Le 2 février 1761 à midi les cloches de l’église Saint-Sulpice à Paris carillonnent : la foule des parisiens se presse sur le parvis et la grande place est noire de monde pour voir Louis XV et sa Cour. Le Roi est venu assister comme témoin au mariage du marquis François de Vachon de Belmont et de Jeanne-Françoise de Saint Quintin de Blet. De cette union prestigieuse naîtra six ans plus tard l’ainée de leurs cinq enfants : Marie-Justine-Angélique qu’on appellera désormais Angélique.
Sur son enfance à Paris, puis à Briançon puis en Allemagne, suivant les affectations militaires de son père, Maréchal de Camp, on dispose de très peu de renseignements. En 1770 la famille s’installe à Grenoble, quai de la Graille, puis en 1774 au château de Montmaur (Hautes-Alpes) acheté à la famille Agoult. Les familles Vachon de Belmont et d’Agoult sont très liées et on décide de marier la jeune Angélique, 16 ans, à l’aîné des fils Agoult : François Edouard Augustin Winceslas Hippolyte d’Agoult, 37 ans.
C’est, semble-il, malgré elle que le mariage est célébré le vendredi 21 février 1783 en l’église de St Paul de Varces. Le marquis est Chevalier de Saint-Louis et il a ses entrées à la Cour ; les jeunes mariés s’installent dans un hôtel particulier à Versailles. Deux enfants vont bientôt naître : Marie Césarine en 1783 et Marie Stéphanie en 1787.
Le couple est très en vue et défraye bientôt la chronique. En 1786 un contemporain décrit Angélique comme la danseuse par excellence de la Cour, éblouissant cette Cour par sa beauté : "Un soir du printemps de 1786, à Versailles, une jeune femme attire les regards à un bal de la Cour. Elle est très jeune, très blonde ...". En effet, d’après son signalement, elle a « des cheveux blonds, des yeux bleus et dans l’ovale de son visage, un nez fort joli et une bouche agréable ». Quant à l’austère mari un mémorialiste de l’époque observe « qu’on en eut ignoré l’existence sans les travers de sa femme ».
En 1787 elle devient la maîtresse de Louis Le Tonnelier, baron de Breteuil, « ministre de la Maison du Roi et de Paris », une sorte de ministre de l’intérieur. Ancien diplomate bien en cour pour avoir contribué au dénouement de la fameuse affaire du collier de la reine, le baron a fière allure. Il a cependant 67 ans et Angélique à peine 20. Il « fut supplanté dans ses bonnes grâces par le jeune de Rieux » observe un contemporain. Elle le trompe en effet avec le marquis Louis Charles Marie de Rieux d’Asserac (1768 – 1795), dont elle aurait apprécié « l’ardeur de ses 21 ans comparée à celle déclinante du baron ».
Ce dernier, furieux s’allie au mari, doublement trompé, qui est déterminé à châtier l’effrontée en la faisant enfermer dans un couvent. Nos deux infortunés préparent alors un enlèvement, mais Angélique a vent du projet et menace le baron de publier des lettres qu’il lui avait écrites « dans l’abandon de l’intimité » et dans lesquelles il parlait de façon outrageante de la reine Marie-Antoinette. Baron et marquis, ainsi contrariés, vont devoir tolérer le jeune amant en titre.
Angélique, par l’entremise de son amie la vicomtesse Joséphine de Beauharnais, Rose de Tascher de la Pagerie, propose, moyennant des accommodements, de reprendre la vie commune avec son mari. Malgré les entreprises répétées de son amie, le marquis d’Agoult rebuté par les infidélités successives, voire concomitantes, de sa jeune et « Merveilleuse » épouse, refuse. Dépitée, Angélique change son fusil d’épaule : elle décide de se séparer officiellement de son époux. Elle engage en 1788 un procès en séparation dont elle est déboutée en 1789 ; elle obtient finalement le divorce en 1793, profitant des lois révolutionnaires, son mari ayant émigré.
Deux ans plus tard, le jeune amant Rieux abandonne à son tour Angélique pour aller guerroyer avec les royalistes et les Chouans, et il participe au débarquement de Quiberon. Fait prisonnier notre valeureux marquis, au courant de « l’amitié naissante » de son ex-maitresse pour le député à la Convention Joseph Rovère, envoie son valet de chambre à Angélique pour solliciter son appui ; mais l’ingrate et oublieuse maitresse refuse de s’y intéresser et Charles de Rieux d’Asserac sera fusillé avec 60 de ses compères à Vannes le 29 juillet 1795.
Angélique, sans états d’âme, va se consoler en épousant deux mois plus tard, en seconde noces, ce Joseph Rovère, fraîchement divorcé d’une demoiselle de Chaix de Claret dont il a achevé de dilapider la dot. Très endetté, le nouvel époux fait un choix « éclairé » puisque Angélique vient justement de perdre son père qui laisse une fortune considérable de 500.000 livres en écus.
Ce second mari, né à Bonnieux dans le Vaucluse en 1748, fils d’aubergiste et petit-fils de boucher, a mené une jeunesse très agitée à Aix où il se prétendait « marquis de Fontvieille, seigneur de la Ramide et du Villars-lès-Gap ». Malgré son nom d’emprunt à rallonge, il ne parviendra pas à se faire élire député de la noblesse en 1789, et il changera parti en devenant un ardent révolutionnaire sous le simple nom patriotiquement écourté de « Rovère ».
C’est sous ce nom qu’il entre dans la grande histoire en se faisant remarquer par ses pillages en Provence et sa participation, avec Jourdan-coupe-têtes le bien nommé, aux massacres de la glacière d’Avignon dont il fera l’apologie à l’Assemblée le 28 août 1791. Régicide notoire, surnommé le « Marat du midi », il craint les « sanctions » de Robespierre qui lui reproche ses exactions provençales et s’allie donc à Barras le 9 thermidor. Les opinions royalistes d’Angélique lui apparaissent alors plus utiles sous le Directoire : élu député du Vaucluse au Conseil des Anciens il y siège à droite avec les Clichyens ; mais le moment est bien mal choisi : il se retrouve compris dans la proscription du 18 fructidor an V menée par Barras contre une « dérive royaliste » et il subit la « guillotine sèche », c’est-à-dire la déportation en Guyane le 22 septembre 1797.
- Sur les déportations du Directoire en Guyane
C’est alors qu’Angélique qui ne se distinguait pas jusqu’alors par une fidélité à ses engagements maritaux et amoureux, va faire preuve d’un attachement entêté pour cet homme. Enceinte d’un troisième enfant elle se démène auprès de Barras et de son amie Joséphine de Beauharnais pour faire libérer son mari. Elle parvient seulement à l’entrevoir à la prison du Temple et après de vaines promesses de Barras, elle part à Rochefort où son mari doit être embarqué pour la Guyane.
- Sur le premier convoi de déportés à Sinnamary
Après trois jours d’un voyage éprouvant elle arrive au port pour apprendre que le navire des déportés, La Vaillante, a levé l’ancre et est au mouillage devant La Rochelle. Comme le fils d’un des déportés, Émile Laffon de Ladebat et son ami Paul Hyde de Neuville frétent une chaloupe pour apporter des vêtements aux proscrits, elle les supplie de l’embarquer avec eux pour suivre son mari en déportation. Mais les deux garçons refusent de la faire monter à bord car elle est enceinte de plus de huit mois. Elle enrage et reste à Rochefort le temps d’accoucher quelques jours plus tard d’un petit garçon.
À peine relevée de ses couches, elle ne fait ni une ni deux : elle confie le bébé à une nourrice et recherche un embarquement pour rejoindre son mari en Guyane avec ses deux filles Marie-Césarine et Stéphanie, ainsi qu’une servante. Elle s’embarque sur une corvette marchande en partance pour la Barbade d’où elle compte rallier Cayenne. Mais au large des côtes d’Espagne la corvette est attaquée et prise par un navire anglais et Angélique est emmenée prisonnière à Southampton. Finalement libérée, elle s’obstine dans son projet et trouve un nouvel embarquement, cette fois sur un navire anglais, pour La Barbade. Arrivée là elle obtient un passage pour la Guyane sur un lougre corsaire.
Elle débarque enfin à Cayenne le 15 septembre 1798 pour y apprendre que son mari vient de mourir au camp d’internement de Sinnamary le 9 septembre. Comme on la dissuade d’aller sur la tombe de son mari, elle va séjourner deux mois à Cayenne, en quête d’un nouvel embarquement pour retourner en France.
- Enterrement d’un déporté en 1798
- Le cimetière des déportés en 2011
Faisant état de son premier mariage avec le marquis d’Agoult, émigré, installé à Londres, elle trouve un passage sur une frégate anglaise en décembre 1798. Après une nouvelle escale à Southampton, elle parvient à se faire embarquer sur un brick marchand en partance pour la France. Elle débarque enfin à Rochefort le 20 janvier 1799.
Cependant, la jeune veuve s’était « liée d’amitié à bord avec le capitaine » du brick qui la transportait et elle officialise sa liaison en l’épousant sur place une semaine plus tard. Mais le capitaine, jeune marié, reprend la mer deux mois plus tard pour d’autres aventures. Le petit garçon laissé en nourrice à Rochefort pendant l’équipée en Guyane, est mort.
Angélique décide de retourner vivre en Provence mais la famille de son second mari refuse de la prendre en charge avec ses deux filles de son premier mariage, quant à son premier mari il fait la sourde oreille.
On retrouve Angélique quelques années plus tard, abandonnée également par son troisième mari « domiciliée chez Jacques-Antoine Larguier, négociant, n° 13 rue Vieux Sextier à Avignon ». Il ne semble pas que ce commerçant l’aie prise en charge car elle y décèdera, dans la misère, à 51 ans, le samedi 28 Février 1818. Une note du docteur Bernardy, d’Avignon, qui lui donnait des soins précise qu’elle souffrait « d’une santé ébranlée depuis longtemps ». Notre « Merveilleuse » avait peut-être éclairé son diagnostic en lui faisant le récit de ses aventures...