C’est à Troyes, dans l’Aube, qu’un certain Nicolas Oudot invente les livrets de colportages au début du XVII° siècle. Ces opuscules, au prix très bas (2 sous), ont connu très vite un important succès dans les villes du Nord-Ouest comme Rouen et Caen, puis ensuite dans d’autres cités comme Paris, Troyes et Lyon. L’enthousiasme est tel que de 1635 à 1723, le nombre des imprimeurs de petits livres de la bibliothèque bleue est multiplié par deux ! On compte alors environs 150 imprimeurs répartis dans 70 centres, principalement dans la France du Nord plus alphabétisée que le reste du Royaume (voir les cartes de l’alphabétisation de 1686 à 1790).
Ces petits livres bleus sont l’oeuvre d’auteurs anonymes ou fictifs, toujours soucieux des goûts d’un public populaire. Ce sont généralement de médiocres compilateurs d’ouvrages de grands auteurs qui trouvent dans ce commerce un moyen de gagner leur subsistance.
La vente de ces ouvrages est assurée par les colporteurs, d’abord en milieu urbain puis ensuite dans les campagnes. Mais il difficile d’évaluer leur diffusion car les inventaires après décès ne signalent jamais leur existence. Toutefois, au XVIII° siècle, cette littérature populaire connaît un véritable succès et sa distribution se développe en parallèle à la vogue de l’imagerie pieuse et d’une plus grande diffusion des informations (cf au XVIII° siècle, la popularité de Mandrin et la grande peur suscitée par la "Beste du Gévaudan").
Ces ouvrages, qui ne rencontrent que le mépris chez les notables lettrés, s’adressent principalement à un public de citadins et ruraux alphabétisés : riches exploitants agricoles, petits notables des paroisses, parfois quelques laboureurs et plus rarement encore quelques manouvriers. Les livres étant rares dans les milieux populaires, ils sont lus et relus à l’occasion des veillées, entendus et mémorisés par ceux qui ne savent pas lire, parfois copiés par ceux qui savent écrire.
Les thèmes abordés par la Bibliothèque bleue sont tous empruntés au fonds classique ou savant : almanachs ("Le Grand Calendrier compost des bergers"), prophéties, astronomie, miracles, prodiges et curiosités, médecine populaire ("Le médecin des pauvres"), cuisine ("Le cuisinier français"), jardin, herbes médicinales, nouvelles modes (cf le tabac et le café qui se propagent lentement), règles du savoir-vivre, secrets de l’amour, livres d’humour ("l’art de péter"), contes, romans de chevalerie ("Quatre fils Aimon", "Huon de Bordeaux"...) histoire sainte, catéchisme...
Mais le principale message véhiculé par ces ouvrages est d’abord religieux. En effet, ces opuscules s’inscrivent dans les efforts de l’Église de la Contre-Réforme pour modeler le chrétien, enseigner une foi rigoureuse dont la sainteté est la référence, et prolonger la pédagogie de masse diffusée par les missionnaires... Selon Robert Mandrou, ils "valorisent le modèle de l’homme bien élevé, fidèle à sa famille et à sa religion, honnête dans le mariage ou dans l’amitié, qui accepte de se tenir à sa place et de respecter les hiérarchies sociales". Pour Robert Muchembled, "ils tranquillisent un monde populaire aliéné, écrasé d’impôts, et tenté de se révolter. (...) Cette véritable bible, pédagogie de "masse" (...) freine toute prise de conscience des réalités sociales".
Ainsi, ces ouvrages ont contribué à instruire et divertir le peuple, à modeler les goûts, à créer un univers d’évasion pour fuir une réalité étroite, et à atténuer les angoisses d’une existence difficile. Plus globalement, ils sont un progrès culturel important car ils ont préparé la voie à l’écrit et à d’autres lectures.
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Bibliographie :
- Robert Mandrou : De la culture populaire au XVII° et XVIII siècles, la Bibliothèque bleue de Troyes, Paris, Flammarion, 1964.
- Geneviève Bollème : La Bibliothèque bleue, la littérature populaire en France du XVII° au XIX° siècle, Paris, Julliard, 1971.
- Robert Muchembled : Culture populaire et culture des élites dans la France moderne (XV° - XVIII° siècle), Paris, Flammarion, 1978.