Vendredi 9 novembre 1860
Fi ! Le paresseux. Pas de journal jusqu’à aujourd’hui mais je me promets de le recommencer il y a tellement de choses à noter ici. Tché-Fou [1] . A demain donc dès le matin. Je fais mes remarques pour les notes de ce soir.
- Canonnières françaises aux ordres du contre-amiral Page, attaquant les forts de Pei-Ho
La mer sillonnée de sampans et de jonques
Samedi 10 novembre 1860
Journée excessivement belle, chaude comparativement aux précédentes. Rien à noter. J’ai fait une assez longue promenade en ville et en revenant nous sommes allés à la ville en voiture où il n’ y a absolument rien à voir. J’ai remarqué à l’entrée un cimetière, il ressemble en tout aux nôtres, une pierre est sur la tombe avec des inscriptions chinoises dessus, même genre que les nôtres. Cette ville est fortifiée. Je remarque la poste qui ressemble … de l’horloge de Gex. Les habitants font sauver les femmes à notre approche. Les chiens abondent et hurlent. Là j’ai vu coucher le bambou pour faire les radeaux. J’ai acheté une peau de mouton.
Ce soir à 5 heures étant sur le monticule je suis resté en extase devant le tableau qui se déroulait devant mes yeux, et en voyant le bel aspect de cette mer si calme, luisante, sillonnée de sampans [2] , couverte de jonques [3], cette montagne aux pieds desquels s’étalent une foule de villages que les habitants frileux recouvrent de fumée, ce magnifique ciel doré à l’horizon par le soleil à peine couché. Je ne dis que rien en France n’est si beau et que ce pays serait celui de mon choix s’il était ma patrie et si je n’étais pas trop éloigné de tout ce que j’aime. En ce moment j’écris assis au coin d’un bon feu qui m’inspire il est vrai des regrets, mais qui me sert néanmoins à adoucir l’existence trop monotone que nous menons dans ce pays.
- Vue de la ville de Canton, prise de l’île d’Honan
Dimanche 11 novembre 1860
Belle journée, comme hier il fait chaud. Promenade en ville. Rien de particulier. Hier belle journée, cette nuit dernière le vent a commencé à s’élever et ce matin il faisait froid, temps variable mais pas de pluie. La mer est très agitée, le vent souffle avec violence, à part cela rien de nouveau…
J’invite le capitaine d’artillerie à prendre l’absinthe
Mercredi 14 novembre 1860
La journée a été très belle un peu de vent du sud mais peu froid, aussi la température était très douce comparativement à celle d’hier. J’ai une discussion avec le comptable pour le riz distribué aux malades. Il faut que le sous-intendant vienne trancher la question. Mr le médecin en chef, lui, le soir dit qu’il faut être coulant, que les médecins doivent se taire, ils n’ont aucun droit déterminé, le comptable seul est chef. Cette discussion m’a prouvé une fois de plus qu’un chef énergique et sévère est préférable à un chef trop bon et que plus on est bon plus les canailles se foutent de vous et rient à vos dépens.
Vendredi 16 novembre 1860
Journée hier belle, rien de nouveau. Aujourd’hui journée magnifique, vraie chaleur d’été. Visite du mandarin de la province. Le courrier arrive, il apporte les nouvelles de Peï-ho.
Samedi 17 novembre 1860
La température était douce pendant le jour, cependant le ciel était légèrement brumeux. Sur les 3 heures le vent tourne, un fort vent nord souffle, aussi il fait un froid assez vif sans être glacial. Je bois avec Azais [4] deux bouteilles de bière. Le soir j’invite le capitaine d’artillerie et son nouveau sous-lieutenant promu à prendre l’absinthe. Rien de nouveau. Pas de pluie en vue, cependant il doit pleuvoir sur les montagnes. Ma santé me parait bien meilleure qu’hier. Je suis de garde.
Le mandarin arrive avec quelques notables
Dimanche 18 novembre 1860
La nuit dernière le vent a encore augmenté, le froid était très vif ainsi que ce matin. La nuit il a gelé. Le vent se calme un peu et il est presque complètement tombé vers midi, cependant la journée est très froide surtout le soir. Je suis invité à dîner chez le médecin en chef à l’occasion de la décoration de monsieur Bechode. Bon dîner, conversation agréable. Enfin le soir ouverture du cercle jamais plus plaisante histoire, le cercle devait s’ouvrir à 8 heures, on attend à cette heure le commandant supérieur qui dit-on est allé chercher le mandarin. Vers 9 heures, il arrive avec le mandarin et quelques notables. Ils sont tous très mal vêtus et représentent très mal, on les soule assez rapidement. Ils sont très grotesques, un surtout est plein comme un boudin. On leur fait boire eau de vie, rhum, bière à la bière on les boit à la chanson, on accompagne cela d’une cérémonie grotesque. Enfin on les accompagne le soir et deux de leurs soldats reviennent nous accompagner avec leurs lanternes car il fait très sombre. Des noms des notables on avait fait des noms français : "Qui l’a long", "Galopin" (c’est celui qui était le plus sou), "Saladin"… Le soir après avoir bien bu et bien fumé, nous rentrons tous vers minuit. Chacun a chanté soit en chœur soit seul. Le commandant lui-même a voulu exercer sa voix et nous a chanté…
Lundi 19 novembre 1860
La journée a été froide, vent peu fort. Le temps se couvre sur le soir pluie fine peu abondante. Journée et soirée au cercle, on fait la petite partie. Enfin on rentre tranquillement à 10 heures.
La neige a commencé à tomber
Mercredi 21 novembre 1860
Quel temps affreux depuis hier au soir, pluie continuelle, vent violent et très froid, on n’ose sortir que pour le service. Pas moyen de faire du feu partout il fume. La journée est bien triste. C’est avec terreur que j’ai été contemplé cette mer grise grosse houleuse, qui menace de tout engloutir. Quand on songe qu’on n’a espoir de revoir son pays qu’en la confiant encore pendant des mois de cet élément menaçant cela vous fait mal. Je suis resté au lit presque tout le jour, ayant peu dormi la nuit précédente car j’ai passé une nuit de garde sans sommeil ou en cauchemar affreux.
Jeudi 22 novembre 1860
Le vent a continué, cependant un peu moins fort, mais assez pour maintenir la mer encore très agitée. Le ciel est couvert, il ne tombe pas de pluie. Je vais bien. J’ai fait aujourd’hui au cercle la première partie de whist. Attente vaine du courrier.
Samedi 24 novembre 1860
Hier le vent a été encore très violent, le ciel était clair cependant quelques nuages passaient. Cette nuit vers une heure la neige a commencé à tomber. Elle a continué tout le jour avec quelques courtes interruptions. Le vent est toujours très violent, la mer est furieuse, aussi les bâtiments ne communiquent-ils pas avec terre. On n’oserait mettre un canot en mer. Ce matin est arrivé un bâtiment le Tonkin, il n’a pas pu communiquer, il est encore en rade, on dit que le général en chef est à bord.
Nous avons eu la visite du général en chef
Dimanche 25 novembre 1860
Ce matin le vent a cessé comme par enchantement, le ciel s’est débarrassé de ses nuages gris et remplis de neige. La mer s’est calmée, mais le froid non seulement s’est maintenu mais a augmenté. Cependant il dégèle au soleil et la journée n’est pas trop froide, la soirée en revanche est glacée. Le Tonkin a pu mettre un canot en mer et nous avons eu la visite du général en chef [5] accompagné de son état-major [6] . Il a visité partout n’a rien dit de nouveau, s’est emporté à cause de la distribution de biscuit avarié. Il va au Japon avant d’aller hiverner à Shanghai. Rien autre de nouveau.
Mercredi 28 novembre 1860
Hier la matinée a ressemblé à la journée de la veille, seulement dans la journée le vent a semblé se relever et était très froid. Aujourd’hui la journée est très belle, le ciel est clair, le soleil n’est obscurci par aucun nuage. Le courrier est arrivé le 26, Judias [7] est arrivé par ce courrier. Sa présentation au cercle a été faite par moi. Le courrier m’a apporté mon journal qui ne dit rien de nouveau hors la malheureuse affaire que j’attribue à Mr Lecourgeon. Je vais au cercle régulièrement. Je me porte bien hors mes hémorroïdes qui ont repris le 26, elles me font bien souffrir. Aujourd’hui arrivée d’un vapeur qui n’est autre qu’un anglais peu important pour nous.
Jeudi 29 novembre 1860
Temps magnifique, on se croit revenu au printemps, beau soleil pur et sans nuages. Départ d’Azais, Fouquet et Baratte. Le soir dit-on la Garonne [8] est passée emportant l’intendance.
Samedi 1er décembre 1860
Journées d’hier et d’aujourd’hui magnifiques, temps superbe, ciel pur, température douce. Rien à noter. Je me mets en gaieté ce soir. Je reste au cercle jusqu’à une heure. Aujourd’hui j’y vais le soir seulement.
Sources :
- Archives familiales
- Illustrations : L’univers illustré 17/05/1860, 15/11/1860
Liens :