En quête d’illustrations inédites pour ma série d’articles sur les conscrits avant la Grande Guerre, je déniche une belle carte-photo des Roches de Condrieu. Thierry m’en fait cadeau. La recherche commence !
La carte du neveu
« Cher Oncle et chère Tante,
Je suis ici pour passer le conseil de révision. Mes parents vont très bien et me prient de vous envoyer leurs amitiés. Votre neveux Marcel Duchez ».
- le verso de la carte
La carte est adressée à « Monsieur Guillet-Duchet rue Sornay Tournus Saône et Loire ». Ce serait donc l’oncle paternel de Marcel.
A voir de près les cachets de la poste, la carte est envoyée des Roches de Condrieu, au sud de Vienne en Isère, et arrive à Tournus en... 1905.
Marcel Duchez écrit qu’il est aux Roches pour le "Conseil de Révision". Il fait donc partie du recrutement militaire du canton de Vienne-Sud pour la classe 1904. Pour ce canton et cette classe, le tirage au sort a lieu le samedi 21 janvier 1905 et le Conseil de Révision le mercredi 29 mars 1905.
Au dos, la belle photo d’un groupe de conscrits, les chapeaux ornés et leur numéro de tirage au sort bien en évidence sur leur veste.
- Conscrits des Roches de la classe 1904
- Marcel est, vraisemblablement, l’un de ces dix joyeux conscrits de la photo….Mais lequel ?
Dans notre prochain épisode, nous essaierons de retrouver les noms de ces conscrits.... et nous verrons que c’est à la fois simple et compliqué. Mais n’anticipons pas. Cherchons d’abord des informations sur l’expéditeur et le destinataire de cette carte.
L’expéditeur : Philibert Marcel Duchez
La table alphabétique de la classe 1904 [1] nous livre son numéro matricule :
- Table alphabétique pour 1904. Bureau de recrutement de Vienne
Né le 5 février 1884 à Lyon, Philibert Marcel est le fils de Louis Alexis Duchez et de Jeanne Louise Laganier.
En 1904, l’année de ses vingt ans, Philibert Marcel exerce la profession de « fourreur » et réside à Paris [2].
S’il est recensé aux Roches, c’est à cause du lieu de domicile de ses parents. Ils sont en effet habitant aux Roches de Condrieu, rue de la Traille en 1896 et rue du Péage, en 1901 et 1906 [3] :
- En 1896, Louis Alexis est chapelier, Jeanne Louise est brodeuse.
- En 1901, il est toujours chapelier ; elle est tapissière.
- En 1906, il est "chapelier chez Poncet", elle est ménagère.
Un peu de généalogie sur la famille Duchez [4]
Lorsqu’il naît à Lyon, les parents de Philibert Marcel habitent 139, route de Grenoble, dans le 3e arrondissement. C’est la future avenue des Frères Lumière (à l’époque ils sont moins connus) le 7e et le 8e arrondissement n’existent pas encore.
Louis Alexis Duchez, 25 ans, est "chapelier" et Jeanne Louise Laganier, 22 ans, est "lisseuse".
Les deux témoins en mairie sont Jean Baptiste Beloux, (profession ?), 30 ans, habitant 113 Grande Rue de la Guillotière, et Jean Pierre Burol, chapelier, 42 ans, habitant 92 route de Grenoble.
Louis et Jeanne Louise se sont mariés à Lyon 1er le 12 juillet 1883 :
- Louis Alexis Duchez est né à Tournus le 31 mars 1858 ; il est déjà chapelier et vit avec sa mère veuve, couturière 71 rue Montesquieu [5].
- Jeanne Louise Laganier est née à Lyon 4e le 17 décembre 1861 ; elle vit avec ses parents au 3 Montée Saint Sébastien (sur les pentes de la Croix-Rousse) ; son père Maurice est tisseur et sa mère, Félicité Vullierme, est, comme elle, "lisseuse".
Tous les témoins demeurent à Lyon :
- Alexis Louis Prautheaux, 55 ans, aubergiste au 5 et 7 rue de la Vierge.
- Etienne Méligot, 65 ans, tisseur, 9 Montée de la Grande Côte.
- Joseph Tron, 31 ans, tourneur, 29 rue d’Ivry.
- Félix Fossaté, 24 ans, fourreur, 36 rue Palais Grillet.
Les destinataires : l’oncle et la tante de Tournus
Rien d’étonnant que "le conscrit Philibert Marcel Duchez" écrive à Tournus maintenant que l’on sait que le père de Marcel, Louis Alexis, y est né. Ses parents sont Philibert Duchez [6] et Marie Claudine Audard. Ils se sont mariés à Tournus le 10 mars 1846. Lui est « ouvrier platrier » né le 24 novembre 1815, à Tournus ; elle est « ouvrière en robes » née à Lyon le 1er janvier 1828. Elle habite à Tournus avec ses parents « propriétaires et tonneliers » [7].
Comment retrouver des informations sur le destinataire de cette carte photo ?
J’ai deux indices :
- le nom Guillet Duchez. Ce doit être le nom de l’oncle marié à une tante de Philibert Marcel. Un oncle par alliance avec une tante du côté paternel.
- l’adresse : rue Sornay... Dans le recensement de Tournus pour 1906, je trouve bien la rue Sornay... mais pas de Duchez, ni de Guillet !
Le recensement pour 1901 est manquant. Dans celui de 1896, bingo !, rue Sornay sont recensés :
- "Guillet François, 44 ans, tailleur de pierres".
- "Ducher Annette, 43 ans, coiffeuse" son épouse.
- "Guillet Charles, 10 ans" leur fils.
J’ai retrouvé cette famille après quelques recherches dans les recensements et l’état-civil de Tournus [8] et dans les "tables des successions et absences" [9].
Je sais maintenant que François Guillet, tailleur de pierres, est né le 3 mars 1852 à Tournus. Fils de Philibert Guillet et Reine Blanchard, ses parents sont « voituriers ». En 1872, la famille Guillet habite rue de la Madeleine, non loin de la rue des Boucheries où vit la veuve de Philibert Duchez, Marie Claudine Audard, et ses quatre enfants : Pierrette, 21 ans ; Annette, 19 ans ; Louis, 14 ans ; Amélie, 7 ans.
François Guillet se marie le 18 novembre 1872, à Tournus, avec Anne Duchez. Née à Tournus le 5 août 1853, la fille de « feu Philibert Duchez et de vivante Claudine Audard » est couturière. C’est donc la sœur de Louis Alexis Duchez, époux de Jeanne Laganier, et la tante de notre conscrit des Roches !
Parmi les témoins de la jeune épouse : Jean Audard, 42 ans, « liquoriste » à Chalon sur Saône, oncle de la mariée ; et Jean Baptiste Duchez, 24 ans, « employé de commerce demeurant à Lyon » frère de la mariée.
En 1873, le 28 octobre, nait Philibert, leur premier enfant. En 1885, le 6 décembre, nait Charles Emile [10]. Ils habitent alors « rue des Boucheries ». Charles Emile meurt à 13 ans le 21 novembre 1899 ; ses parents habitent « rue du Midi » à Tournus. En 1906, le couple habite au 29 « rue de la République Midi » En 1911, ils sont au numéro 49 de la même rue.
François Guillet meurt "à son domicile" de Tournus le 26 janvier 1917. Anne Duchez décède le 5 mars 1921 à Tournus.
Que devient le conscrit Philibert Marcel ?
Philibert Marcel, à l’issue du conseil de révision, est déclaré « bon pour le service ».. Incorporé le 9 octobre 1905 au 99e régiment d’infanterie, au Fort Lamothe à Lyon, avec le matricule 7417, il arrive au corps comme soldat de 2e classe le même jour. « Musicien le 9 octobre 1906 » il est envoyé en congé le 28 septembre 1907, son « certificat de bonne conduite accordé ».
Le 25 mai 1910, Philibert Marcel fait porter sa nouvelle adresse sur son livret militaire : 96 rue Montesquieu (Lyon Guillotière).
Le 8 juin 1912, toujours fourreur mais maintenant à Lyon, il épouse à la mairie du 2e arrondissement Rose Tornet. Née à Rillieux le 28 août 1894, elle est la fille de Pierre Tornet et Antoinette Pin, « industriels » avec lesquels elle réside au 46 rue de Condé. A noter que Louis Alexis et Jeanne Marie, les parents du jeune marié, sont alors « épiciers à Givors »
Signent comme témoins :
- Joseph Tron, 60 ans, tourneur, 31 rue d’Ivry (Lyon Croix-Rousse) oncle (de qui ?).
- Joanny Laganier, 49 ans, industriel à Chavanay (dans la Loire, au bord du Rhône, quasiment en face des Roches) un cousin (du côté de la mère du marié).
- Jean Mermet, 47 ans, employé à Lons le Saunier (Jura) oncle (de la mariée ?).
- Hector Provent, 39 ans, industriel au 13 place Jean Macé (à Lyon, là où sera bâtie la mairie du 7e arrondissement qui vient d’être crée !).
Le couple s’installe en octobre 1912 au 21 rue Sébastien Gryphe, toujours dans le quartier de la Guillotière à Lyon. C’est là que naît leur premier enfant, Suzanne, le 15 avril 1913. Le grand-père maternel, Pierre Tornet, est présent en mairie avec son gendre. Il est « mécanicien » 46 rue de Condé. Egalement présent : Pierre Guy, 28 ans, « fourreur » au 19 rue des Trois Pierres, non loin de la rue Montesquieu et de la rue Sébastien Gryphe. Est-ce le « patron » de Philibert Marcel Duchez ?
La guerre approche... Mais c’est une autre histoire !
Pour lire la suite : "Les conscrits de 1904 aux Roches de Condrieu"