Comme on le sait, la fabrication des produits en terre cuite (briques, tuiles et carreaux, poteries, etc...) remonte à la haute antiquité. Le mot latin désignant la tuile était tegula, devenue teula en catalan ; ce terme a été appliqué, dans notre région (le Roussillon), à toutes les fabriques artisanales de tuiles, car on retrouve des lieux-dits "La teularia" en plusieurs endroits (...).
Pourquoi ces recherches à Prats ?
A l’origine de nos recherches à Prats-de-Mollo une indication verbale nous a mis sur la piste d’un "four à tuiles", à la Tardossa, ancienne propriété, assez étendue, située avant d’arriver dans la localité même.
Après avoir découvert cette première construction, nous avons consulté en Mairie l’ancien cadastre, dit "impérial" dont les plans ont été établis entre 1825 et 1830. Sur ces plans, très détaillés, on note cinq emplacements désignés comme "briqueterie" ou "tuilerie" avec parfois la mention "anciennes".
- Le four de La Tardossa
En ce qui concerne l’utilisation des carreaux de terre cuite, ou de briques, on peut penser que leur fabrication à Prats remonte au moins du XVIe siècle ; car on a trouvé dans une ancienne demeure du quartier du Verger, un carreau daté de 1561.
Le début de l’utilisation des tuiles pour la couverture des toits est plus difficile à situer : on connaît l’origine des plus anciennes demeures pratéennes : le mas de la Maso, le mas Tallet, les Queroses (Escarouses) Gironella et d’autres... mais sur ces constructions, les toitures ont été refaites, à l’exception de la première.
Le domaine de la Maso remonte au XIII° siècle, et la maison est probablement l’une des plus anciennes encore en état et habitée. Sur l’arête faîtière de la toiture, on peut lire sur une tuile le nom de Joan Arquer -malheureusement on ne peut observer l’autre face de la tuile qui comporte peut-être une date. On retrouve ce nom sur deux autres tuiles datées, l’une de 1742, l’autre de 1770.
Il est donc probable que la couverture primitive de la Maso utilisait des lloses ; on en voit d’ailleurs quelques-unes sous les tuiles placées en corniche, sur la face sud.
Ces repères permettent de situer les premières fabrications des tuiles à Prats au début du XVIIe siècle.
La fabrication des tuiles
L’argile prélevée dans une carrière proche est concassée, malaxée, passée au crible éventuellement, puis additionnée d’eau de manière à devenir une pâte homogène.
Dans un ouvrage décrivant les anciens outillages des tuiliers sont mentionnés des moules en bois pour la confection des tuiles canal. Après leur mise en forme, les tuiles étaients lissées sur leur face externe, souvent avec les doigts.
On raconte que -au stade artisanal- les tuiliers moulaient les tuiles sur la cuisse, qui procurait la forme convenable. Une personne bien renseignée ajoutait la précision selon laquelle ce moulage était effectué sur la cuisse des femmes ! Il semble bien que ces indications relèvent plutôt de la légende, car le respect des dimensions fixées dès le début du XVIII° siècle obligeait à l’usage d’outils de moulage, et à une découpe des bords sur les quatre côtés de la tuile ; on trouve d’ailleurs dans un ouvrage consacré aux anciens outils, la mention des moules en bois appelés "courbets".
Les pièces étaient ensuite couchées sur le sol, à sécher au soleil. Elles étaient disposées en rangs verticaux, soit dans le puits vertical, soit sur le terre-plein, en ménageant des interstices permettant la circulation de l’air brûlant provenant du foyer.
Les feux étaient entretenus en permanence pendant deux à trois jours, ensuite ralentis, puis éteints ; le refroidissement devant intervenir très progressivement afin que les tuiles ne se fendent pas. Après plusieurs jours, c’était le défournement : les pièces placées dans les couches inférieures étaient souvent de meilleure qualité.
Il arrive que des tuiles restent collées entre-elles, ou bien qu’elles se soient déformées au point de les rendre inutilisables.
Les fours à briques ou à tuiles étaient très gourmands en bois de chauffage, tout comme les fours servant à la réduction du minerai de fer, et les forges. Ces activités professionnelles entraînèrent au XVIIIe siècle, une déforestation très importante de la région du Haut Vallespir. Une étude réalisée par Michel Brunet "La forêt comme enjeu..." développe ce sujet, indiquant que "la disette du bois, en hiver pouvait être presque aussi grave que celle du grain". Les tuiliers devaient donc affronter des difficultés pour pouvoir alimenter leurs foyers et réaliser des produits bien cuits.
On nous a raconté l’anecdote suivante : La tradition voulait que les parrains de jeunes enfants offrent un tourteau (sorte de quatre-quarts parfumé à l’anis) à l’occasion du premier de l’an. La préparation de la pâte pour ce gâteau étant peut-être plus difficile, une boulangère demanda un jour de l’aide à un fabricant de tuiles, expert dans le foulage aux pieds de l’argile. C’est ainsi que cet artisan passait, pour un jour, de son baquet au pétrin de la boulangère ! L’histoire ne précise pas si un lavement des pieds intervenait entre les deux opérations...
Les tuilers
Nous n’avons pas beaucoup de renseignements sur les artisans qui ont exercé ce métier au cours des siècles.
Quelques signatures donnent les noms de Joan Arquer en 1742, 1765 et 1770, puis Marc Bourges en 1830 et 1861. En ce qui concerne ces Bourges, qui seraient arrivés à Prats à la fin du XVII siècle, venant de Savoie, on a trouvé un Jean Damine Bourges épousant Catherine Boher en 1828, avec la mention de tuilier-briquetier, puis quatre ce ses fils, eux aussi tuiliers-briquetiers.
Un petit fils, autre Jean Damien, cessa la fabrication des tuiles vers 1907.
On a vu que certaines tuiles mentionnaient le nom de l’artisan, ou bien une inscription entière ; d’autres, par contre, comportent des motifs décoratifs variés : oiseau, poisson, serpent ou simple dessin...
Ces décorations pourraient s’expliquer par le fait qu’aux siècles passés, nombreux étaient les gens simples, surtout dans les campagnes, qui étaient incapables de signer leur nom. Les registres paroissiaux des XVII et XVIIIe siècles le prouvent amplement ! La mention traditionnelle portée au bas des actes de mariage était : "Les-dits époux requis de signer ont déclaré ne sçavoir"... ce qui n’empêchait pas ces gens d’exercer leur métier avec amour et d’acquérir habileté et expérience !
Le roman d’une tuile
Parmi les tuiles marquées qui ont été récupérées, figure un échantillon comportant l’inscription ISABEL TRINXARIA.
Il était intéressant de rechercher quelle pouvait être la parenté de cette personne avec le célèbre "capitaine" des miquelets Joseph de la Trinxeria 1637-1694.
(...) Mais une autre question se pose : pour quelle raison cette inscription ?
Il est exclu d’envisager que ce nom soit celui de l’artisan tuilier car on voit mal une jeune fille assumer ce métier pénible ! D’autre part, aucun des descendants n’a exercé de métier manuel -à l’exception des pareurs- mais plutôt des charges administratives (notaire, consul, prêtre, militaire).
On peu donc supposer que le tuilier a gravé ce nom parce qu’il couvrait la demeure, soit parce qu’il voulait rendre hommage à sa dulcinée...
Les dimensions normalisées
Les produits fournis par certains artisans étaient souvent vendus à des prix abusifs, ou présentaient des défectuosités.
Une ordonnance royale de 1713 fixait, pour nos régions, les prix de vente des briques, de la chaux et du plâtre ; par ailleurs une injonction particulière avait été adressée aux Consuls de "Prats de Mouillou" le 6 mai 1744 par un ministre du Roi.
Cependant, des plaintes affluèrent, concernant leur qualité mais aussi la disparité des dimensions des tuiles et des briques, causant des difficultés pour leur mise en place ; il était donc nécessaire de réglementer les fabrications.
En 1805, le maire de Perpignan rédigeait une ordonnance fixant les dimensions pour briques et tuiles de différentes catégories, dimensions qui reprenaient celles des anciens règlements. On peut supposer que ces dispositions n’ont pas été respectées, car de nouvelles plaintes étaient adressées au Commissaire de Police, toujours à propos des dimensions.
Le préfet des Pyrénées-Orientales établit un nouvel arrêté en février 1806 qui fut diffusé aux maires des communes du département ; cette fois les dimensions étaient fixées au millimètre près, les valeurs résultant de la transformation des pieds, pouces et lignes utilisés auparavant. Ce préfet ne devait pas êtres bien renseigné sur les conditions d’utilisation de l’argile !
Nous avons noté, à l’examen de plusieurs tuiles marquées et de nombreuses toitures anciennes, les dimensions suivantes :
- pour les tuiles faitières, la longueur est 64 ou 65 cm soit 2 pieds.
- pour les tuiles ordinaires, la longueur est comprises entre 50 et 55 cm (norme : 52 cm).
Conclusion
J’ai voulu, avec cette étude, rendre hommage à ceux qui, durant des dizaines d’années de leur vie, ont exercé ce pénible métier dont on ne garde plus le souvenir aujourd’hui.
Le sujet des fours à tuiles n’a, à ma connaissance, pas été fréquemment traité, et les traces de ces constructions artisanales ne semblent pas très répandues.
Peut-être ces quelques notes inciteront-elles des curieux à visiter les lieux décrits ; peut-être d’autres informations viendront-elles confirmer ou modifier les hypothèses émises...