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L’évêque et les danses Kof ha Kof (ventre à ventre)

Le vendredi 8 décembre 2023, par Pierrick Chuto

Pour Mgr Duparc, évêque de Quimper et de Léon entre 1908 et 1946, les danses Kof ha Kof (ventre à ventre) sont diaboliques et inventées par Satan.

Monseigneur Duparc, évêque du diocèse de Quimper et de Léon, (le département du Finistère) de 1908 à 1946, mène une croisade contre les danses Kof ha Kof (ventre à ventre). Selon lui, elles sont diaboliques et inventées par Satan.

Il est soutenu par les médecins qui doivent soigner de nombreux jeunes tuberculeux, et par les comités d’action catholique qui estiment que ces plaisirs malsains éloignent jeunes gens et jeunes filles de l’Église et de la vraie vie de famille.

Durant la semaine, danseurs et danseuses attendent avec impatience le dimanche suivant où, pendant quelques heures au dancing, ils pourront s’évader du travail et d’une ambiance familiale si pesante.

Mais les recteurs, curés et autres vicaires veillent au grain et, le dimanche à la messe, du haut de la chaire, ils tempêtent, menacent, et exhortent la jeunesse à revenir dans le droit chemin. Mais qui les écoute ? Sans doute pas les jeunes gens qui, pour la plupart, ne vont plus à l’office, peut-être quelques jeunes filles craintives qui veulent gagner leur paradis. Même des Filles de Marie, réputées prudes, commencent à déserter les vêpres pour aller s’encanailler dans un local surchauffé. Où va-t-on ?

En 1931, la situation est telle que Mgr Duparc lance une grande enquête. Il adresse à toutes les paroisses du diocèse un questionnaire long, très long, et malheur au recteur ou curé qui osera ne pas y répondre. Mais comme les prêtres obéissent avec zèle aux mandements de Sa Grandeur, deux cent vingt-quatre réponses sont conservées aujourd’hui à la bibliothèque de l’évêché. Elles m’ont été fort utiles pour écrire « L’évêque et les danses kof ha kof (ventre à ventre) ».

Certains recteurs remercient le Ciel de ne pas avoir de salle de danse dans leur paroisse, d’autres se félicitent d’avoir tant menacé les tenanciers et autres « profiteurs » que ceux-ci ont renoncé à faire danser. Beaucoup se plaignent du maire qui, par souci électoraliste, est laxiste et ne fait pas respecter, quand il existe, l’arrêté municipal. Les gendarmes ou autres garde-champêtres sont aussi l’objet de critiques. Pourquoi se fatiguer à pourchasser les fautifs alors que l’aubergiste les régale au comptoir ?

Parmi les seize questions, la quatrième fait l’objet de longs développements. L’évêque demande comment les jeunes se comportent avant, pendant et après le bal. Les réponses sont souvent si précises que l’on a l’impression que le brave curé est aussi sur la piste de danse, à moins qu’il ne se soit transformé en petite souris.

Si les réponses pour "avant" sont assez convenues, celles qui racontent "pendant" méritent de s’y attarder. Les filles de Plouigneau dansent, vêtues simplement d’un simple sarreau ou peignoir, évidemment beaucoup trop court. Celles de Scaër s’assoient sans aucune pudeur sur les genoux de leur partenaire. Une mère de famille de Pleuven défie un honnête homme ou une honnête femme de rester seulement un quart d’heure devant un tel spectacle.

À Brest, salle Luna Park, en tenues sans manches et décolletées, les filles s’agitent au son d’un jazz endiablé rythmant les danses les plus nègres. Dans les salles de Fouesnant, des couples sortent pendant les entractes.

Et "après" ? Il est déjà bien tard quand les noceurs sortent souvent à moitié ou complétement ivres. Les recteurs de Laz et de Pleyber-Christ ne peuvent s’endormir avant trois heures du matin, tant les chants orduriers, bachiques et pornographiques résonnent dans le bourg. À Bénodet, les filles sont si fatiguées qu’elles n’ont plus assez de force pour résister à la séduction. Leur ange gardien se voile la face et les familiarités ont des conséquences scandaleuses et humiliantes pour les familles.

Certains garçons entreprenants raccompagnent les demoiselles par les chemins creux, et la lune pourrait en raconter. D’autres, comme au Folgoët, s’entassent dans des autocars où l’on a pris soin d’éteindre les lumières. Le recteur de Plouegat-Guerrand résume la situation par un lapidaire : après, il se passe tout et le reste. Selon lui, le lundi matin, dans les ruisseaux, les bois et les champs, l’on trouve des culottes. Celles de Plouguer ont aussi mieux à faire que d’égrener leur chapelet ou de contempler le ciel étoilé.

Le recteur de Rosporden a vu des couples s’enfermer une demi-heure et plus dans des voitures stationnées devant le presbytère. Comment s’étonner qu’après, cinq à six jeunes filles sont venues accoucher à l’hôpital de Quimperlé. Une jeune mère de Tréflez témoigne : J’ai perdu mon honneur, la vie me devient atroce et les jours me paraissent des siècles.

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Devant le presbytère de Rosporden, sous les yeux scandalisés du recteur, un couple répète un pas de danse dans une voiture, à la sortie du bal.

Seul, le recteur de Plomordiern refuse de répondre à ces questions, prétextant le secret de la confession.

Devant toutes les réponses décrivant une familiarité et une promiscuité révoltantes, le courroux de Monseigneur est grand et, afin d’essayer d’enrayer le mal qui menace de se généraliser, il publie un mandement à lire aux fidèles le dimanche 20 mars 1932. C’est le jour des Rameaux et le recteur de Rosporden aimerait peut-être s’en servir pour flageller certains de ses fidèles.

Les danseurs et danseuses, les tenanciers, aubergistes et hôteliers qui organisent des bals sont des pécheurs publics. Sa grandeur n’oublie pas de culpabiliser également les musiciens, accordéonistes et leur boîte du diable, les joueurs de bombarde, de biniou et de jazz-band (grosse caisse).
Si les fautifs et leur famille ne font pas amende honorable devant témoins, ils seront privés d’honneurs : Plus d’absolution, donc plus de communion. C’est déjà beaucoup, mais c’est loin d’être la seule punition : le jeune travailleur qui n’a comme horizon que les murs bariolés d’une salle de danse, devra se marier aux aurores, sans cloches et sans chants. Le tenancier sera enterré sans les prières de l’Église, ainsi que ceux qui habitent sous son toit.

Pour les chauffeurs d’autocars qui conduisent les jeunes vers les lieux de perdition, l’évêque se fait également menaçant. Tel Don Quichotte, mais sans une Rossinante éreintée, Sa Grandeur mène une véritable croisade contre ces adultes qui laissent les jeunes s’entasser dans leur véhicule, devenu un lieu orgiaque. Faudra-t-il, comme le préconisent certains recteurs, séparer par un filet les garçons des filles ?

La croisade de Don Quichotte-Duparc contre les autocars. Rossinante semble fourbue

Dans sa grande bonté, Monseigneur tolère les danses traditionnelles, à condition qu’elles se déroulent lors d’un mariage et qu’elles se pratiquent en plein air et avant la tombée de la nuit.

Comme je ne peux dévoiler tout ce qui est raconté dans le livre, je finirai par les dernières lignes de l’épilogue : Si, revenant sur terre aujourd’hui, Mgr Duparc et sa légion de recteurs et de curés entraient dans une discothèque, ils seraient surpris de voir les participants se livrer à de véritables contorsions, dignes d’une séance d’aérobic. Seul, au milieu de la foule, chaque danseur, le regard perdu, vit intensément au rythme de la musique. On en viendrait presque à regretter les bonnes vieilles danses kof ha kof. C’était le bon temps !

Pour en savoir plus sur ce livre : www.chuto.fr
livre d’or : http://www.chuto.fr/index.php/livre-d-or

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