La Loire et le Loiret
La Loire :
Petit ruisseau, pourquoi viens-tu toujours
De mon onde troubler le cours ?
C’est fatiguer, lasser ma présence :
C’en est fait, dès ce jour je veux
Que nul rapport n’existe entre nous deux ;
Tout me l’ordonne, tout, ma grandeur, ma naissance.
Le Loiret :
Ta grandeur, ta naissance ? ah ! voilà du nouveau.
Mais lorsque dans ton sein je dépose mon eau,
Je suis l’ordre établi, voulu par la Nature,
Et fort mal à propos ton orgueil en murmure.
La Loire :
Que dis-tu ? la Nature en cela ne fait rien ;
Elle s’occupe peu de ton sort et du mien :
Echappés de ses mains, c’est à nous seuls sans doute
A choisir, à changer, à suivre notre route.
Le Loiret :
A merveille ! crois-tu vraiment ce que tu dis ?
Eh bien ! si de changer il est aussi facile,
Que ne commences-tu ? dès l’instant je te suis.
La Loire :
Tel n’est pas mon projet : dans mon cristal mobile
J’aime à voir réfléchir ces superbes coteaux
Entre lesquels j’amuse et promène mes flots.
Tout changement d’ailleurs paraît étrange,
Quand il est sans but et sans fruit ;
C’est à celui qui gêne, qui dérange,
A se soumettre aux goûts de ceux auxquels il nuit.
Le Loiret :
Bien : un instant j’admets qu’il soit possible
Que de la mer sans toi j’apprenne les chemins ;
Que, pour rendre ma course utile à tes desseins,
Je prévienne, en fuyant, tous les ruisseaux voisins
Qu’à leur amitié peu sensible
Tu veux sans nul secours fertiliser tes bords ;
Et s’ils vont t’obéir ?
La Loire :
Tant mieux : j’obtiens alors
Le premier rang parmi les filles de Neptune.
Dans son sein j’irai seule épancher mes trésors,
Et ma gloire... ma gloire en sera moins commune.
Le Loiret :
Nouvelle erreur ou nouveaux torts.
Abandonnée à tes simples efforts,
Jamais tu ne pourrais achever ta carrière,
Ou ton cours serait languissant.
Fleuve, tu deviendrais une faible rivière,
Si ces petits ruisseaux, que tu dédaignes tant,
Du tribut de leurs eaux n’alimentaient la tienne.
Va, ma soeur, et qu’il te souvienne
Que dans ce monde il n’est petit ni grand
Qui par quelque côté l’un à l’autre ne tienne.
Par M. Legier, ex-Législateur
Membre de l’Académie celtique"
On dirait du La Fontaine... sans les animaux !
Pour qui se prenait-elle, cette Loire, fière et arrogante, dénigrant ses affluents, qui lui sont pourtant indispensables ?
Le Loiret, avec ses quelques kilomètres de cours, lui damme le pion... et il a raison. Il faut remettre les choses en place.
Et puis chacun a sa place, dans ce monde !
Et puis la morale de cette fable :
"... dans ce monde il n’est petit ni grand, qui par quelque côté l’un à l’autre ne tienne".
A méditer......
Mais un conseil, si vous passez par Orléans, regardez le soleil se coucher sur la Loire, dans les environs d’Orléans.... quelle beauté !
Regardez le fleuve, majestueux, tranquille, serpentant le long de ses rives et de ses côteaux... quel calme !
Vous verrez, tout de même, que la Loire avait quelques raisons d’être fière !
Texte de la fable : Annales périodiques de la ville d’Orléans.
(6e année - N°590 - Samedi 26 août 1809 - p.151,152)