Soeur cadette de Stéphanie, Claudine Victorine naquit à Montbovon dans la froidure du mois de décembre 1839. Mais contrairement à sa soeur aînée elle va rester au pays. A 24 ans elle épouse un gruérien de Villars-sous-mont, qui a 25 ans de plus qu’elle. Elle aura cinq filles avec Louis Jude Ecoffey, fils d’un des derniers gardes suisses de Louis XVI [1].
- Louis Jude Ecoffey, 1er mari de Victorine Gottofrey (photo prise en 1870)
Les ouvriers italiens logent chez Victorine
Mais revenons en arrière, j’avais oublié de vous reparler de la maison où mon arrière grand-mère avait séjourné en novembre 1870, au moment du recensement, et où sa soeur habitait aussi avec sa famille. Deux mois plus tard Victorine récupérait la totalité de la maison, sa tante Mariette Pernet, qui venait de décéder, lui léguant par testament l’étage supérieur [2].
Queques années plus tard, elle logera quatre ouvriers italiens, tous mineurs ou terrassiers [3], dont un certain Charles Radice, beau garçon de 26 ans, originaire de Busto-Arzizo dans la région de Milan. Devenue veuve neuf mois après la naissance d’Adélaïde sa dernière fille, elle se remarie un an plus tard avec le bel italien. Il lui donnera un fils unique Emile.
- 19 place Bellecour : Sidonie et Marie Pauline Ecoffey rejoignent Louis Vessot
Des cinq demoiselles Ecoffey, deux émigrent vers la France en 1894, Sidonie et Marie Pauline vont rejoindre Louis vessot veuf de leur tante Stéphanie, à Lyon au 19 de la place Bellecour. Marie Pauline prend pour mari un certain Louis Rochefort, le 26 février 1898 à Brignais dans le Rhône. Sa soeur Sidonie, qui a été témoin lors du remariage de Louis Vessot, épouse Jean Jeandet le 25 janvier 1906 à la mairie du 6e arrondissement de Lyon. Je ne sais pas si mon grand-père Nicolas Vessot voyait souvent ses cousines germaines, mais toujours est-il qu’il habitait non loin d’elles, 34 cours Vitton dans le quartier des Brotteaux. En effet les Jeandet tenaient une laiterie 48 rue Tronchet, parralèle au cours vitton, et les Rochefort logeaient 55 rue Magenta sur Villeurbanne.
Les trois autres filles Ecoffey restent dans le canton de Fribourg. Marie Stéphanie est la première à se marier à Montbovon, le 15 novembre 1886 avec Michel Stempfel, originaire de Brünisried dans la partie allemande du canton où ils vont s’installer quelques années plus tard. Aline épouse Alphonse Bulliard, instituteur à Givisiez, qu’elle va seconder dans sa tâche éducative. Adélaïde, la benjamine, demeure à Montbovon où elle va s’unir en 1901 à Guido Piazza, ouvrier italien originaire de la province de Parme.
j’avais évoqué dans la 1re partie les raisons de l’émigration suisse vers la france, je voudrais montrer là un renversement de tendance dans les mouvements migratoires ; ... dans les années 1888-1900, l’immigration supplante désormais l’émigration du fait des besoins en main-d’oeuvre de l’économie suisse [4], notamment l’immigration italienne en Haute Gruyère.
Montbovon ressemble à un grand chantier
Ainsi le Journal de Château-d’Oex parle des chantiers de Montbovon : Le paisible village de Montbovon ressemble à un grand chantier. On y construit une église neuve et l’on fonde près de la Sarine, la nouvelle usine pour la lumière électrique. Le marteau des tailleurs de pierre répond aux coups de mine des terrassiers ; et l’on entend plus parler italien que patois. La nouvelle église sort de terre en de beaux moellons de marbre taillés et ciselés, qui annoncent un brillant édifice, destiné à remplacer l’ancien , trop petit ... L’usine électrique de MM Genoud et Cie éclairera toute la rive droite de la Gruyère, la ville de Gruyères, la Tour de Trême, Romont et même Payerne, ... Plus tard, la grande usine, destinée à fournir la force motrice pour les tramways, sera construite en amont et ira chercher l’eau à la Tine au moyen d’un tunnel de 2 700 mètres. Voilà qui promet pour l’avenir de Montbovon [5].
Le résultat d’un travail de dépouillement de papiers effectué par la police cantonale indique que le nombre d’italiens établis ou séjournant dans le canton en 1900 est de 2012, dont 875 pour la seule Gruyère, la plupart travaillant comme ouvriers aux chantiers de Bulle, Broc, Montbovon ... et sont occupés aux travaux du chemin de fer Châtel-Bulle-Montbovon ... [6].
Après le labeur les festivités
Ces chantiers sont occasions de festivités, tant pour le début des travaux que pour les inaugurations. Ainsi en est-il le 24 mai 1898 pour la consécration de la nouvelle église de Montbovon, ... Le village de Montbovon avait été gracieusement orné pour la circonstance, et deux arcs de triomphe s’élevaient, l’un à l’entrée du village avec cette inscription : Pontife auguste et saint, bénissez en ce jour vos enfants réunis dans la joie et l’amour ; l’autre à l’entrée de l’église. La paroisse entière avec le clergé du décanat [7] a pris part à cette fête religieuse ... [8]. Il est à noter que les paroissiens ont largement participé au financement de la construction de leur église, ... nous croyons ne pas nous tromper en parlant d’une dépense de 120 000 francs ... La paroisse s’est montrée d’une générosité admirable, puisque sur la somme ci-dessus, 102 000 francs environ, produit de souscriptions volontaires, ont été acquittés jusqu’ici [9]. Un nouvel orgue va émettre ses premières notes au cours d’une concert donné lors du deuxième dimanche d’avril 1901 [10], dans l’église de Montbovon flambant neuve.
Voir l’ancienne église de Montbovon vers 1895
- Le premier train de Montbovon
Pour le chemin de fer de la Gruyère, c’est la même chose, on inaugure le début des travaux. La fête commence par une double cérémonie religieuse : la messe à l’église paroissiale et la bénédiction des travaux. La population entière assiste à la messe avec les délégués et invités ... Le révérend curé de Villars-sous-mont récite les prières liturgiques et fait l’aspersion d’eau bénite. Cérémonie très impressionnante, suivie d’une salve de coups de mine tirés en l’honneur des invités ... Vingt coups de mine partent successivement, répercutés par les échos d’alentour ... [11].
Le percement des tunnels sur la ligne Montreux-Oberland-Bernois est aussi un moment important ; Charles Radice y travaille en tant que maçon. Celui de la Tine est achevé le 23 août 1900, il mesure 3 km de long. Celui de Jaman à la fin du mois de juillet 1902. Il a été percé 1300 m du côté de Montreux et 1050 m du côté de Montbovon. Le premier coup de pioche avait été donné en 1899 ... [12]. Et bien entendu l’événement est encore fêté comme il se doit, réception et dîner.
Le chemin de fer de la Gruyère est inauguré le 22 juillet 1903, dans chaque station traversée par le train c’est la fête ... Enfin, halte dernière ! Nous sommes à Montbovon. Un plantureux banquet nous réunit sous le toit d’une fraîche cantine, près de l’hôtel du Jaman. Le service est organisé par Mme Reymond, hôtelière [13]. Quant au 3e tronçon du Montreux-Oberland-Bernois "Montbovon-Château d’Oex", son inauguration aura lieu un an plus tard le 18 août 1904 (voir la photo ci-dessus).
- Famille de Victorine Gottofrey épouse Radice (photo prise vers 1905)
Victorine et sa famille ont traversé cette période faste qui a permis de retenir les habitants de Montbovon au pays. La population culmine à 611 personnes en 1900 [14] selon les recensements fédéraux. Sur la photo prise devant leur maison, on peut reconnaître debout (de gauche à droite) Charles Radice, Victorine Gottofrey épouse Radice, Marie Pauline Ecoffey épouse Rochefort, Sidonie Ecoffey, et assis Adélaïde Ecoffey et Guido Piazza.
Une fratrie rassemblée
La fratrie des enfants Gottofrey, Stéphanie en moins, est relativement rassemblée à la Joux, nom du bourg principal de Montbovon. Sa soeur Justine réside quelques maisons plus loin, en 1898 elle a été victime d’un début d’incendie [15], comme cela était fréquent à cette époque. Elle a eu cependant plus de chance que les habitants de Neirivue dont le village a été complètement détruit par le feu en 1904.
- Montbovon, les rochers de Nays et la dent de Jaman (à droite et en dessous de l’église, maison d’Adrien Gottofrey)
De l’autre côté, en dessous de la route cantonale et non loin de l’usine hydroélectrique, il y a les habitations de sa soeur Philippine et de ses frères Auguste et Adrien. Ce dernier a construit sa maison en 1900 sur l’ancienne écurie provenant de l’héritage familial [16]. Il est agriculteur mais fait aussi fonction de postillon entre Montbovon et Gstaad [17].
Mais le malheur va s’abattre sur Victorine, sa fille Marie Stéphanie décède en 1906 à l’âge de 38 ans, après avoir accouché d’un enfant mort-né. Deux ans et demi plus tard c’est son gendre Michel Stempfel. Ils laissent 11 enfants vivants, dont certains en bas âge. Aline et Alphonse Bulliard, qui n’ont pas d’enfants, vont élever Jeanne et Sidonie Stempfel [18]. Sidonie Ecoffey, citée plus haut, élève avec son fils Félix son neveu Raymond Stempfel devenu orphelin.
- Victorine Gottofrey épouse Radice devant l’école de Givisiez en 1928
Victorine voit ensuite partir ses 2 frères, Pierre Adrien en 1910 père de 5 enfants dont 2 jumelles de 3 ans et Auguste en 1913 resté célibataire.
C’est justement en 1913 que Nicolas Vessot vient à Montbovon avec son fils Stéphane, probablement pour régler les problèmes de succession après le décès d’Auguste. Il est donc fort probable que mon père a rencontré à cette occasion ses grandes tantes Victorine, Philippine et Justine, et ses nombreux cousins. Détail amusant que je réalise aujourd’hui, il est resté plusieurs traces de sa visite à Montbovon. Tout d’abord un écureuil roux naturalisé que j’ai toujours vu sur sa bibliothèque ; puis une timballe en aluminium gravée avec l’inscription "Souvenir de Montbovon" que je conserve précieusement. Et enfin je me souviens de morceaux de carbure de calcium trouvés dans l’atelier de mon père et avec lesquels, étant adolescents mon frère Jacques et moi, nous observions la production d’acétylène au contact de l’eau. Ils provenaient de la fabrique qui fonctionnait à cette époque près de l’usine hydroélectrique.
De sa fratrie, Victorine décède l’avant-dernière, âgée de 89 ans ; elle a eu 28 petits-enfants et certainement la descendance la plus nombreuse des 6 enfants Gottofrey.
Sources :
- Archives de l’état à Fribourg
- Registre foncier de Gruyère à Bulle
- Dictionnaire historique de la Suisse
- Informations sur Montbovon et sur la famille Gottofrey données par René Gottofrey, petit fils d’Adrien
- Photos et informations communiquées par Patrice Leconte, arrière petit-fils de Victorine
- Informations sur Sidonie Ecoffey fournies par Gilberte Eloy, arrière petite-fille de Victorine
- Cartes postales (collection personnelle)
Liens :