Les complaintes, chansons populaires, célèbrent des événements le plus souvent tragiques. Depuis des siècles, elles créent et entretiennent la légende de personnages héroïques.
La complainte de Mandrin est sans doute aujourd’hui la plus célèbre.
Nous étions vingt ou trente
Brigands dans une bande,
Tous habillés de blanc …
Transmise par les colporteurs et les chanteurs de rue relayés par des artistes contemporains, des animateurs ou instituteurs, elle est parvenue jusqu’à nos oreilles. Nous sommes sans doute nombreux à l’avoir fredonnée, voire entonnée gravement, au cours d’un feu de camp, d’une fête scolaire ou d’une réunion familiale.
L’épopée de Louis Mandrin [1], se termine par sa dramatique et féroce exécution à Valence, le 26 mai 1755. Sa complainte va naître.
Moins de 10 ans plus tard, en 1764, s’ouvre le premier acte de l’Affaire des Pions, dont le déroulement et l’issue vont engendrer une autre complainte.
Ma curiosité portant sur ces deux événements est liée à l’attachement que je porte aux lieux, Ferrières [2] et ses villages, et à ses habitants, mes ancêtres, témoins, acteurs (?) de leur déroulement.
Nous sommes au cœur de la Montagne bourbonnaise, dans un de ces bouts du monde que nulle route ne traverse, aux confins des actuels départements de l’Allier, de Loire et du Puy-de Dôme.
Terre alors si reculée et hostile, que pour un peu, je soupçonnerais les équipes des cartographes Cassini de ne s’y être pas attardées, négligeant même de relever quelques villages à l’existence attestée par les registres paroissiaux.
Mon incursion dans l’épopée de Mandrin est brève et porte sur son passage sur ces terres reculées.
Traversant la région, le 22 décembre 1754, il quittait Le Breuil.
Il faut reconnaître que la journée avait été rude et agitée.
A la suite d’un sévère différend, il avait laissé le soin aux officiers de justice d’examiner le cadavre de quatre gapians [3], employés de la brigade de Vichy.
Les chevaux s’étaient désaltérés à la fontaine [4]. Lui-même et ses compagnons avaient préféré se rafraîchir chez le cabaretier.
Connu pour son grand cœur, Mandrin, avait parfois une approche rugueuse. Ce soir-là il était irritable.
Vers 7 heures du soir, à la tête d’une partie de sa bande, il fait irruption à Saint-Clément. Dans les moments qui suivent, il fait passer de vie à trépas mon jeune cousin Jean Driffort [5], fils du meunier et sabotier de son état.
Mon brave Jean aurait refusé de lui indiquer le chemin du grenier à sel.
L’admiration, que je portais dans ma jeunesse au capitaine, s’est nuancée et je confesse que je lui garde rancune.
La Complainte et plus précisément l’Affaire des Pions vont me mobiliser davantage.
Ecoutez tous réciti
D’un village tout près d’ici :
Lou habitants de chi Pions
Sont trétous de bons lurons,
Mais lou vaillants dragons
Sont venus renversa lou Pions.
La paroisse de Ferrières et quelques-uns de ses villages : La Guillermie, Lavoine, Bèchemore, Toinon, Fumoux, Chosnier, La Pierre d’Argent, Bonnaventure, … et Chez Pion forment le décor.
Retracer les rebondissements de cette tragédie n’est pas démarche nouvelle, la voie a été largement balisée.
Le point d’ancrage de mes recherches a été le remarquable travail de Paul Duchon « La complainte des Pions » - 1911 [6].
Accompagnant une étude particulièrement fouillée de cette complainte (musique et paroles en mi-français mi-patois), il livre un récit détaillé de la dramatique affaire à l’origine de la chanson. Il cite Gilbert Décoret [7] et Ernest Delaigue [8], mais surtout revendique la référence à des actes judiciaires authentiques.
Par chance et avec un peu d’obstination, j’ai pu réunir la quasi-totalité de ces documents et découvrir quelques nouveaux.
Je me dois d’insister sur la part de la chance.
Chance partagée, nous vivons une époque moderne : grâce au site internet Gallica de la Bibliothèque nationale de France (BnF), « La complainte des Pions » de 1911 est désormais offerte à tous.
Autre chance : à l’issue d’une longue quête, acquisition chez un « bouquiniste » en ligne, de l’intéressant ouvrage de Decoret.
Chance encore : la réédition en 2015 ... aux Etats-Unis !! de la publication d’Ernest Delaigue.
Je disposais déjà de quelques articles contemporains de revues généalogiques [9] et grâce à l’obligeance du président de l’Association des Amis des Bois Noirs j’ai pu prendre connaissance de l’article de Charles Jacquet [10].
Les versions divergent quelque peu, l’identité et le rôle des acteurs sont parfois interchangés.
Parfois l’imaginaire s’emballe. Ainsi Jacques Lacarrière s’est laissé conter [11] que l’huissier, un des protagonistes, aurait été ligoté par les Pions et porté chez le boulanger pour y être brûlé !
Pour revisiter utilement cette histoire, à l’exemple de Paul Duchon et Gilbert Décoret, il était indispensable d’avoir accès aux archives judiciaires.
Plus de cent ans après eux, était-ce encore possible ?
Trois procès ont ponctué cette affaire : en 1764, à la Châtellenie de La Guillermie, puis à la Sénéchaussée de Moulins et le dernier en 1765 au Parlement de Paris.
Là encore, chance offerte à tous, la présence des services publics des Archives, remarquables par leur efficace disponibilité.
Cette efficacité a été récemment plus que décuplée par l’introduction de l’informatique et la numérisation dans leur fonctionnement.
J’ai donc trouvé des interlocuteurs d’une décisive pertinence au Service des Archives départementales de l’Allier (A.D.) et à la Bibliothèque nationale de France.
Aux A.D. de l’Allier, les cartons contenant le très improbable fonds de Justice de La Guillermie signalé par P. Duchon ont été retrouvés et explorés. Après quelques déconvenues, superbe découverte, un ensemble de pièces d’instruction a revu le jour.
Une déception subsistait malgré des recherches minutieuses dans les archives de la Sénéchaussée de Moulins, aucune trace de l’instruction (audition des accusés, des témoins, …) et de la sentence du procès de Moulins n’avait pu être relevée. Il est à noter que le scrupuleux P. Duchon n’en a pas fait mention, laissant à penser que les lacunes étaient probablement très anciennes.
A la BnF, chercher l’affaire des Pions, n’était-ce pas chercher une aiguille dans une montagne de foin !?
Mais le foin y est bien peigné.
L’exemplaire de l’Arrest de la Cour du Parlement du 02 juillet 1765, conservé sur le site de Tolbiac, se révèle au dernier moment incommunicable en raison de son état.
Une deuxième démarche vers le site de Richelieu sera couronnée de succès.
La lecture de ce document permet de découvrir qu’il reprend les conclusions du procès de Moulins, ce qui minimisait la disparition du document original.
J’avais achevé les transcriptions, analyse et exploitation de l’ensemble de ces sources, lorsque la chance me sourit une nouvelle fois.
Je découvre qu’après un long travail, Michèle Sternberg animée du même souci de retrouver la trace de ses ancêtres Pion vient de publier un ouvrage très documenté
STERNBERG Michèle, L’affaire des Pions La Montagne bourbonnaise sous l’Ancien régime.Vichy, 2016 sur cette « affaire ». Ses recherches lui avaient permis de mettre l’œil, en avant-première, sur les archives judiciaires « disparues » de Moulins. Ma « cousine », en me précisant très aimablement les références, m’a permis de conforter et compléter mes propres informations.
Mon propos est donc de tenter modestement à mon tour, d’entretenir, voire de ranimer le souvenir de cet événement, en proposant un récit qui se tiendrait au plus près des sources authentiques.
Dans la mesure du possible, je souhaite aller un peu au delà en amorçant l’identification des différents protagonistes et aider leurs descendants à les réinscrire dans leur lignée généalogique et, pour ceux qui ont échappé à une fin tragique, de retrouver leur trace après le désastre.
Toutefois, l’identification et filiation des acteurs va se heurter à la difficulté de distinguer les homonymes et parfois à l’imprécision des archives étudiées.
Dans un premier temps, l’approche de mes ancêtres Pion, pour la période considérée, n’a pu se faire essentiellement et banalement, qu’au travers du seul témoignage de leur vénérable curé Forissier [12].
Exerçant son ministère dans cette paroisse de 1716 à 1765, il les a tous bien connus ... et a gardé le secret de leurs confessions !
Mais il a soigneusement tenu les précieux et irremplaçables registres [13] sur lesquels sont enregistrés baptêmes, mariages et sépultures.
De cette lecture on retient l’importance du fait religieux. Tous ses paroissiens sont bons chrétiens.
A la naissance d’un enfant, le jour même autant que possible, par tous les temps, ils se précipitent à l’église, pour lui assurer par le baptême, le salut éternel. Pour les Pions, le mérite du déplacement n’est pas mince, il faut marcher une dizaine de kilomètres et revenir !
Le rituel du mariage souligne le respect de la morale chrétienne, les futurs se sont préalablement confessés et ils ont su maîtriser leurs pulsions et respecter l’interdit majeur, pour preuve la légitimité attestée de leur progéniture, lors du baptême.
Enfin la mort imminente est l’occasion pour tous de réaffirmer sa soumission aux ordres divins, l’amour de son prochain n’est-il pas au premier rang ?
La vision de ces personnages obtenue au travers des seuls registres paroissiaux, prismes lissant toutes aspérités, me donnait une image apaisée d’une vie paysanne, certes rude, voire très rude, mais communautaire et solidaire.
Toutefois, une lecture attentive permet de voir émerger, ici et là, des formes de violences diverses liées à celle intrinsèque de la mort.
Récapitulant en fin d’année le nombre de sacrements délivrés, l’officiant note que sur 93 enfants, 10 sont morts-nés ou morts sans baptême faute d’une sage-femme expérimentée qui aurait fait face à l’urgence en administrant l’ondoiement salvateur.
Doublement de la peine pour les parents : l’enfant disparu n’aura pas sa part de Paradis.
Violence institutionnelle, quand la hiérarchie sociale est soulignée lors de la sépulture. « Grand enterrement » pour les uns, voire pour les plus puissants, « inhumation dans l’église, dans le tombeau de ses ancêtres », les autres se contentent d’un « petit enterrement » au cimetière voire d’une « inhumation par charité ».
Mais aussi violence triviale du fait d’autrui, lorsque l’on apprend que le malheureux Jean Fournier a été tué dans le bourg ou que Bonnet Monat est trouvé mort dans les bois du village Pion, la levée faite par la justice, (peine supplémentaire ils n’ont pu bénéficier des ultimes saints sacrements).
Traces encore de violences lorsque le cimetière est interdit à la suite d’une profanation, suadente diabolo.
Enfin, violence de l’homme d’église lui-même lorsqu’il consigne sur son registre l’inhumation d’une petite fille âgée de sept ans, en l’identifiant complémentairement comme la fille à la catin de ce bourg !
Malgré ces éraflures, s’imposait à moi la peinture d’un monde paysan, laborieux, serein et fraternel, tableau entre le Repas de Noces de Bruegel, l’Intérieur paysan de Le Nain et l’Angélus de Millet !
J’imaginais que la situation géographique tellement à l’écart lui avait épargné les méfaits directs des guerres et des bandes, même si j’avais enregistré que Louis n’était plus le Bien-Aimé et que l’exorbitante pression fiscale devait beaucoup à la conduite de guerres incessantes [14]
La découverte des archives judiciaires va brusquement apporter une lumière nouvelle. Les ombres prennent chair et vie.
Au travers des procès-verbaux d’audition des acteurs ou témoins, les traits de personnalité se dessinent, la parole est restituée [15]
Certes il s’agit d’un nouveau prisme qui, cette fois, peut grossir le trait, déformer la réalité et aussi ignorer des pans entiers de l’histoire.
L’imagination a encore sa part.
Mais que savons-nous de ces Pions ?
Pion : patronyme, Pion ou chez Pion : toponyme, l’origine étymologique est incertaine.
Selon Charles Jacquet (article cité), l’hypothèse la plus plausible serait qu’elle serait liée au passage des troupes de Jules César, lors de la conquête des Gaules.
Un légionnaire retraité devenu colon, aurait marqué sa « villa » de son nom/surnom : pedo-pedonis (qui a de grands pieds ; piéton) devenu Pion, péon ailleurs...
Sa descendance, organisée au moyen-âge en communauté , s’est alliée plus tard à d’autres communautés, d’où l’apparition de Pion-Basmaison, Pion-Golliardon, Pion-Desvernois, Neslie-Pion, etc., puis a essaimé.
Force est de constater que dans l’affaire des Pions, si le lieu « village Pion » regroupe des acteurs de premier plan, aucun ne se nomme ainsi. D’ailleurs, à cette époque il n’y a plus de nommé Pion Chez Pion ... mais ses habitants s’appellent les Pions.
Une tenace réputation d’hommes sauvages les a poursuivis. Hostiles à toute intrusion d’étrangers, en particulier des représentants de la loi, de l’ordre ou du prince, ils n’auraient pas hésité à saisir la fourche ou décrocher le fusil, pour éloigner ou neutraliser l’importun.
Le battement d’ailes [16] déclencheur du drame est un défaut de paiement et ce n’est pas Chez Pion qu’il va naître, mais au village proche : Bèchemore.
A la fin de l’année 1763, l’un de ses habitants, Albert Barraud, propriétaire, laboureur, est redevable de la somme de 62 livres 12 sols auprès de Me Antoine La Caille, procureur fiscal à Moulins.
Faute de paiement, le créancier engage des poursuites judiciaires.
L’autorité compétente en matière de justice est le sieur Jean Baptiste Moussier, bailli de Chateldon, châtelain de Puy-Guillaume, Chabannes et La Guillermie, châtelain-juge civil et criminel de la châtellenie de La Guillermie [17]
Le 2 janvier 1764, Jacques Sayet, huissier royal ès sénéchaussée d’Auvergne et Bourbonnais, demeurant au bourg de la paroisse du Mayet de Montagne, est chargé de procéder à une exécution mobilière.
Nous sommes, au petit jour, en plein hiver, la bonne quinzaine de kilomètres à parcourir à cheval sur des chemins malaisés ne s’annonce pas promenade de santé.
Elle va tourner à la franche déroute.
Sayet est accompagné de deux recors, ses assistants : Antoine Dumas et Gilbert Piat. Ils se sont joints à lui, à mi-distance, au bourg de Ferrières où ils demeurent.
L’arrivée du trio à Bèchemore ne passe pas inaperçue. Lorsqu’il se présente à la maison d’Albert Barraud, celui-ci est absent et la porte est close.
L’huissier s’apprête à exercer son office, alors que Marie Barraud, sœur d’Albert n’est pas loin devant la maison.
Elle est venue vivre chez son frère Albert et sa belle-sœur Marie Desvernois après le décès de son mari, Simon Fradin dit Desvernois, vivant, laboureur et charron.
Rapidement Marie Barraud est rejointe par Antoinette, une autre sœur [18], qui demeure à deux pas, à La Pierre d’Argent. Les deux femmes s’opposent avec vigueur à la visite domiciliaire.
Le ton monte : Albert ne doit rien au dit La Caille qui n’est qu’un bougre de voleur et de fripon aussi bien que ledit Sayet et ses assistants !
Marie assure que son frère a déjà enlevé tous ses meubles, que ce sont ses seuls biens personnels à elle qui restent et qu’elle ne doit rien au sieur La Caille !
Aux apostrophes vont succéder les coups.
On ne saura qui a frappé le premier, chacun accusant l’autre, mais il est incontestable que l’échange a été violent.
Les deux sœurs ont ramassé ce qui leur tombait sous la main : des morceaux de bois, des pierres, mais aussi pour Antoinette, un long bois carré qui se trouvait (opportunément ?) dressé contre le mur, pour Marie un maillet qui traînait à terre. A 43 ans, l’aînée est encore dans la force de l’âge.
Alors que Gilbert Piat s’efforce d’ouvrir la porte, Antoinette s’interpose et lui donne des coups de son long bois sur les mains. Le recors lui assène des coups de bâton. Antoinette hurle à l’attention de sa sœur : je suis morte !
Marie qui, un peu à l’arrière, affronte verbalement l’huissier, se précipite à son secours.
Les coups pleuvent.
Antoinette toujours armée de son long bois se jette contre Dumas et le frappe sur la main, laquelle enfle immédiatement de plus d’un pouce [19].
Dans la bagarre, Gilbert Piat casse son bâton de noisetier. Désarmé, il doit reculer, folle de colère Marie lui lance son maillet à la tête.
Craignant pour sa vie en voyant ledit Piat tout ensanglanté, Sayet prend le parti d’un repli général.
Le retour est morose.
Arrivés à Ferrières, laissant Jacques Sayet poursuivre sa route jusqu’au Mayet, les deux recors font halte au cabaret de Claude Dulinier pour se remettre un peu. Malgré la blessure de Gilbert Piat qui se plaint et dit avoir reçu un mauvais coup, ils essuient les quolibets des présents qui les badinent de s’être laissés battre par des femmes.
Gilbert assure que si son bâton ne s’était pas cassé, il en aurait donné davantage à cette b... !
Les jours suivants on va le rencontrer dans le bourg, la tête pliée d’un mauvais linge.
Stupeur, le 19 janvier au soir, Gilbert Piat meurt. Il est enterré le 21 [20].
L’affaire a pris très mauvaise tournure.
Le 20 janvier, Monsieur de Lavaure, procureur d’office de la châtellenie de La Guillermie, est saisi d’une plainte du sieur La Caille portant sur la rébellion faite à Albert Sayet. Le soir même s’ajoute l’information de la mort du malheureux Piat.
Le procureur rédige une requête adressée au châtelain-juge de la Guillermie, Jean-Baptiste Moussier, demeurant en son hôtel de Ris.
Il croit qu’il est du devoir de son ministère de porter plainte contre les dites Barraud, leurs adhérents et complices, de l’homicide commis sur ledit Gilbert Piat et de la dite rébellion, demande que ledit Piat soit visité par médecin ou chirurgien, à l’effet de constater les causes de la mort, d’établir si les coups qu’il aurait reçus lors de la rébellion l’ont occasionnée ou si ce sont des causes étrangères.
Le 25 seulement, cette inertie lui sera reprochée, le châtelain-juge donne acte au procureur : Vue la présente remontrance, lui permet d’informer, d’assigner les témoins, visiter par médecin ou chirurgien le nommé Piat décédé au bourg et paroisse de Ferrières, et de le faire exhumer s’il est en terre.
Un extrait de l’acte mortuaire certifié et signé par le curé Forissier est versé au dossier d’enquête et ce 25 janvier, Simon Javanel, sergent ordinaire immatriculé à la châtellenie de La Guillermie et autres justices, résidant à Ferrières, se transporte au domicile de Me Hiérosme Michel, chirurgien juré demeurant au bourg et paroisse de Busset. L’ayant trouvé et parlant à sa personne, en vertu de la sus-dite ordonnance, il l’assigne à comparaître ce jour même à 10 heures du matin, devant le châtelain-juge pour prêter serment et ensuite se transporter au cimetière de Ferrières pour procéder à la visite du cadavre du dit Piat et faire son rapport sur les causes de la mort.
Me Michel, ancien chirurgien major du régiment de cavalerie de Bourbon-Busset, exécute sa mission sans délai.
Guidé par Laurent Fradin, sacristain de la paroisse présent lors de l’inhumation, il se rend sur la tombe et « enjoint à 4 journaliers du bourg [21] d’exhumer ledit Piat ». « Ayant examiné toutes les parties du corps du dit cadavre, je lui aie trouvé une plaie sur la suture coronale et pariétale à la partie supérieure de l’occipital [ ...], une plaie sur la paupière inférieure gauche [ …] et une contusion sur la région épigastrique [...] ».
Son rapport apporte des précisions sur l’importance de chacune des plaies et de la contusion.
« Les plaies et contusion bien examinées, j’estime que si le blessé avait eu du secours, les coups n’étaient point mortels ».
Mission accomplie, il reçoit 24 livres.
Le 28 janvier, l’information est ouverte. Cinq témoins sont entendus par le juge Moussier.
L’huissier Jacques Sayet, âgé d’autour 38 ans, et son recors aussi journalier, Antoine Dumas, âgé d’environ 32 ans, témoins oculaires et acteurs vont naturellement témoigner à charge.
Ils soulignent l’agressivité hargneuse des deux femmes, comment elles les ont injuriés et harcelés à coups de bois et de pierres. Ils insistent sur l’importance de leurs armes par destination : « un long bois carré qui était droit contre le mur auprès de la porte, […] un maillet de bois qui pouvait être du poids de deux livres » [22].
Le malheureux « Piat se servit du bâton qu’il avait à la main et donna un coup sur les mains de la dite Antoinette Barraud, lequel se rompit étant du noisetier de la grosseur d’un pouce.
Alors qu’il se retirait, ladite Marie Barraud lui jeta le maillet à la tête […] » .
« Lecture faite de leur déposition, ils ont dit icelle contenir vérité, y persister et signer ».
Le juge fait taxer [23] au premier la somme de 4 livres dix sols pour sa journée à cheval et au second 15 sols pour sa journée à pied ».
François Drigeard, âgé d’environ 36 ans, laboureur et métayer, ainsi que Philippe Driffort, âgé d’environ 35 ans, charpentier, ont rencontré « Gilbert Piat, l’un au moulin du Mayet,[…] l’autre au cabaret de Claude Dulinier le jour où il s’est fait maltraiter, puis deux jours après, il avait alors la tête enveloppée […].
A tous les deux, « il a dit que c’était des femmes de Béchemore qui l’avaient frappé et qu’il avait rompu son bâton sur elles, mais que si son bâton ne s’était pas rompu, il en aurait donné bien davantage ».
Quelques jours après, l’un et l’autre ont « ouï dire qu’il était mort et enterré ».
Le juge « a fait taxer la somme de12 sols au premier, 18 au second, pour leur journée à pied ».
Pierre Fiat, âgé d’environ 46 ans, cabaretier, « se trouvant au lieu-dit Gieze et voyant Gilbert Piat qui avait la tête pliée d’un mauvais linge, le badinat de s’être laissé battre par des femmes de chez Bèchemore. ledit Piat lui a dit qu’effectivement Marie Barraud lui avait donné un coup à la tête et que lui Piat avait cassé son bâton sur la sœur de ladite Marie Barraud qui tomba à terre et que si son bâton ne s’était pas cassé, il lui en aurait donné davantage ».
Huit ou neuf jours après, le témoin « entendit dire que ledit Piat était mort et que s’étant transporté chez lui, il vit que, effectivement, il était mort. Il lui jeta de l’eau bénite et s’en retourna ».
Le témoin ajoute que « le dimanche environ 8 du présent mois, ladite Marie Barraud venue chez lui » lui avait dit « qu’elle avait donné un coup de maillet de bois par la tête du dit Gilbert et qu’elle était bien fâchée de ne lui en avoir pas donné davantage, qu’il avait failli la tuer ainsi que sa sœur ».
« Il lui est taxé la somme de 18 sols pour sa journée à pied ».
Le lendemain 29 janvier, sur les réquisitions de Monsieur de Lavaure, procureur d’office, Monsieur Moussier, châtelain-juge ordonne que ladite Marie Barraud, veuve de Simon Desvernois [24] et ladite Antoinette Barraud, femme à Vincent Pételet, sœurs germaines et aussi sœurs germaines [25] à Albert Barraud, seront prises et saisies au corps, conduites et amenées prisonnières ès prisons de cette châtellenie, pour y être écrouées ».
Le 16 février, sous le contrôle de Gilbert Caternault, procureur et greffier de la justice de Ferrières, qui va en dresser procès-verbal, Montrandant, huissier de Ferrières et ses assistants, cinq autres huissiers, exécutent partiellement l’ordre.
La prison de la châtellenie est délabrée, Marie « est appréhendée et écrouée dans les prisons de Ferrières empruntées, les prisons de la justice de La Guillermie n’étant pas en état, et … Antoinette a pris le parti de s’enfuir ».
Sollicités pour venir mener l’interrogatoire de Marie à Ferrières, les sieurs de Lavaure et Moussier refusent, soucieux de faire prévaloir leur droit de basse et haute justice de leur seigneurie à La Guillermie.
Le 17 février, Monsieur Moussier, châtelain-juge, ordonne que Marie soit extraite des prisons de justice de Ferrières et conduite devant lui à la chambre criminelle de la châtellenie de La Guillermie, pour procéder à son interrogatoire.
Chargé de cette mission, « l’huissier Montandrant refuse par crainte d’être tué par les frères, beau-frère, oncle et enfants de laditte Barraud ».
Le lendemain 18, le procureur Caternault,se rend de grand matin à La Guillermie, où il apprend que face à la défection de l’huissier, les officiers de justice ont fait immédiatement appel aux cavaliers de maréchaussée de La Palisse.
« Sous le commandement du brigadier Charles Roux Dubrest, l’escorte qui a été requise à effet de transférer Marie Barraud pour lui faire subir son interrogatoire sur les charges et informations contre elle faites, réunit trois cavaliers, Augustin Champagnat, Antoine Le Besson, Joseph François Pénin, de ladite maréchaussée et un autre, Martin Favereau, de la maréchaussée de la ville de Moulins ».
Ils ont fait diligence [26] : « nous sommes partis le dit jour (17) sur les dix heures du soir pour nous transporter au dit Ferrières ou nous sommes arrivés le 18 sur les quatre heures du matin ».
Après avoir pris en charge la prisonnière, ils se présentent vers huit heures à La Guillermie.
Le sieur Moussier, juge et le sieur de Lavaure, procureur fiscal ne les rejoignent que vers 10 heures et s’étonnent : « comment, vous voilà déjà ? ».
Le brigadier « ne put se dispenser de leur reprocher qu’ils les avaient bien fait attendre ».
« Le dit juge et procureur ont répondu que s’ils n’étaient pas arrivés, c’est qu’ils avaient pensé que lui et ses cavaliers n’arriveraient pas à La Guillermie avec l’accusée, non pas qu’ils doutassent de l’exactitude de la maréchaussée qui leur était connue, mais qu’ils avaient ouï dire que l’accusée devait leur être enlevée ».
Le brigadier « répliqua qu’il s’était accoutumé, ainsi que les cavaliers, a de pareils propos dont ils ne s’embarrassaient guère, non plus que des menaces qu’ils entendaient tous les jours dans de pareilles circonstances ».
Alors qu’il conduit l’accusée à l’auditoire et avant de se retirer, le brigadier entend Marie « reprocher au juge de l’avoir fait arrêter, qu’elle n’était point coupable » et celui-ci répondre « qu’il ne fallait pas se montrer aux huissiers et te laisser arrêter, tu devais songer à te sauver ».
L’audience s’engage.
« Monsieur Moussier, châtelain-juge, est assisté d’Augustin Quesson Dutherin fils, son greffier ordinaire ».
« Serment d’elle pris et ouï, l’accusée confirme ses nom, surnom, âge, qualité et demeure ».
Marie reconnaît avoir été présente le 2 janvier à Bèchemore, mais dénie s’être opposée ainsi que sa sœur Antoinette, à la saisie des meubles.
Elle dénie « qu’Antoinette et elle la répondante auraient jeté des bouts de bois et des pierres sur ledit Gilbert Piat et auraient dit qu’il y avait longtemps qu’elles lui en voulaient et qu’elles se seraient servi d’un long bois ».
Elle reconnaît avoir lancé un maillet en direction de Gilbert Piat, « mais à distance de 12 ou 15 pas, ledit maillet étant gros comme son sabot, utilisé par les enfants pour casser les noisettes et qu’il ne porta pas sur la tête ».
Elle ne donna pas au dit Piat un coup sur l’œil.
« De toutes ces confessions et dénégations lecture faite à la répondante, elle a dit ces réponses contenir vérités, y persister, n’y vouloir augmenter, n’y diminuer ».
Le châtelain-juge ordonne que « la répondante soit réintégrée, ès prisons de Ferrières où elle a été écrouée comme prisons empruntées, par le sieur Dubrest et ses cavaliers qui l’ont traduite ici ».
La mission de retour va être sévèrement contrariée.
Les Barraud comptent de nombreux parents, alliés et amis à Bèchemore et dans les villages proches.
Leur solidarité forgée par des générations de vie en communauté, c’est un clan qui va se manifester pleinement et spontanément.
Le procès-verbal déposé par les cavaliers le 19 février au greffe de la maréchaussée de Moulins témoigne :
« Les officiers de maréchaussée s’étant mis en route, a l’entrée du bois nommé Paraud [27], environ deux portées de fusil de La Guillermie, quarante personnes a nous inconnues, la plus grande partis d’homme et peut de femmes, armée de fusil et de bayonnette au bout | ...| avait foncé sur nous avec la plus grande rapidité, fusil bandé, bayonnette sur l’estomac, jurant et sacrant le nom de Dieu, | ...| dans cette circonstance, voyant des hommes furieux, leurs yeux ettincelent de collere et après un coup de fusil lacher de leur pard | ...| nous aurait obligé de retourner bride et de nous sauver avec beaucoup de précipitation et dans le moment du détour de bride, une décharge de plusieurs coups de fusils dont les balles nous sifflaient aux oreilles » | ...| ledit Champagnat a reçus une balle dans la quisse droite |...| ledit Pénin reçut dans la même décharge une chevretinne au desoux du gras de la jambe droite |... »|.
Deux cavaliers sont blessés, un cheval tué, un autre blessé et Marie Barraud s’est échappée.
L’affaire prend une nouvelle dimension, elle va être portée à la connaissance du pouvoir royal, une sévère répression sera mise en œuvre.
A priori se pose la question de la juridiction compétente.
D’une part, les hauts-justiciers de la châtellenie de La Guillermie ont commencé l’instruction de la rébellion et de l’homicide dont est accusée Marie Barraud, d’autre part, « la rébellion, attroupement avec port d’armes », fait l’objet d’un procès-verbal déposé au greffe de la maréchaussée de Moulins.
Avec sagesse et prudence, cette dernière instance « n’a pas cru devoir aller plus loin », avant que « Louis, par la grâce de Dieu, Roy de France et de Navarre » ne fasse connaître son intention.
Sa Majesté, par « lettre patente du 15 mars de l’an de grâce 1764 et de son règne quarante- neuvième » [28], après avoir entendu son Conseil, arrête que, « dans les circonstances et une pareille rébellion, on ne peut désunir les deux affaires ».
La justice de La Guillermie sera dessaisie de l’instruction déjà commencée, qui est confiée au greffe de la Sénéchaussée de Moulins.
« Tel est son plaisir ».
Dès le 12 mars, l’instruction a été engagée.
A la requête du procureur du roi, Jacques de Saint-Mesmin, escuyer, conseiller du roy, prévost général du département de Bourbonnais et généralité de Moulins, procède, en la chambre criminelle de cette ville, à l’audition des témoins cavaliers de maréchaussée.
Joseph Pénin, le brigadier Charles Roux Dubret, Antoine de Besson, Martin Favereau, Augustin Champagnat, confirment, tour à tour, la teneur du procès-verbal de l’agression dont ils ont été victimes.
Ils soulignent la violence des propos et voies de fait.
« [ … ] la ditte Marie Barraud attachée d’une corde et a pied, la ditte maréchaussée fut attaquée
par une troupe de plus de quarante personnes qui s’étaient embusquées, armées de fusils la bayonnette au bout »
[ … ] le sieur brigadier leur ayant demandé a qui ils en voulaient, l’un d’eux répondit « bougre, rend moi ma mère » au même instant partit un coup de fusil tiré sur lui témoin qui ne porta que dans la tête du cheval [ … ] au même instant que le coup de fusil fut tiré par Gilbert Pion [Basmaison], toute la troupe s’écria « il faut tuer ces bougres d’archers » « tue, tue ces bougres d’archers » et ce fut le signal d’une décharge par tous les particuliers attroupés.
[ … ] la maréchaussée ne pouvant tenir contre un si grand nombre de gens attroupés, elle avait hazardée de se retirer, que le mouvement donna lieu a une décharge et a des cris de fureur [ … ] que cette première décharge fut suivi de deux autres consécutives ».
Les cavaliers dénoncent aussi l’attitude du juge et du procureur Moussier et de Lavaure,
— tant à leur retour de Ferrières :
« comment, vous voilà déjà avec l’accusée, je ne contais pas que vous y arrivassiez avec elle | ...| j’avais ouï dire qu’elle devait vous être enlevée et qu’on m’avait assuré que vous ne l’amenerié pas jusqu’icy | ...| » ;
— que pendant l’embuscade :
« [ … ] pendant cette action les officiers de la justice de La Guillermie | ...| qui avaient très bien ouï les coups | ...| étaient sur le perron du chateau [ … ] ils furent témoins tranquils de cet événement [ … ] n’ayant point marqué d’intention de les entendre en déposition et qu’ils ne dirent autres choses a la maréchaussée sinon qu’ils en étaient fachés ».
Avant cette mission, ils ne connaissaient pas les accusés, mais « a ce qu’il a entendu dire », « par ouï dire » et bien que « les gens du pais gardant un profond silence », chacun confirme la liste figurant sur le procès-verbal déposé à Ferrières :
« | ...| dans le nombre de ces gens atroupés sont les nommés Albert Barraud, frère de l’accusée, Claude et Albert Fradin les deux fils de l’accusée, du village Bèchemort, Gilbert Pion Basmaison, Antoine Pion Basmaison, Gaspard et Joseph Fradin du village Fumoux, le dit Couchat qui a un pouce coupé, Laurent Barraud dit le Belliot du village Pion, Claude Pouzerat du village de Sezerre, les deux meuniers [29] du moulin Chaunier, Mathieu Pion Basmaison du village Pion et Simon Moussière du village Robin ».
Toutefois, c’est avec vigueur que le cavalier Champagnat apporte un rectificatif :
« on a eu tort de charger | ...| les particuliers qui n’étaient point a cette affaire qui sont les nommés Claude Pouzerate [30], Simon Moussière et les deux meuniers [31] |...| s’étant assuré de la vérité du fait par une inffinité d’honnetes gens » et précise : « Gilbert Pion Basmaison, dit le Couchat qui n’est qu’une personne et non pas deux personnes ».
Ce même témoin rapporte une chaîne de témoignages sur le rôle qu’aurait joué le curé Forissier :
« ajoute le déposant que le Sieur Picaud chirurgien de Ferrières a attesté a lui déposant que la dame de Maisonneuve avait dit que les parents de Marie Barraud ayant été chez le dit Sieur curé, le dit Sieur curé les avait beaucoup grondé et leur avait dit que si il leur avait conseillé d’enlever leur mère et leur parente, il ne leur avait pas conseillé de tirer sur la maréchaussée, | ...| qu’ils étaient des misérables et des canailles | ...|
et que depuis, elle lui avait dit que si elle était assignée, elle ne témoignerait point contre son curé. »
Les témoins livrent aussi que, lors de leur retraite à La Guillermie, « y étant resté environ un demi quart d’heure » voyant qu’on ne leur apportait ni attention, ni soins, ils regagnent Ferrières.
« pour esviter de plus grand inconvenient nous avons prise une autre route pour parvenir au dit Ferrières pour nous y faire traiter de nos blessures, que pour apprendre les auteurs | ...| et avec leur brigadier ils dressèrent leur procès-verbal ».
Parallèlement, également à la requête du procureur du roi, Gilbert Ignace de Saint-Mesmin [32], escuyer, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, prévost général du département de Bourbonnais et généralité de Moulins, va entendre, à la Chambre criminelle de Moulins, les témoins autres que les victimes de l’embuscade.
Trente-deux vont se succéder du 20 mars au 7 avril !
Outre les responsables de l’autorité, sont assignés des témoins fortuits qui vaquent paisiblement à leurs occupations, et ils sont nombreux ce matin là, à La Guillermie, autour du bois Parraud !
Il faut noter que malgré la saison et l’altitude [33], le temps est particulièrement clément.
Parmi les premiers auditionnés le 21 et 22 mars, se trouvent le procureur de Lavaure, le juge Moussier, ainsi que le greffier Quesson Dutherin.
Ils rapportent comment, devant la défection de l’huissier, il avait été fait appel au brigadier de Moulins.
Ils dépeignent le départ et le retour mouvementé des cavaliers :
Le procureur :
« a ouï dire que certains quidams avaient ôté la ditte Barraud [ … ] et que même le déposant entendit du bruit et entendit tirer un coup de fusil [ …] et étant sorti hors du château de La Guillermie le déposant apperçut toute la brigade qui revint à grande poste de cheval en disant nous sommes tous blessés [ … ] le nommé Besson un des cavaliers vint sans chapeau à la tête, ni manteau [ … ]. »
« Dépose de plus qu’il vit deux des cavaliers blessés, l’un à la cuisse et l’autre à la jambe et un cheval d’un des cavaliers blessé à la tête dont il a ouï dire qu’il en était crevé [ … ]. »
Le juge :
« le déposant s’apperçu qu’effectivement le sieur Champagnat avait été blessé à la cuisse, le nommé Pénin à une jambe et le cheval du dit Pénin à la tête [ … ] les cavaliers s’étant retirés, le déposant fit comme il put pour se sauver, [… ] l’éloignement fit qu’il ne put reconnaître personne [… ] ».
Le greffier :
« [… ] aurait ouï dire par Mary Bargoin garde de bois et Simon Barraud charon qui seraient venus dans le château [… ] « Messieurs il se passe bien quelques choses, nous avons ouï tirer des coups de fusil, et les cavaliers reviennent et n’amènent point l’accusée » [… ] « et effectivement il aurait vu venir les dits cavaliers ».
Le rôle incitateur du curé Forissier est évoqué par le procureur puis le greffier :
« il dépose de plus que (la veille de l’enlèvement) : étant chez le sieur Fougerolles, oncle du déposant, il trouva le sieur Forissier curé de Ferrières et l’entendit, le sieur curé, dire que si les parents de l’accusée faisaient bien, ils l’ôteraient [ … ] et il ajouta de plus que si on lui demandait son avis, il le conseillerait ».
« il a entendu dire que le sieur Forissier curé de Ferrières avait conseillé à trois personnes parentes de la ditte Marie Barraud que si elles faisaient bien elles oteraient la ditte Marie Barraud des mains des cavaliers. »
Interrogé sur l’identité des assaillants, le juge n’est pas formel :
« il a ouï dire par le sieur Fougerolles des Bernard, procureur d’office de Ferrières, que le nommé Couchat du village Pion avec deux ou trois autres particuliers du dit village, le frère [… ] et les enfants de la ditte Marie Barraud du village Bèchemort, le nommé Toin et un parent de la ditte Marie Barraud du village Fumoux, étaient du nombre de ceux qui attaquèrent les cavaliers [… ] ».
Le greffier confirme les rumeurs en apportant des précisions :
« [… ] il aurait ouï dire que l’enlèvement aurait été fait par Gilbert Pion Basmaison dit Le Couchat, Laurent Barraud dit Le Béliot, Simon Devernoy dit Bédiaud et son beau-fils Mathieu Pion Basmaison dit Tête-Noire,, tous du village Pion, Albert Barraud, frère de Marie l’accusée, Claude et Albert Fradin ses deux fils du village Bèchemort, Antoine Pion Basmaison dit le Toin, Gaspard Fradin dit le Nioque et sa femme [34] sœur à l’accusée et Simon Fradin dit Toubas et sa femme, [35] tous du village Fumoux [… ]. »
Il disculpe trois présumés coupables :
« quant aux nommés Claude Pouzerat(te) du village Sezenne ainsi que les deux meuniers du moulin Chaunier, ils n’étaient point dans cette affaire [… ].
Gilbert Caternault, procureur et greffier de la justice de Ferrières, demeurant au bourg, âgé d’environ 35 ans, dénonce la passivité initiale des officiers de justice :
« aussitôt le décès du dit Piat arrivé, lui déposant fut chez le greffier de La Guillermie pour l’exciter d’envoyer chercher les Sieurs Moussier et Lavaure, juge et procureur fiscal qui sont à deux lieues de Ferrières, pour faire une information [ …] ce qu’ils ne voulurent point faire dans le moment.[ …] lesquels Sieurs Moussier et Lavaure ont restés tranquiles jusqu’au 25 ou 26 du dit mois (janvier) où ils se rendirent à Ferrières et firent le même jour exhumer le corps du dit Piat et le lendemain firent l’information [ …] ».
Le lendemain 19 le déposant a ouï dire par voix indirecte [ …] il livre une liste de suspects.
Mary Bargoin, garde de bois de la justice de La Guillermie,
« a entendu dire qu’il y avait des nommés Pion [Basmaison], les enfants de l’accusée et trois autres hommes du village Fumoux.
Qui est tous ce qu’il a dit scavoir. »
Jacques Charvelle, huissier à Ferrières, La Guillermie et autres justices,
« les nommés Gilbert [Pion] Basmaison dit Le Couchat et Laurent Barraud dit Le Béliot, qui dirent à lui déposant qu’il était vray qu’ils étaient à la compagnie de ceux qui avaient enlevé la ditte Marie Barraud [… ] qu’ils ne craignaient rien parce qu’ils n’avaient rien à perdre ».
Jean Giraud, valet domestique au château de La Guillermie,
« Le juge lui ayant dit d’aller chercher le chapeau et manteau du cavalier [… ] ayant rencontré des enfants qui lui dirent de ne pas avancer [… ] lui déposant s’arrêta, le nommé Denis Lassale, cabaretier de La Guillermie s’étant chargé d’aller chercher le chapeau et le manteau [… ].
Denis Lassalle, cabaretier au lieu de Bègue, âgé d’environ 33 ans, étant dans son cabaret,
« le valet du château étant venu l’engager de demander le chapeau et le manteau du cavalier [… ] lui déposant alla joindre les hommes atroupés près de la rivière Terrasson, et que s’étant adressé au nommé Antoine [Pion] Basmaison armé d’un fusil, il retira de ses mains le manteau et le chapeau, à la solicitation d’un vieux homme armé d’une fourche de fere, qui dit d’abord à lui déposant : « retire toi de là, il ne fait pas bon pour toi », qu’au surplus il ignore le nom du viellard [… ] » [36].
Toutefois, outre Antoine [Pion] Basmaison, il déclare avoir reconnu les autres suspects déjà cités.
Pierre Fougerolles, Sieur des Bernard, controlleur des actes des notaires du bureau de Ferrières,
« dépose qu’au bourg de Ferrières, le 17 du mois de février [… ] le nommé Fradin dit Sapinot [… ]
aurait dit « si on conte conduire notre mère Marie Barraud des prisons à l’auditoire de La Guillermie, on sera bien trompé, nous empêcherons bien qu’elle revienne dans les prison [… ].
ajoute de plus le déposant, que quinze jours après l’affaire [… ] ayant rencontré sur le pont du bourg de Ferrières la nommée Barraud, femme à Gaspard Fradin dit le Nioque, il aurait dit à cette femme : « ton mary s’est fait une villaine affaire », que cette femme lui répondit « que voulez-vous, j’ay fait tout ce que j’ay pu pour l’empêcher d’y aller ».
Très vite une liste des accusés va se constituer autour du clan Barraud et ses alliés
[37]. Nous verrons que dès le 22 mars, est montée l’opération militaire visant leur arrestation. Dans ce Landerneau bourbonnais, l’identité des interpellés et de ceux qui ont réussi à fuir va être très vite connue de tous et les témoignages qui suivent en sont sans doute marqués.
Quelques éléments nouveaux sur l’attaque proprement dite seront apportés, mais les mêmes noms vont revenir.
Jeanne Moulette, femme a Antoine Goutorbe, cieur de long, demeurant au bourg et paroisse de Lachaux [38], âgée d’environ 45 ans, [ …]
dépose « qu’environ le dix du mois de février dernier, il entra chez elle un enfant qui lui demanda a acheter de la poudre et du plomb du volume de celui qui sert a la chasse aux loups, qu’elle lui vendit pour la valleur de huit sols [ …] ».
Catherine Devaux, femme a Denis Lassalle cabaretier, demeurant au village de Lagoutte, paroisse de Ferrières, âgée d’environ 36 ans, [ …]
dépose que « le 18 du mois de février dernier, le nommé Claude Fradin dit Sapinot étant venu chez elle sur les huit heures du matin, lui achepta trois pintes de vin et un pain et lui dit qu’il allait emporter cette subsistance dans le bois, [ …].
Se succèdent ensuite :
- des bergères qui ont sorti leurs bêtes :
Marie Riboulet, femme a Antoine Chaufriat, marchand demeurant au village Fonts chaudes, paroisse de Ferrières, âgée d’environ 30 ans, [ …]
dépose « qu’étant occupée a garder ses bestiaux, près le bois Parraud, elle apperçue plusieurs hommes et une femme [ …] mais qu’étant a une distance considérable de ces gens elle n’a put en connaître aucuns [ …]. »
et quatre orphelines de 17 ou 18 ans, toutes « étant a garder les bestiaux » :
Benoist(e) Moulette, fille a feu Simon Moulette, « il passa près d’elle huit personnes dont quelqu’un armés de fusils, bayonnettes, d’autres de fourches de fer, que dans ces huit personnes, elle en connait six, qui sont [ …]. »
Jullienne Saint-André, fille a feu André Saint-André apporte un même témoignage.
Michelle Morand , fille a feu Mari(e) Morand, :
« elle vit qu’Antoine Basmaison ramassait le chapeau et Laurent Barraud ramassait le manteau [ …] ».
Marie Naili [39] , fille a feu Claude Naili « elle connait Antoine [Pion] Basmaison pour être son cousin ».
« elle apperçue une femme et plusieurs hommes [ …] dont elle ne peut dire le nom [ …] mais cru reconnaître Gilbert Pion Basmaison dit le Couchat [ …] ».
- deux laboureurs,
Jacques Thévenet, sabotier et laboureur, demeurant au domaine de La Guillermie, [… ] étant devant sa porte, [… ] que parmi les gens attroupés il y avaient Antoine [Pion] Basmaison dit le Toin [… ] qu’ils étaient bien une trentaine et qu’il y en avait un qui scavait bien charmé [40] les armes, [… ]
et Benoît Thévenet « labourant une pièce de terre près le château [ …] vit les cavaliers [ …] mais n’aperçut point les gens qui avaient tiré ».
- Trois jeunes bourgeois projetaient d’aller à la chasse ce matin là :
« François Picot, Me chirurgien, âgé d’environ 28 ans, Augustin Rollet, fils au sieur Joseph Rollet, bourgeois de Ferrières, âgé d’environ 21 ans et Etienne Garet de Maisonneuve, bourgeois demeurant au bourg et paroisse de Ferrières chez la Dame de Fougerolles de la Maisonneuve, sa mère, âgé d’environ 17 ans »
Ils en ont été dissuadés par
« Claude Tissier de Boisrobert, conseiller du roy, receveur des traites foraines, demeurant au bourg et paroisse de Ferrières, âgé d’environ 52 ans [ …]
« ayant vu les sieurs Picot, Rollet et de la Maisonneuve, projetter d’aller a la chasse, lui déposant leur représenta [ …] qu’il serait indiscret a eux d’aller ce jour la a la chasse [ …] car au sortir de la messe, il venait d’entendre dire par la populace assemblée au cimetière, que la ditte Marie Barraud pourrait bien être enlevée a la maréchaussée[ …] ».
Les chasseurs n’ont donc rien vu, mais « les assaillants avaient été désignés par le bruit public » [ …].
Le chirurgien Picot « estant resté à Ferrières [ …] ayant été appelé à l’effet de penser les blessures qu’auraient reçu les nommés Champagnat et Pénin, cavaliers [ …] desquelles blessures il avait tiré les balles, les avait pensé jusqu’à leur parfaitte guérison ».
Il a donc côtoyé et recueilli les confidences des acteurs. Il retransmet la présence des suspects déjà désignés et ajoute :
« que ceux qui se sont portés à cette action y ont été induis par le frère et les fils de Marie Barraud, et ces derniers par les mauvais conseils donnés par le sieur Forissier, curé [ …] tel est le bruit public de la paroisse de Ferrières [ …] que c’est mal a propos qu’on avait chargé Claude Pouzerat(e) et les meuniers du moulin Chaunier [ …] ».
- Un autre notable Pierre Fougerolles de la Corre, juge des justices de Ferrières, âgé de soixante et dix-huit ans, dépose « que le sieur Forissier, curé de Ferrières, étant chez lui témoin, dit en plaisantant sur la nommée Marie Barraud, détenue dans les prisons de Ferrières, « j’ay conseillé de l’enlever » [ …]
« ce qui l’engagea à dire je crois bien que vous plaisanté car un conseil pareil a celui la et d’une aussi dangereuse conséquence, ne peut pas être donné par un homme comme vous et vous ferait un tort irréparable » [ …]
- Simon Moussière, marchand, voiturier par terre, demeurant au village Robin, paroisse de Ferrières, âgé d’environ 42 ans, [ …]
dépose que le 22 du mois de mars dernier, étant entré dans une grange appartenant au sieur Auroy du village de Foiallebin , il y vit Gilbert [Pion] Basmaison dit le Couchat et Albert Barraud qui s’y étaient retirés [ …] le dit Gilbert Basmaison dit le Couchat lui apprit les noms de plusieurs de ceux qui étaient de l’attroupement [ …]
Il livre les noms déjà connus.
Le matin de l’embuscade, sur les chemins de La Guillermie, circulent aussi … des collecteurs divers :
« Benoît Cognet, 55 ans, marchand, fermier au domaine de Bèchemort, il faisait sa suitte en qualité de collecteur du sel [ …] n’a pas entendu dire par qui ils avaient été attaqués, qui est tous ce qu’il nous a dit ».
il est accompagné par :
« Simon Javanel, huissier de justice de plusieurs terres de Seigneurs, demeurant à Ferrières, âgé d’environ 70 ans, dépose que le 18 février dernier, étant allé à La Guillermie avec le collecteur du sel Benoît Cognet, il entra dans un cabaret appelé le Bègue pour s’y rafraîchir [ …] sur l’affaire qui c’estait passé, qu’il était bien affreux d’avoir tiré sur les cavaliers ».
de même :
« Nicolas Basmaison, charron et fendeur de planche, collecteur de la taille de La Guillermie, [ …] entendit bien parler de l’affaire [… ] mais qu’il n’a entendu nommer personne [… ] ».
par précaution, il est accompagné par :
« Gilbert Chargros, d’environ 30 ans, carabinier, demeurant à Vichy. Il avait été entrepris comme homme de garnison par le consul ou collecteur, pour faire la suite des contribuables aux tailles de La Guillermie, a seulement entendu dire depuis qu’il y avait cinq ou six hommes du village Pion et les nommés Pion … ».
Parmi les témoins, n’a pas été cité le curé Forissier, pourtant sa place dans cette micro société et son rôle dans l’affaire ne semblent pas anodins.
La répression armée n’a pas attendu la fin des interrogatoires.
Le 19 mars, Jacques de Saint-Mesmin reçoit et met immédiatement à exécution les ordres de Monsieur le duc de Choiseul adressés par lettre du 15, au nom du roi.
Les 29 suspects [41] « seront arrêtés et pris au corps et ensuite amenés dans les prisons roiales pour y être interrogés [ … ] si arrêtés et pris ils peuvent être, si non après perquisitions faites [ … ] leurs biens saisies [ … ].
Il se rend le 20 à Roanne et communique « a Monsieur le Comte de l’Hopital les dispositions [ … ] pour arrester les particuliers du village Pion et hameaux circomvoisins accusés de s’être atroupés et avoir enlevé la nommée Marie Barraud [ … ] et d’avoir fait feu sur laditte brigade[ … ]
Le même jour « étant arrivé au bourg de La Pacaudière ou nous avions donné ordre au Sieur Duprat, notre lieutenant, de se rendre avec une des brigades de Moulins, celles de Varennes et de La Palice. Nous y avons fait rafraichir le détachement de cinquante dragons et les brigades qui avaient marché toute la nuit [ … ] a cinq heures du soir nous en sommes partis pour nous rendre au bourg de St Clément de Montagne, a la distance de quatre grande lieues [ … ] étant arrivés qu’a la nuit, a l’effet de dérober notre marche aux villages que nous devions investir, nous nous y sommes
arrestés jusqu’à une heure et demie du matin du vingt deux [ … ] ».
Il est décidé de porter d’abord l’attaque sur le village Pion, présenté comme d’un accès très difficile, « par sa situation sur une montagne très haute et fourrée de bois auxquels on ne peut arriver que par des défilés presque impraticables | ...| ledit lieu ou s’étaient retirés, comme dans un fort, les coupables [ … ] ».
« Nous avons fait faire halte a un quart de lieue du dit village et après avoir séparé le détachement en deux corps, dont l’un marchait par la gauche et l’autre par la droite, devait en former l’investissement [ … ] a petite pointe du jour, ayant fixé l’attaque au premier coup de baguette, nous sommes entrés par plusieurs débouchés avec quinze dragons et dix cavaliers et avons arrestés quatorze hommes qui cherchaient a se sauver et a se cacher [ … ] ».
Les forces locales de l’ordre participent aux recherches.
La brigade de maréchaussée de Ferrières est mobilisée sous l’autorité de Pierre Planchat venu avec ses hommes, cavaliers de la maréchaussée de Varennes,
« [ … ] jaurais requis la brigade des employés de gabelles du bourg de Ferrières de vouloir m’assister, ce qu’ils ont fait [ … ] aujourd’huy cinq avril nous avons attint et saisie au corps le nommé Devernois dit Sapinaud, [42] fils de Marie Barraud [ … ] il était munie d’un pistolet [ … ] une grosse balle de calibre et cinquante petites balles de chevretine [ … ].
tandis que :
Le 11 avril, Jacques Charvelle, serjean ordinaire de la chattelenie de Ferrières
« [ … ] assisté de mes témoins [ … ]continuant les diverses courses faitte journellement et nuitament et suivant les avis a moies donné par différents expion, autour des huit heures du matin, je me suis, avecque mes dit thémoins, transporté au vilage Fumoux [ … ] après avoir fait toutes les perquisitions nesessaires dans les domiciles de Gaspard Fradin dit le Nioque, Simon Fradin dit le Toubas et Antoine Pion Basmaison dit le Toin, tous propriétaires et n’ayant trouvé personne [ … ] nous nous sommes transportés au vilage Chaunier et dans une grange couverte a paillie ne pouvant trouvés ni decouvrir personne, j’aurais dit a mes dis assistants [ … ] il faut jeter tous ce foin [ … ] je suis sure qui les dan la dite grange, suivant les avis que lon mas donné [ … ] après avoir mis des santinelles a toute les portes [ … ] un de mes thémoins apellé Gilbert Chaunier nous a appelé « voilà notre homme » [ … ] je me serais apersus que seter ledit Antoine Pion Basmaison dit le Toin ».
Le 12 avril, Claude Pouzeratte est saisi au corps.
Malgré les témoignages en sa faveur, les circonstances vont peser pour apprécier sa culpabilité : « dans les poches de ses vestes nous luy avons trouvé un fourniment [ … ] six grosses balles et soixante et dix chevretines [ … ] et dans l’endroit ou nous l’avons saisi [ … ] un fusil chargé de vingt cinq chevrotines et une balle a calibre [… ] ».
« Le lendemain 13, en continuant les mêmes poursuites et diligenté semblable assistance, nous nous serions transportés au village de Bèchemort, ou estant, j’aurais pris et saisi au corps Mathieu Barraud [ … ] ».
« et le samedy 14 [ … ] nous n’aurons put saisir ou apréhender auqu’un, ce qui nous aurait obligé de nous mettre en embuscade pour parvenir a la saisie du nommé Goutorbe, fils de Benoist qui effectivement nous l’avons saisie le dimanche [ … ] ».
Dans son procès-verbal, Pierre Planchat précise qu’il a reçu l’aide de plusieurs habitants :
« François Laurent, Antoine Dumas, Gilbert Chatanier et plusieurs gens du vilage que j’avais prié de prester mains fortes et encore me servir d’expions pour parvenir au capture énoncé [ … ] ».
« [ … ] la capture de Gilbert Pion dit le Couchat faite par Jean Nelie et Bonnet Goliardon, les quelle ont amené le dit accusé [ … ] ».
Les prisonniers sont transférés et emprisonnés à Moulins.
Une nouvelle information est ouverte et les interrogatoires sont menés en la chambre de la geolle de la ditte prison, par Jacques de Saint-Mesmin, conseiller du roy, prévost général du Bourbonnais ou par François Rousseau Dupal, escuyer, conseiller du roy, lieutenant en la maréchaussée générale du Bourbonnais.
Aucun inculpé n’avouera sa participation à l’attaque et enlèvement.
Claude Fradin dit Sapinot, fils de Marie Barrraud, charon, demeurant au village Bèchemore, agé d’environ 25 ans.
« a dit qu’il netait point de cet attroupement [ … ] il était à Ferrières chercher un billet chez le Sieur de Bois Robert pour vendre à Puy Guillaume des planches ».
« il retourna a Bèchemort pour y monter un char de planches [ … ]il emploia toute sa journée a monter ce char »
« Il était allé au village Fumoux pour y arriver a la nuit tombante, voir la nommée Fort (Faure) qu’il devait epouser [ … ] a dit qu’il ne la trouva pas » [ … ].
« a dit qu’Albert Fradin l’un de ses frères était avec lui [ … ] a dit qu’ils sont quatre frères dont deux encore enfants » [ … ].
« a lui remontré qu’il nous déguise la vérité dans tous ce qu’il dit [ … ] a dit qu’il peut se faire que quelqu’un des ses frères fut de cet attrouppement, qu’il ignore qui ils sont, mais que certainement lui répondant, n’en était pas. »
« a dit qu’il n ’a point vu sa mère et qu’il ignore absolument ou elle peut être. »
« a dit et declaré que les effets a lui representés lui appartenaient, qu’a l’égard du pistolet il l’avait depuis longtemps, mais qu’il n’en avait jamais fait usage ».
Simon Goliardon, charon du village Pion, agé d’environ 26 ans.
« a dit qu’il estait a travailler a son moulin a bois situé sur la rivière Besbre a une lieu et demie de La Guillermie »
« a dit que le dimanche 19 etant allé a la messe a la parroisse de Laprugne il oui dire que l’on avait oté d’entre les mains de la maréchaussée une femme aux environs de La Guillermie »
Claude Mercier, charon du village Pion, 32 ans.
« Il était à Puy Guillaume où il avait conduit des planches et ne revint que le lendemain ».
Simon Desvernois, charon du village Pion, 30 ans.
« Il est marié et il a cinq enfants »
« a dit qu’il fut occupé toute la semaine a son moulin a bois situé sur la rivière de Besbre à un demi quart de lieu du village Pion et qu’il ne se rendit chez lui que le samedy au soir »
« a dit qu’il n’était point du nombre des dits hommes attroupés et armés [ … ] il ne les connait point et il ne les a point ouï nommer ».
« Interrogé s’il a des parents dans le nombre de ceux qui ont été arrestés avec lui. A dit qu’il y a deux beau frères nommés Laurent Basmaison et Laurent Frati ».
Simon Chaunier, marchand de bleds [43] et cabaretier au village Pion, 45 ans.
« Il était ce jour la en la ville de Thiers »
Gilbert Mondière, charon et fendeur de planches, du village Neli, agé d’environ 24 ans.
« a dit qu’il était chez lui toute la journée »
« a dit qu’il n’en sortit point de tous le jour »
Bonnet Vallard, fendeur de planches, du village Pion, agé d’environ 20 ans.
« a dit qu’il était au bourg de Puy Guillaume pour y vendre des planches ».
Mathieu Mercier, charon, fendeur de planches, du village Pion, agé d’environ 26 ans.
« a dit qu’il était allé ce même jour de grand matin au bourg de Puy Guillaume pour y mener des planches ».
Mathieu Bletry (Bletterie), charon du village Pion, agé d’environ 33 ans.
« a dit qu’il estait a son moulin a bois environ a une lieu de La Guillermie ou il travaillait a cier des planches »
« Interrogé s’il connait le nommé Gilbert Basmaison dit le Couchat »
« a dit qu’il le connaist pour être du village Pion, qu’il ne le frequente point n’etant pas bon a voir et passant dans le pais pour un mauvais sujet »
« a dit que Joseph Néli est son oncle ».
Laurent Frati, charon et cieur de planches, du village Pion, agé d’environ 30 ans.
« a dit qu’il etait a son moulin a bois ou il travaillait qui est a la distance de deux lieux de La Guillermie »
« a dit que le nommé Simon Golliardon est son cousin ».
Joseph Neli, charon du village Pion, agé d’environ 30 ans.
« a dit qu’il etait chez lui occupper a penser des bestiaux, ne pouvant rien faire autres choses, attendu qu’il avait la fièvre et qu’il la eut pendant tout l’hiver [ … ] n’etant pas sorti de chez lui ne pouvant aller a la messe ».
« a dit qu’il connait Gilbert Basmaison dit le Couchat mais qu’il ne le fréquente pas »
Laurent Barraud, laboureur ci devant charon du village Pion, agé d’environ 85 ans.
« a dit qu’il était chez lui ce jour la et n’en estre pas sorti »
« Interrogé s’il connait la nommée Marie Barraud et si elle n’est pas sa parente »
« a dit qu’il la connait pour sa parente de la vielle race »
« Interrogé si ce n’est pas lui qui a dit aux gens armés de tirer sur les cavaliers « ne craignez rien ils sont charmés »
« a dit qu’il ne pouvait le dire n’y étant pas »
« a dit que Claude Barraud est son garçon et que Claude Basmaison est son petit-fils, et le nommé Simon Chaunier son gendre ».
Claude Barraud, cieur de planches et charon, agé d’environ 40 ans du village Pion.
« a dit qu’il etait a son moulin a bois pour y cier des planches »
« Laurent Barraud est son père et Claude Basmaison son nepveu »
« le dimanche 19 il fut a la messe a Ferrières ou il aprit ledit enlèvement »
« a dit qu’il le connais [Gilbert Pion Basmaison] pour etre du village Pion [ … ] qu’il passe dans le pais pour un coquin »
Claude Basmaison, garçon d’environ 20 ans, cieur de long, du village Pion.
« a dit qu’il parti environ les huit heures du matin pour conduire un char de planches a Puiguillaume que sa voiture cassa a moittié chemin [ … ] qu’il n’arriva chez lui qu’a environ quatre heures du soir »
« a dit que le nommé Claude Barraud est son oncle et le nommé Laurend Barraud père, son grand-père »
Laurent Basmaison, charon du village Pion, agé d’environ 60 ans.
« a dit qu’il était à Puy Guillaume le dit jour 18 fevrier dernier [ … ] occupé a fendre des planches »
« a dit qu’il a pour beau frère le nommé Laurent Fradin, Simon Desvernois qui a épousé la belle sœur de lui repondant et Pierre Vallard pour cousin ».
Au terme de notre approche, l’image du village debout, uni contre l’injustice, se brouille.
Certes ils sont nombreux et farouchement résolus aux côtés des Barraud, prêts à affronter la maréchaussée et ainsi, les armes à la main, obtenir la libération de leur nièce, mère, sœur ou alliée.
Parmi les renforts, à coté des « indignés », se trouvent ce qui pourrait être des « enragés », trouvant là une occasion d’en découdre avec les forces de l’ordre.
Sont trétous de bons lurons, dit la complainte. Il convient sans doute de nuancer.
Antoine et Gilbert Pion Basmaison, ont une fâcheuse réputation, dénoncée par leurs propres complices.
On se souvient chez les Nelie et leurs voisins, que [44], marié depuis un an avec leur Louise, à la tête d’une petite bande, tout esmu de collere, Antoine, le Toin avait fait irruption chez son beau-père, ce bougre de jean foutre de Claude Nelly, jurant sacrant le saint nom de Dieu, et lui donna un si rude coup de cognée par la teste qu’il en estourdit totalement le pauvre suplient [45]. Qu’après maintes autres violences, toujours accompagné, il était revenu le lendemain, avec bœufs et vaches attelles a des chars, pour enlever des gerbes de bled, seigle et avoigne et tenter de mettre le batiment a bas.
Gilbert, le Couchat est également connu de la Justice de la Châtellenie de La Guillermie pour violences et voies de faits [46].
A la tête d’un groupe de sept, dont Laurent et Louis Pion Basmaison, tous demeurant au village Pion, tous armés de fusils et bayonnettes, dans les bois du seigneur de La Guillermy, menassairent et chassairent les nommés Albert Bigay et Jean Pételet qui faisaient du charbon, en les menassant qu’ils voulaient les tuer et leur casser la tête [ … ] lesquels prirent la fuite. Les dits accusés toujours émus de collaire en jurant foutre et blasphémant le saint nom de Dieu [ … ] des invectives atrosses menassant le Seigneur de la Guillermy que s’il le tenait qu’ils le tueront.
Cette réputation a certainement pesé lors des condamnations.
Si une partie des habitants de Ferrières a pris le parti de Marie Barraud, d’autres sont favorables aux poursuites et pour certains vont jusqu’à dénoncer et traquer les accusés.
Le clivage semble bien être sociologique et corporatiste. Les accusés sont tous hommes du bois. A la frange de la forêt, ils en vivent, loin du bourg.
Tous se déclarent charron et scieur de planches, à l’exception de Simon Chaunier, marchand-cabaretier, mais gendre du vieux Belliot.
Aucun charron ne se trouve parmi les témoins neutres ou à charge.
Comme ailleurs, ne sont pas exclues pour autant les rivalités et rancunes d’une autre nature. En témoignent par exemple, les nombreuses procédures liées aux héritages, mais aussi, on l’a vu, aux querelles et violences intrafamiliales ou de proximité.
On peut imaginer les tensions et les affrontements entre voisins, exacerbés cette fois par l’importance dramatique des enjeux.
Face à eux, loin de jouer le rôle d’un gardien de l’ordre rigoureux, le châtelain-juge Moussier se présente sous un jour ambigu.
C’est mollement qu’il a engagé une enquête sur la rébellion contre l’huissier et la suite dramatique.
Prévenu de l’enlèvement de Marie, à aucun moment il n’a tenté de s’y opposer, allant même jusqu’à regretter qu’elle ne se soit échappée.
Nous sommes loin du portrait véhiculé par la même complainte, qui prête la responsabilité des condamnations à un seigneur Barthelat [47] totalement absent de la procédure.
Le seigneur de la Guillermie
Est notre plus cruel ennemi
pour réclamer ses droits
Il nous conduit tout droit
Par cette garnison
Jusqu’à cette prison.
Sur la place d’Allier
Huit pau(v)res particuliers
Montèrent sur l’échafa(u)d
C’est Barthelat, notre seigneur,
Qui nous a fait tout c’malheur.
Monsieur d’la Ramas n’en aurait pas tant fa(it)
D’ailleurs dessaisi, le châtelain Jean-Baptiste Moussier n’était plus maître du cours de la justice.
Au centre de l’événement, le curé de Ferrières, Jacques Forissier.
Âgé, il connaît bien sûr tous ses paroissiens depuis des décennies. Il a leur confiance, légitimée par ses fonctions sacerdotales.
Issu d’une famille bourgeoise, voire noble [48] par alliance, il fréquente assidûment les notables de Ferrières et alentours, mais reste proche du « petit peuple ».
Ainsi, les fils de Marie Barraud n’hésitent pas à venir lui demander conseil après l’arrestation de leur mère, involontaire meurtrière.
Ambivalent, il va sans doute jusqu’à encourager l’enlèvement, tout en condamnant ultérieurement l’effusion de sang.
Un tacite consensus général le tient à l’écart du procès.
Le 20 septembre, suivant la requête du Substitut du Procureur général du Roi en ladite Sénéchaussée, demandeur et accusateur, le Lieutenant criminel de la Sénéchaussée de Moulins, rend sa Sentence [49].
Le verdict est brutal :
Cinq accusés sont condamnés à mort et les autres, condamnés à la même peine avec sursis, dans l’attente de révélations qu’apporterait la question ordinaire et extraordinaire infligée aux premiers.
Les « fugitifs » sont condamnés à mort par contumace.
A la prononciation de la sentence, le Substitut du Procureur général du Roi déclare en être appelant a minima.
Les accusés, aussi appelants, sont transférés à la Conciergerie du Palais de Paris.
Il faut attendre le 2 juillet 1765 pour que la Cour du Parlement de Paris se prononce.
Les conditions de détention, tant à Moulins qu’à Paris, sont effroyables et l’audience s’ouvre sur le constat que
cinq accusés sont décédés, [50] savoir lesdits Antoine GOUTORBE, Claude MERCIER, ès prisons de Moulins avant la translation des prisonniers,
lesdits Laurent BARRAUD dit le Belliot, Laurent BASMAISON, Claude POUZERATE, à Paris ès prisons de la Conciergerie du Palais.
Antoine Goutorbe est mort garçon, à 25 ans et le vieux chef de la communauté le Belliot, veuf, à 73 ans.
Laurent Basmaison, à 65 ans, laisse Claudine Fraty, sa veuve avec 6 ou 7 enfants. Elle meurt chez Pion en 1783, à 66 ans.
Claude Pouzerate, à 45 ans, laisse aussi une veuve, Françoise Barraud, à Fumoux.
La peine de mort est maintenue pour trois de leurs complices, un autre voit sa peine commuée sans clémence excessive :
La Cour, faisant droit sur les appels, condamne
lesdits Gilbert PION-BASMAISON dit le Couchat, Claude FRADIN dit Sapinot, Antoine PION-BASMAISON dit le Toin, à être pendus et étranglés, par l’Exécuteur de la Haute Justice, à des potences qui seront par lui plantées en la place d’Allier de ladite ville de Moulins,
Paquette Gitenay, veuve du Couchat, est déclarée mendiante au village Vesse, à sa mort, en 1773, elle a alors 80 ans.
Sapinot, à 27 ans, a laissé sa promise, une Faure, au village Fumoux.
Louise Nelly, veuve du Toin, se remarie à 33 ans, en 1773, avec un tisserand de Fumoux, Mary Ribollet.
condamne
ledit Simon Desvernois à assister à ladite exécution et à être battu et fustigé nu de verges par ledit Exécuteur de la Haute Justice en ladite place des Lys et flétri d’un fer chaud en forme des lettres G.A.L. sur les deux épaules, ayant la corde au col, ce fait, mené et conduit ès Galères du Roi , pour y être détenu et servir en icelles ledit Seigneur Roi à perpétuité ;
déclare tous leurs biens acquis et confisqués ;
Catherine Fraty épouse du malheureux galérien Desvernois, meurt chez Pion en 1792, à 75 ans.
Le sursis aura bénéficié aux autres accusés emprisonnés et survivants.
Ils échappent à la corde, mais malgré l’énoncé presque bienveillant du verdict, l’effrayant souvenir de ce dernier acte de la tragédie va les hanter jusqu’à leur dernier jour.
comme aussi condamne
lesdits Mathieu BLETTERY, Mathieu MERCIER, Simon GOLIARDON, Gilbert MONDIERE, Claude BASMAISON, Claude BARRAUD, Simon CHAUNIER, Laurent FRATY, Bonnet VALLARD, Joseph NELY, à assister purement et simplement à l’exécution du présent Arrêt ;
ordonne en outre que le présent arrêt sera imprimé, publié et affiché aux lieux indiqués par ladite Sentence et partout où besoin sera.
Et pour le faire mettre à exécution renvoie les dits condamnés prisonniers par devant le Lieutenant Criminel de ladite Sénéchaussée de Moulins.
Il n’est rien dit des fugitifs.
Après le départ de la troupe, les poursuites à leur encontre sont, de fait, abandonnées.
Très vite, ils ont quitté leur refuge et sont revenus au village où leur présence est connue de tous.
Leurs biens saisis, ils sont souvent réduits à la misère.
Ainsi du côté des Barraud :
Le ci-devant laboureur et chef de sa communauté [51], veuf depuis quelques années, Albert se place comme domestique à St Jean la Vêtre, village voisin.
Il continue de fréquenter son village Bèchemore. En 1767, il est le père d’une enfant naturelle qui est déclarée par devant le juge de La Guillermie, par sa mère Antoinette Fradin. Le baptême est célébré à Ferrières [52].
Albert meurt à Bèchemore en 1779.
En 1788, sa sœur Marie, poursuivie pour homicide, meurt aussi à Bèchemore, âgée d’environ quatre-vingt-dix ans [53]. Assistent à l’enterrement deux de ses fils Claude.
Leur sœur Antoinette ne s’est pas éloignée longtemps de La Pierre d’Argent. Deux de ses enfants y sont nés en 1767 et 1770. Elle meurt en 1804 à 70 ans.
Quant à l’autre sœur Marie Barraud, avec son époux Gaspard Fradin Le Nioque, ils ne quitteront guère Fumoux, où, dès 1766, naît un de leurs enfants.
Le Nioque, y meurt à 74 ans, en 1797 et Marie, indigente, âgée de soixante quinze ans, en 1804.
mais aussi ruiné, condamné par contumace, l’ancien propriétaire, cabaretier et marchand de bled, Simon Chaunier meurt locataire chez Pion, en 1771.
Quel désastre ! Quelle violence !!
Huit morts dans des conditions terrifiantes, un condamné, à vie rivé à sa chaîne, des dizaines d’autres à jamais meurtris, blessés de façon irrémédiable.
Des familles entières désemparées.
Désirs de vengeance et haines tenaces ont certainement longtemps habité les cœurs.
Il faudra des années, voire des générations pour que s’amenuisent les rancœurs et s’établissent des relations apaisées.
On peut voir sans doute le symbole d’une réconciliation et d’une quête d’autonomie, d’un mieux être entre soi (?) des Pions, dans le projet de l’édification de leur église.
En 1837, le sieur André Mondière dit le Monsieur réunit 34 Pions, chez lui au village Lavoine, où l’on retrouve des Barrault, Basmaison, Blettery, … Vallas.
Les participants créent une « Société » ayant pour objet la construction d’une église à Lavoine.
Ils font valoir auprès des autorités religieuses l’éloignement et le caractère périlleux du trajet en hiver [54].
Les adhérents s’engagent à participer en espèces ou apports de matériaux et deviennent ainsi co-propriétaires de l’édifice [55] à hauteur de leur participation.
En 1851, après bien des vicissitudes … et quelques dissensions, l’édifice, d’abord chapelle auxiliaire de Ferrières, devient l’église paroissiale de Lavoine.
En 1880, l’autonomie administrative suit. Les Pions sont désormais administrés par leur Maire et ses Conseillers : aux dépens de Ferrières, sont créées les communes de Lavoine et La Guillermie.
Aujourd’hui les Pions sont dits demeurant, non plus à Ferrières, mais à Lavoine [56] ou La Guillermie.
La fée électricité a jeté un charme sur leurs derniers moulins à bois pour les faire disparaître, mais le savoir-faire des fendeurs de planches s’est transmis et les scieries numérisées perpétuent les livraisons de planches, chevrons et autres charpentes.
Les cabaretiers sont devenus aubergistes. Comme hier, on se retrouve chez eux pour se rafraîchir agréablement et apprécier bonne subsistance, tout en trouvant l’occasion de badiner son convive.
On ne va plus à la chasse aux loups, mais on tire encore les renards croqueurs de poules.
On se dispute, sans doute, ni plus, ni moins, que dans tous les autres villages de France.
Il arrive que le vent de la discorde souffle sur les pales d’une éolienne contestée, nouvelle légitime occasion d’affronter les voisins et de se déclarer plaintifs.
Ici comme ailleurs, l’intervention du géomètre, qui peut se révéler aussi conciliateur, permet de retrouver les bornes perdues ou égarées, en même temps que la sérénité dans le voisinage.
Il n’y a plus de jeunes bergères pour surveiller les bestiaux … et les gens qui passent.
Il n’y a plus de collecteurs du sel ou de la taille assistés d’un ange gardien, même si les bons citoyens, cette fois unanimes, s’estiment toujours taxés [57] plus que de raison.
Mais la solidarité est toujours présente.
Celui ou celle qui traverse une mauvaise passe, voit accourir le voisin pour déneiger la porte, partager les légumes du jardin ou apporter le réconfort d’une présence amicale, et les cousins de Roanne, Lyon ou Paris ne manquent pas une occasion de retrouver chez leurs Pions cette si chaleureuse hospitalité, loin des clichés anciens.
Bibliographie et sources :
ALAMARTINE Claude, En Montagne bourbonnaise avec les Pions. 1981
Réédition « De la Guillermie chez les Pions » Revue n° 47 Hiver 1998-1999
Éditions des Amis de la Montagne Bourbonnaise.
BLETTERY Jacques Lavoine, L’histoire des Pions
« Le Canton du Mayet de Montagne ». 2005
Allier Généalogie 83 avenue des Célestins 03200 Vichy.
DECORET Gilbert, Une page sur Vichy et ses environs.
2e partie de 1755 à 1895. Pages 133 et suivantes.
A. Wallon imprimeur-éditeur Vichy 1899.
DELAIGUE Ernest, directeur-gérant.
Annales Bourbonnaises 1892
Note sur les Pions. Pages 102-103
Imprimerie Étienne Auclaire Moulins.
Réédition Kessinger publishing USA 2015
DUCHON Paul, La complainte des Pions.
Bulletin de la Société d’Émulation du Bourbonnais Tome 19e 1911
pages 220 et suivantes.
Imprimerie Etienne Auclaire Moulins.
Disponible sur Gallica.
JACQUET Charles, Faisons le point sur les Pions.
Bulletin municipal, Les Salles Puy-de-Dôme 2006-2007.
LACARRIERE Jacques, Chemin faisant à travers la France, Fayard Paris 1974
STERNBERG Michèle, L’affaire des Pions La Montagne bourbonnaise sous l’Ancien régime. Mars 2016 03200 Vichy.
ROYER Jean-Pierre, JEAN Jean-Paul, DURAND Bernard, DERASSE Nicolas, DUBOIS Bruno, Histoire de la Justice en France.
La justice royale (1715-1789), P.U.F. 2010
Fonds de Justice de la Guillermie cote 4B La Guillermie 1
Archives départementales de l’Allier
Parc de Bellevue
03400 Yzeure
Arrest de la Cour du Parlement du 02 juillet 1765
A Paris chez P. G. Simon, imprimeur du Parlement,
rue de la Harpe, à l’Hercule, 1765.
BnF Tolbiac inventaire F.23674 (834)
BnF Richelieu MS Dossier bleu, Bamaison fol 1
Cartes
Cartes de Cassini : www.cartocassini.org BnF
Geoportail.gouv.fr
* = Réussit à s’échapper.
Liste des 29 accusés recherchés le 22 mars 1764 (outre *Marie et *Antoinette Barraud).
* Albert BARRAUD, au village Bèchemore.
Claude BARRAUD au village Pion.
Laurent BARRAUD dit le Belliot, au village Bèchemore.
Mathieu BARRAUD, au village Bèchemore.
Bonnet BASMAISON, au village Pion.
Claude BASMAISON, au village Pion.
Laurent BASMAISON, au village Pion.
Mathieu BLETRIE (BLETTERY) au village Pion.
Simon CHAUNIER. au village Pion.
* Simon DESVERNOIS dit le Bédiot, au village Pion.
* Albert FRADIN, autrement DESVERNOIS, dit le Courtaud, au village Bèchemore.
* (Laurent) DASSAUD, fils de François, au village Pion.
Claude FRADIN, autrement DESVERNOIS, dit Sapinot, au village Bèchemore.
* Gaspard FRADIN dit le Nioque et sa femme * Marie BARRAUD, au village Fumoux.
* Simon FRADIN dit Tout-Bas et sa femme * Magdelaine, Benoîte Cognet au village Fumoux.
Laurent FRATY, au village Pion.
Simon GOLIARDON, au village Pion.
Le nommé GOUTORBE, (Antoine) fils de Benoist, au village Vesse.
Claude MERCIER, au village Pion.
Mathieu MERCIER, au village Pion.
Gilbert MONDIERE, au village Nely
Joseph (Gaspard) NELY, au village Pion.
Antoine PION-BASMAISON dit le Toin, au village Fumoux.
Gilbert PION-BASMAISON dit le Couchat, au village Pion.
* Mathieu PION-BASMAISON dit Tête-Noire, au village Pion.
Claude POUZERATE, au village Sezenne.
Bonnet VALLARD, au village Pion.
Sénéchaussée de Moulins.
Extraits de la Sentence du 20 septembre 1764.
Gilbert PION-BASMAISON dit le Couchat, Claude FRADIN dit Sapinot, Antoine PION-BASMAISON dit le Toin, Laurent BARRAUD dit le Belliot et Simon DESVERNOIS,
atteints et convaincus d’avoir, le 18 février 1764, formé le projet d’enlever des mains des Cavaliers de Maréchaussée la nommée Marie Barraud, l’une des accusés, d’avoir à cet effet formé une
embuscade dans le bois Parraud, et étant attroupés et armés, avoir attaqué les dits Cavaliers de Maréchaussée, fait plusieurs décharges sur les dits Cavaliers, blessé à la cuisse Augustin Champagnat l’un des Cavaliers de Maréchaussée, et Joseph Pénin, autre Cavalier, à la jambe droite, et blessé le cheval du dit Cavalier à la tête, de laquelle blessure ledit cheval est mort, et enfin d’avoir enlevé des mains des dits Cavaliers ladite Marie Barraud ;
pour réparation de quoi, les dits Gilbert PION-BASMAISON dit le Couchat, Claude FRADIN dit Sapinot, Antoine PION-BASMAISON dit le Toin, Laurent BARRAUD dit le Belliot et Simon DESVERNOIS sont condamnés à être pendus et étranglés jusqu’à ce que mort s’ensuive, à des potences qui seront à cet effet plantées par l’Exécuteur de la Haute Justice dans la place d’Allier [58] de ladite ville de Moulins, ayant écriteaux devant et derrière, sur lesquels sera écrit « Rebelles avec port d’armes aux Mandements de Justice » ;
les dits condamnés préalablement appliqués à la question ordinaire et extraordinaire pour avoir révélation de leurs complices ; leurs corps morts portés aux fourches patibulaires de ladite ville ;
tous leurs biens déclarés acquis et confisqués au profit du Roi ou des Seigneurs, préalablement pris la somme de 10 livres d’amende au profit du Seigneur Roi ;
En ce qui touche les autres accusés et prisonniers
Antoine GOUTORBE, Claude MERCIER, Laurent BARRAUD dit le Belliot, Laurent BASMAISON, Claude POUZERATE, Mathieu BLETTERY, Mathieu MERCIER, Simon GOLIARDON, Gilbert MONDIERE, Claude BASMAISON, Claude BARRAUD, Simon CHAUNIER, Laurent FRATY, Bonnet VALLARD, Joseph NELY, également atteints et convaincus, sont condamnés à la même peine, toutefois est prononcé sursis à statuer sur icelle après les procès-verbaux de torture ci-devant ordonnée.
En ce qui touche l’accusation intentée contre les fugitifs : Simon FRADIN dit Tout-Bas, Albert BARRAUD, Simon DESVERNOIS dit Bédiot, Claude FRADIN dit Trot-Lent, Albert FRADIN dit le Courtaud, Gaspard FRADIN dit le Nioque, Claude FRADIN dit le Buron, autre Claude FRADIN, Marie BARRAUD femme au dit Gaspard Fradin dit le Nioque, Benoîte COGNET femme de Simon FRADIN dit Tout-Bas, Laurent DASSOT et Mathieu PION-BASMAISON dit la Tête-Noire, la contumace est déclarée bien instruite à leur égard. Ils sont déclarés duement atteints et convaincus d’avoir formé le même projet d’attroupement et d’enlèvement de ladite Marie Barraud ; pour réparation de quoi ils sont condamnés à être pendus et étranglés, tous leurs biens déclarés acquis et confisqués au profit de sa Majesté ou tels autres Seigneurs, ce qui sera exécuté par effigie en des tableaux attachés à une potence plantée à cet effet par l’Exécuteur de la Haute-Justice, dans ladite place des Lys.
En ce qui touche Marie et Antoinette Barraud, la contumace est pareillement déclarée bien instruite.
Duement atteintes et convaincues de s’être opposées avec force et violence à l’exécution des Mandements de Justice et d’avoir le 2 janvier 1764, maltraité Gilbert Piat, l’un des assistants de Jacques Sayet, Huissier, et l’avoir excédé de coups, desquels il est décédé le 19 du dit mois ;
pour réparation de quoi, elles sont condamnées à être pendues et étranglées, ce qui sera exécuté par effigie en un tableau qui sera attaché à une potence plantée dans ladite place des Lys ;
leurs biens sont déclarés acquis et confisqués au profit du Seigneur Roi ou autres.
Il est ordonné en outre que ladite Sentence sera imprimée, lue, publiée et affichée ès Audiences des Justice de La Guillermie, Ferrières et autres circonvoisines ainsi que dans les Paroisses voisines.
D’après DUCHON Paul La complainte des Pions (extrait).