- Les conscrits de la classe 1911
"Cette photo était chez ma grand-mère, la fille de Justin. Mon arrière grand père est assis au premier rang, complétement à gauche...Il s’appelait Justin Lafon, était né en 1891. Il a le pied droit coupé, on le voit sur la photo. Il était donc là pour être réformé.
Je voudrais savoir de quand date cette photo [1] et si il y a des personnes qui reconnaissent de gens de leur famille. A priori, c’était une fête de conscrits."
- Justin Lafon
Effectivement, sur sa fiche matricule N° 1439 au recrutement d’Albi, il est précisé : "exempté en 1912 pour amputation du pied droit".
Est-ce que sur cette photo les 12 autres conscrits sont ceux du village d’Arthès où habite alors Justin ? Justin Lafon étant de la classe 1911, cette photo est prise probablement le jour du conseil de révision. Des investigations aux archives du Tarn, dans les registres de recrutement, devraient permettre d’identifier les autres personnes. Il est possible que certains de nos lecteurs, descendants de ces conscrits, aient déjà fait ces mêmes recherches. |
- Albi la place du Vigan
La photo a été prise à Albi, dans le Tarn, sur la terrasse du Grand Café Gaubert, visible à gauche de la place du Vigan sur cette carte postale du début du XXe siècle. En arrière plan à droite sur les deux photos, on voit le même bâtiment : le Grand Café Pontié.
Justin était né le 15 avril 1891 à Béziers (Hérault). Le lendemain matin, Emilie Poussines, sage-femme de Béziers âgée de 69 ans, déclarait la naissance de l’enfant « né le jourd’hier, à neuf heures du matin, dans la demeure de ses parents, rue Sébastopol N° 8, fils naturel de Rose Laffont, journalière âgée de vingt deux ans native de Lescure (Tarn) domiciliée à Béziers, auquel enfant elle a donné le prénom de Justin. ». Le 28 avril 1891 « Rose Louise Lafon…déclare (le) reconnaitre pour son fils naturel ». Elle ne signe pas l’acte « pour ne savoir » le faire.
Il avait une soeur aînée, Augustine Marie Rosalie, née le 5 février 1890 à Lescure d’Albigeois, chez les parents de Rose Louise, née comme lui enfant naturelle [2].
Placé dans une famille dans l’Aveyron vers ses 11 ans, il s’est malheureusement fait couper le pied par une lame de faucheuse lorsqu’il avait 12 ans.
Ce qui a mis un terme à sa vie d’homme dans la norme et l’a fait basculer dans le monde des handicapés. Envoyé dans un couvent où - a priori- les religieuses ont du lui confectionner un espèce de sabot, il a appris le métier de cordonnier.
Justin, cordonnier à Arthès, dans le Tarn ; s’est marié le 3 mai 1919 avec mon arrière grand-mère Doria Carcenac, à Crespinet (Tarn) où elle était née le 9 septembre 1897. Elle était aussi handicapée et claudiquait. Installés à Arthès, ils ont fondé une famille de trois enfants : ma grand-mère Laetitia (1920), René (1922), Etienne (1923).
Justin est embauché dès 1921 à l’usine du Saut du Tarn à Arthès comme pontonnier. Toute la famille est recensée cette année là au Quartier du Pont.
- L’usine du Saut du Tarn
Dans les années 50, ils ont laissé la maison d’Arthès à leur fils René et ont repris en viager la maison d’une tante sourde à Lescure d’Albigeois, tout à côté d’Arthès. C’est là qu’ils ont vécus jusqu’à la fin de leurs vies : Justin le 23 novembre 1972 à Lescure, Doria le 19 mars 1976 à Arthès.
Mon arrière grand-père, que j’appelais pépé, était une force de la nature. Il a vécu sa vie comme si de rien n’était, sans jamais se plaindre. Il a construit sa maison et chantait avec une voix de Ténor.
Justin était sourcier. L’on venait de tout le département le chercher pour trouver l’eau.
Dans les années 50 il s’est acheté un triporteur beige à moteur dans lequel il transportait, sur des bancs à l’avant, femme, tante, et petits enfants. J’ai encore devant les yeux son image, fier comme Artaban avec les mémés en noirs chapeautées dans la nacelle. Coiffé d’un casque bol, beige également, il lançait un "pouah pouah" retentissant en arrivant au bout de la rue dans laquelle nous habitions.
Je rend hommage à cet homme droit, courageux et honorable.