Le 1er Août 1953, dix neuf mois après ma naissance, une nièce adressa un courrier à mon arrière grand-mère paternelle, auquel était joint la très vieille reproduction d’une photo datant du 28 mai 1865. La photo était accompagnée d’un document écrit de l’époque, à peine déchiffrable, mais que ce parent avait pris soin de réécrire, avec ses commentaires [1]. La copie de ces trois documents est parvenue jusqu’à nous.
- La photo a été reproduite chez un photographe au format 13x18. Il est possible que l’auteur de la photo soit un membre du service de presse de l’Empereur.
La photographie représente un coin de la campagne algérienne prise d’un point haut, embrassant plus de 20 personnages éparpillés sur un plan d’environ 18 mètres, représentant sur la droite, un monument de pierre cubique d’un peu plus d’un mètre de coté et de bien 5 mètres de haut. Sur l’une des faces est visible une plaque gravée.
Il y a peu de végétation, de l’herbe et quelques arbustes. On distingue à gauche du monument une charrette à hautes roues sur laquelle est assis un des personnages. Elle est attelée à un cheval blanc au repos. Au premier plan gauche se trouve un espace rehaussé et pierreux, quand au fond, il se perd en une côte prononcée, vers un ciel uniforme. On y peut voir aussi à gauche une longue charrette, dont les roues avant sont plus petites que celles de l’arrière et attelée à deux boeufs. Deux ouvriers algériens en sont proches.
Le document commentant la photo est rédigé ainsi :
« 28 mai 1865 - 28 mai 1953
Napoléon III, Empereur des Français, Grand-croix de la Légion d’honneur.
Premier Empire,
marié le 30 janvier 1853, sacré le même jour à notre Dame de Paris [2].
Le 28 mai 1865, arrivait en voiture par la route de Philippeville à Constantine,
sa Majesté Napoléon III, l’Impératrice Eugènie, Marie de Montijo,
de Guzmàn, Comtesse de Téba, et sa suite.
1re halte à El -Diss sur la propriété Pascal Bugelli.
Ils furent les hôtes de la famille Bugelli :
Un déjeuner champêtre fut servi sur l’Aire à battre,
près d’un buisson de lentisque.
Après le déjeuner, le convoi se remit en route sur Constantine.
Au retour (le 6juin), une nouvelle halte fut faite (vers 15h). L’Empereur et l’Impératrice
furent surpris de trouver un monument fraîchement élevé
avec l’inscription gravée en lettres d’or, là où ils avaient déjeuné :
Sa Majesté
Napoléon III
Empereur des Français
à déjeuné ici
le 28 mai 1865
Puis l’Empereur fit grouper à droite de la colonne, la famille Pascal Bugelli.
- La famille Bugelli
Au premier plan de droite à gauche.
Charles, Antoine, Paul, Joseph,
Marie, Zénaïd assise au bord de la colonne.
Au deuxième plan, Pascal Bugelli et son épouse [3]
enceinte de Louise
Troisième plan, deux employés ».
A gauche de la colonne, l’Empereur, l’Impératrice, le personnel de Bugelli.
- L’empereur et l’impératrice
Puis l’Empereur s’adressant au chef de famille :
Que dois-je faire pour mes récompenses,
vous avez une nombreuse famille, mais n’avez mis qu’une seule plaque de marbre [4],
- Majesté ! Je vous remercie, grâce à Dieu, je n’ai besoin de rien.
Je ferais ajouter les autres plaques que me permettrons les bonnes années
de récolte, en souvenir de votre passage.
Le convoi se reforma, puis ce fût le retour vers Philippeville.
Un symbole d’union se dégage de l’antiquité pour les héritiers d’un même passé.
Nous adressons à ce futur centenaire de grande classe qu’à échu cet honneur
et ce vieux souvenir, aux familles descendantes.
à Madame Veuve Bernos, née Pascal Bugelli (1873)
à Monsieur le général intendant Sureau,
(et) madame née Bugelli Joseph,
à Monsieur Ferber, directeur (de la) Banque de l’Algérie,
(et) Madame née Bugelli J.,
à Monsieur Bugelli H. Officier du mérite agricole,
à Monsieur Bugelli, inspecteur des services agricoles,
à Monsieur Bugelli, liquidateur à Cannes,
à Monsieur Bugelli, gérant du domaine Gaultier.
Nous ignorons si le monument est toujours debout, et si les autres plaques ont été placées par la suite. Un membre de la famille nous le précisera peut être un jour ; mais nous ne pouvons douter de l’authenticité de cet événement. L’Empereur Napoléon III, et l’Impératrice se rendirent effectivement en Algérie en 1865. S’opposant à l’antagonisme colons/indigènes, elle s’impliquait déjà fortement dans la politique, et l’empereur lui-même fût à l’origine de grandes modifications sociales ; encourageant le 1er système de retraite ouvrière et permettant par l’abandon du délit de coalition, le droit de grève, d’où naîtra le syndicalisme français. Sous son règne commença à se développer l’industrie et le commerce grâce à l’abandon du protectionnisme, et l’instauration du libre échange.
A cette époque, la visite si près de chez soi d’un homme aussi important qu’un empereur, ne pouvait laisser insensible. Le père de mon arrière-grand-mère Eugènie, Marie Bugelli née en 1873, et dont le prénom ne laisse pas de doute sur l’influence de cet événement, devait avoir conservé cette photo avec une grande ferveur pour qu’elle nous parvienne presque intacte. Eugènie, Marie Bugelli, épousa Jean, Isidore Benlos. ils furent les parents de mon grand-père René, Antoine Bernos.