Samedi 9 février 1861
Hier le temps a été encore mauvais, ciel couvert, fort vent du Nord chassant la neige, froid vif. Santé peu solide assez de malaise dans la journée, pouls 99, le soir agitation. Ce matin j’étais bien et ce bien être s’est maintenu peut être grâce au courrier arrivé. J’ai été bien tout le jour, bon appétit pas de toux pas de coliques. Je ne me suis pas aperçu du pouls, mais pas de fièvre. Le temps a été très beau, vent du sud, soleil éclatant, dégel dès midi. Le matin froid. Vers 4 heures le vent a tourné à l’ouest, le ciel s’est couvert, le froid a reparu. Le soir le vent a cessé et est retourné au sud, ciel clair et pur, il gèle.
Jour de l’an chinois
Dimanche 10 février 1861
1er jour de l’an des chinois.
Temps magnifique, ciel un peu gris, mais en résumé le soleil domine. Il fait bon quoiqu’on ait vent du nord. Il dégèle dans le jour. Le soir comme hier, le froid reprend la gelée reparaît. Mer très belle, temps agréable et doux +1°C à midi, -4°C le soir. J’ai à signaler le jour de l’an des chinois, c’est aujourd’hui. La fête ressemble beaucoup à la nôtre, elle mérite un article entier. Je signale seulement la mise propre et recherchée de tous les chinois (hommes) riches et pauvres jusqu’aux jeunes gamins faisant le service de coolies le matin au marché. Les costumes des riches sont ceux qu’on voit sur les gravures, chapeaux à glands, collets, plaques sur la poitrine. Les femmes sont surchargées de vêtements, broderies et clinquants, bonnets admirablement fourrés. On est tenté de croire que tous ces vêtements d’hommes et de femmes ne servent que ces jours-là. Fête à bord des jonques, coups de canon pétards prolongé. Repos absolu, aucune boutique ouverte, aucun marchand dans les rues ? Cet état qui a commencé hier doit dit-on durer 8 jours. Plaques de papiers rouges peints sur toutes les portes, papiers dentelles, visites et cadeaux du jour de l’an. Enfin j’en viens à la pagode. Quelle ressemblance avec notre religion, le diable avec ses cornes et sa queue, la vierge, les offrandes de mets de cierges. A la porte dans la cour marchand d’offrande comme en France, marchand de chapelet de cierge.
Lundi 11 février 1861
Belle journée ciel pur soleil ardent, dégel complet au soleil +8°C au soleil -2°C à l’ombre aussi rien n’y dégèle. Vent sud presque nul. Le soir à peine le soleil couché, la gelée recommence, le froid va jusqu’à -6°C néanmoins ciel clair. Le froid se supporte facilement grâce à l’absence du vent. La fête continue chez les chinois, illuminations, les pétards dont j’ai oublié de parler hier continuent à éclater en quantité. Quelques magasins quoique fermés sont accessibles. Je vais chez le vieux voleur, il a un autel magnifique chargé de mets et de cierges et me demande si en France l’on fait ainsi, je lui explique qu’on offre des cierges mais non des mets, il me fait comprendre que ce n’est pas qu’une formalité et qu’ils savent très bien que le Dieu n’y touche pas. On a commencé de charger le matériel de l’hôpital. Santé bonne mais un peu d’énervation l’après midi. Bon appétit. Une bonne selle dure. Je me suis fait couper les cheveux.
Mardi 12 février 1861
Carnaval – Temps identique à celui d’hier sous tous les rapports. Embarquement du matériel de l’hôpital et du campement dès le matin à 11 heure ½, M. Strauss s’embarque. Le soir on a dîné pour carnaval, on boit le vin blanc (quoique un peu fatigué je ris). Chalot nous apporte d’excellentes crêpes. Hier M. Barne est venu me voir amenant deux messieurs de Schangaï. Le bruit court que nous ne nous arrêterons pas à Schangaï. Froid un peu plus qu’hier. Je renvois mon ordonnance.
Mercredi 14 février 1861
Le ciel est pur, le soleil brille, mais un rude vent du Nord souffle. Dès minuit le vent s’est élevé, très fort la nuit et la matinée, il diminue graduellement jusqu’au soir. A peine si l’on sent le soleil, pas de dégel, à l’ombre le froid est glacial -12°C le matin -10°C à midi, -12°C le soir, mer agitée. Je vois pour la première fois le théâtre chinois. Je l’ai admiré. La fête continue chez eux. Je vois ces messieurs du Contest qui dînent avec M. Robert, je leur prête un lit. Debeaux prend une forte dose de cognac. Ma santé est passable je n’ai pas à me plaindre moins un peu d’énervation dans la journée. L’appétit est toujours vorace le matin, mais très moyen le soir. J’ai eu beaucoup de rêves de toute nature. Je suis aussi dans les réflexions dans la journée. Le 15 le feu a pris à une baraque de la marine elle a entièrement consumé…
C’est toujours fête chez les chinois
Samedi 16 février 1861
Temps magnifique soleil, mais froid vif, pas de dégel. Toujours fête chez les chinois aussi marché nul. J’ai vu un guignol absolument semblable à celui des Champs-Élysées à Paris même genre. Je vois jouer aux dominos comme en France. Aujourd’hui ciel couvert mais bonne température pas de soleil mais dégel tout le jour. Je vais en ville avec M. Bonnefoy qui a déjeuné avec nous. Nous courons beaucoup, nous voyons le mandarin militaire. Les chinois n’ont pas fini leur fête. On va chez le commandant supérieur passer la soirée. Désormais disent-ils on ira y faire le whist. Le Contest est parti hier par une mer d’huile la même qui aujourd’hui nous passe devant les yeux un vapeur anglais le Furions qui vient du Peï-ho et qu’on a cru être le Weser. Santé bonne en moyenne, bonne nuit quoique fortement agitée avant-hier soir. Cette nuit j’ai rêvé et ce matin je me suis éveillé un peu fatigué.
Dimanche 17 février 1861
Ciel toujours gris, température très douce, fort dégel tout le jour, les chemins sont impraticables. Ce soir le vent ouest se lève avec force, froid. La Marne est arrivée vers deux heures, elle doit nous prendre. On dit qu’il faudra deux jours pour le chargement. On pense que quelques uns iront en Cochinchine et que personne ne partira avant que tout soit fini. Or comme la Dryade va chercher un bataillon du 101e à Tien-tsin et qu’elle ne pourra l’emmener que vers le 15 mars il en résulte que tout l’été on serait occupé en Cochinchine … J’ai dîné chez le commandant supérieur hier soir. J’ai été agité j’ai eu de la peine à m’endormir éveillé la nuit j’ai été fatigué ce matin.
Mardi 19 février 1861
Hier le temps a été très froid, le vent assez fort, rien de nouveau. Dès hier au soir le vent a molli, le ciel s’est éclairci et le soir les étoiles brillaient dans un ciel pur. Ce matin temps magnifique vent nord moyen. Le matin on est venu me chercher pour un homme mort subitement dans la nuit par suite d’excès alcooliques. Je vais assez bien. Je suis allé en ville où j’ai vu, que comme en France c’est la madone qui est le refuge des marins. En effet sur son autel une offrande somptueuse était étalée et gardée par les marins du Pothian, cette offrande était en comparant les offrandes des autres…
Départ pour Schangaï : 5 jours de traversée
Samedi 23 février 1861
Beau temps magnifique tous ces jours dégel, soleil admirable chaleur. La Marne commence à charger le 20, elle a fini aujourd’hui, tout est bien allé. Hier le temps s’est couvert, il est resté gris aujourd’hui. On s’embarque dit-on demain matin aussi j’écris à la hâte pour faire mes malles. Le 24 au matin on s’est embarqué, le brouillard était très épais.
Mercredi 13 mars 1861
Voilà quelques jours sans journal ce sont les ennuis de l’arrivée qui sont cause de ce retard. Notre traversée a duré 5 jours dont 2 beaux 2 à gros temps puis le dernier dans la rivière. Tout est bien allé. Me voici installé à Schangaï où j’ai eu beaucoup à noter depuis mon arrivée mais le temps m’ayant manqué. Je recommence aujourd’hui mon journal.
Mardi 26 mars 1861
Aujourd’hui pour la première fois depuis mon arrivée, il a plu à Schangaï, le temps est humide et froid, après les chaleurs que nous avons eues ces jours derniers. Jamais je n’ai tant songé au retour que ces jours. A chaque instant je me reporte en France. Que fait-on où est-on que dit-on ? J’ai été très bien tous ces jours, il me semble que ma toux est plus forte depuis hier. Aujourd’hui à midi j’ai eu un peu de fièvre. Rien autre à noter.
Dimanche 31 mars 1861
Le temps est beau mais un vent très violent rend le froid vif. Goubaud et M. Dumas dînent à la maison. On chante et on rit assez tard. Mon rhume augmente beaucoup.
Mardi 2 avril 1861
Temps beau chaleur très forte le jour. Hier on a appris que nous restions à Schangaï encore longtemps. Qu’y faire. Mon rhume est toujours très fort et pénible. Je couche à la salle de garde où je dors fort mal. Je rêve beaucoup à Lyon, à Monsieur Bucheron, à mes parents … Cauchemar. J’ai fort mal dormi. Le courrier est arrivé ce soir à 7 heures il a été distribué à 9 heures. Il fait depuis quelques temps un jour beau et un jour de pluie ce qui est fort ennuyeux. Rien de nouveau. La santé paraît bonne depuis hier.
Vendredi 21 juin 1861
Mauvaise journée pour moi, temps presque frais et très humide. Pensées très noires tout le jour, justifiées du reste par tubercules jaunes granulés du matin, par coliques très fortes et selles douloureuses et vertes …, par fièvre, par douleur au foie, enfin par un mot entendu le soir, par la nuit précédente où j’ai fait de tristes rêves et où je me suis fatigué. J’ai eu froid…
C’était la St Louis de Gonzague, ce soir j’ai assisté à une petite scène jouée par les élèves.
Nous savons par les archives familiales que Jean Louis Isaac Tardy a été promu médecin aide major de 1re classe le 1er août 1861, qu’il est resté à Shanghai encore 9 mois et qu’il a embarqué à bord de la frégate l’Andromaque le 18 mars 1862 pour débarquer à Toulon le 27 mai 1862.
- Feuille de route
Le 1er juillet 1862, il reçoit la médaille commémorative de l’expédition de Chine.
- Médaille commémorative de l’expédition de Chine
Liens :
- Médaille commémorative de l’expédition de Chine :
http://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9daille_comm%C3%A9morative_de_la_campagne_de_Chine_1860
- Service historique de la défense :
http://www.servicehistorique.sga.defense.gouv.fr/
On peut trouver au fort de Vincennes différentes archives sur l’expédition de Chine :
- Dans la sous série 5 G : nombreuses lettres, rapports, état des troupes (5 G 4), rapport du général Jamin au Cap de Bonne Espérance pour le traitement des malades laissés par les bâtiments transportant les troupes en Chine (5 G 2), épidémies de variole (5 G 5)
- Dans la sous-série Xz 124 l’état-civil militaire du corps expéditionnaire de Chine : officiers (Xz 124 - 1), hôpital militaire de Tchéfou (Xz 124 - 18).