L’amant cocufié (Comédie incomplète en 7 actes)
Beaucoup de généalogistes connaissent la prestigieuse carrière Nicolas Médard AUDINOT, né le 8 juin 1732 à Bourmont, comédien créateur du théâtre pour enfants. Par contre sa vie privée reste bien obscure, ne serait ce qu’en raison des nombreuses aventures qu’on lui prête. Levons le rideau sur celles-ci.
Acte 1 : la femme adultère et son prétendant
En 1755, alors qu’il était musicien concertiste pour la ville de Nancy, AUDINOT « s’amouracha de Françoise CAILLOUX, femme d’un sieur de LAPRAIRIE, architecte dans cette ville ». Cette dernière, dite CATEAU, née à Nancy le 29 juin 1725, y avait épousé Richard CALAME dit LA PRAIRIE le 29 avril 1744 et lui avait donné trois enfants. En 1756, elle abandonne mari et progéniture pour s’enfuir à Paris, bientôt rejointe par Nicolas Médard AUDINOT. Sur les recommandations de son frère, maître perruquier, celui ci entre dans la musique du duc de GRAMONT et s’installe avec sa compagne.
Acte 2 : le règne de l’illégitimité
Deux enfants viendront rapidement au monde :
- Marie Françoise AUDINOT, née le 7 octobre 1756, à l’Hôtel-Dieu à Paris, décédée le 18 octobre 1756.
- Cécile AUDINOT, née le 12 décembre 1757, à Versailles, décédée le 17 juin suivant.
L’argent manquant dans le couple -illégitime- mais qui se présentait comme tel, Nicolas Médard AUDINOT abandonne à son tour femme et enfant pour partir au Havre, rapidement rejoint par sa compagne et leur fille. En 1759, ils reviennent rabibochés à Paris. Quelque temps après, AUDINOT ouvre un théâtre à Versailles, puis un spectacle de marionnettes à la foire Saint-Germain. Celles ci sont rapidement remplacées par de jeunes enfants qui y jouent les pièces de théâtre.
Acte 3 : la maîtresse délaissée
En 1769, AUDINOT rompt de celle qu’il présentait partout comme sa femme. Entre temps était née une troisième fille qui travaillait avec son père : Josèphe Eulalie AUDINOT née le 19 mars 1759. Elle fut baptisée le lendemain à Paris Saint-Sulpice : « Le 20 mars 1759, a été baptisé Josèphe Eulalie née d’hier, fille de Nicolas AUDINOT, musicien, et de Françoise DUBOIS, son épouse, demeurant rue des boucheries ». Pour cacher leur union illégitime, Françoise CAILLOUX avait pris un nom d’emprunt, et en quittant AUDINOT, elle reprend celui de LA PRAIRIE surnom de son ex-mari décédé depuis le 8 octobre 1762 à Nancy, part avec sa fille et la place au couvent des Dames de Saint-Michel.
Pourquoi cette rupture survint-elle au bout de douze ans de vie commune ? Aucune réponse ne peut être apportée avec certitude, mais toujours est-il que la veuve LA PRAIRIE réclamait que Nicolas Médard AUDINOT l’épousa, depuis au moins 1768, ce qu’il avait toujours refusé de faire.
Acte 4 : les amants réunis
C’est alors que la justice rattrape le couple AUDINOT-CAILLOUX et les condamne, le 19 janvier 1776, par une sentence rendue au Châtelet de Paris, à « trois livres d’amende, à demander pardon à Dieu, et à être immédiatement écroués en prison pour s’être permis d’enregistrer leurs enfants en se déclarant régulièrement mariés ». Ils sont alors séparés de corps et l’histoire ne dit pas s’ils furent enfermés.
Acte 5 : Quand le passé refait surface
Nicolas Médard AUDINOT n’est toutefois pas au bout de ses surprises. En effet, dès le lendemain 20 janvier 1776, le sieur JOUGLAS, garde des maréchaux de France porte plainte contre lui pour avoir séduit, en 1772 en Corse, sa femme et sa fille alors âgée de 14 ans. Pour échapper à la justice (et à Françoise CAILLOUX ?) Nicolas Médard AUDINOT 44 ans, épouse alors Jeanne Marie JOUGLAS 18 ans. Mais ce n’était qu’un pis aller…
Acte 6 : le retour du bâton
Ils vécurent quelques années heureux et eurent un enfant, jusqu’à ce que le 4 juin 1783 son épouse porte plainte « en séparation pour coups et mauvais traitement ». AUDINOT semblait en effet être relativement violent puisque même leur fils alors âgé de trois ans avait eu à subir quelques brutalités. Qu’importe, puisque le 28 novembre de la même année 1783, c’est au tour de Nicolas Médard AUDINOT de porter plainte contre Jeanne Marie JOUGLAS parce qu’après « une résistance de plusieurs années, madame AUDINOT avait fini (en 1782) par céder aux obsessions d’un sieur Abraham D… ». Finalement AUDINOT était peut être un jaloux violent ! En tout cas il n’admettait pas d’être trompé.
Jeanne Marie JOUGLAS est alors placée à l’abbaye de Saint-Antoine mais le régime devait être sévère puisqu’elle en change rapidement pour un couvent plus tolérant, celui de la Mère de Dieu, ou elle entre sous le nom d’emprunt de DAUSSY… avant de s’évader avec son amant. Au bout de quelque temps elle s’en revient bravement chez les religieuses, et la vie reprend son cours tortueux…
Acte 7 : l’impossible sagesse
En 1787, AUDINOT reprend l’instance de 1784 car sa femme « recevait tous les jours le sieur D… ». Son but, empreint d’humanité, était alors d’ « obtenir l’incarcération de sa femme dans une maison ou elle put faire d’utiles réflexions ».
La suite de ce qui pourrait apparaître comme un vaudeville nous est inconnue, et Nicolas Médard AUDINOT meurt finalement le 21 mai 1801 à Paris.
Qui a dit qu’il est plus facile de faire actuellement une généalogie que celles que feront nos successeurs à l’époque des divorces, des familles recomposées, de la vie maritale, du pacs, et du libre choix du patronyme transmissible ? Seul le délit d’adultère a disparu, mais toutes les difficultés sont déjà présentes.
La seule fille de la famille AUDINOT-CAILLOUX étant parvenue en âge de procréer semble avoir terminé sa vie en religion ; sinon quel nom auraient dû légalement porter ses éventuels descendants : Le patronyme de leur père biologique, celui du mari légitime ou le nom de jeune fille de leur mère ?
Une fois de plus il est démontré que la généalogie ne doit pas s’établir qu’à partir des seuls actes de naissance unions et décès, ou des tables de mariages dont les limites sont ici atteintes, mais en essayant de reconstituer la vie de nos aïeux avec leurs heurts et malheurs. Si les histoires de cocus font toujours rire, le vieil adage "maman sûr, papa peut-être" déclenche moins d’hilarité chez le généalogiste ainsi trompé.
Reste la généralisation des tests ADN pour établir les filiations, mais alors tant pis pour l’éthique et… la paix des ménages.