- François-Henri Maret, dans les années cinquante
Son père
La mobilisation de 1914
En 1914 Henri Maret, père de trois enfants, Jeanne, François-Henri et Marcel-Paul, est âgé de trente-sept ans et exerce le métier de voiturier à Lyon. Lorsqu’il est mobilisé le 2 août, il est incorporé au 111e Régiment Territorial d’Infanterie réservé aux hommes âgés de trente-quatre à quarante-neuf ans. Au vu de leur âge et de leur condition physique moins bonne ces soldats, intégrés à un régiment territorial, ne doivent pas être envoyés en première ligne. En théorie du moins. Et effectivement, dans un premier temps, ils sont employés à la surveillance d’un secteur de la frontière italienne.
Le départ pour la zone des armées et la mort du père au front
Mais dès la fin du mois de septembre, le 111e R.T.I. se met en ordre de marche et part pour la zone des armées. Au début du mois d’octobre dans le secteur de Soissons, il intègre une division de réserve composée normalement d’hommes âgés de vingt-quatre à trente-trois ans… Il faut dire qu’à ce moment-là, les pertes humaines sont déjà importantes pour l’armée française.
Toutefois, le 111e R.T.I. n’est alors plus au complet : quelques jours auparavant le 29 septembre, cinq officiers et six cent cinquante-sept hommes -dont Henri Maret fait partie- organisés en deux compagnies se rendent dans la Somme et intègrent le 3e bataillon du 52e Régiment d’Infanterie. Ce régiment présent près de Lihons depuis plusieurs jours a subi de nombreuses pertes au point que son 3e bataillon a été supprimé. Après plusieurs jours d’arrêt et de repos, et après la reconstitution de ce bataillon, le 52e R.I. se remet en marche et occupe Lihons et ses alentours. Quelques compagnies s’installent dans les tranchées alors que deux divisions ennemies approchent. Le 31 octobre dès six heures du matin et pendant plus de trois heures, Lihons est violemment bombardé. Puis les combats font rage dans le village même où des Allemands ont pris position dans les maisons d’où ils peuvent tirer sur les tranchées.
Ce même jour, le 2e classe Henri Maret du 52e R.I. meurt des suites de ses blessures au combat. Le 52e R.I. tiendra bon jusqu’au 2 novembre pour barrer la route aux deux divisions allemandes : il réussira mais perdra six cent dix hommes et dix officiers. Henri Maret est « mort pour la France ».
- Fiche extraite du site memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr
Henri Maret, né le 22 avril 1877 (74 – Haute-Savoie), mention : mort pour la France.
Le fils
Orphelin de guerre…
François-Henri Maret a cinq ans lorsqu’il devient orphelin de guerre.
Sa sœur aînée jeanne est alors âgée de treize ans et son petit frère Marcel-Paul de un an. Sa mère Marie-Léonie Lioneton, âgée de trente-cinq ans et tisseuse de profession, se retrouve alors veuve avec trois enfants mineurs dont deux en bas âge. A l’issue de la Première Guerre Mondiale, elles seront au total six cent mille veuves de guerre en France. Suite à une loi du 5 août 1914, la famille modeste a sûrement bénéficié en premier lieu d’une allocation réservée aux familles dans le besoin des militaires mobilisés. Puis une autre loi permet aux veuves de guerre de percevoir une indemnité de réversion majorée selon le nombre d’enfant de moins de seize ans à charge.
… puis pupille de la nation
Le 27 juillet 1917, après plusieurs années de discussions parlementaires, la loi sur les pupilles de la Nation est votée : elle instaure un droit à réparations pour les victimes de guerre, orphelins ou bien enfants d’un homme blessé ne pouvant plus subvenir aux besoins de sa famille. Selon l’Office National des Pupilles de la Nation, en octobre 1921, sur 617 705 enfants adoptés par la Nation, 484 500 sont orphelins de père, ce qui était le cas pour François-Henri.
Le représentant légal de l’enfant, souvent la mère qui se voit attribuer dans ce cas exceptionnel la puissance paternelle, doit faire une demande d’adoption au tribunal civil de l’arrondissement de son domicile. Le 24 avril 1920, après avoir été saisi par Madame Lioneton épouse Maret et avoir examiné sa demande, le tribunal civil de Lyon accorde le statut de pupilles de la Nation à ses deux fils, François-Henri et Marcel-Paul Maret, âgés respectivement de onze et de sept ans. Selon la formule consacrée, « la Nation adopte les mineurs… ».
- Extrait du jugement du tribunal civil de Lyon rendu le 24 avril 1920 concernant la famille Maret. L’ensemble du document est tiré des minutes des jugements de la chambre du conseil, répertoire des Pupilles de la nation, conservé aux Archives départementales du Rhône, cote 2756W6.
Bien que le statut puisse être accordé aux enfants orphelins de guerre jusqu’à leur majorité, vingt-et-un ans à l’époque, l’aînée Jeanne âgée de dix-neuf ans n’en bénéficie pas : probablement parce-qu’ elle se marie en septembre de la même année et passe juridiquement sous la tutelle de son mari.
Le destin du jeune pupille
L’Etat aide ses pupilles d’abord financièrement avec un système de bourses, puis par le biais de formations et de placements en apprentissage. Malgré cela, la plupart des pupilles se sentent peu soutenus et surtout peu reconnus par la Nation, notamment parce-que le statut de pupille cesse à la majorité. Dans l’entre-deux-guerres, une forme de solidarité s’organise et des associations d’orphelins de guerre et de pupilles de la Nation voient le jour. En 1932, la Fédération nationale des Fils des morts pour la France voit le jour et en 1934, cette structure adhère à la Confédération Nationale des Anciens Combattants et Victimes de la Guerre (aujourd’hui Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre, ONACVG).
Dans les années Trente et en pleine crise économique, l’Etat essaie de prémunir les pupilles et orphelins du chômage et leur offre certaines catégories d’emploi : par exemple, selon une loi de janvier 1930, les postes de jeune facteur des télégraphes seront réservés pour moitié aux orphelins. François-Henri Maret en a t’il bénéficié ? Il est probable que oui : lui qui a fait sa carrière aux Postes Télégraphes Téléphones et travaille en 1942 à Lyon gare PTT.
Un idéal pacifiste, faisant écho à des années de difficultés matérielles et morales en l’absence du père, sera activement défendu et promu par les jeunes pupilles et orphelins. Nombre d’entre eux partent faire la guerre au nom de cet idéal : ils s’engagent dans les brigades internationales en Espagne. Beaucoup également prennent leur carte au Parti communiste, ce que fera François-Henri Maret au début des années Trente.
Je terminerai par une note personnelle. Je n’ai pas connu François-Henri Maret, mon grand-père maternel, qui est décédé alors que je n’avais pas encore deux ans. Ma mère m’a toujours dit qu’il n’avait jamais accepté que l’Homme puisse faire la guerre et que les États emploient les fils comme de la « chair à canon ». Au point qu’il ne voulait avoir ni fils ni petit-fils et en cela au moins fut-il exaucé.
Bibliographie et sources :
- Historique du 52e Régiment d’Infanterie pendant la guerre 1914-1918, Imprimerie Berger-Levrault, Service historique de la Défense, disponible sur www.gallica.bnf.fr , et - Historique du 111e Régiment Territorial d’Infanterie pendant la guerre 1914-1918, Imprimerie Berger-Levrault,
- Les fiches individuelles des soldats français morts au combat sont disponibles sur le site www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr ,
- Archives départementales du Rhône, minutes des jugements de la chambre du conseil, répertoire des Pupilles de la nation, côte 2756W1-21, 2756W6 pour les mois de janvier à juin 1920.
- O. FARON, Les enfants du deuil, orphelins et pupilles de la Nation de la Première Guerre Mondiale 1914-1941, Editions la Découverte, Paris, 2001,
www.onac-vg.fr
- Le site de l’auteur, Nadège Béraud Kauffmann, généalogiste professionnelle.