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La Révolution de 1848 et l’anticléricalisme dans le Viennois

Le jeudi 1er avril 2004, par Michel Guironnet

Le 25 février, le préfet de l’Isère envoie deux dépêches télégraphiques au sous préfet de l’arrondissement de Vienne, Guillaume Gusman-Lucien Dode, vicomte de la Brunerie. Celui-ci est en poste depuis 1837, il n’a que 37 ans. Ces dépêches lui apprennent l’abdication du roi Louis-Philippe et la formation d’un nouveau ministère à Paris.

La nouvelle commence dès le lendemain, samedi 26, à filtrer dans la population. Les premiers rassemblements se forment à Vienne. Une Commission Provisoire s’établit à la municipalité. A l’initiative du leader des Républicains, l’avocat Joseph Antoine Ronjat (né à Eyzin le 14 juillet 1790, jour de la fête de la Fédération !) la République est proclamée à Vienne comme partout dans la pays.


A Vienne

Jean Emery explique : " La Révolution de 1848 s’accompagna d’une vague d’anticléricalisme, surtout dans la région viennoise. A Vienne même, la soirée du 26 février vit des manifestants envahir les presbytères de Saint-Maurice et de Saint-André le Bas, en menaçant les curés ; la panique s’empara des milieux religieux et les soeurs du Bon Accueil renvoyèrent leurs élèves chez leurs parents. Ce fut le signal d’une véritable croisade contre le clergé dans tout l’arrondissement ".

L’éminent historien de vienne, le chanoine Pierre Cavard, a raconté en détail cette attaque dirigée contre le curé de Saint-Maurice, Victor-Alexandre Guttin (bulletin paroissial de St-Maurice N° 87, mars 1933).

Fernand Rude nous livre ce résumé : " La foule enfonça le portail de la cure, brisa les portes et les carreaux, s’introduisit jusque dans les appartements de ce digne pasteur qui se sauva sous un déguisement et fut assez heureux pour échapper aux recherches de ses poursuivants. Le moment était assez critique. Les manifestants paraissaient décidés non seulement à saccager mais même à démolir le presbytère. Cependant le conseiller municipal Marque, Ronjat, et quelques membres de la Commission Provisoire, ainsi que l’intendant Latrobe et le garde général des forêts Beau, appuyés du reste par un détachement de la Garde Nationale, réussirent à faire évacuer les lieux et à rétablir l’ordre.

Pourtant, une demi heure après, le rassemblement se reformait devant la cure de Saint-André le Bas, qui fut à son tour envahie. Là, la foule se contenta de prendre la voiture du curé Giloz et de la jeter dans les eaux de la Gère ". Les jours suivants, le calme revient à Vienne.


Autour de Vienne

Dans une lettre du 12 avril 1848, l’évêque, Mgr de Bruillard, se plaint au commissaire général du département :

" L’impunité et le laisser faire encouragent les mauvaises pulsions qui fermentent dans le coeur humain, surtout aux jours d’effervescence populaire, et l’exemple du désordre est devenu contagieux. Ce résultat s’est produit particulièrement dans l’arrondissement de Vienne. Treize curés y ont été expulsés de leur paroisse, dix autres ont subi des vexations et des insultes, quelques autres sont menacés du même sort. Il y a progrès dans le mal ; on marche vers l’anarchie... Dans les paroisses ainsi troublées, il suffit de quelques têtes ardentes pour intimider les bons citoyens, pour soulever un petit nombre de perturbateurs. On envahit le presbytère, on somme le curé de partir ; s’il refuse, on jette dehors lui et ses meubles, même un vieux père dont les cheveux blancs et les larmes n’ont point touché ces étranges apôtres de la fraternité. Cela s’est vu à Reventin. En d’autres commune moins sauvages, on emploie l’influence du cabaret, la séduction de l’argent, les bruits calomnieux, les pétitions arrachées à la peur ou surprises à l’ignorance..."

Fernand Rude, qui cite cette lettre de l’évêque de Grenoble, ajoute : " A Salaise-sur-Sanne, des habitants se livrèrent à des démonstrations turbulentes autour du presbytère. Ils voulaient faire un mannequin représentant le curé et le brûler sur la place publique. Ces manifestations effrayèrent cet ecclésiastique qui se réfugia prudemment dans une commune voisine..."

Fernand Rude rapporte encore des incidents contre le curé Giraud de Chaponnay et ceux de Mions, Communay, " et surtout à Vaulx-Milieu où le curé fut insulté, frappé, dépouillé et brutalement chassé ".

Selon l’évêque de Grenoble, " tout le clergé de l’arrondissement de Vienne sera bientôt sous le joug de l’anarchie et de la terreur si l’autorité ne se hâte d’y apporter remède..."

Il ne semble pas qu’aux Roches, le curé Dorzat soit inquiété par la population. En Mars 1848, il marie à l’église le cordonnier Pierre Rey (originaire de Saint-Cernin, en Cantal) avec Suzanne Champin, une brodeuse fille d’un serrurier des Roches... L’abbé Dorzat baptise et enterre tout aussi officiellement durant les " mois révolutionnaires ".

Mais à quelques kilomètres de là, son confrère Guichard n’a pas cette chance.


A Reventin-Vaugris

H. Latrobe raconte dans ses Souvenirs : " C’est à cette époque qu’eut lieu à Reventin, près de Vienne, une véritable émeute de femmes. Le curé du village (Guichard) s’était approprié un cimetière desaffecté depuis moins de 5 ans, tenant à la cure, et en avait fait un jardin à son usage. Les femmes, les plus pieuses en tête, avaient mis en interdit le curé qui exploitait ainsi, comme engrais, les os, tout frais encore, de leurs parents et de leurs enfants. Elles avaient fermé l’église et en avaient remis les clefs au maire en déclarant qu’il n’y aurait pas u autre curé. Les maris avaient soutenu leurs femmes, le maire avait pris le parti de ses administrés. Reventin restait sans culte. Alors, sur la plainte de l’évêque, le sous-préfet requit la force publique. Deux compagnies furent envoyées et reçues, dit-on, à coups de pierre. Enfin on arrêta le maire et plusieurs des principaux habitants et on les conduisit à Vienne, où ils furent jugés et condamnés, pour la plupart, à un mois de prison ou davantage. Le maire, M. Jury, vieillard de 76 ans, fit un mois de prison à Vienne et fut révoqué. Le curé fut maintenu, mais je crois qu’on lui fit demander son changement peu de temps après..."

Fernand Rude précise que " les habitants de Vaugris attribuaient aussi au curé Guichard la responsabilité de la réunion récente de leur ancienne commune à celle de Reventin (5 septembre 1847). Guichard fut obligé de quitter sa cure ; il dut se contenter de baptiser dans une simple chambre et d’accompagner les défunts au cimetière sans passer par l’église ".

Quelques jours après ces épisodes anticléricaux de mars-avril 1848, le procureur général répond à la lettre de l’évêque de Grenoble : " Il existe partout dans les esprits une surexcitation dont il faut tenir compte. Où on ne chasse pas les curés, on chasse les percepteurs, les gardes, les maires... Tout cela ne peut durer et jusqu’à ce moment je n’ai fait autre chose que faire poursuivre les faits les plus graves... Ce n’est pas uniquement pour les affaires ecclésiastiques que je me suis tenu dans cette réserve forcée ; c’est pour à peu près toutes les autres... Il me semble que l’emploi de la force ne doit être employé qu’à la dernière extrémité, que fort tard et qu’après avoir laissé la fièvre se calmer et à la persuasion tout le temps d’agir. Les faits de cette nature sont toujours suivis d’une réaction qui vient vite et sur laquelle il est d’une bonne politique de compter. "

De fait la " ferveur révolutionnaire " dirigée contre les curés n’allait pas tarder à retomber. Bien des prêtres d’ailleurs s’engagent aux côtés des libéraux et beaucoup même, la République ayant instauré le suffrage universel pour les hommes âgés au moins de 21 ans, prennent la tête du groupe des électeurs de la paroisse, après la messe de ce jour de Pâques (23 avril 1848), pour se rendre à pied au chef-lieu de canton où a lieu le vote pour les représentants du Peuple à l’Assemblée Constituante.


Fraternité et religion

Malgré ces graves incidents, dès le 4 mars 1848, l’évêque a envoyé une lettre à ses curés à lire en chaire. Il y déclarait notamment : " Tout s’annonce d’une manière non seulement inoffensive mais encore favorable. Source de paix et de charité fraternelle, la religion se prête aux différentes formes de gouvernements ".

Le 5 mars a lieu à Vienne une fête solennelle pour l’avènement de la République, avec illuminations, discours et chansons.

Fernand Rude explique " La cérémonie du 5 mars à Vienne préluda à toute une série de fêtes en l’honneur du régime nouveau. Même les plus petites communes de l’arrondissement tinrent à proclamer solennellement leur adhésions à la République et à célébrer dignement l’ère de liberté, d’égalité et de fraternité qui s’ouvrait. Pour perpétuer le souvenir de cet heureux avènement, on planta sur les places publiques des Arbres de la Liberté. Tandis qu’on arborait les couleurs nationales et qu’on chantait " La Marseillaise " ou " Le Chant du Départ ", les curés faisaient sonner les cloches et s’en allaient en procession avec la croix et la bannière bénir les peupliers symboliques. La population fraternisait autour des tables des banquets " civiques " et applaudissait aux discours et toasts obligatoires. Des farandoles et des danses et parfois des illuminations clôturaient ces réjouissances.

Jamais on ne s’était tant amusé à la campagne, jamais on n’avait eu autant de distractions... Le 19 mars, à Saint-Alban du Rhône, sur les bords du Rhône est dressée une table de 120 couverts. Pendant le repas, les convives reprennent en choeur ce refrain : " Vive à jamais, Vive la République, la Liberté et la Fraternité "...

Mais bientôt les événements parisiens de juin, les révoltes ouvrières en province et l’élection présidentielle de Louis Napoléon Bonaparte vont briser cette belle unité " républicaine " et durcir les oppositions.
Tout cela ne sera pas sans effet dans notre petite patrie des Roches de Condrieu où les passions liées aux différences d’opinions sont fréquentes.


Bibliographie :

Jean Emery : Histoire du diocèse de Grenoble, pages 225 et suivantes (Beauchesne 1979).

Fernand Rude : L’arrondissement de Vienne en 1848, dans l’ouvrage collectif La Révolution de 1848 dans le département de l’Isère (1949).

La Révolution de 1848 à Vienne. Extraits des souvenirs d’Hippolyte Latrobe, dans le Bulletin des Amis de Vienne, n° 31-33 (1935 à 1937), pages 91 à 102.

Sur cette période si courte et si riche en événements, on lira l’excellent ouvrage de Maurice Agulhon " 1848, ou l’apprentissage de la République " dans la Nouvelle Histoire de la France Contemporaine (Seuil 1992).

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