Leur attirance pour l’île de France est probablement due au fait que Nicolas [1] a deux membres de sa famille, une sœur Elisabeth (épouse de Jean-Charles Faydeau-Dumesnil) et son beau-frère, Antoine Boucher-Desforges (marié à Renée, décédée en 1715) qui ont vécu dans les îles de l’archipel des Mascareignes. Le contrat [2] est écrit en ces termes :
« Nous soussigné Nicolas Gouron fils Paterne, et de Marie Salomon natif du port Louis Eveché de Vannes en Bretagne agé de trente deux ans et Dorotée Le Gouron femme du dt Nicolas Le Gouron native de la paroisse de Plemeur sus dt évêché agé de trente trois ans, en conséquance de la lettre de la Compagnie en datte du 8 septembre 1728. Timbrée Bau des Indes acceptons les conditions y portées, parce qu’elle nous accordera le passage gratis sur un de ses vaisseaux ainsy qu’a nostre fille Marie Toinette Gouron, et à Marguerite Noury nostre servante, pour passer en la dt Isle de France, ou nous esperons (avec la grace de Dieu nous establir) pour y cultiver le terrain que la Compagnie nous y accordera y planter et semer tout ce qui est d’usage et de profitable, tant pour nous que pour les habitants, et commerce du dit lieu parce que la Compagnie nous avancera la subsistance qui nous sera necessaire les negres, semences, et graines, et outils propres à cultiver la terre que nous nous obligeons à luy rembourser au prix de magasin du dt lieu à la fin des trois premières années ou pendant le cours dycelles tant en fruits quautre denrées qui proviendront de la culture de la terre que nous aurons fait travailler et autrement, et en cas quaprès les dt trois années expirées il nous convienne de rester dans le dt païs dy continuer nos travaux, et que nous ayons besoin de pareilles avances, la Compagnie nous les fournira, en les remboursant sur le mesme pied et ainsy qu’il est cy devant dite et ainsi continuer tant que nous jugerons à propos d’y rester sans que nous puission pretendre de la Compagnie aucune subsistance appointemens ou autre chose que ce soit gratis mais bien nostre passage de retour en France tant pour nous dt Gouron et femme que nôtre fille et servante, à laquelle servante la Compagnie a accordé par sa lettre du seize de ce mois une somme de deux cens livres, par forme de trousseau et pour s’habiller, qu’elle a reçu de la caisse de ce port ce jour fait et arrêté à Lorient le 22 8bre 1728 – signé Gouron.
Sur ce que la dt servante s’oblige de rester dans le dt pays jusqu’à ce quelle y soit establie à faute de quoy elle remboursera à la Compagnie les deux cens livres qu’elle a reccu, ce que moy dit Gouron promets luy faire exécuter, signé Gouron, veu Fayet, Sacot, pour copie conforme à l’original resté au bureau du controlle. »
Le couple se prépare au départ et peu de temps après la signature de ce contrat le grand voyage commence…
Le grand voyage !
Le 29 septembre 1728, le Royal Philippe [3] , navire de la Compagnie des Indes, est armé pour l’île de France. C’est un navire de la catégorie des vaisseaux, il fait 700 Tx, il est armé de 28 canons et a un équipage de 170 hommes [4] . Le départ a lieu le 24 novembre 1728, sous le commandement du Capitaine Marc-Auguste Baudran de la Mettrie de Saint-Malo. Nicolas et Dorothée Gouzronc font partie des passagers avec leur fille Marie Antoinette et leur servante Marguerite Noury. Marie Antoinette n’est encore qu’un bébé car en effet, elle est née seulement 10 mois avant le départ. Sur le bâtiment, en plus de l’équipage, sont présents des soldats – 40 soldats dont 6 accompagnés de leur femme et un avec sa femme et ses 2 enfants - et de nombreux autres passagers, des couples seuls et des couples avec des enfants comme les Gouzronc – 45 passagers dont 8 couples et 13 enfants. L’un des couples embarqué, le Sieur Merville et sa femme, ont eu un enfant né pendant la traversée.
Les passagers sont considérés soit « à la table » ou soit « à la ration ». Les passagers « à la table » sont nourris à la table du capitaine et par contre ceux « à la ration » reçoivent comme la plupart des membres de l’équipage une ration pour se nourrir et effectuent leur repas dans le local qui leur est attribué.
Bernardin de Saint-Pierre décrit les conditions de vie des passagers lors de son embarquement sur le Marquis de Castrie : « C’est un navire de huit cents tonneaux, de cent quarante-six hommes d’équipage, chargé de mâtures pour le Bengale. Je viens de voir le lieu qui m’est destiné. C’est un petit réduit en toile dans la grande chambre. Il y a quinze passagers : la plupart sont logés dans la Sainte-Barbe ; c’est le lieu où l’on met les cartouches et une partie des instruments de l’artillerie. Le maître canonnier a l’inspection de ce poste, et y loge, ainsi que l’écrivain, l’aumônier et le chirurgien-major. Au-dessus est la grande chambre, qui est l’appartement commun où l’on mange. Le second étage comprend la chambre du conseil, où communique celle du capitaine […] [5] .
L’arrivée à l’île de France s’effectue après 5 mois de navigation et le débarquement des Gouzronc a lieu à Port-Louis, le 29 avril 1729. La famille Gouzronc débarque vivante du navire mais il a eu 4 morts – 2 noyades et 2 décès - dans l’équipage pendant la traversée.
Bref passage à l’île de France
Les Gouzronc s’installent à l’île de France et le 3 juin 1729 à Port-Louis, soit un peu plus d’un mois après leur débarquement, la petite Marie Antoinette décède. Elle a probablement été beaucoup affaiblie par les conditions de vie et d’hygiène à bord du navire pendant la traversée.
Une dizaine de jour après le décès, le 14 juin 1729, la servante Marguerite, épouse un soldat, arrivé à l’île de France sur le Bourbon en 1728, le dénommé Jérôme Dauge dit La Ramasse [6] . Le mariage a lieu à Port-Louis en la paroisse Saint Louis.
Le départ pour la l’île Bourbon
Rapidement après le décès de leur fille et sans attendre le mariage de leur servante, les Gouzronc décident de quitter l’île de France et partent pour l’île Bourbon, toujours sur le Royal Philippe. Ils y débarquent le 7 juin 1729 en même temps que quatre noirs indiens maçons. Ils auront deux enfants, François Gouzronc né le 10 juillet 1730 à Saint Paul et Denis Gouzronc né le 4 juillet 1732 à Saint Pierre.
A cette époque, la vie d’un laboureur à l’île Bourbon est bien différente de celle d’un laboureur de Ploemeur. En effet dans l’île, les laboureurs sont de petits patrons qui font travailler des « noirs ». Antoine Boucher-Desforges décrit ainsi dans ses mémoires la vie d’un laboureur :
« Il est fort ménager, très laborieux et, avec l’appui de deux noirs qu’il a, il vit fort agréablement, cultivant soigneusement le peu de terre qu’il possède. Il n’a pas encore beaucoup de bestiaux, mais il est sûr qu’il apportera ses soins pour en élever. Il n’a qu’un bœuf portant, cinquante cochons et trois chevaux. Il est très bon chrétien, fort assidu au service divin et bien obéissant aux ordres. »
La maison des habitants de Bourbon n’est pas très luxueuse. Pour les plus pauvres, elle ressemble à une case avec une seule pièce, bâtie avec des troncs de lataniers et un toit recouvert des feuillages du même arbre. En façade, une petite fenêtre et une porte en bois plein sont les seules ouvertures. Les gens un peu plus riches possèdent une case avec deux pièces construite avec des madriers de nate, bois dur de Madagascar.
La principale culture de l’île est celle du café. En 1731, c’est 2000 balles de café Moka qui sont chargées sur un navire à destination de la France ce qui lui permet d’exporter. Avant cet essor de la culture du café, Bourbon était une colonie pauvre, vivant à grand peine de chasse, de pêche et de cultures vivrières.
Les habitants de Bourbon ont la réputation d’être hospitaliers. En effet, ils ont tous une origine honorable et mettent un point d’honneur à bien accueillir les voyageurs. C’est ainsi que lorsqu’un bateau touche l’île, le capitaine est reçu par le gouverneur et les officiers et matelots sont logés par un habitant, qui pour cette occasion, tuent un cochon, un cabri ou une grosse tortue servie dans sa carapace [7] .
Et l’histoire se termine
Nicolas décède [8] le 11 septembre 1762 à Saint Pierre de l’île Bourbon. Dorothée reste donc seule et elle décède à son tour, 13 ans plus tard, le 3 avril 1775 aussi à Saint Pierre au bel âge de 80 ans.
Dorothée Gouzronc a vécu 46 ans sur l’île Bourbon et a donc assisté à son évolution. Elle a, en particulier, vu les profondes mutations de l’île sous l’impulsion du célèbre Mahé de la Bourdonnais et la croissance importante de la population qui est passée de 8 000 à 37 000 habitants [9] .
Aucune trace n’a été retrouvée jusqu’à présent du devenir de leurs enfants. A priori, ils ont dû quitter la région car les actes de leur décès n’ont pas été retrouvés dans les archives de l’île de France et de l’île Bourbon.
Le Royal Philippe
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