Nous avons recherché dans la presse locale et nationale pourquoi l’histoire de ce crime a été autant diffusée, et nous nous sommes aperçus que le meurtre de Jean Penot permit à la municipalité d’adopter une démarche nouvelle pour le déroulement de l’enquête. En effet, le maire écrit une lettre datée du 26 août 1882 qu’il fait publier dans le quotidien national parisien le XIXe siècle le 2 septembre. Cette circulaire, tel que la nomme Raoul Guillemot, relate les détails sordides du crime, mais surtout donne le signalement précis du meurtrier nommé Edmond Reboul, natif de Sète le 10 juillet 1839 – la cité héraultaise s’orthographiait à cette époque Cette - , « fils de feu Etienne Reboul, cloutier, et de feu Anne Boudet, de taille moyenne, cheveux châtains et barbe rousse » [1].
Le maire de Villenave d’Ornon ne manque pas de préciser qu’une récompense de mille francs sera remise à toute personne ayant des informations sur le présumé coupable du meurtre. L’annonce de cette récompense est diffusée dans plusieurs journaux nationaux, suscitant la curiosité des journalistes pour ce crime. Il est rare en effet qu’un élu local mette autant d’ardeur à retrouver un criminel par le biais d’une prime, comme en témoignent les extraits de la circulaire : « Il y a contre cet assassin mandat d’arrêt. Son arrestation est donc de droit (…) ; tout indice, tout renseignement sera accueilli avec reconnaissance par les parquets de France et à la mairie de Villenave d’Ornon (…). Je voudrais quelque chose de plus, un article accompagnant cette circulaire, la commentant, disant à la presse le service qu’elle peut rendre en pareil cas à la sécurité publique (…). Il peut paraître aussi surprenant que M. Guillemot eût l’idée d’une prime en argent, alors que le système de la récompense, plutôt anglo-saxon, est très peu utilisé en France à cette époque.
L’enquête détermine rapidement les circonstances du crime : dans la nuit du 26 mars 1882, Jean Penot reçoit chez lui le mendiant Edmond Reboul. Ce dernier croit que le vieil homme détient une somme d’argent, ayant souvent entendu Jean Penot parler d’une « découverte qui allait transformer l’industrie de la région ». Edmond Reboul se jette sur lui, l’assénant de coups avec une pique de vigneron et une broche à rôtir. Jean Penot agonisant, le jeune mendiant lui écrase le visage maculant ses chaussures de sang. E. Reboul part en courant avec quelques pièces de monnaie seulement, alors que près de quatre cents francs étaient disposés dans une armoire.
Pas de cris, pas de témoins. Or comment autant de détails ont-ils pu être rapportés aux journalistes ? La seule preuve existante réside dans la paire de chaussures. Reboul l’avait cachée sous le lit de Jean Penot. Celle-ci était tachée du sang de Penot, sur lequel étaient collées quelques mèches de cheveux. L’enquête en conclut que la paire de chaussures, identique à celles données aux mendiants du Dépôt de Bordeaux, appartenait bien à Edmond Reboul. Il suffisait désormais de retrouver le fugitif.
La traque à l’encontre de E. Reboul dure un peu plus d’une année, jusqu’à son arrestation le 16 avril 1883 à Sète.
- Article du "Petit Cettois" du 17 avril 1883
Mais le mendiant a un alibi de taille : il déclare à la Cour d’appel de Bordeaux qu’il se trouvait à l’hospice de Pampelune en Espagne le jour de l’assassinat ; que les chaussures ensanglantées ne lui appartiennent pas et qu’aucun témoin ne peut affirmer avec certitude l’avoir vu à Villenave d’Ornon le soir du meurtre. D’ailleurs personne n’est capable de prouver qu’il se trouvait à Pampelune le 26 mars 1882, ni même avec quel argent il s’est déplacé jusqu’à Sète. ! La Cour ordonne alors sa mise en liberté immédiate le 2 mai 1883 : Jean Penot est mort pour rien et son meurtrier n’a pas été retrouvé à notre connaissance [2].