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Justin, le sourcier en triporteur

Le vendredi 7 mai 2021, par Dominique Ramos

Nous avons reçu fin 2019 cette superbe photo d’une réunion de conscrits accompagnée d’une demande d’entraide. Etoffée après quelques recherches, nous la publions aujourd’hui. La vie de Justin, cordonnier et sourcier, ne se résume pas, en effet, à l’année de ses 20 ans. Elle mérite de vous être contée.

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Les conscrits de la classe 1911

"Cette photo était chez ma grand-mère, la fille de Justin. Mon arrière grand père est assis au premier rang, complétement à gauche...Il s’appelait Justin Lafon, était né en 1891. Il a le pied droit coupé, on le voit sur la photo. Il était donc là pour être réformé.
Je voudrais savoir de quand date cette photo [1] et si il y a des personnes qui reconnaissent de gens de leur famille. A priori, c’était une fête de conscrits."

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Justin Lafon

Effectivement, sur sa fiche matricule N° 1439 au recrutement d’Albi, il est précisé : "exempté en 1912 pour amputation du pied droit".

Est-ce que sur cette photo les 12 autres conscrits sont ceux du village d’Arthès où habite alors Justin ? Justin Lafon étant de la classe 1911, cette photo est prise probablement le jour du conseil de révision. Des investigations aux archives du Tarn, dans les registres de recrutement, devraient permettre d’identifier les autres personnes. Il est possible que certains de nos lecteurs, descendants de ces conscrits, aient déjà fait ces mêmes recherches.
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Albi la place du Vigan

La photo a été prise à Albi, dans le Tarn, sur la terrasse du Grand Café Gaubert, visible à gauche de la place du Vigan sur cette carte postale du début du XXe siècle. En arrière plan à droite sur les deux photos, on voit le même bâtiment : le Grand Café Pontié.

Justin était né le 15 avril 1891 à Béziers (Hérault). Le lendemain matin, Emilie Poussines, sage-femme de Béziers âgée de 69 ans, déclarait la naissance de l’enfant « né le jourd’hier, à neuf heures du matin, dans la demeure de ses parents, rue Sébastopol N° 8, fils naturel de Rose Laffont, journalière âgée de vingt deux ans native de Lescure (Tarn) domiciliée à Béziers, auquel enfant elle a donné le prénom de Justin. ». Le 28 avril 1891 « Rose Louise Lafon…déclare (le) reconnaitre pour son fils naturel ». Elle ne signe pas l’acte « pour ne savoir » le faire.

Il avait une soeur aînée, Augustine Marie Rosalie, née le 5 février 1890 à Lescure d’Albigeois, chez les parents de Rose Louise, née comme lui enfant naturelle [2].

Placé dans une famille dans l’Aveyron vers ses 11 ans, il s’est malheureusement fait couper le pied par une lame de faucheuse lorsqu’il avait 12 ans.
Ce qui a mis un terme à sa vie d’homme dans la norme et l’a fait basculer dans le monde des handicapés. Envoyé dans un couvent où - a priori- les religieuses ont du lui confectionner un espèce de sabot, il a appris le métier de cordonnier.

Justin, cordonnier à Arthès, dans le Tarn ; s’est marié le 3 mai 1919 avec mon arrière grand-mère Doria Carcenac, à Crespinet (Tarn) où elle était née le 9 septembre 1897. Elle était aussi handicapée et claudiquait. Installés à Arthès, ils ont fondé une famille de trois enfants : ma grand-mère Laetitia (1920), René (1922), Etienne (1923).

Justin est embauché dès 1921 à l’usine du Saut du Tarn à Arthès comme pontonnier. Toute la famille est recensée cette année là au Quartier du Pont.

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L’usine du Saut du Tarn

Dans les années 50, ils ont laissé la maison d’Arthès à leur fils René et ont repris en viager la maison d’une tante sourde à Lescure d’Albigeois, tout à côté d’Arthès. C’est là qu’ils ont vécus jusqu’à la fin de leurs vies : Justin le 23 novembre 1972 à Lescure, Doria le 19 mars 1976 à Arthès.

Mon arrière grand-père, que j’appelais pépé, était une force de la nature. Il a vécu sa vie comme si de rien n’était, sans jamais se plaindre. Il a construit sa maison et chantait avec une voix de Ténor.
Justin était sourcier. L’on venait de tout le département le chercher pour trouver l’eau.

Dans les années 50 il s’est acheté un triporteur beige à moteur dans lequel il transportait, sur des bancs à l’avant, femme, tante, et petits enfants. J’ai encore devant les yeux son image, fier comme Artaban avec les mémés en noirs chapeautées dans la nacelle. Coiffé d’un casque bol, beige également, il lançait un "pouah pouah" retentissant en arrivant au bout de la rue dans laquelle nous habitions.

Je rend hommage à cet homme droit, courageux et honorable.


[1Elle mesure 30 cm sur 23 cm. Le photographe est Jules Servel et au dos il est écrit "Photographie Américaine"

[2Née au domicile de Pierre Lafon, charron de 27 ans, et de Marie Amiel, 28 ans. Elle se marie le 9 août 1909 à Arthès avec Valentin Lucien Bousquet. Elle décède le 22 août 1974 à Arthès.

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14 Messages

  • Justin, le sourcier en triporteur 27 août 2023 11:50, par cindy Lafon

    Bonjour ;

    Je tenais à vous remercier pour cet article.
    En effet j’essaie de faire mon arbre généalogique et il se trouve que mon arrière grand-père est également Justin Lafon. Par contre mon grand-père est René Lafon ;)

    Cindy

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  • Justin, le sourcier en triporteur 18 mai 2021 17:39, par Ragot

    Pierre-Roland St-Dizier est rédacteur en chef de la revue municipale de la ville d’Albi et scénariste de bd sur St-Exupéry.
    Il pourrait concevoir une bd sur l’épopée de Justin, sourcier en triporteur.

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  • Justin, le sourcier en triporteur 10 mai 2021 20:25, par Sonia Landgrebe

    C’est un bel hommage que vous avez rendu là à votre arrière-grand-père, dont le destin n’a pas dû être facile avec ce terrible accident survenu pendant son enfance. Malgré tout, il a su tracer son chemin.
    Dommage qu’il n’y ait pas de photo avec le triporteur ! J’aurais bien aimé visualiser la scène que vous décrivez avec "les mémés en noir" ...

    Cordialement,
    Sonia

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  • Justin, le sourcier en triporteur 7 mai 2021 20:15, par Dominique Ramos

    le métier de pontonnier consistait à conduire un pont roulant métallique à l’intérieur du l’usine du saut du Tarn.
    ironie du sort pour un homme qui n’a pas pu passer son permis de conduire.
    certaines personnes qui ont travaillé avec lui se souviennent du bruit de ses pas sur le pont métallique.
    ceci lui a valu le surnom de "pé de bombo" en occitant soit "pied de bombe" en français !

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  • Mon grand-père aussi ! 7 mai 2021 15:50, par Jocelyne Cathelineau

    Bonjour
    Votre témoignage sur cet ancêtre handicapé qui a toutefois mené une belle vie utile est très émouvant.
    Mon grand-père né en 1897 à Montfarville (Manche) et décédé en 1947 était également sourcier. Un pas-métier sur lequel j’aimerais avoir plus de renseignements ! Il avait découvert ou redécouvert une source près de chez lui, aux Roches de Montfarville, nommée la Planque, plus tard aménagée en lavoir (ma grand-mère y lavait le linge) et désormais bouchée. Il est mort d’une crise cardiaque en prononçant le nom de cette source "La planque". Une légende y voyait un trésor...
    Par contre, mon grand-père n’était pas pontonnier par ailleurs, mais marin-pêcheur. J’ai regardé sur Internet : je ne comprends pas ce qu’est un pontonnier. Le mot semble correspondre à un métier de l’armée, qui consiste à installer des ponts. Ce que ne faisait pas, assurément, votre ancêtre réformé en raison de l’amputation de son pied.
    Pouvez-vous en dire plus ?
    Encore merci pour ce bel article.
    Jocelyne Cathelineau

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    • Mon grand-père aussi ! 7 mai 2021 20:06, par RAMOS

      le métier de Pontonnier qu’exerçait mon arrière grand père consistait à déplacer un pont roulant à l’intérieur de l’usine du Saut du Tarn.
      Étrangeté de la vie pour un homme qui n’a pas pu passer son permis de conduire.
      les personnes qui ont travaillé avec lui se rappelle encore du bruit de ses pas -si particulier- sur le pont métallique.
      ça lui a valu le surnom de "pé de bombo" en occitant...
      pied de bombe en Français.

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  • Justin, le sourcier en triporteur 7 mai 2021 11:12, par Françoise GEORGES

    Belle histoire ! Mais qui montre aussi la vie des jeunes enfants placés dans des familles dites d’accueil, mais où on les faisait travailler et risquer des accidents, tels que celui qu’il a subi...

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  • Justin, le sourcier en triporteur 7 mai 2021 09:55, par Michel Jeannot

    Évocation émouvante et bien illustrée qui renvoie à une simplicité et à un labeur d’autrefois.

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  • Justin, le sourcier en triporteur 7 mai 2021 09:07, par VERRIE Jean-Pierre

    Bonjour,

    Un de ces êtres simples, mais aux qualités humaines et sociables qui sont (devraient être) une leçon de comportement pour nos coquelets contemporains !

    Jean-Pierre

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  • Justin, le sourcier en triporteur 7 mai 2021 09:05, par mortaud

    Mille mercis pour cette belle histoire qui évoque des vies originales.
    Elle me ramène à ma Vendée militaire puisque Louis de Salgues « de Lescure « vint de l’albigeois habiter en Poitou et fut le premier general en chef de la grande armée catholique et royale ..... mes ancêtres furent ses métayers
    Bravo

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  • Justin, le sourcier en triporteur 7 mai 2021 08:37, par martine hautot

    Emouvante vie dans sa simplicité.
    Martine

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