La découverte
Il y a quelques années de cela, pas plus de sept à huit ans peut-être, alors que je « fouinais » dans le grenier de la maison de mes parents à Varrains - comme chaque fois que je venais les voir d’ailleurs -, je découvrais, noyé au milieu d’un tas de vieux papiers poussiéreux et jaunis, un carnet à la couverture noire. De petite taille et épais de moins d’un centimètre, celui-ci pouvait tenir dans la poche d’une veste ou d’un pantalon. A première vue, il n’avait rien d’extraordinaire et j’étais loin d’imaginer ce qu’il pouvait représenter et surtout de la tournure que prendraient les évènements qui s’ensuivraient.
J’ouvrais le carnet. Sur la page intérieure de sa couverture, d’une écriture bien appliquée, une phrase était inscrite à l’encre violette :
Fait à Erfurt pendant ma captivité : 1914-1915
En bas à droite, s’étalait une signature dont le nom ressemblait vaguement à celui de Mornas. Deux initiales le précédaient, entremêlées, le C et le M, du moins me semblait-il.
Je rattachais aussitôt ce nom à celui de Maurice Mornas, mort depuis longtemps, époux d’Eugénie Richard une cousine de ma mère, de son côté maternel. Eugénie, décédée sans héritiers en 1963, avait ainsi légué ses biens à ma mère.
Je pensais donc être tombé, tout à fait par hasard, sur le carnet de campagne du dit Maurice, soldat de la Grande-Guerre qui, apparemment avait été fait prisonnier et détenu en Allemagne. La page de garde, recto-verso, représentant un calendrier de 1913 et des tarifs postaux imprimés en allemand gothique le confirmaient. Je rejoignais donc mes parents au rez-de-chaussée et leur montrais ma trouvaille. Ils furent aussi surpris que moi car ils n’avaient plus vu ce carnet depuis que les affaires de cette cousine avaient rejoint notre maison. Elles avaient été remisées dans le grenier et personne ne s’en était occupé jusqu’à ce jour.
L’étonnement passé, la curiosité reprit le dessus. J’ouvrais le carnet à la deuxième page où s’étalait un titre :
Récit de ma campagne 1914 racontée par un témoin
Je trouvais alors cet en-tête un peu bizarre par sa forme, mais je continuais la lecture.
Le rédacteur écrivait, qu’avant de narrer sa campagne, il allait expliquer comment fut déclarée la guerre. Sur deux pages, il énumère ainsi les raisons géopolitiques, les conflits antérieurs non réglés, le jeu des alliances et bien sûr l’assassinat à Sarajevo de l’Archiduc François-Ferdinand héritier de l’Empire Austro-hongrois, qui allait déclencher le plus grand conflit armé mondial.
La Campagne
Arrivé à la mobilisation générale du 2 août 1914, notre soldat raconte que, faisant partie du 337e Régiment d’Infanterie [1], régiment de réserve du 137e de Fontenay-le-Comte où il tenait garnison, il avait embarqué en train le 9 au soir pour une destination inconnue. Il quittait ainsi sa petite femme, après seulement six mois d’union, sans savoir s’il reviendrait. Mais, écrivait-il, « le devoir avant tout ! ». Bel exemple de patriotisme, me dis-je, surtout pour un réserviste. Il est vrai que depuis la défaite de 1871, les enfants français avaient été éduqués dans un esprit de revanche.
Le temps me manquant, je feuilletais rapidement le récit qui s’étalait sur plus de quatre vingt pages numérotées. Sous l’écriture délicate de la plume, on pouvait deviner la rédaction faite initialement avec un crayon de bois finement taillé. Je décidais de remettre à plus tard ma lecture en emportant le carnet à mon domicile.
Le soir même, impatient de connaître la suite je repris le carnet et recommençais son interprétation. Je m’étais arrêté au moment où, le 11 août, après 42 heures de chemin de fer, notre soldat était arrivé à Grand Pré dans les Ardennes.
Le récit continuait avec la présentation de son régiment de réservistes, le 337e, de son bataillon, le 1er [2] et de sa compagnie, la 17e, de ses chefs et de lui-même qui avait le commandement d’une demi-section. Il n’était donc pas qu’un simple soldat et, en avançant dans ma lecture, je découvrais alors qu’il était sergent. Je comprenais mieux sa façon de réagir et de s’exprimer.
Puis il raconte le déplacement de son bataillon, le cantonnement dans une grange, la garde avec sa demi-section et à nouveau le départ vers une destination inconnue. Après la première rencontre d’un aéroplane allemand, le bataillon entra, musique en tête dans Saint-Pierremont village Ardennais.
Ainsi jusqu’au 15 août rien ne se passe. L’ennemi semble être loin. Après un exercice matinal, les hommes purent assister à la messe de l’Assomption où fut lu un discours de l’Evêque de Luçon, apprécié semble t’il par notre sous-officier. Après le déjeuner, interrompu par une alerte, le bataillon se remit enfin en route sous une pluie battante et après avoir traversé la forêt de l’Argonne, continua son avance vers Sedan en suivant la Meuse. Là, il passa la nuit dans une grange à Remilly. Notre sergent explique comment, à l’aube, le bataillon a été éloigné à quelques kilomètres du village et mis en attente, sous la pluie, ses chefs ayant eu peur que les soldats s’enivrent. Ce que certains réussirent à faire malgré tout.
Jusqu’au 20 août, en dehors des marches d’approches ou d’exercices de service en campagne, il n’y eut rien de bien important à raconter.
Après avoir creusé des tranchées le matin du 20, les hommes se reposèrent l’après-midi, le départ étant prévu pour le lendemain.
Le 21 le bataillon se mit en route, et pour la première fois franchit la Meuse. Arrivé non loin de la Belgique, celui-ci se rapprochait ainsi du théâtre des hostilités. Après une succession de collines, il franchit la frontière par une chaleur lourde. Notre soldat vante l’affabilité des Belges et l’apparition des marchands de cigares. Une aubaine pour les fumeurs dit-il. Puis, avec l’éclatement de l’orage qui couvait, il décrit le paysage sinistre des collines et des bois sous la pluie torrentielle, la violence des coups de tonnerre et la lueur des éclairs, et conclut en disant que c’était réellement leur entrée en campagne.
Maissin - Le Baptême du Feu
Notre sous-officier ne croyait pas si bien dire car le 22 août, après plusieurs heures de marche avec arrêt dans un village, le bataillon rencontra le 23e Régiment de Dragons qui avait eu un engagement la veille avec l’ennemi. Certains de ses hommes étaient blessés tandis que d’autres arboraient fièrement des prises de guerre, qui un casque, qui une capote.
En effet la guerre était proche.
La progression continua et alors que le bataillon fut arrêté, le canon commença à se faire entendre non loin de là et l’éclatement des obus allemands se voyait au dessus d’un bois. Aussitôt les cartouches furent distribuées et les fusils approvisionnés. Cela devenait sérieux.
La marche reprit. Nos soldats croisèrent des Chasseurs à cheval blessés qui revenaient de la bataille de Maissin. Puis ce furent des chevaux également blessés qui suivaient la route de Palisseul et un plus loin d’autres gisaient, tués, sur le bas-côté. Le canon était de plus en plus présent et les obus tombaient à proximité, dans les bois.
Quittant la route, notre sergent et sa section s’y enfoncèrent et rencontrèrent un premier blessé qui repartait vers l’arrière en comprimant la blessure de sa poitrine d’où le sang sortait à flot. Peu de temps après, ils furent surpris par des drôles de bruits, comme si on cassait des branches de bois sec. Tac ! Tac ! Tac ! Nos soldats ne mirent pas longtemps à comprendre qu’une volée de balles s’abattait sur eux et se couchèrent plus rapidement qu’à l’exercice.
La troupe reprit la progression, et peu après, la lisière du bois apparut et le champ de bataille enfin se découvrit. Au-delà des champs d’avoine s’étalant devant eux, les soldats aperçurent au loin, en contrebas, le village de Maissin dont les maisons brûlaient. Profitant d’un mouvement de recul des Allemands se trouvant à quelques centaines de mètres, la compagnie fit un bond en avant et se déploya en tirailleurs de chaque côté de la route menant au village. Personne n’avait été encore atteint dans la section, mais en traversant les champs notre sergent raconte qu’il avait vu plusieurs soldats tués ou blessés. D’autres troupes françaises se trouvant devant eux, il n’était pas possible de tirer, seulement d’avancer, en suivant la route et profiter de son remblai pour s’abriter des balles qui recommençaient à siffler plus nombreuses. Les soldats de sa section, apeurés, se tapissaient à terre et n’avançaient plus, aussi notre sergent dut faire la navette pour essayer de les faire sortir du fossé. Les balles sifflaient des deux côtés de la route car des Français, à leur droite les prenaient pour des Allemands et leur tiraient dessus.
Notre sergent décrit ensuite l’assaut de Maissin effectué par plusieurs régiments. Les compagnies, dont une de son bataillon, pénétrant dans le village mais qui sont chassées presqu’aussitôt par les Allemands et doivent se replier. Peu après ce recul stratégique, le bataillon repart à l’attaque d’un petit bois d’où partent des coups de feu. C’est au son du clairon que la charge se fait et c’est à ce moment que notre sergent voit son lieutenant s’écrouler en criant, touché d’une balle dans le ventre, puis il se tut, il était mort.
Maissin était revenu aux mains des troupes françaises et la nuit commençait à tomber. L’ordre fut donné à chacun de rejoindre son corps mais les régiments du Corps d’Armée étaient tellement mélangés que notre sergent ignorait où était sa compagnie. Mais entendant soudain un clairon sonner le refrain de son régiment, notre sous-officier et ses soldats se dirigèrent vers Maissin, d’où venait la sonnerie. Chemin faisant, sur le bord de la route, il trouva un capitaine du 116e RI gravement blessé qui demanda qu’on l’emmène. Donnant son sac et son fusil à un soldat, notre sergent chargea l’officier sur son dos et le porta jusqu’à ce qu’il rencontre une fraction du 116e RI à qui il confia le blessé. Peu de temps après nos soldats retrouvaient leur compagnie. Le sergent dit alors sa joie de retrouver ses camarades, mais aussi son désagrément de ne pas retrouver l’homme à qui il avait confié son sac. Après l’appel de la compagnie, le bilan est fait. Le capitaine blessé et le lieutenant mort, il ne reste qu’un sous-lieutenant pour la commander, mais par chance tous les sous-officiers sont présents, malgré un blessé. En revanche, avec cette soudaine bataille de Maissin, nos soldats n’avaient pas eu de ravitaillement et avaient donc, comme le dit notre sergent, « l’estomac creux ». Faute de repas le café fut préparé. C’était toujours ça de pris.
Puis, protégé par une section, le reste de la compagnie put dormir, éclairé par l’incendie de Maissin qui continuait à flamber dans la nuit. Notre sergent décrit le côté lugubre de la situation. Le bruit du canon et de la fusillade avait maintenant fait place au silence seulement interrompu par les cris des blessés qui appelaient pour qu’on ne les abandonne pas. Leur ramassage était dévolu aux brancardiers, mais ces derniers ne venant pas, avec quelques hommes, il se chargea de relever ceux au plus près et de les emmener à Maissin se trouvant à 300 mètres de là. De retour, ils se couchèrent sur le bord de la route et purent s’endormir.
Deux à trois heures plus tard, nos soldats furent réveillés par le bruit d’une troupe qui passait en courant tandis que les balles sifflaient autour d’eux et qu’un clairon sonnant la charge se faisait entendre de Maissin. Les Allemands ayant contre-attaqué avaient surpris les troupes françaises occupant le village et les en chassaient. Celles-ci fuyaient en désordre entrainant avec elles les soldats de la section de notre sous-officier qui essaya de les arrêter. Malgré cette fuite éperdue, quelques uns purent enfin être arrêtés et la troupe fut déployée en Tirailleurs. Ne voyant rien mais entendant toujours siffler les balles, nos soldats décidèrent de se replier en longeant la route. Alors qu’il marchait sur un talus la surplombant, notre sergent glissa et descendit de plusieurs mètres. Tout endolori, celui-ci se relevant avec peine s’aperçut que ses camarades avaient disparus et se retrouvait donc seul. Remontant la pente il se replia du côté des Réserves en ramassant au passage quelques soldats égarés de la 2e compagnie du 137e, son ancienne compagnie.
A l’aube, nos soldats battirent en retraite sur le village de Bouillon et notre sous-officier exprime sa colère en disant « que ce n’était pas la peine d’avoir fait tuer tant de monde la veille pour en arriver là », surtout que Maissin avait été repris le matin, mais le 17e CA n’ayant pas tenu bon, le risque d’être encerclé était réel. Ainsi nos soldats reprirent la route de la veille mais en sens inverse. Voilà, dit notre sergent, comment se passa son baptême du feu et sa première bataille.
Le repli
Arrivé à Palisseul au matin du 23 août, notre sous-officier, qui avait « récolté » des soldats de sa compagnie, retrouva son bataillon. Il put enfin se restaurer rapidement et récupérer un sac allemand pris par un de ses anciens soldats, remplaçant ainsi le sien disparu la veille. Pendant son frugal repas, celui-ci s’apitoya sur le sort de malheureux blessés qui revenaient de Maissin, dont certains avec des plaies affreuses.
Le café pris, la troupe se remit en marche, protégée par le 64e RI. Après avoir vu un aéroplane sur lequel ils tirèrent mais qu’ils ratèrent et un tramway chargé de blessés, ils arrivèrent à Bouillon. Là notre sergent décrit sa joie de retrouver ses soldats car ils se croyaient réciproquement morts. Ils s’installèrent enfin dans leur cantonnement, une usine d’ustensiles de cuisine en aluminium. Le soir, désireux de manger un peu mieux que les deux derniers jours, notre gradé se rendit en ville avec un adjudant. Les rues étant tellement encombrées de soldats et par l’artillerie qu’ils ne pouvaient circuler. Ne trouvant pas de quoi se restaurer notre sergent rentra à son cantonnement et partagea la soupe d’une escouade de sa section. Puis épuisé, il alla se coucher.
Le 24 août, après quelques heures de sommeil et un faux départ, le régiment fit mouvement sur la route de Palisseul puis s’établit dans des tranchées construites dans la nuit. Un corps d’armée devant venir en renfort, notre sergent fit aménager les tranchées afin d’y résister si besoin était. Mais à peine ce travail terminé, l’ordre de repartir survint. La troupe battit de nouveau en retraite précipitamment et retraversa le village de Bouillon qui paraissait abandonné, puis prit la route de Sedan à une telle vitesse que certains soldats ne pouvaient plus suivre. Tout le long de la route, des sacs abandonnés, des brodequins, du linge témoignaient de l’incroyable débandade. En plus, ce jour là, la chaleur étant insupportable et la marche si rapide sur cette route accidentée que les hommes mouraient de soif. Et pas une goutte d’eau !
Heureusement, un peu plus loin, alors que les soldats faisaient une halte dans la forêt, ils purent profiter d’un petit ruisseau dont l’eau claire fut la bienvenue.
Au bout d’un moment, s’apercevant qu’il est à nouveau de retour en France, notre gradé s’en désole et se demande si ce n’était pas un nouveau 1870 qui recommençait. Avant d’entrer dans Sedan, la troupe fit halte dans un village où des vivres lui furent distribués. Notre sergent en profita pour acheter quelques suppléments, dont du vin à un homme liquidant ses barriques. Ainsi, tous les villageois fuyaient. Une pauvre femme passant près de lui, lui donna son pain. Il voulut la payer mais elle refusa, si bien que celui-ci en ressentit une telle émotion qu’il ne put la remercier et pensa qu’elle n’avait peut-être rien d’autre à manger. Une fois restaurés, nos soldats reprirent la route de Sedan avec un entrain inhabituel. La nourriture et surtout le vin avaient fait leur effet, et même notre sergent avouait être un peu ivre, mais concluait qu’il était pardonnable car il y avait longtemps qu’il n’avait pas mangé son content.
Pénétrant enfin dans Sedan et après avoir subi l’accueil chaleureux de ses habitants, nos soldats rejoignirent vers les six heures leurs cantonnements, une école où, à peine installés les cuisiniers des escouades se mirent aussitôt au travail. Notre sous-officier, lui se coucha dans un coin et dormit tellement bien qu’il en oublia l’heure de la soupe. Il ne se réveilla que vers neuf heures et apprit, sans plaisir, que sa compagnie allait garder un pont sur la Meuse. La troupe se mit donc en route, passa devant la gare pleine de civils fuyant la guerre, et rejoignit son emplacement. Les soldats s’installèrent sur le bord du fleuve. Une autre section étant désignée pour la garde, notre sergent et ses hommes purent se reposer. A cause d’un brouillard épais et froid, les hommes couchés dans l’herbe dormirent peu et se réveillèrent trempés.
Dès le lever du jour du 25 août, un meilleur emplacement de tir fut choisi non loin de la Meuse, le long de la voie ferrée, et fut aménagé afin de protéger les soldats des tirs des Allemands qu’ils allaient devoir attendre. Pendant ce temps, le Génie qui minait le pont pour le faire sauter - comme tous les ponts d’ailleurs -, fut interrompu par des coups de feu tirés par une patrouille de Uhlans [3] se trouvant sur l’autre rive auxquels il fut aussitôt répondu. Un instant plus tard les ponts sautaient avec un bruit formidable au milieu d’une épaisse fumée.
C’est alors que le bombardement allemand commença. Le premier obus tomba à 150 m de la troupe, puis le second sur une maison en face de la gare qui s’enflamma aussitôt. La journée commençait mal pour nos soldats.
Soudain, venant de l’autre côté du fleuve, une fusillade les pris à partie. Ils répondirent aussitôt et malgré l’excellente position tenue par les soldats, le lieutenant commandant la compagnie décida de faire replier sa troupe. Notre sergent décrocha avec le dernier groupe de sa section et en gravissant la crête fut salué par des coups de fusils qui firent plusieurs blessés. Le lieutenant, parti le premier, réapparut mais dans un état second, figé par la peur, incapable de décisions. Sans ordres de son chef, le sergent fit installer ses hommes entre les tranchées du 62e qui se trouvait sur la crête et leur fit aménager des emplacements, puis pendant leur travail, il en profita pour se restaurer, tout en observant avec ses jumelles les échanges de tirs entre les artilleries française et allemande. Les obus de cette dernière tombant à 50 m de leur position. Cela durant toute la journée, mais sans faire de mal. Après s’être installé pour la nuit dans les tranchées garnies de paille, nos soldats, gardés par une compagnie du 62e purent enfin s’endormir à la lueur des incendies de Sedan.
La nuit passa sans incident. Le lendemain 26 août, la troupe fut réapprovisionnée en vivres et munitions. Puis, à cause du repli du 17e Corps d’Armée, le 337e fut obligé de faire de même car il risquait d’avoir la retraite coupée. Une fois encore, son lieutenant ne lui ayant pas donné d’ordres et beaucoup de soldats partant individuellement, notre sergent pris à nouveau les choses en main en obligeant ses hommes à rester par quatre. Ainsi groupés en ordre, ils partirent tranquillement sous le feu des canons allemands et aucun d’eux ne fut touché, contrairement à ceux partis isolément. La troupe pénétra dans un bois, accompagna un moment une section du 62e puis se replia afin de retrouver sa compagnie.
Les soldats traversèrent ainsi plusieurs régiments du C.A se retirant eux aussi. La marche était rapide car il se disait que les Allemands arrivaient à lisière de ce bois et notre sergent ne voulait pas être fait prisonnier.
Il arriva enfin à une ferme où il trouva un lieutenant commandant la mitrailleuse du bataillon qui, lui aussi ignorait sa position. Les soldats qui avaient été récupérés furent disposés en tirailleurs le long du mur à droite de la mitrailleuse.
Dans cette ferme était installé un poste de secours aussi beaucoup de blessés s’y trouvaient. Tout était en désordre, les animaux de la ferme se promenaient en liberté et des soldats en profitèrent pour se servir, mais avec l’autorisation du colonel. C’est là que notre sergent vit pour la première fois un combat d’aéroplanes entre un Français et un Allemand.
Deux heures plus tard, on vint le chercher pour aller retrouver sa compagnie située à 500 mètres de là. Reformée, cette dernière prit la route pour rejoindre son cantonnement au village de Chémery. Arrivés vers les 10 heures du soir, nos soldats s’installèrent dans une grange emplie de foin, aussi purent-ils tous dormir profondément jusqu’à 5 heures du matin.
Au réveil du 27 août, il pleuvait et le temps était très chargé. Après le café et une toilette rapide mais bénéfique, à 8 heures, la route fut reprise sous la pluie mais après un moment, un contre-ordre intervint. La troupe fit demi-tour et rentra à ses cantonnements de Chémery. Là les soldats touchèrent des vivres de réserve et les cuisiniers préparèrent un repas qui fut apprécié par tout le monde. « Comme il y avait longtemps que je n’en avais pas pris ! » dit notre sergent. Puis à midi, la troupe quitta le village et un peu plus tard fut placé en soutien d’Artillerie dans un bois. Une bataille se déroulant depuis le matin, beaucoup de blessés passaient sur la route…
Nota : A cet endroit, la narration s’interrompt, quatre pages étant absentes du carnet.
L’avance et la résistance
Le récit reprend au moment où la troupe est apparemment remontée vers l’avant et se trouve à Bulson, village complètement abandonné : des maisons dans un désordre indescriptible, un cheval mort gisant sur le sol, criblé de balles. Dans une grange se trouvaient de nombreux blessés qui demandèrent au sergent si on allait les enlever car ils avaient peur de tomber aux mains des Allemands. Il y en avait tellement que les voitures d’Ambulance ne suffisaient pas.
Puis vint l’ordre de s’établir dans le village, d’en fermer toutes les issues afin de préserver les arrières du Corps d’Armée qui allait effectuer un mouvement en avant. Après s’être installée dans une grange, où des ouvertures furent pratiquées pour le tir, la section de notre sous-officier barricada deux chemins avec des charrettes, charrues, houes ramassées dans la ferme, auxquelles furent ajoutés plusieurs réseaux de fil de fer.
Pendant ce temps, à 800 m de là le Corps d’Armée avançait, visible de loin, ses tenues chamarrées se détachant dans les champs de blés. Les troupes ennemies elles, passaient inaperçues. Tout à coup, les obus allemands commencèrent à tomber sur nos soldats qui étaient encore aux barricades. Des tranchées furent ensuite creusées en arrière pour pouvoir tirer, et une fois ces travaux terminés, la section se mit à l’abri dans la grange pendant que les obus continuaient à pleuvoir. Les troupes en avant progressaient toujours, accompagnées d’une intense fusillade, puis celles-ci disparurent à l’horizon. Notre sergent disait avoir confiance en elles et pensait qu’elles allaient ficher une raclée aux Allemands, mais à cet instant il les vit réapparaître. Grossissant à vue d’œil, celles-ci se repliaient sous une pluie d’obus. Il se dit alors que cela allait encore mal tourner. Les premiers blessés pouvant marcher arrivaient dans Bulson lorsque la grosse artillerie allemande entra en action. Les obus tombaient à la lisière du village en faisant trembler les maisons, avec un bruit formidable qui surprit notre sous-officier. Il pensa que les troupes allaient être massacrées.
Une fois que celles-ci eurent dépassées le village, notre sergent et ses hommes battirent à leur tour en retraite en prenant le chemin de Chaumont Saint-Quentin, puis pénétrèrent dans un bois où ils s’installèrent en ligne pour la nuit, gardés par des sentinelles. A part quelques coups de fusils entendus au loin, ils purent sommeiller car la nuit fut assez calme.
La retraite
A l’aube du 29 août, la troupe reprit sa marche, battant en retraite, le ventre creux car nos soldats n’avaient pas mangé la veille au soir et leurs musettes étaient vides. Après s’être installé peu de temps sur une crête, le déplacement reprit. La section du sergent marchait en arrière garde et, passant sous des pommiers, les hommes firent tomber des fruits qu’ils mangèrent tout en marchant. Cela apaisa un peu leur faim.
Au bout d’une dizaine de kilomètres et après avoir franchi un pont gardé par le 62e, la troupe fit halte en sureté près d’un champ où poussaient des pommes de terre. Sur ordre du colonel, elles furent arrachées et réparties entre tous les hommes. Après une pause d’une bonne demi-heure, la marche reprit. Le soleil étant déjà haut, il commençait à faire très chaud et les soldats se plaignaient de temps à autres. Après avoir traversé un village, vers midi, le régiment fit une grande halte dans une prairie. Là, les pommes de terre furent cuites et mangées ainsi que des vivres de réserve accompagnées d’une eau fraîche tirée à la pompe d’une une maison. Trempé de sueur, notre gradé en profita pour enlever ses chaussettes et sa chemise afin de les faire sécher au soleil.
Il n’était pas encore complètement habillé que le départ fut donné. Suivant un chemin de terre à travers bois pendant plusieurs kilomètres, la troupe arriva à Marquigny qu’elle traversa sans s’arrêter. A la sortie du village se trouvait tout le Corps d’Armée, aussi la compagnie s’installa en bivouac un peu plus loin, dans un petit bois, bien camouflée pour la nuit. Après avoir été réveillés pour rien, par des sentinelles ayant pris un troupeau de vaches pour des cavaliers allemands, nos soldats se rendormirent jusqu’à 4 heures et demie.
Le 30 août, après le café la troupe se remit en route, battant toujours en retraite, ce qui décourageait notre sergent. Après avoir emprunté un raccourci qui les a rallongés –une idée du lieutenant commandant la compagnie–, franchi une passerelle les uns derrière les autres, nos soldats arrivèrent enfin sur la route où, à ce moment passait un régiment d’Artillerie, suivi d’un convoi régimentaire. C’est au milieu de la poussière qu’ils durent attendre la fin du défilé et, passé le dernier convoi, ils apprirent qu’ils allaient devoir le garder et évidemment le suivre. Continuant leur chemin par une chaleur plus forte que la veille, sans boire car les bidons étaient vides depuis longtemps, ils s’arrêtèrent enfin. Là, ils prirent une formation contre l’Artillerie car le combat était engagé et les obus tombaient aux alentours. A la tombée du jour nos soldats se replièrent sur Attigny où se trouvaient bien deux Corps d’Armée. Des soldats sales, fatigués, donnaient plutôt l’aspect d’un troupeau que celui d’une troupe. Des pillages avaient même eus lieu dans des magasins abandonnés. Soudain, alors que le cantonnement pour la nuit était prévu dans la ville, des obus commencèrent à tomber, aussi les troupes l’évacuèrent-elles pour se porter à deux kilomètres de là. Mais à peine arrivés et alors qu’ils étaient en train de s’installer, nos soldats durent repartirent et marchèrent encore une heure pour enfin s’arrêter dans une prairie où notre sergent, « rudement fatigué » avouait-il, se coucha aussitôt et put dormir sans incident.
Le 31 août, réveillés à 4h30, trempés à cause du brouillard de la nuit, nos poilus partirent à 6 heures en battant une nouvelle fois en retraite, mais sans voir un seul ennemi. Ils pénétrèrent en Champagne, accueillis par des paysages plats et sans arbres. Croisant en chemin un ou deux régiments du corps d’Armée, la troupe fit son entrée vers midi à Leffincourt. Cela faisait le 2e jour que les soldats n’avaient pas mangé, aussi, à peine installés ces derniers purent, sous l’ordre du commandant, arracher des pommes de terre dans un champ. Pendant que les cuisiniers s’affairaient, d’autres se rendirent au village pour acheter de la boisson ou d’autres denrées pour compléter leur frugal repas. Après s’être bien restauré et bu, notre gradé, « heureux comme un poisson dans l’eau », s’allongea sur la paille et s’endormit.
Puis, l’après midi, du pain et des vivres furent enfin distribués. Le soir venu, après avoir pris la garde avec sa section, notre sergent dit avoir fait un excellent repas et s’être couché dans une grange emplie de foin et dans laquelle il passa une bonne nuit.
Le 1er septembre, la section se réveilla à 5 heures, complètement reposée. Ce matin là, un renfort en hommes venant du dépôt (de Fontenay-le-Comte) vint combler les vides produits depuis le départ. L’après-midi fut employé au nettoyage des armes qui en avaient bien besoin car les fusils commençaient à rouiller.
A 5 heures du soir, l’ordre de départ fut donné, et après 4 ou 5 kilomètres de marche de retraite sur la route, la section s’arrêta et pris la formation pour la protection de l’Artillerie. Une fois cette dernière passée, la section se remit en marche derrière elle. Il était 8 heures et le jour finissait. Après avoir marché nuitamment à travers bois, accompagné de quelques coups de fusils, la troupe arriva vers minuit au village de Saint-Clément (-à-Arnes). Dans le village silencieux, grâce à l’amabilité d’une habitante dérangée dans son sommeil, les hommes purent préparer le café. Après la distribution de vivres pour le lendemain, ils se couchèrent sur le bord de la route et s’endormirent.
Le 2 septembre, après le café, la troupe partit à 6 heures battant toujours en retraite, ce qui chagrinait notre sergent qui aurait voulu marcher vers l’avant, comme tout le monde d’ailleurs. Après 2 heures de marche, la compagnie s’installa dans les bois. En arrière des deux premières sections, celle du sergent et une autre se barricadèrent dans un petit bois de sapin en mettant des abattis devant elles, craignant la cavalerie ennemie. Hormis les obus qui tombaient assez loin, la journée fut calme. Enfin vers les 5 heures du soir, l’ordre fut donné aux sections de se replier sur Saint-Martin-L’Heureux, village où se trouvait le reste du Bataillon. Mais quand celles-ci s’y présentèrent le Commandant réfuta cet ordre et nos soldats durent repartir vers leurs positions en y attendant un ordre écrit. Un peu plus tard, non sans tracas, l’ordre de repli arriva enfin. Ayant rejoint le village, la troupe le quitta vers les 6 heures du soir. Il était temps car les sections étaient seules dans les lignes ennemies et les obus commençaient à tomber. A la faveur de la nuit la troupe put se dérober, passa à travers champs, marchant à la lueur des incendies et arrivèrent à Châlons-sur Marne vers les 10 ou 11 heures. Afin de s’installer en bivouac dans un champ en dehors de la ville, nos soldats ramassèrent des gerbes d’avoine sur lesquelles ils se couchèrent pour un court sommeil.
En effet, le lendemain 3 septembre à 2 heures et demie, le réveil fut sonné et, profitant de la nuit, la marche reprit vers Mourmelon-le-Grand. Arrivé sur place le Bataillon prit la formation contre l’artillerie dans un champ. Notre sergent espérait enfin livrer une vraie bataille, mais encore une fois il lui fallut déchanter car à peine installé, il reprenait la route vers l’arrière avec ses camarades. Ils marchèrent sous une chaleur accablante, sans avoir mangé depuis la veille, traversant des villages déserts, rencontrant des voitures chargées de femmes et d’enfants emportant leurs effets, fuyant l’invasion. Cela faisait mal au cœur à notre sous-officier et le mettait en colère.
Après quelques heures de marche, la troupe s’arrêta enfin dans un bois où elle put se restaurer et se reposer. Vers 6 heures du soir la marche reprit vers Bouy, mais seule la compagnie de notre homme y alla pour renforcer un bataillon du 118e qui devait chasser les Allemands de ce village. Sur place, la section de notre sergent fut mise en réserve derrière une meule de paille tandis que les autres avançaient vers Bouy distant de 400m de là. L’ennemi ayant abandonné le village, l’ordre fut donné à la section de rejoindre sa compagnie. Avec cette dernière elle y entra de nuit éclairée par la lueur de la lune. Arrivé sur une place au centre de Bouy, les sections reçurent l’ordre de barricader les rues y accédant. Pour ce faire, charrettes, faucheuses, voitures, herses et autres furent utilisés. Leur travail terminé, nos soldats purent se enfin se reposer derrière les barricades. Le village étant désert des soldats trouvèrent des bouteilles de Champagne, de la confiture et provisions diverses et certains en profitèrent pour s’enivrer, ce que déplorait notre sous-officier.
Les Allemands ne se montrèrent pas aussi la nuit se passa sans incident.
A l’aube du 4 septembre, après un petit déjeuner frugal - du lait frais pour notre sergent - la troupe évacua Bouy et partit sous un brouillard épais qui la dissimula des vues de l’ennemi. Ayant rejoint le reste du bataillon, nos soldats reprirent leur marche de retraite, rapidement car tous s’attendaient à voir déboucher les Allemands. Le brouillard s’étant dissipé, la marche devint pénible car la chaleur était insupportable aussi beaucoup de soldats eurent du mal à suivre et certains tombèrent, frappés d’insolation. Enfin la troupe s’arrêta et put faire une longue halte qui permit à tous de récupérer quelque peu. Deux heures plus tard la marche reprit, l’allure toujours rapide, laissant à l’arrière des soldats éreintés qui n’arrivaient plus à suivre. Enfin, vers dix heures du soir le village de Saudron fut atteint par le bataillon. Tous les soldats étant très fatigués car ils avaient bien fait 45 km. Là ils furent logés dans des écuries avec beaucoup de paille aussi notre sergent dit avoir passé une nuit excellente.
Le 5 septembre, le départ fut donné à 5 heures, et à peine sur la route, le bataillon dut laisser passer un régiment d’artillerie, un convoi et 3 ou 4 régiments d’infanterie, ce qui prit environ deux heures. Enfin la troupe se remit en marche en direction du camp de Mailly. Arrivé à 7 km de sa destination, le bataillon fit une grand’ halte pendant laquelle des vivres furent distribuées. Après s’être bien restauré et fait une sieste réparatrice, notre sergent fit une lettre pour rassurer sa famille. Ce fut la dernière, dit-il. Vers 5 heures du soir la marche reprit, courte, car 1 heure après, la nuit tombant, la troupe s’installa dans un petit bois de pins et put dormir tranquille.
Le jour du 6 septembre se leva sur un temps superbe. Sans avoir mangé, le bataillon se remit en route, mais au bout de 30 mn celui-ci s’arrêta. Afin de préparer le café, une corvée d’eau accompagnée par notre sergent fut envoyée dans une ferme se trouvant à proximité. Celui-ci en profita pour prendre un grand bol de lait qu’il paya 10 centimes ainsi que deux quarts de lait caillé. Ce qui ne l’empêcha pas, de retour à sa compagnie, de casser la croûte avec ses camarades, suivi d’un café et d’une bonne goutte…
A nouveau la marche reprit, mais l’ordre de ne plus reculer avait été donné. Les sections s’installèrent ainsi derrière une voie ferrée. En avant, dans des tranchées se trouvaient d’autres régiments du 11e Corps d’Armée et l’Artillerie française, en arrière dans un bois. La journée se passa dans ces emplacements et vers 4 heures du soir, l’ordre de faire la cuisine fut donné. La fumée s’élevant au dessus des pins, des obus allemands tombèrent à 2 ou 300 m de là, aussi, pour éviter que l’ennemi l’aperçoive, les feux furent rapidement éteints.
Vers 6 heures, il fallut changer de position, ce que notre sergent trouva stupide car la voie ferrée étant en remblai, la troupe y était à l’abri. Se dirigeant vers leur nouvel emplacement les soldats traversèrent un terrain découvert et furent aussitôt salués par « une jolie volée de mitraille ». Les obus tombaient à 15 ou 20 mètres de ces derniers mais, étant protégés par la voie se trouvant en déblai à cet endroit, il n’y eut pas de tués, seulement quelques blessés. S’installant en tirailleurs sur le bord de la voie, les soldats aménagèrent le terrain mais à peine ce travail terminé, il leur fallut retourner dans leurs emplacements de la veille. Arrivés sur leur nouvelle position, on les renvoya d’où ils venaient. Comme dit notre sergent « vous voyez ce va et viens devant l’ennemi, heureusement la nuit était tombé et il ne tirait plus ».
Un peu plus tard, un autre régiment venant les remplacer, le bataillon alla s’installer pour la nuit, derrière la voie ferrée, près d’un passage à niveau.
Le dénouement
Le 7 septembre au matin, après avoir peu dormi car la nuit avait été fraîche, le bataillon subit vers 6 heures un bombardement qui fit plusieurs blessés dont son commandant. Après être resté un moment à cet emplacement, en essayant de se protéger des éclats, le bataillon reçut de l’Etat-major, l’ordre d’aller se placer à la gauche du 93e.
Après s’être mis en marche, les soldats traversèrent une vallée et arrivèrent à une route où se trouvait le dit régiment. Les obus tombaient à proximité mais nos soldats durent continuer car ils n’étaient pas encore à l’emplacement prévu. Traversant cette route ils s’engagèrent dans un bois et là découvrirent des tranchées qui avaient été occupées par le 93 et évacuées rapidement car des soldats morts de ce régiment étaient restés sur place. Après avoir passé un moment à cet endroit, alors que les obus français et allemands se croisaient au dessus de leur tête, nos soldats se portèrent ensuite en avant sans rencontrer d’ennemis. Comme ils se trouvaient trop avancés ils durent retournés à leur précédent emplacement.
Se trouvant à ce moment dans les bois de la Fère-Champenoise, notre sous-officier rencontra un sergent du 137e, son régiment d’active. Celui-ci, blessé se trouvait seul dans ces bois depuis deux jours, aussi fut-il conduit vers la plus proche ambulance. A cet endroit où se trouvaient nos soldats, il n’y avait que deux sections de la compagnie, les deux autres se trouvant à la gauche et à l’arrière avec le reste du bataillon. S’étant installés en ligne de demi-section, ils s’apprêtèrent ainsi à passer la nuit. N’ayant pas été ravitaillé, notre sergent dit avoir partagé à 4 ou 5 une boite de conserve donnée par un lieutenant, puis avoir trouvé un biscuit qu’il mangea arrosé d’un quart d’eau. Comme ledit officier ne savait pas s’ils se trouvaient en première ligne, notre sergent fit, pour plus de sureté, placer deux sentinelles puis chacun s’étendit sur le sol avec son sac en guise de traversin.
Le 8 septembre, 4heures du matin. La nuit s’était à peu près écoulée sans incident et le jour commençait à poindre. Notre sergent fut alors réveillé par des coups de fusils et une sonnerie de clairon. Les Allemands montaient à l’assaut d’un bois situé à leur droite, tenu par le 293e. Aussitôt réveillés, ses hommes tirent sur ceux qui passaient dans une clairière devant eux. Il raconte « Les balles sifflaient au-dessus de nos têtes et autour de nous, et le son lugubre du clairon et les torches portées par les Allemands ajoutaient à la tristesse du tableau ».
Au début, ses hommes voulurent s’enfuir mais le lieutenant et les sergents réussirent à les arrêter. Ne sachant de quel côté faire face, les gradés les firent coucher en carré. Parfois ils tiraient sur l’ennemi à bout portant. Les Allemands étant mélangés à ceux du 293e, nos soldats ne pouvaient tirer dans cette direction au risque de toucher les Français. Cela dura 3 heures.
A un moment donné, voyant passer un cycliste allemand, le sergent fit tirer sur lui et il fut tué. Le lieutenant décida alors d’aller chercher la bicyclette avec un caporal et un soldat. Un quart d’heure plus tard ce dernier revint en disant que le lieutenant et le caporal avaient été tués. Notre sergent étant le plus ancien, il se devait de prendre le commandement. Ne sachant pas où il se trouvait il envoya des patrouilles pour le renseigner. L’une d’elle ne revint pas, les autres lui dirent que les Allemands étaient autour du bois. La situation n’était guère brillante car les autres troupes à leur gauche et à leur droite s‘étaient enfuies. Ils étaient abandonnés.
Après s’être orienté, notre sous-officier décida de se diriger vers le sud mais ils avaient à peine fait 50 mètres qu’une mitrailleuse les pris à partie. Changeant de direction pour l’éviter, la troupe progressa au milieu des arbres et au bout de 100 mètres tomba sur une tranchée allemande où devaient se trouver 2 ou 3 sections. Nos soldats furent tirer presqu’à bout portant et un soldat, placé devant notre sergent, reçut une balle dans le ventre. Il tomba en poussant de grands cris, ce qui fit faire un bond de côté à notre sous-officier, croyant être également touché [4]. Celui-ci aurait voulu aller à la baïonnette mais tous ses hommes s’étaient couchés et levaient leur fusil la crosse en l’air pour dirent qu’ils se rendaient aussi les Allemands cessèrent de tirer. Ils leur firent signent de passer derrière eux et les désarmèrent. Ils étaient prisonniers.
A ce moment, notre sergent raconte qu’il s’est mis à pleurer car jamais en partant pour la guerre, il avait pensé à être fait prisonnier. Voilà, dit-il, « comment se termina ma campagne 1914, un mois seulement après mon départ de Fontenay ».
Il conclut son récit en promettant de raconter dans un prochain carnet les misères qu’il endura pendant sa captivité. Et une dernière fois, en bas de la page qu’il a terminée, il signe son nom.
Aucun autre carnet n’ayant été retrouvé dans les souvenirs de notre famille, a-t’il été vraiment écrit ? S’est-il égaré ? Autant de questions restées sans réponses.
A la fin de cette lecture passionnante et intéressante, autant par l’aspect historique que sur le plan humain, je classais le carnet dans le tiroir du secrétaire où ma mère conservait pieusement ses vieux papiers de famille, en espérant bien le relire un jour.
La recherche
Année 2010.
Alors que j’étais en train d’écrire un livre sur la campagne 14-18 de mon grand-père paternel, je décidais de me replonger dans le fameux carnet afin d’y puiser quelques renseignements éventuels.
Je recommençais donc la lecture du récit, mais avec un plus de recul. A la fin du carnet, n’ayant rien trouvé pour mon document et, alors que je m’apprêtais à le ranger une nouvelle fois, quelque chose me chuchota que ce carnet ne m’avait pas tout dit.
Je reprenais le début du récit. A la mobilisation, donc en août, notre sergent Mornas disait qu’il avait laissé sa petite femme après seulement 6 mois d’union, donc le couple s’était marié en début d’année. Pris soudain d’un doute, je cherchais dans mes archives généalogiques le mariage de ce Mornas avec Eugénie Richard, la cousine de ma mère. Ne m’étant jamais penché sur cette branche éloignée, je ne possédais donc pas cette union, mais dans le même temps, je découvrais dans le fameux secrétaire le livret de famille de ce couple. Je le consultais. Gagné ! Les deux tourtereaux s’étaient mariés…le 23 septembre 1918.
Le carnet n’appartenait donc pas à Maurice, Eugène Mornas. Pourtant le nom de la signature y ressemblait. Mais alors, quel était l’auteur du récit ? Je recherchais du côté de ses frères, mais les dates des mariages ne correspondaient pas non plus.
L’histoire allait-elle donc s’arrêter là ? Bloqué dans mes recherches, un peu déçu, j’abandonnais donc momentanément le carnet, pour me consacrer entièrement à la rédaction du livre sur mon grand-père.
Et d’Internet, jaillit la lumière !
Année 2014.
C’est l’année de commémoration du Centenaire du début de la Grande-Guerre. J’apprends qu’un fond européen collecte les souvenirs de cette période pour en faire une base de données qui pourra être consultée par tous. Possédant des documents et objets m’ayant permis l’écriture du livre sur mon aïeul, je décide d’y participer. Europeana 1914-1918, puisque tel est son nom, m’indique pour l’Anjou, l’adresse de la Bibliothèque municipale d’Angers qui, entre autres lieux est chargée de la numérisation et de la transmission des données. En début d’année, ayant contacté ses services, je leur propose également le fameux carnet, mais pour ce faire, je reprends donc ce dernier afin d’apporter le maximum de renseignements.
Me voilà donc reparti pour une troisième lecture. Plus je comparaissais la signature du début et celle de fin, moins je trouvais qu’elles ressemblaient au nom de Mornas. C’était évident puisqu’il ne s’agissait pas de lui. Mais qui était-ce ?
Ayant terminé le récit, je tournais les dernières pages où s’alignaient des colonnes de noms, prénoms et dates écrites à l’envers, au crayon de bois. Je n’y avais pas vraiment prêté attention jusqu’alors. Et là, sur la dernière feuille, à peine visible, tout seul au milieu de mots écrits en allemand gothique, un prénom et un nom me sautèrent à la figure : Charles Thomas. J’avais devant mes yeux l’évidence même. L’auteur du carnet ne s’appelait pas Mornas mais Thomas et le C de la signature était celui de Charles. Par contre, la lettre M qui y était mêlé restait un mystère. Mais qui était ce Thomas ?
Pris par le temps, je décidais malgré tout de confier mes documents et objets à la Bibliothèque. Après leur examen, en mars, la conservatrice responsable du projet me redonna certaines pièces, non retenues car trop volumineuses à numériser. Le carnet en faisant partie mais par manque de renseignements et n’ayant donc pas de rapport avec ma famille.
Une nouvelle fois déçu, j’en profitais malgré tout pour approfondir mon étude sur ce Thomas. Comme j’avais trouvé la fiche matricule de Maurice Mornas, qui m’avait appris qu’il avait fait toute la campagne comme cavalier au 3e Régiment de Hussards, je devais donc chercher celle de Charles. Enfin essayer car je ne savais pas grand-chose sur lui, à part qu’il était sergent au 337e RI de Fontenay-le-Comte, qu’il était marié depuis environ six mois et peut-être réserviste. De part la localisation de son régiment, la Vendée, il pouvait être originaire de ce département, mais aussi de ceux limitrophes. Il me fallait donc également consulter les Archives départementales de la Loire-Atlantique et du Maine et-Loire. Partant du principe qu’il était réserviste, je commençais donc à la classe 1914 puis remontais jusqu’en 1900 dans ces trois départements. Des Thomas, ça j’en ai trouvé, en pagaille, mais pas le mien. Frustré, je changeais de tactique.
Je reprenais le carnet et m’intéressais aux dernières pages inversées, écrites au crayon. Des noms et des prénoms revenaient souvent et, leur faisant face, des dates. Il s’agissait en fait de la liste des personnes ayant envoyé du courrier ou des colis pendant la captivité de notre soldat. Parmi les noms qui se suivaient quelques uns pouvaient peut-être parler : Préfecture de la Vendée, maman, Ezilda, Yvonne, maman Guignard, Gilberte, Clara… Un en particulier attira mon attention : Ezilda. C’était de loin celui qui revenait le plus souvent tout au long de la liste. Mon opinion était faite. C’était sûrement la jeune épouse de Charles.
Ezilda, oui ! Mais Ezilda comment ?
C’est là que la généalogie par internet allait intervenir. J’entrais sur le site Geneanet et tapais ma recherche : Charles Thomas, conjoint : Ezilda ? Pas de réponses. Aucun généalogiste n’avait sans doute encore étudié ce couple. Cela aurait été presque trop beau.
Quelques jours plus tard je reprenais mon carnet et réétudiais les noms de la liste. Je comprenais ainsi que la Préfecture de la Vendée envoie des colis à notre prisonnier puisque son régiment était de Fontenay-le-Comte. Un autre nom m’interpella : maman Guignard. Comme dans la liste il y avait déjà une maman, celle de Charles, maman Guignard était sans doute le nom de famille de sa femme Ezilda.
Je retournais sur Geneanet et tapais à nouveau ma recherche, mais cette fois en précisant le nom de Guignard. Et là. Bingo ! Le couple Thomas-Guignard s’étalait devant mes yeux, en six exemplaires. Lui s’appelait Charles, Ariste et elle Ezilda, Clarisse, Clémence. Et comme par hasard, en face d’un des résultats, le nom du généalogiste : Thomas. Peut-être un descendant, osai-je espéré ? Je consultais sa page dans laquelle je découvris l’ascendance et la descendance de Charles Thomas, mais malheureusement, ni dates ni lieux n’étaient mentionnés. Pour me consoler, avant de fermer ma page, j’allais consulter la répartition géographique de ce nom.
Les résultats se situaient surtout dans l’Ouest, ce qui m’étonnait guère et en zoomant un peu plus, je me rapprochais curieusement de Saumur où un lieu en particulier me surprit : Varrains où sept évènements y étaient signalés. Rien d’extraordinaire à première vue, mais pour moi qui suis originaire de ce village, cette étonnante coïncidence avait de l’importance pour la suite de mes recherches. Je me demandais soudain : « Si le carnet avait échoué à Varrains, peut-être que tout compte fait, notre soldat y était passé, s’y était même marié, et sa femme Ezilda en était éventuellement originaire ».
Je quittais Geneanet et me rendais sur celle des Archives du Maine-et-Loire. Compte tenu de l’estimation approximative de l’âge du couple, je cherchais dans les Tables décennales de Varrains la naissance d’Ezilda Guignard. Et là, une fois de plus mon intuition ne m’avait pas trompé. Ezilda était bien née à Varrains, le 28 août 1896, fille d’Edouard Clément Guignard, boulanger à Varrains et de Clarisse Moreau. Et bien sûr, dans la marge était indiqué le mariage célébré… à St-Michel-en-L’Herm en Vendée, avec Charles, Ariste Thomas, en date du 24 janvier 1914. Ce qui correspondait à peu près à ce qui était dit au début du carnet de notre soldat. Je trouvais également le mariage des parents d’Ezilda qui m’apprit que son père était originaire, lui aussi… de St-Michel-en-l’Herm. Deuxième coïncidence. Ce qui voulait dire que les Thomas et les Guignard devaient déjà se connaître. Par contre, le décès d’Ezilda le 19 novembre 1971 à la Rochelle me surprit un peu mais je restais sur la joie d’avoir avancé d’un grand pas. Ce jour là, d’Internet, avait jailli la lumière !
Comme je ne pouvais pas, en regard de la date, consulter l’acte de mariage aux Archives de la Vendée, je cherchais donc dans les Tables Décennales de St-Michel-en-l’Herm afin de trouver la naissance de Charles, s’il y était né.
Ma chance fut encore au rendez-vous car Charles avait bien vu le jour dans ce village proche de Luçon, le 27 janvier 1887, fils de Paul, Ariste Thomas, propriétaire et de Blanche, Julie Dumas, son épouse. Evidemment, son mariage avec Ezilda figurait dans la marge.
- Mariage de Charles Thomas et d’Ezilda Guignard en 1914
La recherche continuait. Avec la date de naissance de Charles, j’avais donc sa classe de recrutement : 1907. Je changeais donc de registres et me rendais sur ceux du Recrutement Militaire. A la page des Tables alphabétiques du bureau de Fontenay-le-Comte, je situais enfin mon Charles Thomas, avec sa classe de mobilisation bien sûr, et surtout son numéro de matricule, le 1017, qui me donnait ainsi accès à sa Fiche Matricule. Je la trouvais facilement et la téléchargeais sur mon ordinateur pour l’étudier en détail.
Fort intéressante, celle-ci m’apprenait que Charles, alors employé de commerce, s’était engagé le 9 mars 1908 pour trois ans au 137e Régiment d’Infanterie de Fontenay-le-Comte. Pendant cette période, il avait gravi les échelons et le 28 août 1910 était promu Sergent. Suivaient deux rengagements qui l’amenèrent ainsi à la Mobilisation du 2 août 1914.
Donc, contrairement à ce que j’avais pensé, l’auteur de mon carnet n’était pas réserviste mais sous-officier d’active, ce qui changeait beaucoup de choses.
La poursuite de la lecture de sa fiche me confirma qu’affecté au 337e RI (régiment de réserve du 137), Charles avait été porté disparu le 7 septembre 1914, à Lenharrée (près de la Fère-Champenoise), et prisonnier interné à Erfurt ainsi que son carnet me l’avait apprit. Sa fiche étant assez longue, je décidais de remettre à plus tard son étude approfondie, non sans remarquer sur le côté une mention qui m’interpella. Le 11 janvier 1929 son nouveau domicile était signalé à… Varrains, grand-rue, le lieu de naissance et de résidence de son épouse.
Charles avait donc bien habité mon village… et dans la même rue qu’Eugénie Richard, épouse Mornas, la cousine de ma mère. Ceci expliquait peut-être la présence du carnet dans ces papiers, mais cela était une autre affaire.
Le descendant
Il me fallait maintenant savoir si un lien, et lequel, existait vraiment entre mon Charles Thomas et le Thomas généalogiste de Geneanet. Nanti de mes précieux renseignements, je retournais sur sa page et découvrais, grâce à son prénom, ce que j’aurais du voir plus tôt, que ce dernier était, sauf erreur, son petit fils.
Sur sa page contact, je relevais son adresse postale qui se trouvait en Ile-de-France et décidais de lui écrire un courrier. Le 1er juin, j’envoyais donc ma lettre dans laquelle je lui demandais de me confirmer s’il était bien le petit-fils de Charles Thomas de la classe 1907 sergent au 337e RI, fait prisonnier le 7 septembre 1914 et détenu à Erfurt jusqu’en 1919. Lui apprenant également que celui-ci avait écrit un carnet de campagne qui se trouvait dans ma famille depuis près d’un siècle. Je lui précisais également que son grand-père avait habité le village de ma jeunesse.
J’espérais une réponse et l’attendais avec impatience. J’imaginais mon correspondant recevant ma lettre, la parcourir avec surprise et découvrir, certainement avec émotion ce que je lui apprenais.
Deux ou trois semaines passèrent, sans nouvelles de mon courrier. Je commençais à me poser des questions et puis un soir, coup de téléphone : « Ici A. Thomas ! Le petit-fils de Charles... ». Le contact était établi.
Nous parlâmes de son grand-père qu’il avait bien connu, mais ignorait qu’il avait écrit ce carnet et encore moins le second sur sa captivité. Par contre, mon interlocuteur m’apprit que Charles avait rédigé ses mémoires sur sa vie. La conversation dura longtemps et nous nous promîmes d’échanger des informations. Il me demanda de lui faire une copie du carnet afin de l’étudier, avec en retour la promesse de m’envoyer sa généalogie. Je lui annonçais également mon intention de lui donner le carnet de son grand-père, chose à laquelle il fut très sensible. J’étais heureux car j’avais enfin retrouvé la famille de mon sergent Thomas.
Début juillet je recevais donc la généalogie de la famille Thomas-Guignard. Parmi tous ces noms, j’en découvrais certains, familiers de mon village. En cherchant bien, il y avait certainement une possibilité de cousinage. Mais cela serait pour plus tard.
Août était arrivé. Lors d’une communication téléphonique, A. Thomas me dit se rappeler qu’une de ses tantes avait eu pour amie dans sa jeunesse, une certaine Eugénie Richard, aussi sur sa demande, je lui expédiais une descendance rapide du côté Richard-Mornas afin qu’il situe notre famille par rapport à la sienne. Nul doute que cette Eugénie était notre cousine.
La période de nos vacances étant arrivée, nous décidâmes de nous recontacter à notre retour pour les commentaires mutuels.
Fin septembre, je reçois donc les 200 et quelques pages des mémoires de Charles Thomas. De mon côté, j’envoie la copie des 82 pages du fameux carnet.
Je commençais aussitôt la lecture du récit autobiographique de Charles. Tout au long de ces pages rédigées sur un cahier d’écolier, je découvrais enfin le parcours de celui que j’avais eu tant de mal à identifier. Tout était là : sa naissance et sa jeunesse en Vendée, son apprentissage dans le commerce, son goût des voyages et son engagement dans l’Armée ; puis vint son mariage avec Ezilda, la mobilisation d’août 14 et sa courte campagne, la captivité dans les camps en Allemagne - il y en eut plusieurs [5] - pendant laquelle il apprend la naissance de sa première fille Paule ; l’espoir avec l’Armistice, et enfin la liberté retrouvée. De retour dans le civil, c’est un nouveau départ pour Charles avec un nouveau métier, des emplois différents, son séjour en Anjou, et enfin sa retraite à Chatelaillon en Charente-Maritime. C’est là, précédé par Ezilda décédée à la Rochelle en 1971, qu’il s’éteindra le 10 février 1976.
Toute sa vie m’était ainsi dévoilée avec ses joies et ses peines. En quelque sorte, je me sentais un intrus dans ces souvenirs aussi intimes. A cet instant, je mesurais l’honneur que me faisait son petit-fils en me confiant ce document Nous avions installé un rapport entre nous, mais à distance, aussi il allait bien falloir nous retrouver un jour pour discuter de tout cela de vive voix. L’occasion m’en fut donnée deux mois plus tard.
La Rencontre
Ma ville préparant pour novembre une exposition sur le Centenaire du début de la Guerre 14-18, j’avais décidé d’y participer. Là encore, mes deux aïeux de Poilus seraient mis à l’honneur et Charles Thomas et son carnet également. Ayant déjà reçu de mon correspondant une photo de son grand-père en tenue militaire, mais de qualité moyenne, je lui demandais donc de m’en fournir une meilleure.
Sa réponse ne tarda pas. Il m’envoya une photo du mariage de ses grands-parents à laquelle il joignit une copie de leur livret de famille et celle d’un des papiers militaires de Charles, ainsi que des cartes postales envoyées de Saigon par sa sœur à notre soldat alors prisonnier en Allemagne. Un vrai cadeau.
Avec ces documents personnels, A. Thomas me témoignait ainsi une marque de confiance qui m’alla droit au cœur.
Fin octobre je le contacte pour lui dire que j’ai terminé la lecture du récit de son grand-père et en même temps, afin de l’encourager à venir voir notre future exposition se déroulant entre le 7 et 20 novembre, je lui envoie des articles de journaux locaux y faisant référence. Évidemment intéressé, celui-ci me demande l’adresse pour s’y rendre mais je lui propose de venir à notre domicile afin de faire plus ample connaissance. La date est fixée, ce sera le samedi 8 novembre. J’allais enfin connaître celui dont, il y a quelques mois encore j’ignorais l’existence, un des descendants de Charles Thomas.
Le jour de la rencontre arriva enfin. C’est avec un grand plaisir que nous accueillîmes, mon épouse et moi, la famille Thomas. Je crois que celui-ci était partagé car l’émotion était au rendez-vous. Après nous être découvert mutuellement et pris un repas convivial, nous nous rendîmes au Centre Culturel où se tenait l’exposition sur le Centenaire 14-18. Cerise sur le gâteau, le fils de nos invités, donc l’arrière petit fils de Charles, vint nous y rejoindre.
Dans une vitrine consacrée à mes ancêtres poilus et à Charles Thomas, nos amis purent enfin découvrir « Le Carnet » qui nous réunissait aujourd’hui. En le voyant, A. Thomas me confirma qu’il reconnaissait bien la signature de son grand-père mais pas l’écriture à l’encre violette. Une autre personne aurait-elle recopié par-dessus le récit fait au crayon par Charles ? Mais qui, pourquoi et quand ? Cela resterait un mystère.
En souvenir de ce jour, des photos furent prises. Pour chacun de nous, ce fut un beau moment d’émotion. Après avoir visité le reste de l‘exposition, nous reprîmes ensemble le chemin de notre domicile.
Puis, un peu plus tard, l’heure du départ arriva pour nos invités qui nous renouvelèrent leur invitation à venir les voir et profiter de l’occasion pour découvrir le Musée de La Grande-Guerre à Meaux. Le bon moment aussi pour remettre, comme promis, le carnet du sergent Thomas à son petit-fils.
Cette prochaine étape ne sera certainement pas la dernière pour nous, par contre ce sera le dernier voyage du carnet qui, après un siècle d’absence retrouvera enfin sa famille d’origine. Je sais que j’aurai du mal à m’en séparer car je considérais son auteur comme faisant un peu partie de la mienne, mais au change, nous aurons gagné de nouveaux amis.
Toutefois, la question concernant le carnet reste toujours posée. Pourquoi celui-ci s’est-il retrouvé dans les affaires de ma cousine Eugénie ? Différentes hypothèses aussi valables les unes que les autres ont été conjointement avancées mais aucunes d’elles n’apportant vraiment de réponse, je pense que nous ne le saurons certainement jamais. Cela n’est pas le plus important et je crois, que comme celui de l’encre violette, ce sera une autre part de mystère qui restera dans l’Histoire du Carnet oublié.
Sources :
- papiers de la famille Thomas.
- site internet des Archives Départementales de la Vendée et du Maine-et-Loire. .
- site internet du C.I.C.R (Croix Rouge).