Des morts hors de l’ordinaire : un catalogue
La plupart des gens meurent « à la maison », « à leur domicile » ou « en leur demeure ». Impossible de voir dans quelle proportion ils y meurent de maladie mais ils n’y décèdent normalement pas de mort violente.
Rien n’oblige le rédacteur d’un acte de décès à préciser sa cause. Il le fait souvent – mais encore pas toujours – lorsqu’une enquête est obligatoire pour obtenir la permission d’inhumer.
Beaucoup de personnes sont « trouvées » « mortes », « décédées » ou « sans vie » sans que la cause soit précisée – elle n’est sans doute pas connue dans la plupart des cas. Assez nombreuses sont celles qui restent non identifiées. Cela ne facilite pas la tâche du généalogiste.
Maladies :
Mort subite parfois dite naturelle : apoplexie foudroyante, cérébrale ou sanguine ; coup de sang.
Maladie : maladie ; maladie ou fièvre putride, chaude ou contagieuse ; gangrène ou ulcère gangréneux ; pourpre ; maladie vénérienne ; indigestion ; suffocation par une toux ; croup ; variole ; épilepsie ; rage (un cas d’une femme mordue par un chien enragé) ; artériosclérose. Coma alcoolique.
Accidents « événements fâcheux » parfois dit « imprévus » ou « inopinés » et qui arrivent « par malheur » :
Accidents de carrière, argilière, sablonnière ou sablière par chute ou éboulement de matières ou de pierres. A Caumont, d’immenses carrières souterraines à la pierre très réputée génèrent de très nombreux accidents.
Accidents de circulation : de voiture, d’attelage, de charrette : une charrette verse, une voiture recule mal écrasant son conducteur, conducteur tombant de charrette, cheval emballé.
Noyades : en Seine responsables et de loin des morts violentes les plus nombreuses ; dans un ravin ; dans une rivière ; dans une mare ; dans l’étang d’un moulin ; dans un trou ; dans un fossé (de drainage des marais) ; dans les fosses d’une tourbière ; dans un baquet ; dans un puits.
Chutes : dans une cave ; d’un toit ; d’un arbre ; de l’étage d’une maison ; d’un navire en construction ; du grand mât d’un navire ; d’une falaise ; dans un puits.
Écrasement : sous les décombres d’une maison ; sous un toit ; un arbre qu’on abat ; sous un mulon ; sous une barrière.
Incendie : brûlé ; carbonisé.
Fauché par un train.
Coup de fusil accidentel.
Foudre.
Coup de pied de cheval.
Explosion d’un bateau à vapeur.
Broyé par la roue d’un moulin.
Mort « de froid et de misère ».
Suicide : trouvé suicidé ; pendaison (à une poutre d’une cave ou d’un grenier, dans la forêt – il est probable que de nombreuses « retrouvées sans vie en forêt » se soient en fait pendues, dans un navire) ; puits ; mare ; fusil ; pistolet ; noyade dans la Seine.
Faits de guerre pendant la guerre de 1870 (à Moulineaux et à la Bouille).
Homicide volontaire : par arme à feu ; fusil ; revolver ; couteau ; strangulation ; poison.
Morts violentes des jeunes
Sont considérées comme jeunes les personnes jusqu’à 16 ans.
La naissance est la première violence, pour l’enfant comme pour la mère.
« Etienne Tasserie chirurgien de la marine impériale en ce port a été requis de se transporter au domicile du sieur Louis Fresnay perruquier pour administrer les secours de l’art à Madeleine le Tac son épouse trouvée malade pour accoucher et aussitôt que les circonstances l’ont permis il a procédé à son dit accouchement et luy a extrait de la matrisse un enfant de sexe masculin qu’il a estimé être mort dans le sein de sa mère depuis au moins 15 jours vu que cet enfant est tombé en putréfaction au point qu’en sortant du sein de sa mère l’épiderme se rouloit sous les doigts » (Quillebeuf, 17 février 1812). Il est rarissime que les registres déploient un tel luxe de détails.
Les mort-nés sont incomptables. Les jumeaux et les triplés décèdent très généralement le jour même. Les frères siamois nés à Duclair en juillet 1801 ne survivent évidemment pas davantage. De nombreux décès à la naissance sont sans doute des naissances avant terme, des fausses-couches. Les mentions sont rares : « au cinquième mois de la conception » (Yville, 10 février 1839). Rose de Conihout, servante enceinte des œuvres de son maître Charles Nicolas Bocquet, accouche « au coin de la cheminée de la cuisine » d’un enfant « arrivé avant le terme ordinaire » (Jumièges, 4 décembre 1792).
Avant la Révolution, les enfants morts sans baptême sont enterrés « dans un coin du cimetière » (Hénouville, Vatteville-la-Rue, Yville), « dans le fossé du cimetière » (Le Landin), au « lieu ordinaire destiné aux enfants morts sans la grâce du baptême » (Jumièges). Le 2 février 1791, le curé de Saint-Nicolas-de-Bliquetuit inhume cependant dans le cimetière un enfant mort sans baptême. Dans la plupart des cas, l’ondoiement supplée au baptême et on fait tout pour y procéder : « tenue au catéchisme et ondoyée » (Vieux-Port, 13 août 1727) ; « ondoyé par le pied » (Quillebeuf-sur-Seine, 4 octobre 1738).
Certaines ne veulent pas garder le fruit de leurs entrailles. A Caudebec, c’est dans l’église « sur un banc enveloppé d’un linge lié d’une petite ficelle » que l’on trouve un petit corps sans vie (14 ventôse an 10) ; à Notre-Dame-de-Bliquetuit, c’est dans un puits (13 avril 1779) ; à Quillebeuf-sur-Seine dans une rivière (9 mars 1880). Mais c’est la Seine qui sert le plus ordinairement : 10 cas en ont été retrouvés. « Un enfant nouveau-né que l’eau avait jeté sur la berge de la Seine, ce cadavre étant entièrement défiguré le sexe de l’enfant n’a pu être reconnu et il était lié par le corps avec une grosse ficelle » (Sahurs, 17 mai 1869) ; « enveloppé d’une couverture de laine grise d’un vieux jupon et d’une vieille toile de paillasse le tout en très mauvais état et ficelé en forme de paquet » (Canteleu, 28 septembre 1885). Le plus jeune a quelques heures (Canteleu, 3 avril 1866). A Jumièges, le petit cadavre est encore « armé de son cordon ombilical » (13 août 1786).
L’ « accident » n’est pas toujours précisé, pas plus parfois que les « indices d’une mort violente ». Les jeunes semblent être moins la victime d’accidents que leurs aînés ; ils sont aussi moins nombreux. Les accidents des jeunes arrivent par l’imprudence de ceux qui en deviendront les victimes et/ou par l’inattention des personnes responsables.
Notre plus jeune accidenté meurt quelques heures après la naissance d’une « chute imprévue » ; son jumeau reste « plein de vie » (Caudebec-en-Caux, 21 janvier 1796).
Deux autres chutes : Marie Viger, 3 ans, meurt « à la suite d’une chute » : elle n’est pas morte sur le coup (Caumont, 28 avril 1792). Contrairement à Marie Crétot, 10 ans, « mort arrivée par chute extraordinaire » (Vieux-Port, 20 janvier 1732).
La noyade de jeunes enfants est souvent due à l’absence momentanée d’une mère ou d’une nourrice. « La femme Gosse quitta quelques instants seulement l’intérieur de la maison » et Marie Joséphine, 2 ans, se noie dans un baquet de la cuisine (La Bouille, 25 décembre 1839).
Trois très jeunes enfants, âgés de 2 ans tous les 3, se noient ainsi dans un « baquet de lessive ».
L’eau n’est jamais loin : « une mare au bas de la masure [1] » (Anneville-sur-Seine, 22 février 1794), « un fossé rempli d’eau proche la maison » (Saint-Aubin sur Quillebeuf ; 15 mai 1810), « un trou de la masure » (Jumièges, 17 mai 1794). D’où encore la noyade des jeunes enfants. Mais les adultes ne sont pas toujours loin. Le 22 février 1794, les enquêteurs trouvent Jacques le Blond, 4 ans, tombé dans une mare, « sur une table dans la cuisine [où on lui a] donné les secours que l’on donne aux noyés pour les rappeler à la vie » (Anneville-sur-Seine) ; l’enfant Côté, est retiré d’un fossé « après 5 à 6 minutes de submersion pour lui donner les secours nécessaires pour le rappeler à la vie » (Saint-Pierre-de-Manneville, 1er décembre 1796) ; toujours en vain, sinon on ne le saurait pas.
Jean Baptiste Mautin, âgé de 10 ans, occupé à garder des vaches, se noie dans les fossés d’une tourbière (Jumièges, 25 juillet 1769).
Dominique Martin, 4 ans, se noie dans la rivière de Bapeaume, un petit affluent de la Seine (Canteleu, 23 février 1793).
François le Marié, 6 ans, tombe dans un puits (Saint-Aubin-sur-Quillebeuf, 4 juillet 1739).
Les autres accidents sont plus rares.
Egalité Jeussin tient trop court un cheval qui s’emballe (Canteleu, fructidor an 12).
Jacques Abraham Bazin, 7 ans, est écrasé par une roue de charrette (Caumont, 22 septembre 1774).
Aimable Déplats, entraîné par le courant de la rivière Sainte-Austreberthe, est broyé par la roue d’un moulin (Duclair, 17 mai 1796).
Jacques et Honoré Delanoé, 8 et 10 ans, sont atteints d’un coup de pied de cheval à la tête lors de l’assemblée Saint-Gorgon (Saint-Martin-de-Boscherville, 11 septembre 1810).
Le mousse François le Baron, 15 ans, tombe du grand mât d’un navire et s’écrase sur le pont (Jumièges, 31 octobre 1773).
- Plaque longtemps scellée près de la cale de l’ancien bac de La Mailleraye
La noyade en Seine est, de loin, la première cause de mort violente. Les noyés sont retrouvés « gisant sur la rive » ou « flottant sur les eaux », parfois très longtemps après la chute à l’eau et ils ne sont pas tous identifiés. Comment le fils de François Molley, « submergé il y a environ 3 mois », peut-il être reconnu avec assurance ? (Quillebeuf-sur-Seine, 22 août 1779). On ne connaît donc pas souvent la cause de l’accident.
Notre plus jeune noyé est âgé de 1 an 10 mois. « Disparu dans les eaux du fleuve » le 27 juin il est retrouvé le 6 juillet 1892 (La Mailleraye).
Les « jeunes marins », « matelots » mais plus souvent « mousses », âgé de 11 à 16 ans, tombent en nombre de bateau. C’est par accident, rarement précisé. Jean Louis Amand Boissard, 11 ans, tombe du navire L’Aimée en changeant l’écoute de foc (Yville-sur-Seine, 10 août 1839). Pierre, 12 ans, qui a aidé au halage, tombe en Seine en jouant au bord du bateau de François Butlor (Hénouville, 3 juin 1786).
Beaucoup de riverains possèdent une embarcation même s’ils n’exercent pas un métier sur le fleuve. Guillaume Cotel, 7 ans, tombe du bateau de son frère (Barneville-sur-Seine, 27 mai 1771), le jeune Brière, 12 ans, du bateau de son père (Sahurs, 11 août 1797).
On se baigne à tout âge en Seine. Les marées ménagent de véritables plages mais on plonge aussi des quais et c’est depuis une barque que se baigne Henri Duclos (Le Grand-Quevilly, 2 juillet 1894). « Maintes fois, nous avons signalé le grave danger de se baigner en Seine où de multiples accidents sont toujours à redouter. Hélas ! ces avis ne sont généralement pas écoutés et, à chaque instant, sur le parcours de Caudebec à Villequier on voit des jeunes gens, ne sachant même pas nager, s’aventurer sur les bords du fleuve » déplore le journal Le Pilote du 24 septembre 1910. Les circonstances exactes ne sont jamais données.
On tombe de la rive.
Le cas de Jacques Louis Mauger, 5 ans, est exemplaire. Jacques Fircoq témoigne avoir croisé la femme Mauger « pleurant et cherchant son enfant, supposant qu’il pouvait être tombé à la rivière » : la disparition d’un enfant, chez ces riverains, fait aussitôt penser à la noyade. Inattention encore : « il ne s’est trouvé personne sur le lieu lorsqu’il est tombé à l’eau ». La solidarité s’organise, les voisins s’attroupent pour « aider à retirer le corps », avec râteau et épervier, mais il est « retiré du bord de la rivière sans aucun signe de vie » (Le Mesnil-sous-Jumièges, 25 juillet 1793).
Les masures bordent directement la rive. Charles Grouvel, 2 ans, a le « malheur de tomber dans la rivière de Seine au bout de la masure de défunt Jean le Roux située au marais » (Yville-sur-Seine, 11 août 1816).
Les chutes d’un quai dans la Seine ne sont pas rares.
Louis Chauvin, 2 ans, « est par malheur tombé à la Seine dans un moment où il était abandonné à lui-même » (Duclair, 25 septembre 1801) : l’explication est souvent la même.
Le 10 août 1829, le jeune Baudry, 10 ans, tombe à l’eau en embarquant sur un bateau à vapeur, qui doit être encore à cette date une grande nouveauté (Quillebeuf sur Seine).
Les enfants, c’est bien connu, sont joueurs. Le jeune Fosse court sur le quai de Quillebeuf et se prend les pieds dans une amarre (9 mars 1833). Les frères Alleaume ont la mauvaise idée de monter dans une barque et perdent l’équilibre en la poussant du quai ; deux personnes peuvent les sauver (Caudebec-en-Caux, 3 août 1912). Daniel Saunier descend les marches menant au fleuve et se penche pour récupérer une ficelle qu’il avait laissée tomber ; il n’aura pas la chance de ses précédents camarades (Caudebec-en-Caux, 30 août 1913).
Le jeune Emile Gontier, se lavant les pieds à la cale du bac, tombe du seau sur lequel il était assis (Heurteauville, 18 juillet 1914).
Suicides
Qui peut dire que Guillaume Hue trouvé dans une mare (Saint-Martin-de-Boscherville, 16 septembre 1773) ne s’y est pas jeté volontairement ? Qui peut dire que Pierre Vacher tombé d’une falaise (Saint-Aubin-sur-Quillebeuf, 11 juin 1808) ne s’en est pas précipité consciemment ? Qui peut dire que tel inconnu retrouvé noyé au bord de la Seine ne s’est pas suicidé ? Le doute vient forcément. On l’envisage constamment au Petit-Quevilly : « la mort ne pouvait être occasionnée que par accident ou désespoir » (et non crime). On veut parfois le nier : Clémence Letellier est victime d’un accident « étranger au crime et au suicide » (Norville, 24 août 1849) ; Isidore Lechien « a dû être victime d’un accident car jamais il n’avait manifesté d’idées de suicide » (Vatteville-la-Rue, 5 août 1911). On l’envisage parfois sans preuve : « on constata [que Charles Leclerc, retrouvé noyé] ne portait aucune trace de violence et que par conséquent cette mort devait être due à un suicide » (Caudebec-en-Caux, 20 juin 1891). Les témoignages ne sont pas sûrs : cet étranger est tombé en Seine « accidentellement disent les uns, volontairement disent les autres » (La Mailleraye, 9 août 1913).
Le suicide n’est jamais sûr non plus. La pendaison ne laisse généralement pas place au doute. Pour les noyés on est certain du suicide quand on trouve des effets laissés sur la rive (Caudebec-en-Caux, 16 juillet 1798), quand il y a un mot, même non signé, dans la poche (Bardouville, 6 mai 1897), quand « autour du corps est amarrée une corde avec une pierre » (Duclair, 23 juillet 1910). Tous ces cas sont rarissimes.
Les personnes tentées par le suicide ne passent pas tout de suite à l’acte et émettent des signaux d’alerte. Achille Leclerc « déjà en 1881 avait manifesté l’intention de mettre fin à ses jours », c’est seulement en juin 1891 qu’il met finalement sa menace en exécution (Caudebec-en-Caux, 20 juin 1891). Léontine Neveu, 26 ans, « avait déjà manifesté plusieurs fois l’intention de se suicider », elle se jette en Seine à Duclair et son corps est repêché à Caudebec (24 avril 1909).
- Il voulait se noyer, il s’est enlisé, entrefilet du Courrier Cauchois du 15 mai 2015
L’explication, facile, la plus donnée au suicide est la neurasthénie. Thomas Trubert connaît la misère (Grand-Couronne, 27 février 1845), Achille Leclerc, dénué de ressources, est déçu de ne pas recevoir un héritage (Caudebec-en-Caux, 20 juin 1891). Jean Baptiste le Ter, « poussé d’une fièvre chaude ou maligne » se précipite dans un puits (Saint-Aubin-sur-Quillebeuf, 1er décembre 1809), Charles Quinet souffre depuis longtemps d’une maladie incurable (Hénouville, 31 mars 1813). Denis Martin, pris d’un accès de folie, se jette en Seine (Bardouville, 10 septembre 1823) ; Alphonse Perdrix se pend, « sa raison s’égarait » (Jumièges, janvier 1904), coup de folie furieuse encore de Michael Virchst qui « avant de mettre son funeste projet à exécution avait lacéré au rasoir tous ses effets afin de les rendre inutilisables » (Vatteville-la-Rue, 31 mai 1913). L’état d’ivresse de Louis Beuque suffit-il à expliquer un geste désespéré (Hautot-sur-Seine, 26 mars 1893) ?
Le choix des candidats au suicide se porte en premier vers la Seine – au risque que leurs corps ne soient jamais retrouvés. Puis vient la pendaison - à domicile ou dans la forêt, et pour un cas dans un navire (Caumont, 8 décembre 1855) -, viennent ensuite la mare, le puits, le pistolet et le fusil.
On peut rater un suicide, même avec la meilleure volonté du monde. « Venu en permission à Caudebec, le soldat Louis Nys, 46 ans, avait tenté de se suicider en se coupant la gorge avec son couteau puis il s’était jeté à la rivière mais repris par l’instinct de conservation il avait réussi à s’en tirer » (Caudebec-en-Caux, 14 septembre 1918).
Religion et clergé dans les inhumations de noyés
Il s’agit, bien sûr, de la religion catholique, apostolique et romaine. Le curé, qui dirige la paroisse, tient le cimetière et rédige les registres dits paroissiaux, un vicaire, un desservant ou un chapelain encadrent les fidèles.
La découverte d’un noyé amène une enquête diligentée par la Vicomté de l’eau de Rouen à l’amont de notre zone, par l’Amirauté de Caudebec-Quillebeuf en aval.
Un noyé découvert, c’est le curé qui est prévenu sans tarder et c’est logique : c’est lui qui dans la paroisse s’occupe des morts. C’est lui qui envoie un exprès à l’autorité concernée. En l’attendant, il fait garder le corps – à prix d’argent est-il dit le 15 mai 1787 à Notre-Dame-de-Varengeville – pour que le flot ne l’emporte pas mais aussi à Bardouville le 4 juillet 1699 « de crainte qu’il ne soit mangé de quelque méchante bête ». Un avocat et un « chirurgien royal » se présentent généralement le lendemain. Le plus souvent, ils ne découvrent aucune « trace de violence » (Duclair, 22 avril 1790) et qu’il n’y a « d’autre cause à la mort que d’être suffoqué dans l’eau » (Barneville, 22 mai 1755). Ils rédigent parfois leur rapport au presbytère. L’inhumation est alors autorisée.
- Tombes de clandestins non identifiés noyés en Seine en 1995, à Villequier-Bébec
« Mandons et ordonnons à Mr le curé de donner la sépulture audit cadavre submergé » (Aizier, 6 juin 1786), « ce à quoi en cas de refus il sera contraint par toutes voies dues et raisonnables » (Quevillon, 22 juin 1780). L’enterrement se déroule alors comme un enterrement ordinaire même si c’est peut-être a minima : tout mort mérite respect, même réduit à l’état de squelette. Levée du corps « avec les cérémonies accoutumées » (La Mailleraye, 8 mars 1777). Convoi du lieu de découverte à l’église, « une lieue et demie par un chemin pénible » gémit le curé de Notre-Dame-de-Varengeville le 15 mai 1787. Office avec sonnerie de cloche. Inhumation dans une fosse. Le noyé inconnu trouvé à Ambourville le 14 septembre 1768 est enterré « dans le cimetière du côté gauche de l’église à environ 15 ou 16 pieds de distance de ladite église enveloppé dans un suaire ».
Beaucoup de noyés ne sont pas identifiés, les autres ont parfois été emmenés loin de leur paroisse. Les noyés ont ainsi rarement de leur famille à leur inhumation. Des membres du clergé ou des personnes de bonne volonté proches de l’église fournissent alors les 2 témoins réglementaires à toute inhumation. Certains, comme Georges Despars, sacristain à Duclair, René Hardy, clerc au même endroit, ou Bruno Cottard, maître d’école à La Mailleraye, le font visiblement par habitude.
Un noyé est donc inhumé dans le cimetière, on lui donne « sépulture chrétienne » ou « ecclésiastique » sans se poser de question, sous son nom s’il est identifié – on parle alors de son corps – , sinon comme inconnu – un cadavre. C’est pourtant rarement que l’on découvre sur un cadavre une preuve de catholicité. « Un inconnu ayant un chapelet pour marque de catholicité » (Quillebeuf, 21 mai 1743), Paul Martin Bouvier a un certificat de baptême dans sa poche et est inhumé sous ce nom mais on s’apercevra finalement d’une erreur sur la personne (Bardouville, 22 août 1778) : voilà tout. Seul le curé de Quillebeuf montre quelque réticence : « un jeune homme submergé après qu’on aura attesté de sa catholicité » (7 janvier 1741). Un noyé peut pourtant toujours s’être suicidé. Même un nouveau-né encore muni de son cordon ombilical non ligaturé découvert dans la Seine est inhumé dans le cimetière (Jumièges, 13 août 1786) alors que les enfants morts sans baptême sont couramment inhumés « dans un coin du cimetière ».
Rien n’interdit d’inhumer des noyés, bien sûr identifiés, dans l’église, on en a deux exemples à Jumièges en 1722.
Dans certaines paroisses, le curé est secondé par les confrères de charité. Pour le convoi – 14 hommes est-il précisé à Notre-Dame de Varengeville le 15 mai 1787 – et le creusement de la fosse.
Cinq noyés découverts hors de leur paroisse y sont ramenés pour y être inhumés, pratique alors rare quelle que soit la cause de la mort. Le curé de La Mailleraye décrit ainsi le 8 mars 1777 le transfert d’un corps de sa paroisse à celle, limitrophe, de Bliquetuit : « j’ai fait le levée dudit corps et l’ai conduit jusqu’aux confins de cette paroisse où il a été reçu par monsieur Lelièvre, vicaire dudit Blictuit ».
On voit en 2 occasions un curé jouer son rôle de père charitable. « La veuve Perdrix notre paroissienne est une pauvre femme qui a gardé son mari grabataire pendant nombre d’ans et qui s’est épuisée pour le soutenir et fournir aux frais de sa maladie ; je certifie de plus qu’elle est restée veuve avec trois enfants dont deux n’étoient pas encore en état de l’aider après la mort de leur père arrivée en octobre 1769 » (Saint-Martin-de-Boscherville, 16 septembre 1771). « Etienne Varin journalier de profession chargé de 5 enfants en bas âge hors d’état de pouvoir subvenir à leur subsistance ainsi que la mère qui depuis longtemps est accablée d’infirmité » (Le Mesnil sous Jumièges 7 août 1785). Ils demandent dans les 2 cas que les familles soient dispensées des frais de justice.
La religion est bien sûr peu présente dans les registres devenus d’état civil, elle n’en est cependant pas totalement absente.
Les noyés sont inhumés dans le cimetière « selon les formes ordinaires » dans un « cercueil ordinaire ».
Une noyée inconnue est découverte à Saint-Aubin-sur-Quillebeuf le 28 février 1805, l’officier d’état civil relate : « n’ayant trouvé sur elle aucun élément qui puisse la faire reconnaître pour appartenir à telle ou telle famille nous l’avons fait inhumer sans aucune cérémonie religieuse ignorant si elle était de la religion catholique a l’exception de cette cérémonie ledit cadavre a été enseveli et enfermé dans un cercueil ordinaire ». Le juge de paix demande encore le 31 juillet 1816 à Jumièges qu’un cadavre inconnu « reçoive la sépulture chrétienne ».
Parmi les objets trouvés sur les noyés et conservés car pouvant faciliter une éventuelle reconnaissance, encore bien peu de preuves de piété. Tout de même le 19 août 1878 à Quillebeuf, un « livre de prières catholiques ».
Le 1er mars 1845, le Journal de Rouen applaudit des deux mains aux obsèques religieuses, à Grand-Couronne, d’un nommé Trubert qu’on pense pourtant s’être suicidé : « Nous dirons, à l’honneur de la commune où il a été recueilli, que le noyé a été enseveli, déposé dans une bière, transporté dans l’église et inhumé avec les prières du clergé, comme s’il eût eu dans les autorités, le curé et les habitants, de véritables parents ».
Le vocabulaire de la Seine dans les inhumations de noyés
La Seine est d’abord ordinairement désignée par le mot de « rivière ». La dernière mention en est de 1897, encore arrive-t-on ici aux limites des mises en ligne aux archives : le mot est peut-être encore utilisé après cela [2].
- Rivière de Seine, détail d’un plan d’Ambourville, 1813
Le mot « fleuve » apparaît en 1847, sous la plume des secrétaires du Val-de-la-Haye qui sont les seuls à l’utiliser systématiquement pour tout le reste de notre période. On ne sait à quoi attribuer cette singularité.
Les corps, les cadavres, plus rarement les « dépouilles mortelles » et une fois une « épave humaine » (Caudebec-en-Caux, 31 décembre 1886), sont « recueillis » en Seine, à la Seine, dans la Seine, sur la Seine. Ils y sont morts submergés, suffoqués, asphyxiés.
Sur le rivage
Les cadavres retrouvés « gisant » sur le rivage donnent les cas les plus nombreux.
Le long ; sur le rivage (parfois dit « de la mer ») ; la rive ; au bord, sur le bord ou les bords ; le bord de la rive ou du rivage ; la berge.
Puis déposé, apporté, échoué, jeté ou rejeté : par les eaux (ou flots, au pluriel) ; par la marée ; par le cours de l’eau ; par le flot (marée montante mais flot peut aussi être synonyme de courant ou même de mascaret) ; par le reflux (marée descendante) ; par les vagues ; par l’effort du vent.
Tout cela à la limite avec la terre : quai, talus, écore, lime.
Les enquêtes donnent la nature géologique de la rive, est-il utile de rappeler que la Seine est ici un fleuve à marées ? : le sable qui enfouit parfois les corps ; les atterrages ; la vase qui enlise parfois ; la plage (mais peut aussi désigner un endroit où on se baigne) ; le galet ; le rocher ; les grèves ; sous les falaises ou au pied des falaises. Les enquêtes font parfois état du « débordement considérable des eaux » (Saint-Martin-de-Boscherville, 8 janvier 1771) ou des « grosses eaux » (Le Grand-Quevilly, 10 mars 1818) qui peuvent emmener les corps loin du fleuve, dans les prairies.
Ou son occupation humaine : herbage ; quai ; cour ou masure (privée) parfois avec une haie allant jusque dans l’eau et qui peut arrêter le cadavre ; au passage (d’eau) ; près d’un ponton ou d’une passerelle ; oseraie plus ou moins cultivée ; pré ou prairie c’est-à-dire pâture communale. Les cadavres peuvent se prendre dans les filets des pêcheurs ou leurs guideaux, ces grandes pêcheries sédentaires utilisées dans l’estuaire.
Flottant
Viennent ensuite les corps repérés flottants, flottés, à la flotte, en flotte ou dérivants, à la dérive : sur la rivière, à la surface de l’eau, portés par le courant, avec les eaux, dans les eaux, suivant le cours de l’eau, au gré des flots, sur le canal de la Seine ou le travers (ou traverse, la largeur du fleuve) de la Seine, entre les deux rives.
Les découvertes sont localisées par un repère de la rive : vis-à-vis, en face de, face à une maison, une prairie, un quai…
Ces corps flottants sont ramenés et déposés sur la rive en bateau, qu’il soit en cours de navigation ou dirigé spécialement depuis la rive – le cadavre est alors remorqué derrière la barque, ou s’il n’est pas trop éloigné de la berge par un homme pénétrant dans l’eau armé d’une perche, d’une gaffe, d’un râteau ou d’un filet.
Ramenés également en bateau les cadavres trouvés sur un « banc du milieu », au milieu du fleuve : sur les bancs, sur les « blancs bancs » qui découvrent à marée basse.