu l’attention du public, qui s’était habitué à les considérer comme inévitables lors de toute suspension collective du travail.
De nos jours, nous savons que le respect de la liberté d’autrui est l’une des conditions essentielles à l’équilibre de toute société civilisée.
Le 07 avril 1910 : Grande manifestation dans les villages du bassin
Les ouvriers carriers du bassin de Méry sur Oise, sont en grève depuis trois semaines. Ils se livrent le jeudi 7 avril à une grande manifestation dans tous les villages de la région. Au nombre de 400 environ, drapeau rouge en tête, ils parcourent les rues des diverses localités du bassin, se livrant à des démonstrations violentes sous les fenêtres des patrons, lesquels menacés avaient préalablement quitté le pays dans la matinée. Dans les semaines précédent ce défilé, les grévistes n’avaient pas hésité à menacer les ouvriers qui s’étaient refusé à faire grève et continuaient à travailler. Ces ouvriers étaient qualifiés de « jaunes ». La gendarmerie avait été obligée d’enregistrer plusieurs plaintes pour entrave à la liberté du travail. D’autre part dans la région les ouvriers agricoles des fermes de la Haute Borne à Méry, de Fromainville-Garenne à Achères, des Fonceaux à Poissy, des Grésillons à Carrières sous Poissy s’agitent à nouveau. Ils réclament les augmentations de salaires, qui leur avaient été accordées sur le papier, après la grève de juillet dernier et qui ne leur sont pas payées. Ils menacent de reprendre de nouveau leur grève.
Le 11 avril 1910 : Les patrons carriers partent en villégiature
Les patrons carriers ne sont pas encore rentrés de villégiature. La lutte ouvrière n’en continue que plus vive et plus ardente. Très peu de défection dans les rangs des grévistes, qui semblent plus motivés que jamais. Ils continuent leurs actions de souscriptions à Méry et les environs pour alimenter les marmites de leurs soupes communistes. La population de Méry et des environs soutient généreusement les carriers, elle a déjà versé 800 francs au Comité de grève, ainsi que des dons en nature. Les syndiqués des tailleurs de pierre de la Seine ont envoyé 200 francs. Sur les chantiers des carrières, les grévistes montent une garde vigilante afin que pas un morceau de pierre n’en sorte. Le journal l’Humanité soutient leur action et écrit dans ses colonnes : « Bravo, les camarades carriers ! Debout et tenez bon ! De la volonté, de l’énergie, et vous arriverez à triompher de l’insolent dédain de vos patrons ! ».
Le 11 avril 1910 : Les maçons de l’Isle-Adam cessent également le travail
La grève fait tache d’huile chez les maçons de l’Isle-Adam, où 250 maçons ne reprennent pas le travail le lundi 11 avril 1910. Ils réclament une augmentation de dix centimes par heure de travail. Les patrons font appel à la gendarmerie pour aller chez les ouvriers les plus indécis et pour les inciter à retourner travailler. Ils jouent de leur influence auprès des commerçants, leur demandant de refuser les crédits aux ouvriers récalcitrants.
Le 13 avril 1910 : Manifestation devant la préfecture à Versailles
Devant la préfecture de Versailles, le 13 avril, les grévistes de Seine et Oise défilent. Ils sont pourchassés dans la ville pendant toute la matinée par des rondes volantes de dragons, car l’armée a été appelée en renfort. A onze heures, M. Autran, le préfet de Seine et Oise, reçoit une délégation des patrons des diverses corporations dont le personnel est en grève et se fait exposé les revendications présentées par les ouvriers. Aucun accord ne peut être trouvé lors de cette entrevue, qui dure plus de deux heures. Les patrons des diverses corporations en grève dans la Seine et Oise démontrent à M. Autran que les désidératas des ouvriers sont inapplicables. Leur argumentation tient dans le fait que les grévistes exigent l’application des tarifs ouvriers de Paris. Mais leurs confrères de Paris n’ont pas à supporter les charges qu’ils ont, notamment pour le coût des transports. Ce même jour, à l’audience des flagrants délits de la deuxième chambre du tribunal correctionnel de Versailles, le secrétaire du syndicat des terrassiers de Versailles, Eugène Chermat est reconnu coupable de violences et d’entraves à la liberté du travail. Il est condamné à deux mois de prison, avec sursis. Condamnation, somme toute théorique et très légère, prise afin d’apaiser les esprits.
Le 15 avril 1910 : Les esprits s’échauffent à Méry
Les ouvriers agricoles des fermes de la ville de Paris, données en concession à M. Léthias demeurant à la Haute-Borne à Méry, n’ont pas reçu les augmentations de salaires négociées lors de leur dernière grève. Ils viennent de lui envoyer un cultivateur en délégation pour l’inviter à faire savoir dans les trois jours, s’il consent à observer les clauses du contrat signé. Ils menacent de reprendre leur grève. La nuit dernière, un incendie a tenu éveillé le personnel de la ferme de la Haute-Borne. Une grosse meule de luzerne était la proie d’un incendie depuis huit heures du soir. L’incendie n’a put être conjuré définitivement que vers deux heures du matin. L’enquête aussitôt ouverte par la gendarmerie locale fait peser des soupçons sur quatre individus, mêlés de très près à l’organisation de la grève qui se poursuit depuis environ un mois parmi les ouvriers du bâtiment, maçons et carriers, du canton de l’Isle-Adam.
À Chauvry, hier après-midi, M. Laroche, adjoint au maire, travaillait dans son champ, lorsqu’un individu nommé Denis Chaulois vint l’y menacer. La gendarmerie de Moisselles, sur la plainte de M. Laroche, s’est rendue dans la commune hier après-midi et y a procédé à l’arrestation de Denis Chaulois, âgé de trente-huit ans, syndicaliste convaincu, déjà dix fois condamné. Le parquet de Versailles le faisait rechercher pour purger une condamnation d’un mois d’emprisonnement, prononcée en octobre dernier pour entraves à la liberté du travail.
Avec les grévistes de Villiers-Adam et de Méry, Chaulois « sommait » les habitants de Chauvry et de la région de donner de l’argent ou des provisions alimentaires pour les soupes communistes. Une trentaine de terrassiers grévistes voulurent s’opposer à son arrestation et décidèrent qu’ils le délivreraient lorsqu’on l’emmènerait à Pontoise. Les gendarmes durent enfermer leur prisonnier dans une voiture et partir à un moment où on ne s’y attendait pas, pour éviter leurs adversaires.
Le 19 avril 1910 : Fin de la grève des maçons à Parmain, l’Isle-Adam
La grève des ouvriers maçons s’est terminée, hier à Parmain et à l’Isle-Adam, à la suite d’un arbitrage du juge de paix de cette dernière localité. Le juge de paix du canton de Saint-Germain en Laye a, de son côté, proposé l’arbitrage aux grévistes du bâtiment de Saint-Germain et une entente paraît probable à bref délai. A Versailles, on a constaté, hier, une reprise partielle du travail, sauf parmi les couvreurs et les éboueurs. Toutefois, quelques incidents se sont produits et les dragons ont dû charger, boulevard du Roi, pour disperser des grévistes qui voulaient renverser des tombereaux.
Le 21 avril 1910 : Les maçons de Poissy entrent dans la danse
Les maçons de Poissy se sont réunis au nombre de 200 environ, salle de la Mairie. Ils ont décidé de présenter des revendications à leurs entrepreneurs et leur ont donné vingt-quatre heures pour les accepter ou les refuser. Si au soir du vendredi 22 avril, les patrons n’ont pas adhéré aux demandes de leurs ouvriers, la grève sera déclarée.
À Saint-Germain, la grève des maçons est en décroissance.
À Méry sur Oise, malgré le départ des patrons carriers des propriétés où ils demeurent, les ouvriers carriers ne baissent pas les bras. A leur réunion habituelle, M. Gallois, délégué de la Fédération du bâtiment prit la parole et les encouragea à poursuivre leur mouvement. Après la réunion, ils firent une grande manifestation dans les rues. La chasse aux « jaunes » continue et lorsque les grévistes en découvrent, ils vont les chercher, leur accrochent une grande pancarte dans le dos où est écrit : « Regardez un jaune » et les placent en tête des manifestations.
Le 22 avril 1910 : Premières violences physiques
Après six semaines de grève, un incident violent vient d’avoir pour théâtre, la nuit dernière, les galeries d’une carrière de Villiers-Adam, exploitée par M. Labrousse, maire de cette commune et son associé, M. Roux. Dans la soirée d’avant-hier, quatre « jaunes » étaient allé s’allonger pour dormir, auprès des fours de la carrière Labrousse et Roux. Ils furent tirés soudain de leur sommeil par la venue de deux autres grévistes, qui exigèrent la présentation d’une carte d’affiliation à un groupement syndical reconnu par la CGT. Devant la résistance des ouvriers chaufourniers, les grévistes tirèrent six coups de revolver sur le groupe des dormeurs et engagèrent une bagarre au corps à corps et les lapidèrent, alors qu’ils étaient encore étendus, avec des pierres à chaux destinées à la cuisson. Sur les quatre dormeurs, le plus grièvement atteint est un nommé François Desesquelles, âgé de 47 ans, qui ne porte pas moins de cinq blessures à la tête, a le nez écrasé et se plaint de lésions internes. François-Marie Prigent, 32 ans et Louis Leduc, 39 ans, rossés à coup de pied et de poing, ont également porté plainte à la gendarmerie de Méry sur Oise. Le quatrième dormeur, Aristide Dagrave, a été épargné par les deux agresseurs.
Le 23 avril 1910 : La grève s’étend aux cimenteries
Le 23 avril, à la veille du premier tour des élections législatives, Le Petit Journal annonce que les cimentiers en Seine et Oise se joignent eu mouvement de grève des carriers de Méry : « Les ouvriers cimentiers des usines de Guerville et Dennemont se sont mis en grève. Dans la matinée d’hier, ils sont allés à Mantes au nombre de trois cents environ, drapeau rouge déployé, en chantant l’Internationale et précédés par M. Goust, maire de Mantes, se sont rendus à la sous-préfecture où a eut lieu une longue entrevue. Les grévistes demandent une augmentation de salaire ».
Le 24 avril 1910 : Premier tour des élections législatives
Rarement on a vu d’élections générales aussi calmes, aussi dépourvues d’incidents, d’éloquence et d’intérêt que celles de 1910. Dès le premier tour, la France voit un déferlement des Républicains de gauche. Le basculement de l’opinion publique vers les Républicains de gauche était attendu par le pouvoir en place.
Le 25 avril 1910 : Sanglantes échauffourées à Saint-Denis
A Epinay, les ouvriers terrassiers occupés à la réfection de la voie ferrée de la Compagnie du Nord étaient en grève depuis une dizaine de jours. Chaque jour, après leur réunion syndicale, ils allaient manifester, sans incident notable, dans les localités environnantes. Ce lundi, après leur réunion salle Ferrer à Saint-Denis, deux cents grévistes partirent vers la place de la gare en chantant l’Internationale. Ils furent refoulés. Une nouvelle colonne de gréviste se reforma vers 14h, rue Coignet où se trouvait un poste de police. Les policiers n’arrivant pas à disperser les manifestants qui lançaient des pierres, ils appelèrent les cuirassiers d’infanterie qui chargèrent. Lors de la charge, l’un des policiers, le sous-brigadier Courniot, blessa gravement d’une balle dans le flanc l’un des deux cents terrassiers grévistes qui envahissaient la ligne de chemin de fer entre Saint-Denis et Epinay. Le jeune manifestant avait 21 ans et s’appelait Jean-Louis Philippe.
Le 27 avril 1910 : Le 120e de ligne surveille de la ligne de chemin de fer
Les brigades de gendarmerie du canton de Montmorency et plusieurs détachements du 120e de ligne sont placés en surveillance des lignes de chemin de fer de la Compagnie du Nord sur les directions de Creil, de Beaumont et de Pontoise pour prévenir toute tentative de sabotage de la part des grévistes de Saint-Denis. A Méry, une nouvelle tentative de conciliation est actuellement faite par le sous-préfet de Pontoise, mais il est fort probable qu’elle n’aura encore aucun résultat. Les ouvriers carriers préparent leur manifestation du 1er Mai.
Le 1er Mai 1910 : Les manifestants défilent de Méry à Vaucelles
Le 1er mai se passe sans incident grave dans une région Parisienne mise sous haute surveillance de l’armée. A Méry sur Oise, la manifestation du 1er Mai fut grandiose. Le rassemblement eut lieu sur la place. Les manifestants se rendirent ensuite rue de l’Isle-Adam. Là, un conseiller municipal remplaça la plaque existante par une autre portant : « Rue Francisco Ferrer [1] ». Tous les travailleurs réunis saluèrent cet acte par les cris de : « Vive Ferrer, vive la Liberté ». Puis le défilé partit de Méry avec 400 participants, il traversa les rues de Sognolles, Taverny, Vaucelles, Frépillon et arriva à Villiers-Adam avec 800 personnes au moins. Un grand meeting fut alors organisé salle Guébet où M. Bourrassée du Syndicat des Carriers de Seine et Oise et M. July, délégué de la Fédération du Bâtiment firent l’historique du travail fait par la classe ouvrière jusqu’à ce jour et du chemin qui restait à parcourir. Au retour à Méry, un nouveau meeting eut lieu. Une collecte faite au cours de cette manifestation rapporta 70 francs, qui furent versés à la coopérative ouvrière qui s’occupe des soupes communistes. La manifestation produisit une impression énorme dans le pays à peine touché par l‘évolution syndicale révolutionnaire.
Le 2 Mai 1910 : Répression sanglante à Dunkerque
Le 2 mai, de violentes émeutes ont lieu à Dunkerque où les troupes de dragons à cheval chargèrent les grévistes du bâtiment qui étaient plus de 6.000 et qui se protégèrent en élevant des barricades.
Le 07 mai 1910 : 50 gendarmes réquisitionnés pour aller à Méry
Les ouvriers champignonnistes viennent de se mettre en grève pour obtenir une augmentation de salaire. Six patrons ont déjà accepté de signer le contrat qui leur a été présenté par le syndicat. En raison de l’agitation qui règne parmi les champignonnistes et les carriers de Méry sur Oise, 50 gendarmes viennent d’être réquisitionnés à Pontoise et à Versailles à la demande de M. Duvernois, sous-préfet de Pontoise.
Le 08 mai 1910 : Sabotages à Méry et Villiers-Adam
Les grèves des carriers et des champignonnistes de la région de Méry sur Oise et de Villiers-Adam ont donné lieu à plusieurs actes de sabotage. Un bourrelier, Gabriel-Paul Favreau, âgé de 52 ans a été arrêté pour entrave à la liberté du travail. Deux carriers, André Jouanne et Octave Couanaut, qui avaient dételé, renversé et brisé un tombereau dans la cité de Menandon (Cergy), ont également été arrêtés et écroués à Pontoise. A Saint-Germain en Laye, une tentative d’arbitrage n’a pas donné de résultats et les maçons ont voté la continuation de la grève.
Le 12 mai 1910 : Réponse explosive des patrons carriers aux propositions ouvrières
Début mai, quelques ouvriers carriers grévistes de Méry avaient demandé par l’intermédiaire du maire de la commune, d’entrer en pourparlers avec les patrons carriers de Méry. Cette idée de médiation leur avait été suggérée par des tâcherons travaillant pour la Compagnie Civet et Pommier. Les patrons carriers se réunirent le 3 mai et eux, qui jusqu’ici avaient fait aux non-grévistes des promesses d’augmentation de salaire, reviennent aujourd’hui sur ces propositions.
« Réponse des patrons aux jaunes : Répondez aux ouvriers qui sont venus vous trouver que nous consentons à ce qu’ils reprennent le travail, à la condition absolue que la reprise aura lieu simultanément dans tous les chantiers, aussi bien chez nous que chez nos confrères. Les prix payés seront les mêmes qu’avant la grève. Les ouvriers accepteront formellement de se soumettre au réglement que nous élaborons et que nous leur ferons connaître. La pierre de Méry ayant été supprimée dans la plupart des affaires où elle était prévue, en raison de la grève, le nombre des heures de travail sera réduit jusqu’à nouvel ordre et subordonné à nos besoins. Si les ouvriers acceptent ces conditions, la reprise en tout cas ne pourra avoir lieu que le 18 courant. Signé : Hennocque fils ».
Dans leur réunion tenue hier matin, les grévistes ont condamné comme il convient ce texte. Ils se sont refusés à toute entente dans de pareilles conditions et ont pris les mesures suivantes pour poursuivre leur lutte :
- Tout d’abord, ils permettent à tous de s’embaucher partout où ils pourraient trouver du travail et en premier lieu, sur les travaux de chemin de fer qui s’effectuent actuellement sur les lignes des Chemins de fer du Nord.
- Les soupes communistes continueront à fonctionner. Tous les grévistes embauchés s’engageront à continuer de participer aux soupes communistes. Ils verseront la moitié de leurs salaires à la coopérative ouvrière.
- D’autre part, tous ceux qui cesseront de se servir de la « popote communiste » verseront 75 centimes par jour, pour être versés aux autres grévistes qui restent et qui sont chargés de la garde des chantiers. Ce sera pour ces derniers « le sou de poche ».
Les grévistes réaffirment qu’ils auront raison de l’intransigeance patronale.
Le 13 mai 1910 : Isolés, les maîtres-carriers de Méry sur Oise s’obstinent
Dans les plâtrières de Seine, Seine et Oise et Seine et Marne, un accord global vient d’être signé entre la CGT et les patrons carriers. Le journal l’Humanité rend compte de cette négociation dans ses colonnes :
« Le 20 avril dernier, le citoyen Lapierre, secrétaire de l’Union syndicale des travailleurs de Seine et Oise, adressait à la direction de la société « Le Plâtre », composée d’environ soixante patrons ou établissements, une lettre demandant une entrevue pour régler les conditions de travail et de salaires dans les plâtrières situées dans les départements de la Seine, Seine et Oise et Seine et Marne. Le secrétaire de l’Union ajoutait que des dispositions seraient prises, en accord avec la Fédération du Bâtiment, dans le plus bref délai si la Chambre syndicale patronale ne répondait pas à l’offre de discussion des travailleurs organisés. Il adressait en même temps au siège de la Société, 39, rue Meslay, un projet de contrat. Le 3 mai, avait lieu la première entrevue au cours de laquelle, après discussion, les propositions ouvrières étaient acceptées en principe. Hier a vu la signature du contrat suivant entre les délégués patronaux et ouvriers : Entre les soussignés… Il a été convenu ce qui suit :
Art. 1– Le présent contrat est applicable dans toutes les carrières et usines à plâtre des départements de Seine, Seine et Oise et Marne,
Art. 2 – Le salaire minimum pour les différentes catégories d’ouvriers est de :
- 0,70 l’heure pour les caveurs boiseurs,
- 0,65 l’heure pour les carriers employant la poudre,
- 0,60 l’heure pour les ouvriers des carrières,
- 0,55 l’heure pour les ouvriers d’usines et les charretiers-wagonniers,
- 5,50 la journée pour les charretiers sur route à un cheval,
- 6 fr. la journée pour les charretiers sur route à deux chevaux,
- 6 fr. 50 pour les charretiers sur route à 3 chevaux,
- 3 fr. la demi-journée de pansage du dimanche. Il sera alloué une plus-value de 10% sur toutes les heures passées à des travaux faits dans l’eau ou à des travaux de réparations dans le cavage sur échafaudages.
Art. 3 – Le repos hebdomadaire sera appliqué sans aucune dérogation, sauf pour les travaux d’entretien et les travaux d’un caractère urgent.
Art. 4 – La durée maxima de la journée de travail sera de 11 heures.
Art. 5 – Il est interdit d’une façon absolue aux patrons directeurs, chefs de chantiers, d’avoir des cantines près des usines ou des carrières.
Art. 6 – La paie a lieu tous les quinze jours, et le prêt journalier est égal aux 4/5 du salaire de la journée.
Art. 7 – L’outillage et la lumière seront fournis par le patron.
Art. 8 – Une carte sera délivrée par le patron à chaque ouvrier dès son embauchage et cette carte mentionnera la profession et le prix de l’heure.
Art. 9 – Les délégués des syndicats ouvriers seront autorisés à vérifier cette carte au moment de la paie.
Art. 10 –Pendant l’hiver, une entente s’établira entre les délégués des syndicats ouvriers et les différents patrons pour atténuer le chômage par une réduction des heures de travail.
Art. 11 – Le présent contrat est applicable à partir du 16 mai 1910 jusqu’au 31 mars 1911 par tacite reconduction, pour neuf mois, pour la période du 1er avril 1911 au 31 décembre.
Ont signé :
- Les patrons : Aubry-Pachot et Cie à Gagny, Audebert à Montmagny, Becker à Villemomble, Bertolle à Villiers le Bel, Birckel à Sannois, Chatellier à Villejuif, Desforges frères à Vitry sur Seine, Dian et Magot à Sannois, Dumont et fils à Neuilly-Plaisance, Eterlet à Chelles, Ferry-Bresseau fils et Cie à Vitry sur Seine, Franck de Préaumont à Taverny, Gabriel à Rosny, Grivellé-Pachot à Gagny, Hannecourt au Raincy, Labrousse-Roux et Cie à Mériel et Villiers-Adam, Lamarque et Cie à Neuilly-Plaisance, Landry à Saint-Brice sous Forêt, V. Letellier et Cie à Méry sur Oiise, Manuel à Argenteuil, Mussat à Gagny, Romainville et Villemmble, P.. et E Pachot fils à Livry, Rabourdin à Livry, Rouzée à Bessancourt, Etablissement Paupy à Vitry sur Seine, Etablissement Poliet et Chausson à Gournay, Société des Plâtrières du Midi à Vitry, Société des Plâtrière réunies du Bassin de ¨Paris, Chevallier à Livry, Dindin à Vaujours, Goudeau et Mithard à Argenteuil, Parquin à Villeparisis, Pers à Noisy le Sec, Nanhrantegem et Vioujat à Villetaneuse et Pierrefitte.
- Les syndicats : Carriers de la Seine, Carriers de Seine et Oise, Bâtiment de Livry, Bâtiment de Montmorency, Bâtiment de Neuilly-Plaisance, Bâtiment d’Argenteuil, Bâtiment de Chelles, Bâtiment d’Annet, Bâtiment de Villeparisis, Syndicat des carriers meuliers et terrassiers de la Ferté sous Jouarre. Ajoutons qu’en outre des adhérents de la Société « Le Plâtre », on compte également sur l’adhésion de 8 patrons de Triel, Vaux et Meulan, ainsi que MM. Barbeau à Argenteuil et Châtillon et Bagneux, Bertaux à Argenteuil, L. Letellier, Douard, Garcin, Labour et Le Poiré frères à Claye, Annet et Livry ».
Les huit patrons carriers de Méry sont les seuls à ne pas avoir signé ce protocole d’accord. Ils s’obstinent dans leur intransigeance et se sont isolés des autres patrons carriers de la région. Les ouvriers carriers de Méry voient-ils enfin le bout du tunnel arriver ? Cela fait deux mois qu’ils n’ont pas reçu de salaire…. Cela fait deux mois que leurs dettes s’accumulent et qu’ils sont obligés d’aller avec leurs familles aux soupes communistes, sur la place de la mairie pour se nourrir, pour survivre…
Pour lire la suite : La grève des poings tendus