L’éternel problème avec des photographies anciennes, c’est de les localiser, de les dater et de reconnaître les personnages. Quand vous avez ces trois éléments, vous pouvez partir à la pêche pour les détails et écrire des tas d’histoires en rendant visite aux témoins, tant qu’il en reste.
Un repas de noce se tient souvent dans un hôtel et celui-ci est l’hôtel de France, situé à cent mètres de chez moi, à Belvès. On peut encore retrouver les ouvertures, la descente d’eau, la forme des pierres. Donc, aucun problème.
La datation ? Souvent elle tient compte de la mode vestimentaire et l’on pourrait consulter le journal LA MODE ILLUSTREE, en pensant que dans un bourg de campagne, il y a un sérieux retard sur ce qui se pratiquait à Paris. Il en est de même pour le style des meubles, qui parfois prend un retard d’un siècle en passant de Paris à la province.
Plus simplement, je me suis promené dans les maisons avec ma photo et je suis tombé sur la fille des mariés, Suzette Guittard. Evidemment elle a reconnu ses parents et d’ailleurs elle possédait ce cliché, sur papier jauni. Il ne faut pas se fier à la mémoire des gens pour les datations, surtout si cela concerne la génération précédente ; j’ai donc demandé à voir le livret de famille, (j’aurais pu aller à la mairie) et j’ai ainsi la date certaine de ce mariage, le 23 avril 1908.
Dans une autre maison, Madame Marguerite Boussat, née en 1902, 93 ans, s’est écriée : " Mais c’est moi, avec Raymond ", son futur mari. Elle se souvient encore qu’elle refusait de donner le bras à Raymond, " tout le monde dirait que c’est mon bon ami. " Raymond a l’air d’avoir dix ans, et d’ailleurs il est né en 1898. C’est lui qui se trouve derrière un sanglier de 130 kg et permet de dater cette photo de 1900. Quand, dans une série de photos d’un lieu vous arrivez à mettre un nom sur des visages, ne les lâchez pas, vous avez de grandes chances de les retrouver, de même pour un détail vestimentaire, un bijou.
_ Revenons-en à nos mariés. Emmanuel Guittard épouse Alice Belinguier, la fille du maréchal-ferrant dont il est le " commis ". Les parents des époux sont au premier rang. Les lecteurs d’Histoire-Généalogie sont au courant du rôle primordial que tenait le forgeron, dans les campagnes comme dans les villes.
Derrière la mariée, Alban Ladignac, le crâne dégarni, et son épouse. On le retrouvera au volant d’une Darracq la même année. J’avais mal fait mon travail et ne l’avais pas encore reconnu quand le livre a été édité ; la honte ! quand plusieurs personnes m’ont demandé pourquoi je n’avais pas mis le nom. Sur les Ladignac, on pourrait écrire des pages, disons seulement que son fils, pharmacien à Saint Cyprien en Dordogne, a été élu et réélu maire et conseiller général, jusqu’à sa mort, sur l’étiquette " Sport et Musique ". Il a même organisé le tiercé dans sa petite ville, mais dans la nuit, le médecin, président du Rugby et ennemi électoral, a fait labourer la pelouse. Je vous laisse imaginer la fureur des officiels, des propriétaires de chevaux, des parieurs, du PMU, des aubergistes et du public.
Les autres invités à la noce, mystère. Mais pourquoi n’ai-je rien demandé à mon père quand il était en vie ?
Madame Marguerite Boussat a perdu la tête à 98 ans, tout le monde n’y arrive pas, elle ne reconnaissait personne. Sa fille a eut l’idée de lui montrer cette photographie et un miracle s’est produit : elle s’est mise à parler d’elle, de son mari, des amis, du temps passé, de sa famille. Pendant des mois, le miracle avait lieu chaque fois.
Découvrir Le Périgord d’Antoine Carcenac : (photographies 1899 - 1920).