Le fonctionnement de la forge nécessite des "chauffeurs, affineurs, fendeurs et marteleurs" spécialistes qui viennent parfois de loin, qui se déplacent souvent et que les maîtres de forges débauchent volontiers chez leurs concurrents.
Le haut-fourneau et ses annexes nécessitent pour leur approvisionnement une main d’œuvre locale constituée de :
- mineurs
- charbonniers
- voituriers avec des équipages de chevaux.
Cet approvisionnement doit être fiable, aussi le directeur de la forge s’efforce-t-il de fidéliser tous ces intervenants.
Les contrats écrits sont rares. Ils sont dus à des circonstances particulières : ainsi le contrat le mieux renseigné, celui de 1696, est provoqué par le décès du maître de forges, juste après avoir embauché un marteleur. Celui-ci préfère sans doute obtenir des garanties du successeur (fils du décédé).
Il n’y a pas de droit du travail à cette époque, ces contrats sont parfois qualifiés de "contrat de marchand à marchand" ou le plus souvent de "bail".
1. Des contrats de travail en bonne et due forme
Un contrat presque moderne : l’embauche d’un marteleur
Du dix neufième jour de septembre 1696 après midy
Fut présent Jean Gadois maître marteleur de la paroisse
de Rânes, de présent demeurant à la forge de la
vallée de Touanne, paroisse de Montmerrey. Lequel
s’est submis et obligé envers Antoine Dubois, Sieur des Aitres, Maître
de ladite forge de Touanne de le servir loialement et
fidellement de son mestier de marteleur dans ladite
forge pendant le reste de son bail qui est pour six
ans, commencez du mois de may dernier, au moien
que ledit sieur Dubois a promis aquitter et décharger
ledit Gadois d’une somme de cent cinquante livres
qu’il avoit recue par avance du feu sieur Dubois, père
dudit sieur des aitres, si bien et à temps que ledit Gadois
n’en sera recharché et aura en outre vingt cinq sols
par chacun millier de fer et comme pendant l’esté
l’on manque ordinairement d’eau à ladite forge
ledit sieur des aitres luy paiera encore pendant
\trois mois/ de l’esté, cinquante cinq sols par chacune
sepmaine outre sondit loyer. Et sont ainsy demeurez
d’accord et qu’en accomplissant par ledit Gadois le présent
marché, il ne sera tenu rendre aucune chose de
ladite somme de cent cinquante livres et (à ce moien)
tout autre accord fait par ledit Gadois l’unze de ce
mois demeure nul. Fait comme dessus ledit jour
et an, présence de Me Nicolas Hommey, prestre,
curé du Cerqueil et Louis Saucier procureur de la ville
d’Argentan. En glose trois mois. Et a ledit Gadois
marqué, aiant déclaré ne scavoir signé. De plus
a esté accordé par ledit sieur des aitres qu’en cas
que ledit Gadois mourust avant l’expiration du
présent, sa veufve et héritiers seront quittes desdites
cent cinquante livres comme si ledit marché
avait esté entièrement exécuté, qui commence de ce jour et
comme il n’y a pas d’eau présentement sur ladite forge,
ledit sieur des aitres a promis donner la somme de
douze livres pour cette première année, et à l’avenir
pendant trois mois d’esté chacun an, à commencer
au mois de juillet prochain donnera lesdits cinquante
cinq sols par chacune sepmaine outre son loier
comme il est dit cy dessus. Le tout fait es présence
desdits tesmoins et a ledit Gadois marqué [1]
Résumé, ce contrat se présente ainsi :
Le 6 septembre 1696 entre
Jean Gadois, maître marteleur à Rânes,
Antoine Dubois, maître de la forge de la Touanne à Montmerrei.
Durée du contrat : 6 ans.
Prime d’embauche (gratification) : 150 livres.
Salaire à la tâche : 25 sols par millier de fer.
Logement : loyer à la charge de l’employeur.
Chômage estival (3 mois par manque d’eau) : 55 sols par semaine.
décès : si le cas arrive avant la fin du contrat, sa veuve et ses héritiers sont quittes des 150 livres.
Embauche d’un affineur [2]
le 3 septembre 1730 entre
Jean Masseron, natif de Putanges, affineur à Boucé
Monsieur de Beausan, directeur de la Forge de Putanges
durée : 6 ans.
interdiction d’aller travailler ailleurs.
Prime d’embauche (gratification) : 120 livres et 4 boisseaux de blé.
Valet d’affineur : le fils de Jean Masseron assistera son père en tant que valet.
Le sieur de Beauchamp fournira un second valet à ses frais.
Le fils Masseron peut s’absenter. Le père ne sera pas tenu de fournir un autre homme.
Maladie et décès : le cas échéant, le contrat expire et personne n’est tenu de restituer tout ou partie des 120 livres.
Autres clauses : le notaire écrit : "les parties à nous inconnues se sont contentés des faits résipoques l’un de l’autre". En clair, les contractants sont inconnus du notaire et ils ont convenus de clauses qui ne sont pas explicitées dans le contrat. Personne ne semble souhaiter que les conditions d’embauche soient connues.
Embauche d’un affineur [3]
le 24 juin 1731
Marin Mallet, affineur
Marc Antoine Jouville, maître de forges à Rânes
durée : 9 ans.
Prime d’embauche (gratification) : 200 livres et une tasse d’argent évaluée 20 livres.
Décès : la somme reste acquise à sa femme ou aux héritiers.
Lieu de travail : dans un périmètre de 6 à 7 lieues autour de Rânes.
Embauche d’un valet d’affineur [4]
le 24 juin 1731
Jacque Hue, forgeron de Rânes, valet d’affineur pour l’ordinaire
René Chauvin, sieur du Ponceau, Maitre de forges à Ranes
durée:autant de temps que le sieur du Ponceau fera valoir la forge.
ne peut aller travailler ailleurs.
Prime d’embauche (gratification) : 70 livres et encore 50 livres.
Il sera tenu de rendre ces 50 livres qui ne sont "que pour aider ledit Jacques Hue en ses besoins".
Embauche d’un poislier à Beauvain [5]
14 octobre 1733
François Macé de la Pooté [6]
Louis Leperre [7], maitre poislier
durée : 9 ans
à l’engagement : 98 livres
chaque année : une pipe de cidre et un cochon de lait (valant 12 livres) et 250 livres
décès : la somme de 98 livres reste acquise à la famille
2 - Autres types de contrats pour s’assurer la fidélité et l’exclusivité
Paiement d’une promesse de mariage [8]
Le 14 janvier 1694
Pierre Moulin, marteleur à Carrouges
Germain Ricoeur, sieur de Basmont, maître de forge à Carrouges
Reçu de 150 livres pour son traité de mariage [9],
somme promise par Renée Lefebvre, épouse du sieur de Basmont.
Charbonniers à Ranes [10]
Le 26 août 1731
Georges et Nicolas Chrestien, père et fils
Mr du Ponceau, maître de forges à Rânes
Ce n’est plus d’un contrat de travail qu’il s’agit mais d’un contrat d’exclusivité :
Les chrétiens souhaitent faire le retrait d’un champ [11].
Le maître de forges leur avance l’argent pour le faire.
Il se remboursera "à proportion de la cuisson et du dressage de ses bois" qu’ils s’obligent à faire " partout où besoin sera".
Durée : autant de temps que le sieur du Ponceau fera valoir la forge.
Achat d’un cheval [12]
Le 28 février 1730
René Perreaux, voiturier de Tanville
René Chauvin, sieur du Ponceau, maître de forges à Rânes
Prêt de 20 livres pour acheter un cheval qui servira "à voiturer mines, charbons et castille avec quatre autres qu’il a".
Il ne pourra travailler pour un autre.
La somme sera remboursée de quinzaine en quinzaine "sur les voitures" de Perreaux.
3- Hors norme
Assurance mutuelle contre les loups [13]
18 décembre 1726
15 voituriers de la grosse forge de Champsecret s’associent
"en cas que le malheur arrive à un d’iceux que le loup abatte un de leurs chevaux , ils s’obligent... qu’à celui à qui le malheur tombera luy payer chacun 25 sols le tout faisant de 18 livres 15 sols"
durée du contrat : pendant le temps qu’ils seront voituriers.
La chapelle de Varennes
La forge de Varennes était située sur la paroisse de Champsecret mais fort éloignée de l’église. Le maître de forges du lieu désirant à la fois ne pas perdre de temps et permettre le culte fit édifier une chapelle pour son personnel.
Cette chapelle existe toujours décorée de deux statues remarquables des patron et patronne des forgerons. Notamment cette Sainte Anne, mère de la Vierge à un âge avancé, représentée endormie un livre à la main. Contrairement à la statuaire classique, Marie encore enfant, est absente : on peut supposer qu’elle est partie jouer...
- Ste Anne dans la chapelle de la forge de Varenne
En guise de conclusion
Ces quelques contrats retrouvés dans les minutes notariales de la région apportent un certain éclairage sur ce que pouvaient être des relations de travail au XVIIIe siècle dans les grosses forges. Ils ne sauraient en aucun cas préjuger de la situation générale dans le monde du travail de cette époque.