- Photo du Père Blanc Emile JACQUELIN.
« C’est un excellent missionnaire que perd en lui ce pauvre vicariat, un missionnaire intelligent, d’une culture très complète, connaissant à peu près tout et s’entendant à tout, régulier dans sa piété, très digne à l’autel, très aimé de tous, confrère d’une rare délicatesse, prévenant et gai, aimant à faire plaisir, zélé et n’épargnant pas sa peine pour mettre en train les deux futurs postes qu’il m’avait supplié d’accorder peu à peu, à la région la plus belle et la plus populeuse de l’Ouroundi. »
Monseigneur Gorju, vicaire Episcopal de l’Ouroundi, Octobre 1924.
Ce Père Blanc, Supérieur d’une mission au fond de l’Afrique, est en quelque sorte une des quelques "personnalités remarquables" de notre famille qui, à tout prendre, est comme beaucoup d’autres familles, avec ses personnages simples et « comme tout le monde », et ceux qui sont un peu sortis du lot par un destin plus marquant ou hors du commun.
Mais, l’attrait des pays lointains, pour quelque raison que ce soit, est un signe distinctif pour certains membres familiaux au fil des temps...
La vie du R.P. Jacquelin pourrait sans doute donner matière à un roman. Voici son existence, succinctement relatée, et des éléments généalogiques qui montreront les liens qui m’unissent à lui. Il était mon arrière-grand-oncle et aussi un cousin éloigné,comme nous le verrons dans cette brève étude généalogique jointe à ce travail.
Marigny-les-Usages.
C’est le village de naissance du Père Jacquelin. Situé à quelques lieues d’Orléans, en bordure de la forêt, c’est à l’époque un village de cultivateurs et de vignerons.
Les Jacquelin.
JACQUELIN Louis naît entre 1725 et 1730 dans le village de Marigny-les-Usages, en Orléanais, d’une lignée de cultivateurs et de vignerons bien ancrée dans ce terroir. Il porte les numéros 288 et 376 dans la numérotation Sosa-Stradonitz. Il est donc mon ancêtre à deux titres, deux de ses arrières-petits-enfants étant, l’un ascendant de ma mère, l’autre de mon père. On nomme cela « l’implexe des ancêtres ».
Vers 1750 il épouse Marguerite PERONNET (289 et 377). L’un des fils de ce couple, Louis junior, né en 1750 (144 et 188) épouse le 10 janvier 1786 à Rebréchien, village de la future, tout près de Marigny, Catherine TEXIER (145 et 189).
JACQUELIN Henry François, enfant des précédents, né en 1797 (72 et 94), épouse en 1825, à Marigny, Angélique Anne Thérèse FACIER, de trois ans plus jeune (73 et 95). Pour cette dernière, il faut préciser que l’une de ses soeurs, Marie-Magdeleine, figure aussi dans la lignée. Le fils de l’une épousant la fille de l’autre (cousins germains) provoquant d’autres liens dans la descendance, faisant leur père, Jacques FACIER, terrassier, un ancêtre à trois titres cette fois (146,150 et 190), implexe des ancêtres encore plus important, dont il résultera que mon père et ma mère seront arrières-petits-cousins.
Deux enfants survinrent du couple précédent :
- JACQUELIN Jean-François Etienne, né en 1827, vigneron et cultivateur, qui épouse en 1853 Marguerite Julienne LAGNEAU, du même âge que lui. Ce sont les parents d’Alfred Eugène (1859-1940, le 18) cultivateur et garde particulier, qui épousera en 1883 Maria CHERON (le 19).
(nb : voir l’article du même auteur :« La mère Jacquelin, une femme de caractère ».
- JACQUELIN Hirma Zéphyrine, née en 1838 (le 47) qui sera la mère du Père Emile JACQUELIN.
Emile aurait dû porter un autre patronyme.
La naissance d’Emile, le futur Père Blanc, a suscité un « faux secret ». Les gens des campagnes ne parlaient pas de ces choses, mais l’histoire que l’on va révéler ici était connue de tout temps dans la famille, voire même du village tout entier.
Continuons avec Hirma Zéphyrine JACQUELIN, que nous venons de mettre en scène. A 20 ans, elle épouse à Marigny Désiré Alphonse ROUSSEAU (le 46), de six ans son aîné, issu lui aussi d’une famille de cultivateurs-vignerons du même lieu. Trois enfants naîtront d’eux :
- ROUSSEAU Aurélie Armantine (1859-1894), le 23, lingère, qui épousera en 1886 à Marigny, Désiré Armand LANGLOIS (1857-1945), le 22, cultivateur à Semoy, ferme "La Vendée". Ce seront mes arrières-grands-parents.
- ROUSSEAU Céline Joséphine (1861-1935) que l’on retrouvera plus tard dans les échanges de correspondance au moment du décès du Père. Mariée à Jacques JAHIER, artisan cordonnier. Ils n’eurent pas de postérité (voir photo ci-dessous).
- "Céline ROUSSEAU, demi-soeur du Père JACQUELIN, avec son époux,
devant son échoppe de cordonnier".
Photographie prise vers 1920,à Orléans.
C’est avec Céline que le Père Périno correspondra après le décès du Père.
- ROUSSEAU Désiré Alphonse, né en 1862, qui décèdera adolescent, la même année que celle de la naissance du Père, et sans postérité.
Désiré Alphonse, le père, va mourir en 1865, laissant Hirma Zéphyrine, veuve, se charger seule de l’exploitation familiale et de l’éducation de trois enfants de 6, 4 et 3 ans. Elle-même n’a que 27 ans ! Même si elle fut aidée par la famille et les connaissances, la vie ne dut pas être facile pour elle. Et puis, c’était encore une jeune femme. Mais patientons encore un peu. Emile, le futur Père JACQUELIN ne va pas tarder à apparaître.
Hirma Zéphyrine, jeune et attirante sans doute, bien que veuve, avait encore besoin de goûter aux plaisirs de la chair. Les moyens de contraception étaient inexistants alors, et elle tomba enceinte d’un enfant, en 1867, qu’elle prénommera Anatole, connu dans la famille comme « l’onc’Natole ». Celui-ci, fils d’une veuve, portera le patronyme de JACQUELIN, nom de jeune fille de sa mère. On n’a jamais su qui était le père, mais probablement un cultivateur d’alentours. C’est « l’onc’Natole » qui reprendra plus tard la ferme familiale. Avec son épouse Lucienne, ils n’eurent pas non plus de postérité.
Nous voilà à présent arrivé à Emile ! Sa naissance, que nous allons relater ci-après, est encore plus insolite que celle de « l’onc’Natole ».
Emile arrive sur terre, à Marigny, le 3 avril 1879. Hirma Zéphyrine est alors âgée de 41 ans, et ce nouveau fils portera également le patronyme de JACQUELIN, comme fils d’une veuve, et non pas celui de ROUSSEAU, celui du mari décédé. Par contre, on connaît le géniteur de l’enfant.
Encore un peu de patience, et vous saurez qui il est !
L’Abbé de la T....
Dans son malheur, Hirma Zéphyrine trouva quand même quelque réconfort auprès du curé du village, l’abbé de la T... (nous n’orthographierons pas la patronyme, car une famille de ce nom existe toujours en Beauce). Ce dernier, issu d’une lignée d’ancienne aristocratie, avait choisi d’entrer dans les ordres, à moins que cette famille ait suivi l’ancienne coutume des familles nobles : l’aîné pour l’armée, le cadet pour l’église.
Hirma Zéphyrine entretenait le presbytère et le linge de Monsieur le Curé, ainsi que le faisaient, dans toutes les paroisses, les gouvernantes dévouées. Les paroisses, même relativement petites, étaient assorties au moins d’un ou deux vicaires, et le travail ne manquait pas pour les gouvernantes qui, en outre, leur préparaient les repas.
Lors de son veuvage, l’abbé avait été gentil et compatissant pour elle, la réconfortant par de bonnes paroles, peut-être même la soutenant moralement, et un peu financièrement, car, sa famille étant fortunée, l’abbé disposait d’autres revenus que les bénéfices de la cure. Des liens se tissèrent entre eux, plus intimes que les rapports de curé à gouvernante.
Oui... oui... vous commencez, je pense, à deviner !
La compassion se transforma en amitié... et un peu plus ! Maintenant, vous le saurez, Hirma Zéphyrine et l’abbé de la T... conçurent ensemble un enfant : Emile.
Cette situation ne nous offusque plus aujourd’hui, mais à cette époque c’était une affaire ! Des enfants adultérins ou de jeunes filles non mariées n’étaient pas rares, et les registres d’état civil en sont constellés. Mais il s’agissait là du curé du village, et le cas était tout autre.
Ma grand-mère disait que l’arrivée d’Emile ne souleva pas trop de remous dans la famille, et que « l’Hirma avait ben raison de viv’ sa vie ! ». Et l’enfant fut accueilli, aimé, élevé et éduqué comme son frère, « l’onc. Natole » et les deux soeurs, Aurélie et Céline.
L’évêché, pour les raisons que l’on peut penser, fut ennuyé, mais, puisque « le mal était fait » n’infligea pas de sanction à l’encontre de l’abbé, et préféra le déplacer en lui confiant une paroisse plus éloignée.
L’abbé était un homme de bien et n’oublia pas le fruit de ses amours coupables. Il subvint à l’entretien de l’enfant et même plus, car c’est lui qui pourvut aux frais des études d’Emile au Petit puis au Grand Séminaire. C’est tout à l’honneur de l’ecclésiastique.
On ne sait pas à quel âge Emile apprit le secret de sa naissance, mais ce qui est certain c’est qu’il le sut. Il rendit souvent visite à l’abbé, qui fut son mentor, son protecteur, son conseiller et son mécène. Emile devait l’appeler « Père », mot qui revêtait véritablement un double sens véritable et profond pour tous les deux.
- Photo prise vers 1893.
Assis, l’abbé de la T., curé de Marigny-les-Usages, avec Emile, au centre, et un autre garçon un peu plus jeune.
Une étrange ressemblance entre les trois personnages...!
Nous n’en avons pas terminé avec l’abbé de la T... Examinons la photographie ci-dessus. On y voit l’abbé, assis, avec à sa gauche deux jeunes garçons. Emile, debout, est au milieu, âgé d’environ 13 ou 14 ans. Laissez vos yeux aller de droite à gauche, du jeune garçon, à côté d’Emile, puis sur l’abbé. Ne trouvez-vous pas une ressemblance frappante entre les deux personnages ? Il y a trop de points communs entre eux pour ne pas penser qu’il n’existe pas une parenté !
Serait-ce un neveu ? J’ai moi-même une ressemblance très marquée avec l’un de mes oncles. Ou bien... s’agit-il d’un enfant que l’abbé aurait eu avec une autre femme, et qu’il aurait pris également sous son aile ? On ne le sait pas. Il ne reste plus beaucoup d’anciens dans la famille, et les souvenirs s’estompent d’année en année.
De l’enfance au Séminaire
Emile grandit au sein de sa famille, enfant sage et posé, intelligent et porté à s’instruire. A Marigny, il partage son temps entre l’école et la maison, ponctué par les visites à l’abbé, les évènements du village et les jeux avec les enfants des lieux.
- Emile et ses amis de l’Harmonie.
On sait qu’il apprit la musique : la photo ci-dessus le montre vers 16 ans, posant avec une harmonie (sans doute celle du petit Séminaire) avec sa trompette.
Quelques évènements familiaux marquent la vie du jeune Emile à cette période :
- En 1883, le mariage d’Alfred Jacquelin, son cousin, avec Maria Chéron, celle qui deviendra plus tard « La Mère Jacquelin » (voir article du même auteur sur ce site).
- En 1886, le mariage de sa soeur aînée, Aurélie Armantine, avec Désiré Armand Langlois (mes arrières-grands-parents).
- En 1887, le mariage de la soeur cadette, Céline Joséphine, avec Jacques Jahier, artisan cordonnier.
- En 1892, la naissance de sa nièce, Maria Marguerite Langlois, ma grand-mère et, la même année, la naissance de Hélène Jacquelin, sa petite-cousine (mon autre grand-mère, voir photo ci-dessous). Cette dernière recevra comme parrain Emile, qui avait alors 13 ans.
- Madeleine Henriette Hélène JACQUELIN, nièce et filleule du Père Jacquelin, ma grand-mère paternelle.
- En 1894, le décès de sa soeur Aurélie Armantine, citée plus haut.
A l’âge d’un peu plus de seize ans, Emile entre au Petit Séminaire situé alors près de l’Evêché d’Orléans. Tout change alors pour lui. Il doit quitter sa famille et ses amis et vivre désormais en communauté. Il fera là de bonnes études, « sponsorisées » dirait-on par l’abbé. Jeune homme très doué, Emile n’a pas de mal à devenir un bon élève et un bon croyant.
Animé d’une foi sincère, simple mais profonde, l’enseignement de la religion est pour lui une joie. Nous possédons quelques carnets remplis par lui, de sa belle écriture, résumant les principes qu’on lui inculquait. Emile veut devenir prêtre et prépare le Grand Séminaire.
A 19 ans, Emile est admis au Grand Séminaire d’Orléans, situé alors à La Chapelle-Saint-Mesmin, dans la banlieue de cette ville. Les bâtiments, devenus propriété privée, existent toujours, à quelques mètres de la Loire. Rendant souvent visite en ces lieux, j’ai imaginé Emile, à ses moments libres, se promenant au long du fleuve pour y réfléchir, y lire son bréviaire, y méditer, y échanger avec des camarades des avis sur l’un ou l’autre point du dogme ou de leur avenir de prêtre.
- La famille du Père Jacquelin en 1898
- Assise : Hirma Zéphyrine JACQUELIN, la mère du Père.
A gauche : Céline, fille d’Hirma, et son mari.
A droite : "L’Onc’Natole", autre fils d’Hirma, et sa femme. Derrière : Emile, fils
d’Hirma.
Le 4 juin 1898, il reçoit la tonsure et porte désormais la soutane. Sur la photographie ci-dessus, on le voit vêtu ainsi, entouré de sa famille. Emile est heureux et a choisi sa voie. Quittant alors les bords de Loire, il part au séminaire de Binson (Marne) pour y parfaire son enseignement théologique. Le 26 juillet 1899, à 20 ans, il reçoit en ces lieux les ordres mineurs.
A cette époque, Emile avait déjà opté pour être missionnaire. On ne sait s’il en fut mortifié, mais c’était de toute manière la seule solution qui s’offrait à lui. En effet, les circonstances de sa naissance, fils d’un prêtre, lui interdisaient d’exercer en métropole et d’y être titulaire d’une cure. Il lui fallait s’exiler pour pratiquer à l’étranger un ministère qui lui était interdit en France. Ainsi était alors la coutume dans l’Eglise.
De tradition familiale, on sait qu’Emile souhaitait emprunter cette voie, et se destinait de tout son coeur à devenir « Père Blanc », pour faire oeuvre d’évangélisation quelque part en Afrique. Le sort en est jeté : Emile sera missionnaire !
On lui signifie l’accord de sa hiérarchie pour son admission au séminaire des Pères Blancs, établi en Tunisie, à Carthage, aujourd’hui un quartier de la ville. Avant son départ, Emile séjourne dans sa famille, partagée entre la tristesse de le voir partir et le plaisir de voir qu’il est heureux de devenir ce qui est le but de sa vie.