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Georges Pageix Médecin-major de la Grande guerre (1880-1921)

2e épisode : à l’Ambulance 5/63 (août 1914 à avril 1915)

Le jeudi 26 septembre 2019, par Jacques Pageix

Grâce au journal de marche de l’Ambulance N°5, rédigé par le Médecin Major de 1re classe Chabrol, nous suivrons les péripéties de cette Ambulance à partir d’août 1914. Georges Pageix se brouillera, peu avant son départ de l’Ambulance en avril 1915, avec le Médecin-Chef Chabrol. Certains détails sont, pour le moins, pittoresques et cet épisode ne manque pas de sel !

Le médecin-chef Chabrol rencontre de sérieux problèmes pour rassembler l’équipement de la 5e ambulance avant son départ :
"Les plus grosses difficultés m’attendent, écrit Chabrol, l’Ambulance N°5 de la 63e Division de réserve n’était constitué ni en voitures, ni en harnachement. M. le Directeur du service de santé du XIIIe Corps d’Armée avait rejoint l’armée, et son successeur ne pouvait me donner ni renseignements ni conseils utiles.
Je dois ici remercier Mr le Commandant Béranger et la 26e Division et le parc d’artillerie : 5 fourgons modèle 1874, 7 harnachements et divers objets me furent remis et je pus dès lors assurer le transport du matériel".

Le 15 août, l’Ambulance regroupée à Clermont-Triage se transporta à 22h 47’ (Chabrol est très précis !) à Lure où elle arriva le 16 à 5h 8’ (!). Elle poursuivit ensuite jusqu’à Ronchamp [1] où elle cantonna. Après une journée de repos, les fourgons et leur contenu furent montrés aux infirmiers et, le soir, on fit un exercice de brancardiers auquel les infirmiers prirent part ; la plupart d’entre-eux n’avait jamais été exercés.

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Parc d’ambulances à la ferme de Vauberon
Photo prise par Joseph Pageix le 30 avril 1916.

On monta la tente dortoir en une demi-heure, temps record d’après Chabrol, car "tous nous ignorions comment on la montait". Les chevaux furent l’objet d’une rigoureuse inspection : l’un d’eux fut laissé aux soins de la municipalité car il avait reçu au départ de Clermont une contusion à l’épaule gauche !
Chabrol souligne qu’il avait souhaité un ou deux maréchaux pour s’occuper des chevaux, mais que ni la 5e ni la 4e Ambulance "qui marche avec nous n’en possède, puisque le commandement du train nous les a enlevés au dernier moment". Le 18 août, l’Ambulance N°5 quitte Ronchamp à 7h pour Geromagny (Territoire de Belfort) où elle arrive à 11h30’.
Chabrol constate que "les hommes marchent très bien". Le soir même, les deux ambulances 4 et 5 se réunissent pour voir ensemble et en détail l’organisation du service de santé en campagne, et le lendemain 20, le médecin- chef réunit les officiers et les infirmiers et procède aux affectations de chacun : un fourgon est affecté à un médecin et 3 infirmiers et de plus, "il est désigné des infirmiers pour chaque fraction de l’Ambulance : les entrées, les pansements, les opérations éclopés" (sic), et "des gradés sont chargés de la discipline et de la conduite des blessés".

Le docteur Chabrol avait prévu dans la foulée une répétition générale de l’installation de l’Ambulance, mais l’ordre lui fut signifié de se rendre à La Chapelle Sous-Rougemont à deux km de la frontière. Les 20 km de trajet se firent sans peine et il note dans le journal de marche que "les hommes sont très vaillants et pour des réservistes et des territoriaux très endurants !" Plus loin, il note que la colonne "rencontra en route un fourgon automobile allemand, pris par les nôtres, chargé de prisonniers allemands et qui était conduit par le propre chauffeur allemand", et il s’en réjouit, car "la curiosité et l’enthousiasme y trouvèrent un aliment pour toute la route !". Le soir même, à la Chapelle Sous- Rougemont, on pu voir un long convoi de prisonniers, des officiers et soldats de la "Landwehr" qui étaient dirigé sur Belfort.

Ici encore, les officiers, "les hommes du train et les infirmiers procèdent à l’installation simulée d’une ambulance et à une répétition générale. Tout fut disposé comme cela serait en réalité : bureau des entrées, salles de pansements, d’opération des éclopés et d’évacuation".

Le 22 août, "le docteur Glénard fit dans la soirée une instruction très intéressante et que les infirmiers écoutèrent avec grand intérêt. Le sujet : l’asepsie chirurgicale en campagne".. On continue à "occuper les hommes" par des exercices de brancards et à "instruire nos infirmiers par des causeries et des exercices".

Le 29 août tombe l’ordre de mouvement vers Le Thillot dans les Vosges, où l’Ambulance arrive à une heure du matin, "ayant fait 50 km en 12 heures ; itinéraire : La Chapelle - Sonchamp - Auxelles-Bas - Mont saint Jean - Fresse - Ternay - Château-Lambert -Le Thillot les hommes ont été admirables d’entrain. Les chevaux ont bien résisté quoique certaines côtes aient été longues de 7 kilomètres et très raides ; aucun malade parmi les hommes ; les chevaux évidemment sont fatigués mais ceux qui étaient bien portants le sont restés ; deux ou trois éclopés devront être changés ; ils boitaient déjà depuis longtemps".

Après une séjour au Thillot "sans aucun incident et sans rien qui vaille la peine d’être noté", le 3 septembre à 5 heures du matin, on poursuit jusqu’à la Bresse, à 18 km de là, sur la route qui conduit à Gérardmer. On atteint La Bresse à 9h 1/2 pour y cantonner en attendant de nouveaux ordres.

Il se rend ensuite à Remiremont où les ambulances sont inspectées le 12 septembre par le médecin inspecteur Chavane que Chabrol "n’avait pas revu depuis 1887" ; il le félicite pour "avoir fait travailler le personnel et l’avoir bien préparé au rôle qu’il avait à remplir". le médecin inspecteur lui témoigne "toute sa satisfaction"...(On sent bien ici que Chabrol recherche quelque peu la reconnaissance de ses supérieurs, ce qui est ma foi assez naturel).

Le 15 septembre, on part à Bruyères où hommes et chevaux cantonnent au quartier de Barbazan qu’il faut faire nettoyer de fond en comble par les sous- officiers de plusieurs ambulances.

Entre le 18 septembre et le 25 octobre règne un certain désœuvrement, mais "nous nous sommes ingéniés à faire accepter nos services", écrit le médecin chef Chabrol. Deux d’entre nous ont fait preuve de la plus grande volonté et se sont offerts pour aider le médecin de l’hôpital civil dans les soins qu’il donne aux blessés. Les autres ont assisté régulièrement aux visites de l’hôpital. J’ai eu à commander les formations sanitaires de Bruyères", écrit Chabrol, et il ajoute : "aucun incident notable. Rien qui vaille la peine d’être signalé : une idée de tristesse fréquente chez les gens inoccupés était la nôtre"...

Enfin, le 20 novembre 1914, l’ambulance 5/63 quitte Bruyère avec la mission de fonctionner à Bussang comme H.E. (Hôpital d’Évacuation).

On embarque à 6 heures du matin dans le train en gare de Bruyères et l’on arrive à 11 heures 30 à Bussang. Monsieur Valette, officier d’approvisionnement et Monsieur Jamot pharmacien aide-major s’y étaient rendus quelques heures plus tôt "en éclaireur" pour s’assurer du logement des chevaux.

Les infirmiers cantonnèrent à Bussang et les conducteurs du train et leurs chevaux dans les communs de l’hôtel des Sources. Le médecin-chef Chabrol visite Bussang où les bâtiments peu salubres et inadaptés ne le satisfont pas,
même si le médecin major Douillet qui dirige l’ambulance Alpine dans les baraquements semble quant à lui s’en contenter.
Chabrol avait visité le site des sources de Bussang en septembre et repéré les deux bâtiments de l’hôtel des Sources (bâtiment A et B). Le 21 novembre, il "réfléchi une partie de la nuit à la meilleure installation possible pour fonctionner comme hôpital d’évacuation à Bussang" et pense que c’est la meilleure solution et le fait d’être à 200 ou 1500 mètres de la gare n’a pas d’importance puisque les blessés sont transportés en automobiles.

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{L’Hôtel des Sources} à Bussang
Dans les bâtiments A et B, l’ambulance 5/63 s’installa à partir du 21 novembre 1914.
Elle reçut ses premiers blessés le 28.

Au petit déjeuner, il consulte ses camarades et l’on se rend tous à l’hôtel des Sources où l’on doit rencontrer le chef d’exploitation des eaux de Bussang.

Suit une description bucolique de l’hôtel et de son site :
"L’Hôtel des sources, écrit Chabrol, est située au milieu d’un parc de 15 hectares, sur la plate forme du promontoire du Bois de la Hutte (675 mètres) d’où l’on jouit d’une vue splendide sur la vallée et le cirque des montagnes. Il comprend deux bâtiments A et B réunis entr’eux par une galerie vitrée et aménagés pour une saison d’été". Il donne ensuite une description précise des deux bâtiments, qui lui paraissent utilisables sous réserve de régler les problèmes de l’eau (en hiver), du chauffage, du tout à l’égout et de l’électricité.
Sur ce dernier point, "depuis la déclaration de guerre, la société électrique, qui fournit le courant à la vallée de Bussang, et qui est à Cornimont, a cessé tout service et est en désaccord avec les diverses communes. De plus, la ligne est en mauvais état : beaucoup de poteaux sont renversés, des porcelaines (les isolateurs) cassées et les fils disparus par endroit"
 !

Le 22 novembre, Chabrol "confère" avec le maire de Bussang et le directeur de la société électrique et les met d’accord. Monsieur Valette, "notre dévoué officier d’approvisionnement" et 10 infirmiers aident le directeur de la société électrique qui manque d’ouvriers à remettre la ligne en état du Thillot aux Sources.
Le soir, une "surprise désagréable" attend Chabrol : l’hôtel est inondé, c’est "une vraie cascade du 3e au rez de chaussée ; le dégel était survenu dans la nuit et des tuyaux éclatés par l’effet des gelées précédentes l’eau jaillissait en abondance ; une pluie diluvienne ruisselait des plafonds sur les parquets, les lits, les meubles, etc." Le docteur Chabrol ajoute : "Que serait-il advenu si nous n’avions pas visité l’hôtel ce jour là ?"
Le plombier et les autres corps de métiers interviennent aussitôt et réparent peu à peu ces désordres. Le docteur Chabrol lui-même paye courageusement de sa personne et l’exprime (probablement) avec humour : "Je suis entré dans le calorifère avec l’ouvrier. J’en suis sorti couvert de suie et le noir dans l’âme" ...

Les cinq journées qui suivantes "se passent dans une activité fébrile et chacun aide selon ses moyens et sa compétence à l’organisation générale", puis "l’ambulance toute entière est installée dans la journée du 28, les fourneaux et les cuisines sont allumés et nous prendrons le soir notre premier repas à l’hôtel des Sources".

L’éclairage électrique fonctionne : le docteur Chabrol note que "la vallée de la Moselle depuis le Thillot jusqu’à Bussang et l’hôtel des Sources en profite et chacun sait qu’il est redevable de ce bienfait à l’ambulance 5/63".

L’ambulance dispose de 100 lits et de deux salles d’opération : "l’une pour les septiques, l’autre pour les aseptiques".
Chacun reçoit son poste. Chabrol désigne le docteur Chalier, médecin aide major, ancien chef de clinique du professeur Jaboulay de Lyon, pour assurer le service de chirurgie. Il sera assisté des aides-major Le Sourd, Laurent, Glénard.

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JMO de l’Ambulance 5/63, 27 novembre 1914.

"Le docteur Pageix, médecin aide-major me secondera pour le service de médecine". Le 28 novembre, l’ambulance 5/63 reçoit (enfin) ses deux premiers malades [2].

Les instructions sont précises :
- "l’ambulance 5/63 doit soigner sur place les blessés graves qui ne sont pas immédiatement évacuables ou qui ont besoin de subir une opération d’urgence, les malades graves et les contagieux.

  • "Les blessés évacuables et les malades qui ont besoin d’un traitement de 3 à 4 semaines seront évacués sur Remiremont.
  • "Les tout petits blessés, les fatigués seront retenus et renvoyés au front le plus vite possible". "Ma voie est tracée", conclut Chabrol.

Le 10 décembre, il note que "le nombre des blessés et malades a augmenté ces jours derniers et il est à prévoir qu’il augmentera encore avec la reprise des hostilités en Alsace vers Thann" et il augmente du même coup la capacité d’accueil des blessés en utilisant l’école maternelle.
Toutefois, il ajoute qu’il "ne pourra pas laisser longtemps la direction de l’ambulance alpine 2/74 au médecin-chef de celle-ci "qui ne paraît pas comprendre ou vouloir faire ce qui lui est demandé : soigner les blessés ou malade entrants, les classer ensuite en deux catégories, l’une, les guéris, à diriger vers l’avant, la seconde à évacuer.

Les jours suivants, soins et opérations se multiplient. Le 14 décembre, l’ambulance est menacée de ne plus avoir de lumière électrique car le chauffeur électricien doit quitter l’usine de Cornimont pour rejoindre son corps à Épinal. Chabrol intervient auprès du général gouverneur d’Épinal et le chauffeur reste à Cornimont.
Ensuite, le docteur Chabrol note avec satisfaction : "mes évacuations se font très régulièrement sur Remiremont et je réussi à force de prévoyance ni à laisser encombrer l’hôtel des Sources, où sont les blessés graves ni à évacuer ces derniers avant que leur transport soit possible sans danger ou sans fatigue pour eux".

Le 20 décembre, le conflit avec le médecin-chef de l’ambulance 2/74 s’aggrave et le docteur Chabrol s’appuie sur le docteur Pageix pour le régler.

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20 décembre 1914
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JMO de l’Ambulance 5/63
"La mauvaise volonté du médecin chef de l’ambulance 2/74 et d’autres raisons assez sérieuses m’obligent à confier le service de l’annexe de Bussang, l’École maternelle, au docteur Pageix médecin aide-major de l’Ambulance 5/63. Monsieur Valette, officier d’approvisionnement et 3 infirmiers le seconderont".

Du 25 au 30 décembre, le nombre des blessés augmente encore (470 blessés), mais on compte parmi les entrants un assez grand nombre de gelures des extrémités des membres inférieurs "chez les hommes venant des tranchées où ils sont restés 3 à 6 jours sans être relevés, dans la position debout ou assise, les pieds mouillés, les extrémités inférieures serrées par le brodequin et la bande molletière". "Cette compression continue par la bande humide, la chaussette et la chaussure mouillée amènent une gêne de la circulation. Le froid joue aussi un rôle qui s’ajoute à la fatigue et à la contrition de la jambe".
Chabrol souligne sur ce point qu’il a interrogé des prisonniers allemands qui lui ont affirmé "qu’il n’y avait pas de gelure dans leurs régiments car ils sont relevés des tranchées chaque jours et peuvent dormir étendus. Leurs bottes sont imperméables et ne compriment pas les extrémités inférieures".

Devant l’afflux des blessés et des gelures, le docteur Chabrol requiert l’aide du médecin chef Bessière qui dirige l’Ambulance Alpine 2/64 pour organiser les baraquements et l’infirmerie sur ses indications. C’est chose faite le 31 décembre, mais le docteur Bessière "eut beaucoup à faire pendant ces quelques jours où il garda le service des baraquements".

Du 1er janvier au 3 janvier 1915, les formations sanitaires de Bussang reçoivent 322 blessés.
Le 4 janvier, l’ambulance 2/64 quitte Bussang ; elle est aussitôt remplacée par l’ambulance 16/7, mais celle-ci est transformée en "dépôt d’éclopés" et Chabrol ne doit plus s’en occuper : "Je dirige maintenant, écrit-il, mes petits malades, mes fatigués les pieds gelés vers mes baraquements d’où ils sortent par guérison sur leurs corps ou bien sont évacués".
Le 5 janvier, il note "qu’il n’a plus sous sa direction immédiate que l’hôpital des Sources et l’école maternelle agrandie, où il peut percevoir 150 blessés".
Suite à sa demande, "l’ambulance 5/63 reçoit avec le plus grand plaisir Mr le Médecin Major de 1re classe Rémond de l’armée active. Il vient en chirurgie nous aider dans notre tâche". Du coup, il crée deux équipes chirurgicales.

Le 8 janvier, l’Ambulance 5/63 reçoit 177 blessés et doit en même temps procéder à l’évacuation de 207 blessés par train sanitaire. Il remarque : "Les trains sanitaires à jour fixe ont des avantages et des inconvénients : au point de vue de l’organisation des évacuations.
"Si les formations sanitaires peuvent recevoir et conserver quelques jours un assez grand nombre de blessés, tout en réservant des places aux nouveaux venus - c’est bien. Les blessés peuvent alors être évacués plus commodément assis ou couchés et immédiatement surveillés. Si au contraire les places manquent dans les formations ou installations sanitaires, on risque, en étant obligé d’attendre un jour fixe pour l’évacuation, un véritable encombrement ou pis encore l’impossibilité de recevoir les arrivants.
"Nous avons toujours échappé jusqu’ici à cette terrible mésaventure".

Du 25 décembre au 10 janvier, l’A.5/63 reçoit de nombreux blessé à la suite des combats livrés à Uffholtz et à la cote 425 : 169 entrants et 531 transités, dont 16 officiers ; on ne compte plus les amputations avec leurs complications habituelles.
Le 14 janvier, la section "Hôpital d’Enlèvement" H.E. 14 sous les ordres du médecin principal Licht arrive à Bussang et s’installe dans les locaux "aménagés par moi" à l’école maternelle ; "l’A.5/63 restant aux Sources ne s’occupe plus que des blessés ou malades".
"J’ai ainsi beaucoup plus de loisirs, note Chabrol, et je vais aménager plus complètement les hôtels des Sources et les transformer en un véritable hôpital destiné surtout aux grands blessés, à ceux qui ne peuvent être évacués immédiatement".
Il termine, un peu désabusé : "À vrai dire, il vaudrait mieux ne pas recevoir des malades et diriger ces derniers sur un autre point. Il ne me paraît pas logique de recevoir des contagieux, des érysipèles, etc. sous le même toit que les blessés. J’obéis aux ordre donnés"...

Les opérations chirurgicales se multiplient les jours suivants. Le 25 janvier, l’ambulance est inspectée par le médecin inspecteur Hassler du D.A.V. (Détachement de l’Armée des Vosges) qui visitent l’Hôpital des Sources tout entier et donne plusieurs conseils :
"- 1° Augmenter si possible le nombre de lits et en réquisitionner à Plombière de 60 à 100.
"- 2° Classer les blessés en blessés du crâne, poitrine, abdomen, ventre, membres.
"- 3° Il ne nous sera plus envoyé aucun malade. Nous ne recevrons que des blessés".

Enfin, le médecin inspecteur s’engage à faire des démarches pour que Madame la générale Hervé vienne de Saint-Dié à Bussang avec son équipe.
Le 26 janvier, en application de la première directive de l’inspecteur concernant l’augmentation du nombre de lits, le docteur Chabrol envoie à Plombière le docteur Pageix :

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Ordre de mission

Du 26 au 31 janvier 1915 : "J’envoie à Plombière un médecin aide-major le docteur Pageix réquisitionner les lits (60)"...

Le docteur Chabrol poursuit l’amélioration du confort de l’hôtel des Sources en faisant installer le 1er février le chauffage par de gros poêles à chaque étage du bâtiment A et du bâtiment B où il installe les fiévreux. On ne reçoit plus de malade à l’Hôtel des Sources, mais il reste les malades atteints de fièvre typhoïde à forme grave ou de affections sérieuses des voies respiratoires.

Le 3 février, l’ambulance 5/63 reçoit "une partie de l’équipe d’infirmières de la Société Française de Secours aux Blessés Militaires, Madame la Générale Hervé [3] est infirmière major", accompagnée de Mesdames de Chaulnes et de Miribel. "C’était un peu avant notre dîner et ces dames ont bien voulu le partager avec nous". On leur prépara "des chambres et une salle à manger dans le bâtiment A, aile gauche, 2e étage. Nos infirmières assistantes ont pris leur service le même jour". L’équipe des infirmière se renforcera, peu après, avec l’arrivée de Madame Lumière et de Mademoiselle Voisin.

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"Le Gaulois" du 17 décembre 1920

Les blessés continuent à affluer : ils proviennent des actions engagées à l’Hartmannsweilerkopf.

Le 9 février règne une certaine agitation, car on parle de la venue d’un personnage important et, le lendemain "vers onze heures des voitures sanitaires anglaise viennent se ranger devant l’Hôtel des Sources et s’aligner comme pour une inspection". À midi et demi le Président Raymond Poincaré arrive en automobile accompagné de monsieur Millerand, ministre de la Guerre, de plusieurs généraux, entre-autres le Général Putz, commandant le D.A.V., d’inspecteurs des services de santé militaire et de nombreux officiers. Le docteur Chabrol guide le Président dans sa visite de l’Hôtel des Sources et lui présente chaque chef de service et les assistants. "Le médecin inspecteur Hassler paraissait très content de la tenue générale et l’a manifesté par des compliments. La visite dura 3/4 d’heure environ".
Après le départ du Président, un avion français s’est montré au dessus du col surveillant l’horizon et la route du Président vers l’Alsace.

Tout au long du mois de février, l’accueil des blessé s’intensifie et les opérations chirurgicales se multiplient.
"Le 3 mars, écrit le docteur Chabrol, a été une pénible journée pour toute l’ambulance" : la nouvelle du départ des médecins Le Sourd et Laurent affectés à l’Hôpital de Bussang. Il ajoute : "Partis ensemble de Clermont où notre ambulance s’était mobilisée, nous avions toujours vécu dans la plus grande union et les camarades qui nous quittent emportent notre grande estime notre amitié et tous nos respects. C’est une partie de nous même qui se détache de nous" ! (on verra qu’il sera moins dithyrambique lors du départ de Georges Pageix...).

Le 4 mars, une bombe éclate à Bitchwiller ; lancée par un Taube, elle tombe sur une usine occupée par des hommes et des mulets de l’artillerie de montagne, faisant une vingtaine de blessés. Au mois de mars, les blessés en provenance de l’Hartmannsweilerkopf continuent d’affluer.

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Ordre de mutation
JMO de l’Ambulance 5/63, 9 avril 1915

Le 9 avril 1915, arrive l’ordre de mutation de Georges Pageix rédigé de manière lapidaire par le docteur Chabrol : "Par ordre du général D.E.S le médecin aide major de 1re classe Pageix passe de l’ambulance 5/63 au 46e alpin (trois médecins, Laurent, Reniaud, Pageix étaient venus de Clermont avec l’A5/63".

Cette mutation soudaine, à relier probablement à l’appréciation mitigé du médecin-chef qui avait loué jusque-là les compétences et le dévouement de son collaborateur reste pour moi une énigme...Une animosité soudaine, dont les causes m’échappent, serait-elle survenue entre les deux hommes, obligeant Georges Pageix à quitter l’ambulance ?

En effet, au cours de son séjour d’une année à l’Ambulance N° 5, Georges reçut des notes contrastées :
La première fut nettement élogieuse :
" 1915 (1er semestre) [4] : Mr le Médecin-Major Pageix Jean-Baptiste, chef de service. Esprit très cultivé. Très dévoué, a rendu de grands services à l’ambulance 5/63. Se dépense sans compter. Très grandes et solides qualités.
Très discipliné. Excellent médecin. Le médecin chef de l’ambulance 5/63", tandis que la deuxième fut plus nuancée :
"1915 (2e semestre) [5] : S’est montré ces derniers temps sous un esprit moins favorable, en étant moins discipliné, et en échappant à la voie hiérarchique. Ambulance 5/63. Le médecin-chef Chabrol"
.

Qu’était-il arrivé à Georges Pageix au cours de ce deuxième semestre de 1915 ? Quel facteur était-il venu ainsi modifier la perception de son travail jugé jusque-là sérieux et assidu ?

D’abord, la fin de son affectation à l’Ambulance N°5 étant le 5 avril 1915, date à laquelle il rejoindra le 46e Bataillon de Chasseurs, cette appréciation ne vaut donc que pour le semestre qui précède cette date : le premier semestre de 1915.

Ensuite, Georges Pageix, qui se mariera le 13 octobre 1915, avait probablement rencontré sa future épouse parisienne, Marie Robillon, au cours de quelques permissions passées dans la capitale, lieu de ses études et de son cabinet dentaire. Ceci peut expliquer un certain relâchement dans la discipline qui reste pour moi bien compréhensible !... D’ailleurs, cela constitue une exception, comme le prouvera son comportement au cours des événements qui suivront, où son engagement -on le verra- sera total, et plus qu’exemplaire.

Remarque : le temps qui fut nécessaire à l’Ambulance 5/63 pour s’installer durablement près du front, à l’hôtel des Sources, peut paraître excessivement long. En effet, elle ne commencera à exercer ses missions qu’à partir du 28 novembre 1914, soit quatre mois après la mobilisation !

Note sur le fonctionnement des Ambulances au début de la Grande Guerre

On ne doit pas s’étonner du temps qu’il fallut à l’Ambulance pour commencer à exercer ses missions après toutes ces allées et venues pour trouver enfin un emplacement durable à Bussang, près des lignes du front des Vosges.
Il est en effet connu que les services de santé dont l’organisation s’avéra inadaptée dès le début de la guerre mit un certain temps à trouver ses marques.
Ce fait est très bien évoqué dans l’ouvrage "La Grande Guerre racontée par les combattants" où l’on trouve [6] le témoignage de Pierre Rehm qui, même s’il force un peu le trait, n’en résume pas moins à lui seul toute la situation : "Ce n’est un secret pour personne que la guerre surprit le service de santé en voie de réorganisation : matériel encore inutilisé mais vieilli dans les magasins, fonctionnement soumis à de vieux règlements et de vieilles théories, tout était désuet, mesquin et cet état de vétusté ne fut pas sans alarmer les nombreux médecins civils qui accoururent dès l’appel de la mobilisation"...

Surmontant ce départ difficile, les services de santé s’organisèrent par la suite de manière efficace et s’améliorèrent dans le transport et le traitement des blessés.
En particulier, les ambulances hippomobiles furent remplacées par les automobiles aménagées pour les soins, y compris chirurgicaux. Les blessés recueillis sur les champs de bataille par les brancardiers sous la direction des médecins affectés dans les unités combattantes (régiments, etc.) étaient d’abord acheminés vers des postes de secours aménagés le plus souvent à la hâte près des positions.
Au niveau de ces unités, on avait aussi la charge d’enterrer les soldats tués dans des sépultures provisoires.
Après les premiers soins prodigués par les médecins et infirmiers du régiment ou du bataillon, les blessés et les malades transportables étaient ensuite acheminés vers les Ambulances divisionnaires situées à quelques kilomètres en arrière des lignes (telle la N°5/63). Ils y étaient soignés, opérés et "triés" entre ceux qui partaient pour les hôpitaux situés à l’arrière, et ceux qui pouvaient guérir sur place avant d’être renvoyés au front.
Les soldats évacués vers les hôpitaux de l’arrière étaient transportés dans des trains sanitaires. Par ailleurs, les médecins militaires étaient chargés de lutter contre les épidémies qui faisaient des ravages presque aussi meurtriers que les combats eux-mêmes ; ils mettaient à profit comme on le verra les périodes de repos en arrière des lignes, lors des relèves, pour procéder à des séances de vaccination. On a vu aussi que les services de santé avait une autre préoccupation : la protection contre les gaz asphyxiants.
On notera que l’hôtel des sources accueillait presque exclusivement des combattants du front des Vosges (Hartmanwillerkopf, etc) où Georges se fit muter en avril 1915.

Note sur les soins dentaires au XIXe siècle

Je me souviens que mon grand père Pierre Pageix nous racontait que dans sa jeunesse, un "dentiste" passait de temps à autre à Beaumont pour soigner les habitants du village. Sa venue était annoncée à grand cris par le garde champêtre, et l’on montait une estrade sur la place, où les patients se hissaient les uns derrière les autres. Le garde champêtre était requis de battre son tambour à chaque extraction pour couvrir les cris de douleur poussés par les malheureux qui subissait sans anesthésie le davier du "dentiste". On mesure évidemment les progrès réalisés en la matière depuis cette époque reculée, cette discipline, devenue une science, n’étant exercée désormais que par des chirurgiens ou des médecins comme Georges Pageix qui pratiquaient l’anesthésie (grâce à laquelle on put se dispenser des roulements de tambour !).


[1Ronchamp (Haute-Saône) est une petite ville minière où l’on exploite du charbon. Voir ma biographie de mon arrière grand oncle Eugène Cromarias ingénieur des mines : sa fille Germaine s’y est mariée en 1917 avec Charles Bureau dont le père était aussi ingénieur des mines et dirigeait les houillères de Ronchamp.

[2Voir note in fine : Le fonctionnement des Ambulance au début de la Grande Guerre

[3Michel Guironnet m’a aimablement communiqué cet article du journal "Le Gaulois" du 17 décembre 1920, qui évoque cette personne dont l’action auprès des blessés fut remarquable.

[4Cette note doit valoir pour le deuxième semestre de 1914.

[5Même remarque : cette note se fonde sur la période du 1er semestre de 1915, puisque Georges Pageix avait quitté l’Ambulance N°5 dès le 5 avril 1915, pour rejoindre le 46e Bataillon de Chasseurs. Il n’est pas non plus impossible que le notateur de Georges l’ait pris en grippe, mais pour quelle raison ?

[6Tome 2, page 389, Quillet, 1922

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