Ouvert le 22 février 1916 au lieu-dit La Motte, l’atelier de chargement d’obus d’Yzeure employait 8348 salariés (hommes et femmes). Il y avait un stock de 3 millions d’obus chargés ou engins explosibles, 2 400 tonnes de poudres et explosifs, 1 400 hectolitres d’alcool, essence ou acétone [1].
C’est le 2 février 1918 (1279e jour de guerre) qu’eurent lieu les premières explosions dans cet atelier.
Le courrier de l’Allier du 5 février 1918 relate cette catastrophe :
La première explosion se produisit vers 9 heures, le samedi soir. Extrêmement violente, elle fit trembler les vitres et les murs, et sursauter les gens, à plusieurs kilomètres à la ronde. Comme on était encore sous l’impression du bombardement aérien de Paris, la pensée qui vint aussitôt à beaucoup fut celle-ci "C’est un avion boche !" Mais le ciel très clair, ne recélait rien de ce genre et, de fait, il est établi que la cause de l’explosion est purement accidentelle. Une petite explosion préalable, perçue seulement à l’atelier, y avait mis tout le monde en alerte, si bien que lorsque celle dont nous venons de parler se produisit, le personnel, qui se tenait prêt à partir, put en très grande majorité gagner aisément le large avant que le danger se fût accru.
Une nuit d’épouvante
Dix minutes après, on put voir une immense gerbe de flammes s’élever de l’atelier, et une nouvelle détonation, encore plus forte que la précédente, retentit. Des gens qui se trouvaient hors de leur maison furent pris comme dans un formidable tourbillon d’air et renversés. En même temps, et dans un rayon de trois et quatre kilomètres, une averse de cendres, où se mêlaient des flammèches, se mit à tomber, avec un bruit de fin grésil.
Dès lors les explosions se succédèrent sans une seconde d’interruption jusqu’à 6 heures et demi du matin, plus fortes lorsqu’au lieu d’obus , ou de détonateurs, c’étaient des dépôts de poudre qui sautaient, avec de grandes lueurs, cependant qu’une épaisse fumée, poussée par le vent d’ouest , voilait un tiers du ciel. Le tout faisait l’effet d’un formidable bombardement, dans cette nuit d’épouvante.
Dès les premières détonations, beaucoup de familles avaient couru se réfugier dans les caves, où l’on n’était du reste pas très certain d’être en sûreté. Plusieurs personnes sont mortes de saisissement et l’on nous cite notamment le cas d’un vieux jardinier de la route de Lyon, Pierre Billon, âgé de 74 ans, qui expira ainsi dans sa cave. On nous donne également , comme morts d’émotion, un journalier de la rue des Geais, M. Jules Leclet, âgé de 61 ans , - qui comme le précédent, était atteint d’une maladie de coeur, - et une habitante des Robins, commune de St Ennemond, Mme Renaud.
Si un certain nombre de personnes, à Moulins et à Yzeure, restèrent jusqu’au bout, angoissées, dans les sous-sols, la plus grande partie de la population résolut de fuir l’insécurité des maisons ébranlées. Ce fut alors vers la banlieue, et vers une banlieue même fort lointaine, - des gens allèrent à pied jusqu’à Chantenay-Saint-Imbert, dans la Nièvre, - un exode affolé qu’accélérait chaque renforcement de l’effrayante canonnade. Des enfants furent perdus en route, et l’on nous a dit que l’hôpital général a recueilli quatre pauvres petits âgés de quelques mois, découverts abandonnés dans les rues. D’autres, séparés de leurs parents dans la cohue, partirent seuls au hasard, et il y eut, par exemple, deux fillettes qui gagnèrent une commune de la Nièvre dans ces conditions ...
Des explosions ressenties jusqu’en Haute-Loire
Les effets des grosses explosions sucessives ont été en ville extrêmement violents. Les déplacements d’air ont occasionné un peu partout des dégâts considérables : toitures, contrevents, vitres, fenêtres, galandages ... Les rues étaient, hier et aujourd’hui, jonchées de débris de verre, de tuiles et de plâtras. Les glaces des magasins ont été notamment fort éprouvées. Quant aux rideaux de fer ondulé, ils ont été uniformément disloqués et sortis de leur cadre, si bien que nombre de boutiques n’ont pu ouvrir ...
- Des dégâts considérables
... Comme on s’en doute bien, la circulation des trains sur la ligne de Clermont, absolument contigüe au lieu de la catastrophe, a subi une perturbation sensible. En dehors de quelques avaries matérielles, la voie avait reçu plus d’un obus non explosé qu’il faut enlever jusqu’au dernier. Aussi les express de et pour Paris sont-ils détournés, entre Moulins et Saint-Germain, par Paray-le Monial et Roanne ... A la gare elle-même, en dehors de vitres brisées, rien à signaler.
Les explosions de Moulins furent perçues non seulement dans tout le département, mais encore dans la Nièvre, en Saône et Loire, dans le Puy de Dôme, et même jusque dans la Haute Loire, à Brioude et à Langeac. Le phénomène, pour ce qui concerne ces deux derniers endroits principalement, est du au fait que les déflagrations, s’engouffrant dans la vallée de l’allier, suivirent le cours de la rivière dont l’eau les porta à ces étonnantes distances.
Mais la censure est de règle
Ce qui m’a frappé c’est le règne de la censure qui ne permettait pas de publier le nombre de victimes.
Le tragique événement survenu à Moulins, dans la nuit de samedi à dimanche, intéresse de trop près la défense nationale pour que licence nous soit laissée d’en parler librement. Nos lecteurs comprendront que nous avons, sur ce point, une consigne qu’il nous est impossible de ne pas observer.
Il nous est interdit, notamment de donner des chiffres en ce qui concerne les victimes, dont, d’ailleurs le nombre n’est pas encore définitivement établi.
Le Moniteur du Puy-de-Dôme, qui avait enfreint les ordres de la censure lui interdisant de publier certains renseignements sur la catastrophe, a été suspendu pour un jour et n’a pas paru aujourd’hui.
Selon les éphémérides moulinoises, il y aurait eu à l’atelier de chargement 32 tués (dont 20 musulmans), 200 blessés.
Victor Jean Baptiste Deroubaix, mon arrière grand-père, habitait chemin du parc d’artillerie, et donc assez près de l’atelier de chargement. Les dégâts furent assez importants dans sa maison comme en témoignent les photos prises à cette occasion.
- Chemin du parc d’artillerie après la catastrophe
Plus d’un mois après la catastrophe, dans une lettre à ses enfants, Victor Deroubaix fait l’état de la situation, qui n’a pas changé.
- Lettre de Victor Deroubaix
... Chez nous, ça va bien, mais toujours dans le même état d’habitation, coucher dans la buvette et aux courants d’air. Je crois que dans un an, nous en serons au même point, c’est vraiment pas gai... [2]
Trois semaines après cette lettre, mon arrière grand-père décédait (le coeur), fortement marqué par ce sinistre.
Une indemnisation longue à venir
Dans la série R des archives départementales de l’Allier j’ai trouvé un dossier "Dommages de guerre" ayant trait à l’explosion de l’atelier de chargement d’obus de Moulins. Les bordereaux d’indemnisation concernaient 14 communes : Moulins, Yzeure, Coulandon, Neuilly le Réal, Montbeugny, Toulon-sur-Allier, Neuvy, Avermes, Montilly, Souvigny, Bressolles, Trévol, Gennetines, Moulins-Dornes. Y figurait, bien entendu, le bordereau n° 53 de la commission cantonale d’Yzeure, et dans celui-ci le dossier n° 19 de la veuve Deroubaix qui bénéficiait d’une indemnisation de 724,50 F [3]. Mais il lui a fallu attendre encore 9 mois pour recevoir une avance de 110 F sur cette somme. Comme quoi mon arrière grand-père avait raison quand il disait "dans un an nous en serons au même point".
Sources :
- Archives départementales de l’Allier (Ephémérides moulinoises, Courrier de l’Allier et série R).
- Illustrations (Photos et lettre provenant des archives familiales).
Bonjour, j’ai lu votre récit sur la catastrophe d’Yzeure dans la Gazette-Web, et elle m’a intéressé, car j’ai une carte postale envoyé par mon père le 8/2/1918 depuis le front, à ces parents résidant alors à St Etienne, et qui dit : LIZY-SUR-OURCQ - L’Ourcq à l’Ancien Moulin à Huile Bien Chers Parents J’ai reçu hier avec un grand plaisir la lettre de la maman du 4 en même temps que celle du papa du 7 ; bizarreries de la poste. Je vois, d’après ce que vous me dites, que ça marche à peu près de la même façon pour aller vers l’arrière. C’est malheureux. Je ne savais pas la catastrophe de Moulins, si formidable que ça pour que vous l’ayez entendue de St Etienne. Vraiment, il doit y avoir du dégat. En tous cas, je ne vous souhaite pas un raid de gothas, car réellement, le bombardement par avion est terrible. Vous en avez vu les résultats à Paris. Je me suis longtemps posé la question de savoir quelle était cette catastrophe de Moulins, jusqu’à ce que j’apprenne ce que vous avez si bien relaté. Ceci confirme que les explosions ont bien été entendues jusqu’à St Etienne ! André DENIS |