www.histoire-genealogie.com

----------

Accueil - Articles - Documents - Chroniques - Dossiers - Album photos - Jeux - Entraide - Lire la Gazette - Éditions Thisa


Accueil » Articles » La vie militaire » « Nos Poilus » » La Grande Guerre et les Morel de Lavoine : correspondance familiale et témoignage historique. » La Grande Guerre et les Morel de Lavoine : correspondance familiale et témoignage historique.

La Grande Guerre et les Morel de Lavoine : correspondance familiale et témoignage historique.

4e épisode : Gaspard s’en va-t-en guerre (suite) novembre et décembre 1914

Le vendredi 13 décembre 2024, par Jean Magnier

Novembre et décembre 1914

La bataille de la Marne en septembre avait permis de stopper l’avancée allemande. La guerre de tranchées s’est installée et le froid arrive.
L’unité de Gaspard est en déplacement permanent, employée à conforter diverses tranchées en premières lignes. Le courrier en souffre et se raréfie.

Pour lire l’épisode précédent

Pour bien vous repérer dans la fratrie Morel, utilisez ce lien : https://www.histoire-genealogie.com/IMG/pdf/la_fratrie_morel_4.pdf

« 3 Novembre. Le 1er Bataillon reste dans ses cantonnements de Chalons s/Vesle, Muizon, Maco. »
« 5 Novembre. Le 1er Bataillon en entier qui était encore la veille à St Thierry où il occupait les tranchées en a été relevé à 23 h afin de partir de suite pour Villers-Franqueux. La 2è Cie s’installe en cantonnement d’alerte dans les gourbis sortie nord-est de Villers-Franqueux. »
J.M.O. 104e R.I.T.

JPEG - 152.7 kio
Carte Villers Franqueux
Source : Géoportail.gouv

|« A partir du 8 novembre le bastion de Villers-Franqueux et ses deuxièmes lignes sont occupés par six compagnies du 104e Territorial (dont trois, puis deux en première ligne). Chaque nuit une Compagnie est désignée pour le travail aux tranchées, en avant de la ferme du Luxembourg. » Chtimiste.|

« 10 Novembre. A Villers-Franqueux, aucun incident, la 1re ligne de tranchées est tenue par les 2è et 3è Cies ; la 1re Cie est à Toussicourt. » J.M.O. 104e R.I.T.

13 novembre
L’équipement vestimentaire est insuffisant, les colis d’effets sont appréciés dans une certaine limite : leur place et poids dans le paquetage ! Les déplacements permanents se font à pied, barda sur le dos.
Gaspard se soucie du versement de l’allocation due à sa famille. En pays dévasté, faute de papier, écrire devient impossible. L’espoir de voir le jour de la délivrance arriver commence à être évoqué .

Je réponds à vos lettres qui m’ont fait un grand plaisir de savoir de vos nouvelles pour quand a moi je me porte toujours bien.
J’ai reçu 2 lettres et la carte de Célina hier ainsi que le petit colis [. . . ] le cache-nez me fera bien plaisir aujourd’hui j’ai reçu ta dernière lettre du 6 courant cela soulage de recevoir de vos nouvelles ainsi que les nouveaux du pays.
Chère femme tu me dit que tu veux m’envoyer un autre colis laisse dont faire encore quelques jours les effets j’en ait assez pour le moment [. . . ] on est toujours assez chargé.
Ce que je vous recommande c’est de vous bien soigner [. . . ]
Cela me surprend bien que tu me dit que tu n’as encore rien reçu au sujet de ta demande* enfin il faut te renseigner de nouveau avec Monsieur Lebrou**
je me sers du papier que vous m’envoyé [. . . ] sans ça je ne pourrez pas vous écrire dans le pays ou nous sommes l’on ne trouve que des maisons qui sont bombardées ou il n’y a aucun civils tu vois bien que nous n’avons pas les marchands de papier sous la main.
Ecrivez moi toujours quand bien même je ne pourrez pas moi même.
Vous me dirais si mon frère*** a été pris ainsi que les amis.
Vous donnerez bien le bonjour à Monsieur Ternoire**** ainsi qu’au autres amis qui s’intéressent a moi en attendant le jour de la délivrance [. . . ]

* ta demande. Attribution de l’allocation aux familles des mobilisés.
** Monsieur Lebrou. Achille Lebrou, médecin du Mayet. Classe 1882
*** mon frère : Bonnet Maurel, en instance de mobilisation. Classe 1901.
**** Monsieur Ternoire. François Terrenoire, instituteur de Lavoine. Classe 1899.

14 novembre « Au 1er bataillon, aucun changement dans les emplacements des Cies : les 1re et 2è sont en 1re ligne » J.M.O. 104e R.I.T.

15 Novembre : lettre de Claude Morel (Le Dode)
Il tente d’entrer en relation avec ses deux frères au front. Sa situation est particulièrement dangereuse, craignant la censure, mal à l’aise à l’écrit, il en dit peu.

Chère belle-seur et niès (nièce),

Je fait réponse a votre lettre qui ma fait un grand plaisir daprandre de vot nouvelle et en meme temp pour vous en doner des maine qui son toujour bonne pour le moment mais nous avon un mauvé temp dan les trancher voilà 3 jour qui tonbe [. . . ] c’est bien trite pour nous les efait non que la couleurre de terre [. . . ] cher belle seur nous some pas dan une bonne sitiasoin pour le moment je ne peux pas te dire notre sitiasoin sa pourint te faire beaux coup dans nui
tu fera passer des nouvelle de mon ferre sur ta réponse tu me dira les nouvelle du pays et Claudie* n’est pas dans mon Batailloins [. . . ] voilà 3 jour que je les pas vut mais je croit qu’il et toujour en bonne santé [. . . ] Morel Claude

* Claudie. Claudi ou Le Jeune, Claude Maurel (Morel) frère du Dode et de Gaspard.

16 Novembre
Pluie et neige, la boue, la situation ne cesse de se dégrader dans les tranchées. Gaspard reste stoïque.

Je viens de recevoir la carte que tu m’as envoyé chère Célina qui m’a fait grand plaisir [. . . ]
Chères amies voilà 10 jours que nous dormons presque plus car nous ne sortons plus des tranchées il tombe de l’eau presque tous les jours nous sommes dans la boue jusqu’à la cheville nos vêtements ne sèche plus mais que voulez vous il faut bien s’y faire quand l’on ait en première ligne
je vous direz aussi qu’il a tombé de la neige hier presque toute la journée mais elle n’a pas restée je n’ai encore pas souffert de rien il y a qu’un pied que j’ai froid malgré que j’ai 4 paires de chaussettes l’on ne peut pas les laver car je n’ai pas le temp et d’abord elles ne sécherais pas.
[. . . ]
si tu veux m’envoyer quelques chose envois moi une flanelle et un paquet ou deux de tabac un petit flacon de teinture d’iode une boîte ou deux d’allumettes [. . . ]
si nous voulons boire du vin il faut le payer 25 sous [1]et l’on n’en trouve point d’argent j’en ait pas besoin encore soyez tranquilles il viendra des jours meilleurs en attendant soignez vous bien et écrivez moi souvent les nouveaux du pays il n’y a rien qui fasse tant plaisir de recevoir une lettre.
Je vous dirai aussi que nous ne sommes pas très éloignés mes frères et moi peut-être à 8 kilomètres [. . . ]
au sujet de la déclaration [. . . ] ne manque pas de la faire cela t’éviteras de payer une licence [. . . ]

17 novembre
Gaspard s’affiche en homme de devoir, malgré les conditions de vie si dégradées, il réagit positivement : « c’est pour la patrie ».

[. . . ] quand à moi je me porte bien et je mange avec bon appétit [. . . ]
s’il y a des moments que la nourriture laisse a désirer pour le moment nous n’avons pas à nous plaindre nous touchons presque un quart de vin tous les jours du rhum du thé les soirs ; le matin café chocolat sardines fromage la soupe à dix heures et le soir à quatre heures avec rata une bonne portion de viande.
Pour le lit c’est autre chose il se trouve souvent à la belle étoile ou dans un trou que nous creusons sous terre avec un peu de paille humide voilà notre couchette avec tout cela nous serions heureux s’il ne gelé pas et qu’il ne tombe pas d’eau mais comme c’est la saison il faut bien s’y faire c’est pour la patrie.
Tout ce qu’il faut espérer c’est qu’il y auras une fin [. . . ] malheureusement il y en auras qui ne la verront pas mais pour mon compte je l’attens avec courage et dévouement [. . . ]
Bien le bonjour aux parents et amis et voisins et dites moi ceux qui sont été pris pour le service.

« Les 1re et 2è Cies vont occuper les tranchées Nord et Sud de la route de Loivre [ . . . ] la 2è Cie va occuper les tranchées Sud. Toutes ces Cies occuperont leurs nouveaux emplacements pendant 2 jours » J.M.O. 104e R.I.T.
JPEG - 221.4 kio
« dans un trou que nous creusons sous terre »
Archives familiales J.M

18 novembre
Après 25 jours de tranchées, son unité est relevée, mais Gaspard est préoccupé. La pension que les enfants Morel doivent verser à leurs parents semble faire naître quelques dissensions. De plus, Claudia ne perçoit toujours pas l’allocation due aux familles des mobilisés.

En réponse à votre lettre du 10 courant me disant que vous êtes bien ennuyée de ne pas savoir de mes nouvelles depuis le 31 écoulé [. . . ] tu vois bien que c’est pas ma faute.
Cela me fait plaisir de savoir que vous êtes en bonne santé pour moi je me porte toujours bien mais il y a une chose que tu ne m’explique pas sur ta lettre qui vas bien m’inquiéter au sujet de la pension des vieux* tant que tu ne m’auras pas fait l’explication ne me cache rien et dit moi tout tout de suite je serais a mon aise et peut-être quand bien même que je suis loin de vous je pourrai arrangé tout [. . . ]
Enfin je te dirai que nous avons passé 25 jours de tranchée et aujourd’hui nous sommes relevés pour passer quelques jours de repos.
Ce que je voudrai bien savoir et que tu ne me parles pas c’est si ta demande a été acceptée oui ou non [. . . ] il y en a qui sont partis comme moi qui ont qu’un enfant il touche 52,50 f par moi tu vois que ça en vaut la peine.
Comme je vois vous n’êtes pas tranquilles vous devez vous faire du mauvais sang ou vous êtes malades et vous me le cacher dites moi bien comme cela se passe tout comme si nous étions ensemble.[. . . ]

* la pension des vieux : une donation partage établie en 1907 dispose que les enfants s’engagent à verser aux parents chacun 16,25 francs par trimestre.

« 18 Novembre. Le Commandement ayant décidé de relever du service des tranchées de Villers-Franqueux, les 6 Cies qui s’y trouvent [ . . . ] le mouvement de relève commence au milieu de la nuit » J.M.O. 104e R.I.T.

20 novembre
Le froid sévit davantage. Gaspard craint d’être muté chez les sapeurs, mais reste optimiste. Il est toujours inquiet à propos d’un suspecté différend familial.
Un colis serait bienvenu mais le port est coûteux. Oubliée la censure, il donne sa position et son emploi.

[. . . ] je me porte bien et je désire que vous en soyez de mêmes je vous direz que voila 3 jours il fait un froid terrible je suis très content d’avoir le cache-nez que vous m’avais envoyé [. . . ] tous ce qui me manque c’est des gants peut-être que l’on nous en donneras.
Chères amies je vais peut-être changé de régiment c’est ce que je regrette je serais probablement versé dans les sapeurs et l’on est bien plus exposé car il faut faire des travaux de nuits des fois a 100 mètres de l’ennemi et même a moins mais je tâcherai de m’en tirer quand même car j’ai confiance que je ne risque rien.
[. . . ]
N’oubliez pas de me dire ce qui se passe car ta dernière lettre m’a beaucoup inquiété et je ne serais pas tranquille tant que tu ne m’auras pas dit la vérité.
Chère femme tu me disait que tu m’enverrai un colis il ne me manque pas grand chose qu’une flanelle et un caleçon un petit flacon teinture d’iode et une paire de gants mais tous cela te coute trop cher si c’était porté a Roanne a la caserne cela ne coute rien seulement ce n’est pas si sur
[. . . ]
a ce moment nous travaillons à la réparation des routes et je suis à Chenay environ 10 kilomètres de Reims tout près de Berry au Bac nous avons passé a la ferme de Luxembourg ces pays vous devais savoir par les journaux ce qui s’y passe et ce qu’il y a eu [. . . ]

JPEG - 53.4 kio
La ferme du Luxembourg (hiver 1914)
Collection J.M

« La 2e Cie va au réduit de Chenay » J.M.O. 104e R.I.T.

22 novembre
Le froid est devenu intense. Au repos, Gaspard se languit de ne pas recevoir de courrier. Il s’enquiert de la mobilisation de son jeune frère Bonnet et d’autres connaissances.

[. . . ] Je profite d’un petit moment de repos pour vous donner de mes nouvelles qui sont toujours bonne pour le moment [. . . ]
Voila la 4e lettre que je vous envois sans avoir reçu de vos nouvelles le temps me dure beaucoup de ne rien recevoir [. . . ] il fait un froid terrible que je n’ai vu rarement faire chez nous.
Je vous direz que voilà déjà quelques jours que je n’ai pas vu Barraud* ni Mondière** de chez Pion
[. . . ] Pérard*** je ne l’ai vu qu’une fois [. . . ] c’est son Bataillon qui est aux tranchées et je les plains beaucoup car cette nuit il y a eu une forte attaque et cela dure toujours au moment ou je vous écrit n’en parlez pas à sa femme.
Vous me disiez que mon frère Dode avais demandé mon adresse j’attends tous les jours avec impatience qu’il m’écrive [. . . ] vous me disiez aussi que mon frère Bonnet était pris pour le service armée veuillez donc me dire s’il est parti et ou il est [. . . ] si Monsieur Terrenoire a passé la visite et Monsieur le curé**** est parti aussi [. . . ]
Bien le bonjour aux parents et amis Vous ne m’avais encore jamais parlé du Jean Lampis***** est-il parti lui aussi [. . . ] n’oubliez pas aussi de me mettre une feuille et une enveloppe car j’en ai plus et cela fait faute.
aujourd’hui dimanche j’ai trouvé moyen de me procurer un bidon de vin.

* Barraud. Mathieu Barraud. Classe 1898. Cultivateur de Lavoine.
** Mondière de chez Pion. Jean Mondière ?
*** Pérard. Claude Camille Pérard. Classe 1895. Maréchal-ferrant de Lavoine.
**** Monsieur le curé. François Vaux. Classe 1889
***** Jean Lampis. Jean Basmaison dit Lampiste. Classe 1890. Cultivateur de Lavoine.

24 novembre
Les colis sont toujours appréciés et l’on découvre l’usage de la teinture d’iode. Une réparation sans urgence est en attente dans son atelier.
Le retard pour le versement de l’allocation à Claudia est encore source d’agacement. L’hiver redouble de rigueur.

[. . . ] Au sujet du petit paquet [. . . ] je l’ai bien reçu je vous l’ai déjà dit sur 2 ou 3 lettres et le cache nez me rend un grand service et je vous en remercie de tout mon cœur [. . . ]
je vous ait déjà expliqué ce qui me faisait le plus besoin une flanelle un caleçon un pair de gants un flacon teinture d’iode pour en boire quelques gouttes le soir le tabac laissez le faire l’argent vous ferez faute je peux bien m’en passer ne m’envoyez pas d’argent quand j’en aurez besoin je vous le dirai [. . . ]
Pour le travail de Jacques* (?) tu lui diras que j’ai tout mon fer [. . . ] je n’ai pas besoin de personne pour le finir et il ne veux pas aller au foin la semaine prochaine [. . . ] si j’ai le bonheur de me rentourné j’en aurais pas pour si longtemps.
Chère femme tu me dit que tu n’as encore rien reçu au sujet de ta demande [. . . ] tu aurais du te déranger plus tôt et c’est ce qu’il faut faire tu n’est pas une enfant et c’est ton droit s’il faut faire le voyage du Mayet ce n’est pas la mer à boire et en même tems en parler à Mr Terrenoire qui te donneras la main et un conseil.
Vous me demandé toujours ceux qui sont avec moi ce sont tous des pays de l’Allier et de la Loire [. . . ]
Il fait toujours très froid et il tombe de la neige en abondance.
J’ai reçu des nouvelles du Bouru** il se porte bien. [. . . ]

* Jacques. Un client ? ** Bouru. Surnom ?

27 novembre
Les nouvelles restent bonnes malgré le froid. Les colis, l’achat d’un petit cochon sont toujours d’actualité.
Sujet d’agacement majeur : l’allocation non encore perçue. Célina reçoit les félicitations de son papa.

Le 27 11 1914

[. . . ] mes nouvelles qui sont très bonnes pour le moment [. . . ]
vous me dites qu’il fait froid à Lavoine je m’en suis bien aperçu seulement ça a radouci [. . . ]
Je vous ait déjà dit que j’avais reçu votre colis qui contenait cache nez chocolat et tabac qui était très bien fixellé ce petit cadeau m’a fait plaisir puisque vous voulez tans m’envoyer un autre colis je l’accepterai volontiers seulement gardé pour vous suffir et occupe toi de ta demande de suite fait plutôt s’il le faut une réclamation au Préfet l’on ne peut pas te refuser cause a Mr Ternoire qui te mettra au courant [. . . ] tu dois toucher 1,25 F et Célina 0,50 F c’est ton droit ou je réclame moi même.
Je vous dirai que je suis avec un nommé Laplace* de chez Boudet [. . . ] tu diras à mon frère Bonnet de ne pas se faire de mauvais sang c’est bien rare qu’il entende siffler les obus.
Tu me dit que tu veux acheter un petit cochon mais tu sais que c’est trop froid pour un petit cochon il faudrait qu’il soit dans un coin de la boutique enfin c’est ton affaire.
Vous donnez bien le bonjour aux parents et amis ainsi qu’a la petite Antonia** qu’elle dise a son papa que je lui souhaite bien le bonjour.[. . . ]
Chère Célina je trouve que tu fais des progrès sur tes lettres tu fait bien moins de faute qu’au commencement continue m’a chéri a bien travailler je t’en félicite de tout mon cœur. [. . . ]

* Laplace. Jean Laplace de chez Boudet. Chez Boudet : village de Ferrières. Jean Laplace. Classe 1902. Cultivateur de Ferrières.
** Antonia. Marie Antonia, fille de Gaspard Blettery, classe 1897, cultivateur de Lavoine.

28 novembre
Au repos, Gaspard a apprécié l’abri d’un fort, mais il faut retourner aux tranchées.
Il est satisfait d’apprendre que Claudia voit enfin sa demande d’allocation acceptée, ce qui va permettre une amélioration du budget familial. Au front, le vin est trop cher.
L’échange de courrier tant recherché avec la famille et les amis n’est guère facilité.

le 28 11 1914 [. . . ]
Votre lettre m’a fait un sensible plaisir d’apprendre de vos nouvelles surtout que ta demande a été acceptée cela vous viendras un peu en aide mais si tu ne touches pas 1,75 F par jour il faut réclamer et t’adresser a qui de droit [. . . ] tu as deux mois a toucher cela te fait 10 F avec cela vous pourriez vous acheter un cochon et vous soigner mieux que vous ne le faites.
Je vous dirais que nous avons passer huit jours heureux car nous étions dans un fort malgré le froid nous étions chaud pour la nuit mais demain nous repartons pour les tranchées il faut aller lancer des pruneaux aux Boches mais enfin j’espère que ça se passeras bien [. . . ]
je vous remercie d’avance du colis que vous m’envoyé je serais très content d’avoir une flanelle j’en ai bien deux mais elles sont sales celle que j’ai emporté est toute en miette [. . . ]
Pour le vin j’en bois pas souvent car il est trop cher et il ne vaut rien à 18 sous le litre je ne peux pas m’en payer tous les jours mon porte monnaie serait vite vide.
Je dirais que j’ai reçu des nouvelles de ma sœur Maria ainsi que ceux de Payriasse* (Périasse) du cousin Mitron du Bourut le cousin me dit qu’il a reçu des nouvelles de Joseph** le 13 il se porte bien tu le diras à Mariette** [. . . ]
je voudrais bien avoir l’adresse de mon frère Dode je lui écrirai souvent [. . . ]
je n’écrit pas toujours quand je veux car l’on ne trouve pas le papier a volonté et il est très cher [. . . ]
Vous me donnerez aussi des nouvelles du grand de sur l’au*** [ . . . ]

* ceux de Payriasse. Périasse : village de Lavoine. Ses sœurs Marie, Claudine, Annette et leurs époux André et Claudius Barret, Denis Dépalle,
** Joseph. Joseph Lagnier. Classe 1901, sabotier de Lavoine, époux de Mariette : Marie Antoinette Roche.
*** grand de sur l’au. Sur l’au, lire sur l’or. Claude Mondière. Cultivateur de Lavoine. Classe 1907. Mobilisé au 6e Régiment d’Infanterie Coloniale.

"Au 1er Bataillon : L’État-major du Bataillon et la 3è Cie vont à Chenay. La 1re Cie va au fort St Thierry. La 2è Cie va au réduit de Chenay" J.M.O. 104 R.I.T.

JPEG - 399.9 kio
Saint-Thierry (Collection J.M)

29 novembre : lettre de Claude Morel « Le Dode » à Claudia et Célina.
Il est dans les tranchées avec son frère Claude « le Jeune ». Claudia a recueilli deux de ses trois enfants.

Lundi 29 novembre 1914 Cher baille-sœur et niès

Je répond a ta lettre qui ma fait un si grand plaisir daprande de vot nouvelle et selle de Gaspard
[. . . ] je sui toujour en bonne santer et Claude* aussi pour le moment [. . . ]
cher bélle sœur je t’écrit c’est deux mot de lettre dan la tranche je n’est pas le temps de tenmaitre bien lont car on n’est toujour a peler de droite et de gauche et probablement çont va prendre 2 jour de repot se soir [. . . ]
[. . . ] et tu en brassera bien mais deux enfant pour moi et bien le bonjour a ma femme** de ma par et a toute la famille. ton beaux frère pour la vie. Morel Claude

* Claude. Claude le Jeune, son frère.
** ma femme. Annette « Joséphine » Couperier.

30 novembre
La mutation dans une unité du Génie est confirmée. Seraient ce les privations, l’envie de trinquer revient avec insistance ! Une mauvaise nouvelle s’annonce.

Le 30 11 1914
[. . . ] je vous dirais que cette nuit je va quitter la Compagnie nous sommes 48 hommes pour aller travailler sous le commandement du Génie nous travaillerons que la nuit et le jour nous aurons repos je crois que nous serons plus tranquilles [. . . ]
je nai encore pas revue les camarades du pays [. . . ] cela fait plaisir de causer des nouveaux du pays ensemble pour le moment c’est impossible.
Vous direz à Badinguet* que je lui souhaite bien le bonjour en attendant le jour ou nous viderons une bonne bouteille.
Vous ne me dites pas si le Gaspard du petit Claude** a été pris et si la Marion*** se fait toujours tant de mauvais sang. Bonjour aussi à la Marie Vallas**** ainsi qu’à toute la maison et tous les parents et amis qui s’intéressent de moi.
Vous direz au vieux amis Mathieu***** que le temps me dure bien de ne pas pouvoir boire un vieux litre ensemble pour parler de la guerre
mais j’espère que ça viendras bientôt et en arrivant j’aurai le gosier bien sec il me faudrait une bonne grande fiole pour le désecher je souhaiterai que ce soi pour le 1er janvier [. . . ]
Chère petite femme tu me diras si tu a fait bonne foire et les nouveaux que tu as appris [. . . ]

* Badinguet. Mary Basmaison, frère de Jean dit Lampiste. Classe 1890. Cultivateur de Lavoine.
** Gaspard du petit Claude. Gaspard ?
*** Marion. Marie Antoinette Roche dite aussi Mariette. Elle a appris que son mari Joseph Lagnier serait porté disparu.
**** Marie Vallas. Marie Vallas née en 1878, mariée avec Joseph Vallas, classe 1891. Cultivateurs au bourg de Lavoine. Deux enfants : Simon 12 ans et Gaspard 9 ans.
***** Mathieu. Mathieu Barraud. Classe 1898. Cultivateur de Lavoine.

3 décembre
En étant muté chez les sapeurs, Gaspard a gagné au change. Il s’inquiète du sort de son ami Joseph et de son épouse Mariette.

Le 3 Xbre 1914 [. . . ]
[. . . ] depuis que je suis au sapeurs il y a de quoi se réchauffé je voudrais bien y rester toute la durer de la guerre car je ne vas plus au tranchées [. . . ] je ne prends plus la garde tous les jours je vas exploiter du bois et je suis chef d’équipe nous sommes huit hommes il n’y a que des obus que l’on risque quelque chose quand ont les entend venir ont se couche et puis c’est tout [. . . ] nous avons du travail jusqu’à la fin Février [. . . ] c’est un truc très bon. [. . . ]
J’ai vu le Jean Mary de la Pierre d’argent* il se porte toujours bien
[. . . ] J’ai dit ce matin a Dubreuil que tu avais vu sa mère [. . . ]
tu le diras a Mr Terrenoire je lui souhaite bien le bonjour ainsi qu’a Mme Terrenoire a la petite Françoise** [. . . ] et si Joseph a écrit car la pauvre Mariette doit bien s’ennuyer*** [. . . ]

* Jean Mary de la Pierre d’argent. La Pierre d’Argent : village de Lavoine. Jean Fradin. Classe 1896. cultivateur de Lavoine.
** la petite Françoise. Francisca Basmaison, épouse d’Antoine Lagnieu, boulanger de Lavoine.
*** la pauvre Mariette. L’annonce d’une disparition de son mari Joseph Lagnier devient insistante.

6 décembre
Gaspard a retrouvé un environnement plus serein. Il bénéficie de l’attention des siens. Les colis se succèdent, il ne décourage pas le mouvement !

Le 6 Xbre 1914

[. . . ] je me porte très bien [. . . ]
j’ai reçu votre colis qui contient un caleçon deux paquets de tabac et une tablette de chocolat je vous en remercie de tout cœur ainsi que du colis que j’ai reçu lundi [. . . ] il ne manque plus rien pour le moment que du feu car l’on ne trouve plus d’allumettes et vous savez que je ne dors pas toute les nuits je massi et je fume m’a pipe tout ce qu’il me manque c’est un briquet [. . . ]
je suis bien pour le moment pourvu que je puisse y rester il y a du travail mais cela ne fait rien j’ai mes nuits pour moi et je mange toujours chaud c’est le principal je fait huit heures de travail par jour et j’ai fait passer Mondière de chez Pion* avec moi il est très content la classe comme tu l’appelle du tatot ((?) Ne m’envoyez plus rien question d’effets [. . . ] c’est trop lourd et très embarrassant dans quelques jours vous m’enverrai un peu d’argent [. . . ] il en faut pas bien car le vin et tellement cher que je n’ose pas en acheter.
Chère femme j’ai reçu une lettre de ma sœur Maria elle me dit que Chaussière** t’a vu à la gare de Ferrières elle me dit que les parents du Pilard*** sont aller leur demander de mes nouvelles
[. . . ]
Ma sœur me demande si j’ai besoin d’un passe montagne [. . . ] votre cache-nez me suffit si tu peux me trouvé un briquet tu me l’enverra ainsi qu’un bout de votre bon fromage pour les effets une autre flanelle et j’aurais tout ce qu’il me faudrait [. . . ] le temps a bien radouci [. . . ] tu me diras aussi si la grosse**** est guérie de son indigestion pourvu qu’elle n’ait pas fait caca dans les draps o c’est embêtant la Maria me dit qu’ils y sont allés eux aussi pour aidé tué ce cochon
[. . . ] elle me dit que le père et la mère se porte bien mais qu’ils se font du mauvais sang de nous voirs dans une pareille situation.
Chères petites excusé moi si ma lettre est un peu brulé c’est que ma bougie finissait et je suis bien ennuyé je ne sai pas quand je pourrai en avoir et je n’ai pas bien le temps d’écrire le jour. [. . . ]

* Mondière de chez Pion. Jean Mondière ?
** Chaussière. Jean-Claude Chaussière, époux de Maria. Classe 1902. Il sera mobilisé en 1915.
*** les parents du Pilard. Pilard, village de Ferrières. Il peut s’agir de la sœur de Claudia, Claudine Françoise, épouse de Jean Paput et/ou de Georges Lafaye époux de Marie Morel, cousine de Gaspard.
**** la grosse. Claudine Couperier. Dite Tante Grosse, épouse de Claude Morel, le Jeune.

8 décembre
Sans être en premières lignes, Gaspard n’est pas à l’abri du danger. Situation prise avec une certaine désinvolture.

le 8 Xbre 1914 [. . . ]
Les nouveaux que je peux vous apprendre sont toujours les mêmes le temps a beaucoup changé il fait très doux seulement il pleut de temp en temp il y a une boue jusqu’au chevilles . [. . . ]
Je vous dirai que je suis bien embêté mon frère Dode* m’a écrit il me demande une réponse de suite et il ne m’a pas envoyé son adresse il me dit que Clodis* et avec lui ils se vois souvent ils se portes bien tous les deux mais ils s’embêtes d’êtres comme moi toujours dans les tranchées
[. . . ] moi pour le moment je n’y vas plus [. . . ] je ne crains que les obus qui pleuvent journellement hier et aujourd’hui ils tombais à 50 mètres de nous les éclats venaient jusqu’à nous au beau millieu du bois si vous voyais ça l’on n’y fait pas attention du tout comme nous disons voilà encore une marmite qui arrive couchons nous et nous voilà partis a rigoler et chacun dit la sienne [. . . ] la Noël vient mais malheureusement nous ne mangerons pas l’oie ensemble.
Enfin pourvu que j’ai la santée et le bonheur de me rentourner le temp n’est rien il faut de la patience [. . . ] j’ai a vous remercier aussi des bonnes pastilles que vous m’avez envoyé elles sont très bonnes.
Veuillez donc me dire si la cousine Françoise** fait toujours cuire et si vous avais le pain a volonté et s’il est bien cher. Faites moi passer l’adresse de mon frère Dode et le bonjour à mon petit bleu Bonnet*** . [. . . ]

* Clodis. Les deux frères Claude, le Dode et Claudi, sont ensemble au front.
** la cousine Françoise. Francisca Basmaison. Épouse du boulanger de Lavoine, Antoine Lagnieu qui est malade.
*** Bonnet. Bonnet, son jeune frère, qui sera mobilisé le 23 décembre 1914.

« Du 8 décembre 1914 au 11 juin 1915 [ . . . ] Dans cette dernière organisation qui subsistera jusqu’à la fin du séjour du 104e Territorial à Villers-Franqueux, les bataillons passent successivement 8 jours au secteur de Villers, 8 jours au repos (Toussicourt et Villers-Franqueux) et 8 jours au secteur de Luxembourg. [ . . . ] Toute la ligne était dominée par les observatoires boches du Fort de Brimont. Aussi les boyaux, la route 44, et les gourbis des Meules et la route de Thil sont-ils continuellement bombardés. » Le chtimiste.

JPEG - 118.2 kio
L’église de Villers Franqueux (1915)
Collection J. M.

10 décembre
L’annonce de la mobilisation du « Truc » réjouit Gaspard ! Il décrit sa nouvelle affectation, bûcheron, chef d’équipe, soumis aux bombardements.
Les fêtes de fin d’année approchent, la nostalgie pointe mais aussi la perspective d’une belle fête de retrouvailles familiales. L’aide de Dieu devrait permettre le retour sain et sauf et la victoire !

le 10 Xbre 1914 [. . . ]
Je viens de recevoir vos deux lettres toute deux a la fois celle du deux et celle du 4 courant. vous me faites plaisir de me dire que le Truc* a été pris pour le service ce n’est pas dommage car il n’y a pas un homme en France qui ait si bien le temp de faire du service que lui et un bon pain bénit de n’avoir pas eu son assistance judiciaire.
Vous me demandez le travail que je fait je vat tous les jours au bois avec une équipe de huit hommes il y a des jours que nous sommes jusqu’ a 50 hommes nous sommes 5 de la compagnie pour abbattre des arbres pour faire des abris [. . . ] nous n’avons pas une minute pour nous
[. . . ] nous couchons dans une cave sur un peu de paille il nous faut une bougie presque jour et nuit et nous en avons pas c’est très ennuyeux [. . . ] le plus qui nous gêne c’est la pluie et la boue
[. . . ]
Une chose qui m’ennuie aussi c’est de ne pas pouvoir faire la Noël ni le 1er de l’an ensemble mais pourvu que j’ai le bonheur de me rentourner nous ferons une jolie petite noce nous serons quatre frères comme se seras jolie [. . . ] croyez moi nous reviendrons tous les 4 sain et sauf et avec l’aide de Dieu nous aurons la victoire
Ah si vous aviez vu hier ses sales Boches nous ont bombardé heureusement il n’y a pas eu de mort ou blessés il y a eu qu’un cheval et 3 vaches de tués cela ne faisait pas beau
Je vous dirais aussi que j’ai reçu vos deux colis mais ne m’envoyé plus de linge pour le moment j’ai suffisament [. . . ]
Ne soyez pas inquiette de moi [. . . ] ce que je vous recommande c’est de vous soigner que je vous trouve en bonne santée a mon retour [. . . ]
Vous donnerez bien le bonjour de ma par au parents des Bicons** ainsi qu’a tous les amis du Bourg.
[. . . ] j’ai reçu une carte de Monsieur Ternoire Bien le bonjour de ma part

* le Truc. Surnom : lire le Turc. Juge de paix ? Avocat ? Notaire ?
** Les Bicons. Lieu-dit de la maison familiale.

12 décembre
La perspective de passer les fêtes loin des siens pèse sur le moral. Gaspard fait face, réconforte son jeune frère, sans s’apitoyer sur son propre sort.

Je dispose d’un petit moment étant au bois pour vous donner de mes nouvelles qui sont toujours bonnes [. . . ]
Vous m’avez fait plaisir de m’envoyer l’adresse de mon frère Dode je lui ait écrit hier [. . . ] je l’ai encouragé tant que j’ai pu sur m’a lettre et qu’il ne se fasse pas de mauvais sang il faut bien se surmonter un peu car dans ce métier celui qui n’y prend pas du bon côté et vite abbatu.
[. . . ] je fait tout ce que je peux pour combattre m’a misère le temps me dure bien moins au bois malgré que ce n’est pas tout rose [. . . ] quand bien même que je suis bien exposé au feu de l’artillerie Allemande ont s’habitue a tout.
Avant hier nous avons pu avoir du vin et du rhum nous avons bu un bon coup pour la Noël Mondière a demandé une oie a chez eux si rien ne nous est arrivé comme je l’espère nous la mangerons ensemble en buvant un litre ou deux
vous me dites sur votre dernière lettre que vous voulez m’envoyer de l’argent vous en avez peut-être pas trop pour vous gardé dont pour vous soigner j’en ait encore un peu pour mon Noël
Je ne suis pas encore trop enrhumé vos pastilles Guyot sont très bonnes je ne me suis pas encore servi de la tinture d’iode [. . . ] il pleut tous les jours les chemins sont affreux.
Pour vous mes chères petites faites donc bien la Noël malgré que je n’y serais je serais très content de savoir votre petit menu [. . . ]
Pour le moment ce qui me manque ce sont les allumettes nous en trouvons plus si j’avais un briquet a essence je serais trop content car je fume beaucoup ah que j’ai trouvé votre tabac bon et votre chocolat tous les matins je m’en fait une tasse . [. . . ]

JPEG - 44.1 kio
Pastilles du Docteur Guyot

Dimanche 13 décembre : lettre de Claude Morel (Le Dode)
Dans les tranchées, Le Dode souffre de cette situation, outre le danger, la pluie, la boue. Il remercie sa nièce et sa belle-sœur des soins donnés à ses enfants.

Chère belle-sœur et niècs

Je fait réponse a votre lettre qui ma fait un si grand plaisir daprande de vos nouvelle et même temp les nouvelles de ma femme et de mais enfants
cher niece je suit tré heureux da prendre que tu prant tant de peine pour mais deux enfant*
je te remercie beaucoup. [. . . ]
Pour moi je suis toujour en bonne santer [. . . ] et Claude aussi et toujour en bonne santer [. . . ]
cher belle sœur j’ais ecrit a Gaspard voilà lontemp mais j’ais pas resut de réponse encore et tu me dis si on pouver etre la pour la Noël mais je te le dit pour le sur qu’il faut pas hiconter
comme sa marche on ne c’est pas çante sa va finir sa cera bien plus lont çon le croit.
Cher belle sœur nous somme pas dans une bonne situassoins pour le moment,
je te dirent que le temp et très mauvais pour nous en se moment il pleux tout les jour je peux te dire que c’est bien dur pour nous çante les efaits son mouyé et dans la boue jusça au de sut des souyet. [. . . ]

* Deux de ses 3 enfants sont en garde auprès de Claudia sa belle-sœur

|Claude Le Jeune partage et subit le même sort que son frère Claude Le Dode. Il donne son adresse ce qui permet de resituer les deux frères au cœur du drame de Vingré !
Le mois prochain, nous ferons un " arrêt sur image" entièrement consacré à ce tragique épisode.|

Dimanche le 13 décembre 1914. Cher belle-sœur
[. . . ]
j’ais un peux tarder a te faire passer de mais nouvelles mais il faut pas en n’entré en colère pour sa car je n’est crit pas cante je veux comme tu xest que je ne xest pas écrire [. . . ] tu cest bien que je vous et jamais oubillé je pensse bien a vous tout les jour
cher belle sœur je te dirent qu’il fait bien movée en se moment il tombe de leaux tout les jour je peux te dire que c’est bien dur pour nous dans les tranches leaux sur le dôt et dans la bout juca au de sut des souyet et c’est pas finit encore cest bien ce qui nous sera le plus dur car notre situassion et toujours la même chose.
Cher belle seur tu tachera de me faire passer des nouvelle de mon frère Gaspard et ce qu’il fait lui aussi car dode lui a bien Ecrit voilà déjàs qu’ellque jour mais il na pas resut de réponse [. . . ]
en vous envoyent bien le bonjour et un grand baisser de tout môt ceur ton beaux frère pour la vie.
Morel Claude jeunne

voilà mon adresse :
24e compagnie, 3e section, 298è d’infanterie, 6 bataillon, 63è Division de Réserve, Bureau central militaire de Paris.

16 décembre
Sur un mode humoristique grinçant, Gaspard décrit ses nouvelles conditions de vie qu’il apprécie en les comparant à celles des tranchées. Il donne des précisions sur son activité.

Le 16 Xbre 1914

[. . . ] votre aimable lettre du 10 courant qui m’a fait plaisir d’apprendre les nouveaux du pays car maintenant les jours et mêmes les heures commencent a devenir longues dans ce triste état vous me demandé si je suis bien nourri et bien couché pour la nourriture voilà ce que nous avons le matin : café au petit jour et avec votre chocolat je m’en fait une tasse de bon matin [. . . ] avec du pain ça me fait du bien je part au bois jusqu’à 10 heures nous arrivons au cantonnement nous mangeons le bouillon avec un peu de bidoche cuite dans le bouillon quelques fois du ris nous repartons au bois jusqu’à 4 heures nous rentrons a 4 ½ et nous mangeons encore la soupe quelques fois des pommes de terre en guenille comme ont les appelles
Il y a des jours que nous avons un quart de vin mais pas souvent ou pour deux sous [2] de rhum qui vous écorche le gosier et après cette cérémonie il faut descendre a la chambre a coucher avec une bougie même en plein jour ; la rien n’y manque les draps sont très propres car nous essuyons nos souliers avec [. . . ] ils sont plus étés cirés depuis que le cordonnier les a fait maintenant pour le sommier il est étendu sur la terre humide ce qui le rend un peu moisi [. . . ] ce qui fait qu’il sent deja pas bien bon pour nous couvrir nous avons une couverture et notre capote et avec tout ce mobillier l’on est embarassé pour dormir la plume est tellement douce que les côtes nous font mal : le matin il y a même des petites bêtes que l’on appelle les poux qui s’amuse de notre fiole enfin rien ne manque à la guerre mais je me trouve encore bien plus heureux que les pauvres diables qui passent leurs nuit dans les tranchées sous la pluie et l’eau jusqu’au chevilles et sans pouvoir bouger car celui qui bouge sa tête peux très bien recevoir quelques pruneaux
Vous êtes curieuses chères petites femmes de savoir ce que je fais eh bien je fend des gros chênes en 3 ou 4 mètres de longueur pour faire des abris pour les camarades pour les garantir du froid et des obus Boches car la guerre qui se fait maintenant ne se fait que dans terre nous l’appellons la guerre de taupe je ne puis pour le moment vous en faire l’explication.
[. . . ] je me porte bien et surtout j’ai bon appétit le travail que je fait me fait manger car je fait encore du travail pénible c’est moi qui suis chargé de fendre et s’il n’y a pas contre ordre il nous faut au moins 4 mille pièces de bois [. . . ]
pour de l’argent si tu peux m’envoyer 10 fr tu feras plaisir un billet dans une lettre recommandée [. . . ]
Je termine ma lettre un peu gouailleuse en attendant l’heureux jour [. . . ]

JPEG - 131 kio
Publicité parue dans "L’Illustration" en 1914

|« Pendant cette longue période du 1er décembre 1914 au 11 juin 1915, le régiment tout entier, réuni dans le secteur de Villers-Franqueux, s’initie progressivement à la garde de tranchées et au service des guetteurs. Il devient expert dans la construction et l’aménagement des tranchées, boyaux et abris de toutes sortes. » Le chtimiste.|

17 décembre
Gaspard est toujours l’objet d’attention de la part de Claudia et Célina qui lui avaient épargné l’annonce de la mort au front de deux jeunes voisins. Il a retrouvé plusieurs « pays ».

Le 17 Xbre 1914

[. . . ] vous me demandé si j’ai besoin de gants et d’un passe montagne ce n’est pas la peine
[. . . ] je ne me sert que du cache nez le travail que je fait réchauffe bien les mains [. . . ]
je vous direz que j’ai vu aujourd’hui bien des pays j’ai vu Pérard j’ai vu le Jean Mary j’ai vu le petit Liandon de chez Magnaud j’ai vu aussi Compagnat du Mayet le Jean Mondière et bien d’autres [. . . ] ils se portent tous bien.
J’ai appris la mort du gendre du Maire* du petit Couperier** [. . . ] que vous ne m’aviez pas dit Vous me direz aussi sur votre réponse si mon frère Bonnet*** et partit et Monsieur le curé
[. . . ] si le Mitron**** vas mieux si sa maladie est grave enfin j’aime bien savoir tous les petits détails du pays [. . . ]
laissez donc faire le briquet cela vous dérange trop je ferais comme je pourrai.
Vous dites que vous m’envoyer un colis je veux bien mais ne m’envoyez plus de linge pour le moment.
Tout ce que j’ai a vous recommander c’est de bien vous soigner j’ai reçu aujourd’hui une carte du Bourrut il se porte toujours bien vous donnerez de ma part le bonjour a ses parents [. . . ]

* gendre du Maire. Pierre Barraud, cultivateur de Lavoine. Mort pour la France le 5 septembre 1914.
** petit Couperier. Claude Couperier, cultivateur de Lavoine. Mort pour la France le 1er septembre 1914.
*** frère Bonnet. Incorporé le 7 novembre.
**** le Mitron. Antoine Lagnieu. Réformé le 26 décembre.

21 décembre : lettre de Bonnet Maurel
Il vient d’être mobilisé et va faire ses classes.

Bourgoin le 21 décembre.
Cher belle sœur

[. . . ] Je te dirait que j’ai fait un bon voyage Je suis rentré le même jour a six heures du soir enfin pour le môment sa marche toute petitement il y a qui se débrouiller Mais on vas pas nous laissez a Bourgoin ou maime dans la Drôme du cotez du midi peut-etre sette semaine pour faire nos classes. Toute la classe il y est parti enfin plus grand chose a te dire pour le môment [. . . ] il signe Morel
Tu donnera des nouvelles de mon frère

Voila mon adresse : Maurel Bonnet 22e régiment d’infanterie, 26è compagnie caserne Brenier, Bourgoin Isère

24 décembre
Loin des siens en cette fin d’année, Gaspard a le cœur gros. Il s’inquiète de la santé de son cousin boulanger et s’attriste du sort de son jeune ami Joseph. Le bilan de ces premiers mois de guerre est lourd.

Le 24 décembre 1914
[. . . ] je vous remercie bien aussi des cinq francs que vous m’avais envoyé , vous m’avais dit que vous vouliez m’envoyer un colis mais un colis postal coûte beaucoup trop cher [. . . ] vous n’avais qu’a l’expédier à la gare de Lavoine [. . . ] cela coûte bien moins cher et cela arrive la même chose et surtout bien coudre l’enveloppe [. . . ]
Mes chéries je n’ai encore pas reçu de réponse de mes frères mais vos lettres m’ont soulager ainsi que celle de ma sœur Maria [. . . ] me disant qu’ils se portait bien.
Je suis bien ennuyé aussi de ne pas savoir des nouvelles du cousin Mitron* que vous me disiez qui était a l’hôpital [. . . ] et le pauvre Joseph** je ne peux pas croire qu’il est mort veuillez donc me dire si vous en savais des nouvelles en attendant faites donc ce que vous pourrez pour consoler la pauvre Mariette** vous lui donnerez le bonjour de ma part.
Aujourd’hui je vais commencer mes lettres de bonnes années j’écrirai a tous les parents mais je suis bien embarassé pour le papier surtout pour les enveloppes [. . . ]
Chère femme et chère fille
C’est avec un cœur bien gros qui plonge bien des familles dans le deuil et fait verser bien des larmes a des milliers de familles que je vois arrivé cette fin d’année cette année maudite la voilà qu’elle touche a sa fin ou bien des pauvres malheureux sont disparus et n’auront pas le bonheur de souhaiter celle qui va commencer a leurs pères et leurs mères a leurs épouses a leurs chères enfants a quel douleur cela fait frémir.
Pour moi chères petites amies je vous la souhaite de tout mon cœur je vous la souhaite bonne et heureuse et bonne santé et meilleur chance pour le présent que pour le passer c’est tout les vœux que mon cœur désire et espère voir se réaliser.
[. . . ] Excusé moi j’ai taché m’a lettre avec m’a bougie.

* Cousin Mitron. Antoine Lagnieu, boulanger de Lavoine, il est hospitalisé pour bacillose.
** Joseph. Joseph Lagnier, sabotier à Lavoine. Epoux de Mariette, Marie Antoinette Roche. Disparu, déclaré Mort pour la France le 1er décembre 1914.

26 décembre
Triste Noël loin des siens. Gaspard a fait quand même un peu de toilette. Faute de papier il ne pourra envoyer ses vœux.

Le 26 Xbre 1914
[. . . ]
Avant-hier je vous écrit une lettre pour vous souhaiter la bonne année j’espère que vous l’aurais reçue.
J’aurais bien voulu pouvoir écrire a tous mes amis pour leur souhaiter la bonne année mais comme je n’ai pas pu trouvé de papier ni de carte tache donc de leur souhaiter pour moi en particulier a Mr Terrenoire et sa dame aux voisins Vallas a Francine et tous les amis [. . . ]
je n’ai pas beaucoup le temps il faut écrire la nuit et la lumière manque [. . . ] tu vois que ce n’est pas beaucoup commode.
Pour le jour de Noël j’ai travaillé toute la journée comme les autres jours j’aurais bien voulu être auprès de vous pour la faire mais si je n’y était pas en personne l’esprit y était
nous avons été nourris comme les autres jours j’ai acheté un bidon de vin pour la journée et du chocolat pour la semaine [. . . ] je fais fondre un bâton de chocolat sur le feu que je mange en guise de soupe cela me soutient beaucoup j’aime mieux mettre mon argent la que de la mettre après la boisson.
Mondière* et toujour avec moi j’ai vu aussi le Gilbert de chez Masonnet** qui m’a payer la goute et un quart de vin blanc il m’a rasé et coupé les cheveux [. . . ] je ne les avais plus fait coupé depuis mon départ c’est a dire depuis que le Jean de la Grand rue*** me les a coupé et j’avais aussi une grande barbe qui me dégoutait [. . . ] tu lui donneras bien le bonjour au Jean et toute sa maison l’Antonnin**** et-il pas de la classe qui va partir
Tu donneras aussi le bonjour au vieux copin Mathieu***** ainsi qu’a toute sa maison [. . . ]
J’ai reçu une lettre de mon frère Dode il me dit qu’il se portes tous les deux bien si tu vois Joséphine****** tu le lui diras je lui envois bien le bonjour et je lui souhaite la bonne année ainsi qu’a la belle sœur Jeanne******* j’aurais voulut leur écrire mais comme le papier me manque je vous charge de ce petit service.[. . . ]

* Mondière. Jean Mondière de chez Pion ?
**Gilbert de chez Mas(s)onnet. Massonnet : village de Lavoine. Gilbert Blettery, sabotier. Classe 1899.
*** Jean de la Grand rue. Jean Dubois, perruquier, cafetier du Mayet-de-Montagne.
**** l’Antonnin. Antoine Basmaison, cultivateur de Lavoine. Classe 1916. Sera mobilisé le 09/04/1915.
***** vieux copin Mathieu. Mathieu Barraud. Classe 1898. Cultivateur à Lavoine.
****** Joséphine. Annette Joséphine Couperier, épouse du Dode.
******* la belle sœur Jeanne. Marie-Jeanne Brugièregarde, épouse de Bonnet.

26 décembre lettre de Claude Morel Le Jeune.
Il n’est guère optimiste quant à une issue rapide de la guerre.

Chere Belle-sœur et nièce
[. . . ]
Vous me dites qu’à mon retour nous ferons une bonne noce mais il faudra attendre au moins Pâques car ça ne prend pas la tournure de vouloir finir enfin si on peut en sauver la peau ça sera rien.
Je voudrais vous écrire plus souvent mais dans la situation ou nous sommes c’est pas toujours possible.
je suis était heureux de savoir des bonnes nouvelles de mon frère [. . . ]
je vous souhaite a tous une bonne et heureuse année.

Il signe Maurel Claude jeune

29 décembre  : lettre de Claude Morel (Le Dode)
Il souffre de sa situation au front et fait appel à Dieu. Il envie les conditions de vie de son frère aîné.

Chère belle-sœur et niècs
[. . . ]
Chèr belle-sœur et niècs je profite de se petit moment pour vous soitent une bonne ennnée et une bonne santé et le bonneurre de nous voire au plus tôt posible.
[. . . ] si Dieu ni mais pas la main sa va etre dur pour nous avec le temps qu’il fait en se moment.
Cher belle sœur j’ais a prit que Gaspard avait plus de vaine que moi il a toutes c’est nuit pour lui et ne va pas dans les tranché de puis quelque jour, il fais que 8 heures de travail et nous c’est toujours la même chose la nuit et le jour en fasse des Boche ou bien de corvée on na pas beaucoup de tenp pour nous
[. . . ] vous ferent passer de mais nouvelle a ma petite famille et vous en brasserent mais deux enfant pour moi [. . . ]

29 décembre
Gaspard félicite et encourage Célina. Il souffre de la séparation qui dure.

Chère petite fille,

Je m’empresse de répondre a ton aimable petite lettre qui m’a fait tant plaisir de voir que c’était toi qui l’avais faite toute seule je te répond que je l’ai faite voir a tout mes camarades ils était émerveillés de l’entendre lire tellement ils l’on trouvé si bien composée [. . . ] je suis fier des progrès que tu a fait cela m’encourage.
Je l’ai faite voir aussi a l’oncle Gilbert* de l’Antonia Blettery de chez Masonet [. . . ] son papa** est venu en permission si vous aviez l’occasion de le voir il pourrat vous dire ce que c’est que la guerre.
Chère petite amie sois toujours bien sage et travaille bien a ton école sois bien obéissante a la maman [. . . ]
tu me dit que le temp te dure bien de ne pas pouvoir m’embrasser mais peut-être qu’a moi il dure encore bien davantage les heures me dure des jours il me semble qu’il y a un an que je suis parti [. . . ] il ne se passe pas une heure du jour sans que je pense a toi et la chère maman qui doit bien s’ennuyez aussi mais ayons du courage tous un jour viendra ou nous pourrons nous embrasser d’un grand cœur [. . . ]
Chère femme je suis été très heureux de recevoir la lettre de Célina [. . . ] tu doit être heureuse de voir qu’elle travaille si bien.
Tu me diras si tu as fait bonne foire et les nouveaux que tu auras appris une autre fois que tu auras l’occasion de voir Monsieur Lebrou*** tu lui donneras bien le bonjour [. . . ]

* l’oncle Gilbert de l’Antonia de chez Mas(s)on(n)et. Massonnet : village de Lavoine.
Gilbert Blettery. Classe 1899. Sabotier de Lavoine.
** Papa d’Antonia. Gaspard Blettery. Classe 1897. Cultivateur de Lavoine.
*** Monsieur Lebrou. Achille Lebrou, médecin du Mayet-de-Montagne.

31 décembre
En cette fin d’année, Gaspard apprécie lettres et colis. Un peu d’argent est toujours aussi bienvenu !

Le 31 Xbre 1914 [. . . ]
Cela m’étonne bien que vous me dites que je ne vous écrit pas assez souvent cependant je vous écrit tout les deux jours il faut remarquer qu’il faut compter quatre ou cinq jours pour aller cela dépend.
J’ai touché votre colis en même temp que votre lettre cela m’a fait bien plaisir surtout le briquet et les bougies et aussi la boîte de pastilles je vous en remercie bien si vous pouvez m’envoyer un peu d’argent vous me feriez plaisir car j’en ai plus bien si ont a pas une pièce de 10 francs dans ses poches l’on n’est pas bien fier dans la position ou je suis.
Je vous direz que je vois Gilbert Blettery* de chez Massonnet tous les jours il lave mon linge car je n’ai pas le temps je suis partis tous les jours au bois il vous envoie bien le bonjour c’est lui qui me procure quelques bidons de vin [. . . ] car le travail que je fais je prend bien de boire un canon seulement je ne suis pas bien riche enfin je ménage tant que je peux.
Quand tu m’enverras autre chose tu ne m’enverras plus de tabac car l’on nous en donne suffissament .
J’espère bien aussi que vous aurez reçu mes lettres de bonnes années une du 26 et l’autre la réponse que j’ai fait a la lettre de Célina ; je n’ai encore pas reçu de nouvelles de mes frères depuis le 18 de ce mois. [. . . ]

* Gilbert Blettery de chez Massonnet. Massonnet : village de Lavoine. Gilbert Blettery, sabotier. Classe 1899.
JPEG - 46.9 kio
Source : Banque de France

A suivre


[125 sous = 1,25 F

[2deux sous = 10 centimes.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

6 Messages

https://www.histoire-genealogie.com - Haut de page




https://www.histoire-genealogie.com

- Tous droits réservés © 2000-2024 histoire-genealogie -
Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Mentions légales | Conditions Générales d'utilisation | Logo | Espace privé | édité avec SPIP