Des 6 enfants d’Etienne Maurice Gottofrey et Marie Agnès Pernet, Adrien est le dernier à prendre femme. Sur les traces de son frère aîné Auguste demeuré célibataire, il était bien parti pour rester vieux garçon à 47 ans. Par bonheur il a trouvé l’âme sœur dans le village voisin, Angèle Gret une fille de 24 ans habitant aux Sciernes d’Albeuve. L’abbé Etienne Limat, alors curé de la paroisse, bénit leur union le 26 février 1892. En cette fin d’hiver, le thermomètre affiche entre 2 et 4 degrés, alors que les jours précédents le mercure ne dépassait guère 0° C. On imagine que les cloches de l’ancienne église ont sonné à toutes volées pour fêter l’événement.
- Ancienne porte de l’église de Montbovon (Musée gruérien de Bulle)
Elles ont sonné aussi pour le compositeur français Ernest Chausson [1] , familier des lieux où il revenait chaque année depuis 10 ans ; " … Sensible à l’esprit du lieu, Chausson s’est certainement nourri des odeurs, des couleurs et des bruits de l’endroit. N’avait-il pas soigneusement consigné dans un de ses carnets qui ne le quittait jamais le chant des cloches de l’église de Montbovon… " [2]. Dieu seul sait s’il a croisé Adrien sur les sentiers d’alpage ou les bords de la Sarine
- Aquarelle de Jean Joseph Combaz (Archives paroissiales de Montbovon, registre des mariages de 1801)
Le ménage s’installe dans la maison provenant de l’héritage familial , au bord de la route cantonale et à côté de la fontaine des Pernet. Je l’appelle ainsi à cause de son origine mentionnée dans un acte de Jean Joseph Comba [3] "Le père Pernet transmet à son dit fils François … la lettre d’acquisition de la fontaine que le village de la Joux fit des ancêtres du dit Pernet père".
- La fontaine des Pernet
Les années passant, la famille d’Adrien s’agrandit ; en juillet 1895 Angèle met au monde un garçon Jules Henri et l’année suivante une fille Marie Rosalie. Comme nous l’avions déjà évoqué, cette époque est marquée par les grands travaux qui animent la Haute Gruyère. Ainsi depuis une dizaine d’années déjà la construction d’une nouvelle église est à l’ordre du jour des discussions du conseil de paroisse ; avec l’élection de jean Gillet comme président, le projet est sérieusement repris en main. Les plans définitifs de la nouvelle église sont ratifiés par une assemblée paroissiale extraordinaire le 17 mars 1895. Et bien entendu la famille Gottofrey apporte sa quote-part aux différentes souscriptions.
Justine Gottofrey, épouse Grangier | 30 francs |
Vincent Grangier, époux de Justine Gottofrey | 60 francs |
Etienne Gottofrey | 60 francs |
Charles Radice, époux de Victorine Gottofrey | 30 francs |
Rodolphe Pernet, époux de Philippine Gottofrey | 80 francs |
Alexandre Wicky, époux de Marie Pernet | 15 francs |
Adrien Gottofrey | 10 francs |
Auguste Gottofrey | 30 francs |
Bourgeois d’Echallens [4] mais habitant à Montbovon depuis près de 70 ans, Etienne Maurice Gottofrey a assisté à la transformation progressive de son village d’adoption, âgé de 85 ans il s’éteint au début du mois de février 1898.
- Les deux églises
C’est probablement au cours de cet hiver que l’on a pu observer cette image insolite des 2 églises de Montbovon [5] : l’ancienne qui a accompagné les ancêtres au cours des différentes étapes de leur vie (baptêmes, mariages, sépultures …) ; la nouvelle résolument tournée vers l’avenir et permettant d’accueillir tous les fidèles, auxquels "viendraient s’ajouter encore pendant la belle saison les étrangers catholiques en séjour dans la localité ou le pays d’En-haut".
Adrien construit sa propre maison
Mais en 1900 Adrien va contribuer à la transformation de son village puisqu’il va faire construire sa propre maison. En 1884 lors du partage entre les six enfants Gottofrey, il avait hérité avec son frère Auguste d’une écurie avec grange, située juste derrière l’ancienne auberge de la Croix blanche (voir la photo et le commentaire plus bas), autrefois relais des diligences. Et sans doute fortement marqué par le début d’incendie de la maison de sa sœur Justine, souhaitait-il une habitation en dur pour abriter sa famille. Le devis établi à cette époque s’élevait à 4095 francs suisses, mon cousin en a soigneusement conservé la trace.
- L’ancienne église et en dessous l’ancienne écurie avec grange des Gottofrey
Journal La Gruyère du 09/11/2002
- La nouvelle église et la maison d’Adrien Gottofrey
- Maison d’Adrien aujourd’hui
Ancienne auberge de la Croix Blanche
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Sitôt installée dans sa maison nouvellement construite, la famille Gottofrey s’agrandit, d’abord avec un garçon prénommé Léon en juillet 1900 puis 2 jumelles, Rosalie et Hélène en avril 1907. Entre temps, le 27 mai 1906, Henri le fils aîné reçoit la confirmation des mains de l’évêque de Genève et Lausanne. Mgr Deruaz [7]n’était pas revenu à Montbovon depuis 1898, lors de la consécration de la nouvelle église.
Adrien était agriculteur mais vivotait et son emploi de postillon entre Montbovon et Gstaad permettait d’arrondir les fins de mois. Hélas il n’a pas profité longtemps de sa maison car il décède quelques jours avant l’éclosion du printemps 1910, âgé de 65 ans et 2e de sa fratrie. La vie va reprendre son droit malgré tout, plus dure sans doute pour Angèle sa veuve, même si Henri l’aîné qui aura bientôt 15 ans peut prêter ses bras pour les travaux agricoles.
L’avènement de la fée "Électricité"
Mais revenons quelques années en arrière, nous avions déjà parlé de la construction de l’usine électrique, qui va bientôt alimenter toute la vallée de l’Intyamon. Elle fournit l’énergie à l’usine de carbure de calcium voisine. Quelques jours avant l’an 1900, l’église paroissiale Saint Grat de Montbovon est éclairée à l’électricité [8], pour cette petite commune de la Gruyère, vous vous en doutez bien, c’est un événement.
- (Collection personnelle)
Chaque automne dans toute la Gruyère on fête la Bénichon, [3] celle-ci est relatée dans la chronique gruérienne du journal La Liberté : "La Bénichon de la montagne bat son plein depuis dimanche … La semaine dernière a été marquée par la descente des troupeaux. Ceux-ci sont généralement en bon état. On sait que la Saint Denis, soit le 9 octobre, est la date extrême de la descente de l’alpage. Bien en a pris, du reste, aux braves bêtes, car la neige les a suivies de près, samedi matin elle blanchissait les sommets et saupoudrait les montagnes jusqu’au pied " [9]. C’est l’occasion de nombreuses manifestations, comme en octobre 1912 où les jeunes filles de Montbovon donnent des représentations théâtrales. Au programme "La folle au papillon bleu" et "Le rêve de Suzette" [10] .
L’année suivante la famille Gottofrey accompagne Auguste, frère aîné d’Adrien, à sa dernière demeure. Comme je l’avais évoqué dans le précédent article, mon père a fait à cette occasion sa première visite à Montbovon, accompagnant mon grand-père qui venait régler là les questions de succession.
La Bénichon, une fête populaire
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Mais bientôt l’Europe allait s’embraser dans la première guerre mondiale. Quand Berne apprend que l’Allemagne a proclamé l’état de guerre, le conseil fédéral décrète le jour de la fête nationale suisse la mobilisation générale pour le 3 août. Tout en réaffirmant son attachement au principe de neutralité [13], la Suisse mobilise son armée forte de 250 000 hommes afin de défendre ses frontières. La neutralité est d’autant moins évidente que la population est divisée, la Suisse alémanique ne cache pas ses sympathies pour l’Allemagne, même pas le général suisse Ulrich Wille qui est élu chef d’État-Major pour la durée de la guerre, tandis qu’en Suisse romande on est favorable à la France.
Le 4 août, tout ce que le canton de Fribourg compte de soldats d’élite converge vers la capitale. Et le spectacle de ces soldats coiffés de leurs képis qui marchent vers leur lieu de rassemblement, après avoir consulté les affiches de mobilisation, a quelque chose de troublant. A l’angoisse du soldat qui entre dans une aventure dont il ignore l’issue, s’ajoute l’inquiétude des femmes qui doutent de l’avenir.
C’est ainsi qu’au début du mois d’octobre 1914, Henri Gottofrey est mobilisé comme fusilier dans la 3e compagnie du bataillon 14. Mon cousin se souvient qu’il y avait dans le galetas de la maison de famille le képi et le sac militaire de son père.
Bref historique du Bataillon 14
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Sur les instances du Vatican, du roi d’Espagne et de la Croix-Rouge internationale, des pourparlers ont lieu entre belligérants et neutres portant sur la possibilité d’interner des prisonniers des deux camps en Suisse. Un accord est réalisé le 15 janvier 1916 et ainsi au 1er août 1916, 11 689 militaires et civils français, 3 628 allemands se trouvent internés en Suisse dans des conditions de séjour plus satisfaisantes, sous la responsabilité du médecin colonel helvétique Hauser. À Montbovon ce sont des français, 36 sous-officiers et soldats, de même qu’à Grandvillard, village voisin, tandis qu’à Château d’Oex ce sont des anglais [18] [19].
En raison du conflit, les puissances européennes engagent une guerre économique dont le but est de couper les approvisionnements de l’adversaire. La Suisse en est lourdement affectée, car pour faire tourner son économie et nourrir sa population, elle a besoin du fer et du charbon allemand ainsi que des denrées alimentaires et d’autres matières premières fournies par les Alliés. Elle doit soumettre son économie à un contrôle total, pour éviter que les produit livrés par les uns soient transformés en matériel de guerre pour les autres ! La Suisse jongle avec les exigences des deux camps rivaux mais doit leur abandonner une partie de sa souveraineté économique.
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Liens :
Sources :
- René Gottofrey, petit-fils d’Adrien
- Sylvie Gottofrey, arrière petite-fille d’Adrien
- Bibliothèque du musée gruérien de Bulle
- Archives de l’Etat à Fribourg
- Archives paroissiales de Montbovon