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Être maire d’un petit village pyrénéen au XIXe siècle

Le cas de Pierre Bagarie

Le vendredi 25 février 2022, par Adrien Barrere

Le petit village de Saint-Pierre-Dels-Forcats est inconnu pour la plupart, pourtant il semble que de nombreuses histoires s’y déroulant soient passionnantes. Ici, c’est la vie politique de Pierre Bagarie (1799-1870) qui va être racontée.

Dans cet article je vais vous parler du cas de Pierre Bagarie, conseiller municipal et maire, durant de nombreuses années, d’un petit village de montagne dans le sud de la France nommé Saint-Pierre-Dels-Forcats. Celui-ci se situe dans le département des Pyrénées-Orientales, territoire proche de la culture catalane, entouré de la mer Méditerranée à l’est, de la Catalogne espagnole au sud, du Languedoc au nord et de l’Andorre et de l’Ariège à l’ouest. Il est partagé en plusieurs pays traditionnels que sont la plaine du Roussillon, le Conflent, la Cerdagne, le Vallespir, les Aspres, les Albères, la Salanque et le Capcir. Ici, celui qui nous intéresse est le Conflent. Il se situe au centre-ouest du département et est assez grand. Il regroupe de nombreux petits villages avec quelques villes principales telles que Prades et Mont-Louis. C’est donc une région très montagneuse. Saint-Pierre-Dels-Forcats se situe à l’extrême limite Ouest du Conflent. Son altitude minimale est de 1320 mètres et son altitude maximale est de 2750 mètres. C’est un village très peu peuplé. D’après l’étude de Jean-Pierre Pelissier, en 1800, Saint-Pierre compte 178 habitants et en 1872 elle en a 318.

Revenons donc à l’homme dont je vais traiter dans cet article, un certain Pierre Bagarie, ayant vécu toute sa vie au village de Saint Pierre Dels Forcats. Il est né le 21 thermidor de l’an 7 de la république, ce qui équivaut au 8 août 1799 [1]. Il porte le nom Bagarie qu’il tient de sa mère jusqu’à sa mort, pourtant sur son acte de naissance il est dit qu’il est le fils naturel de Bernard Piguillem. J’ai cherché pendant longtemps à comprendre pourquoi le nom de son père n’est plus utilisé, mais en vain. Il apparaît sur son contrat de mariage avec Marguerite Boucaveille que Bernard Piguillem est un parent et ami de Pierre Bagarie.

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Contrat de mariage

Dans ce contrat fait en janvier 1827 par le notaire Jean Merlat à Formiguères [2], petit village situé à 14 km à vol d’oiseau de Saint-Pierre, que Bernard va même faire don de ses biens immeubles. En outre, Pierre va recevoir de lui, une maison, une grange, un jardin, des champs et des prés. En échange, Pierre doit verser une pension annuelle et viagère à sa mère, qui comprend des céréales, du bois et de l’huile. Il doit aussi payer à chacun de ses frères 1300 francs. Le notaire va les nommer en utilisant à chaque fois le nom Bagarie : « Pierre cadet Bagarie, Dominique Bagarie, Jean-Pierre Bagarie et Antoine Bagarie tous les quatre enfants mineurs de ladite Marie Anne Bagarie et frères naturels du futur, demeurant avec le donateur à Saint Pierre ». Bernard Piguillem est alors vu comme un simple donateur et non pas leur géniteur. Cependant, ils doivent tous le considérer comme leur véritable père puisqu’ils vivent avec lui et qu’il fait don de tous ses biens à Pierre. C’est tout ce que je peux dire concernant ce possible lien familial. En parler semble nécessaire pour mieux comprendre comment Pierre Bagarie est un notable aussi influent.

Il est donc un des notables du village de Saint-Pierre, par sa grande participation à la vie politique de celui-ci mais aussi par son importance économique. Il est propriétaire de plusieurs terrains de tous types, des champs, des pâtures, des cortals, d’une maison et de bien d’autres choses. En plus de ce que lui donne Bernard Piguillem, le frère de sa femme lui fait une dot assez conséquente. En effet, Joseph Boucaveille, frère de Marguerite Boucaveille, verse 2800 francs qui proviennent de la succession de leur défunt père. Pierre a donc les moyens d’employer des gens pour l’aider à cultiver et pour garder ses bêtes.

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1861

En effet, dans le recensement de 1861 [3], on peut voir qu’il héberge son berger mais aussi un domestique qu’il emploie comme cultivateur et pour diverses autres tâches.

Dans le recensement de 1866 [4], ce domestique est devenu son berger et vit toujours dans la maison des Bagarie. Celle-ci doit être assez grande car dans ses deux recensements nous retrouvons également son fils aîné Pierre, sa femme et ses enfants.

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1866

Notre notable Pierre Bagarie est véritablement le chef de la casa [5], toute sa famille s’organise autour de lui. Étant l’aîné, il s’occupe du patrimoine familial et les autres sont sous son autorité.

Tout ceci nous amène donc à parler de sa vie politique au sein du village. Dans les archives, en étudiant les différentes délibérations municipales nous pouvons voir qu’il est conseiller municipal bien avant 1836, puis de 1840 à 1853. Il est aussi maire de 1836 à 1840 et de 1853 à 1861. Il ne reste plus de documents concernant les procès-verbaux des votes des élections aux archives départementales.

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Délibérations municipales 1836

Pierre va donc jouer un rôle politique durant une grande partie de sa vie. Pour mieux comprendre sa place politique, nous allons devoir expliquer comment un homme devient conseiller municipal ou maire dans ce genre de petit village au XIXe siècle.

Le 9 août 1830, la monarchie censitaire de Juillet est instaurée en France, juste après les trois Glorieuses. Avec elle, de nouvelles lois vont concerner les élections et les nominations des personnages politiques dans les villes et villages de France. La loi du 21 mars 1831 dispose que les maires dans les petits villages ne peuvent se faire nommer, par le préfet, que s’ils sont conseillers au moment de la nomination. Les conseillers sont élus pour six ans. Pierre est un conseiller avant 1836, par conséquent cela veut dire qu’il a été élu, cela montre donc déjà une certaine notoriété au sein du village.

En 1836, il est nommé maire pour trois ans comme le dit la loi de 1831. C’est le préfet qui le nomme, il est donc influent même en dehors du village de Saint-Pierre. C’est durant ce premier mandat qu’il va réaliser le plus d’actions. Le 8 mai 1836 [6], quelques temps après sa nomination, il va proposer de créer une mairie car le village n’en dispose pas. Il a pour but de mettre à l’abri tous les documents d’archives du village dont il est le garant. Jusqu’à présent les conseils se tiennent chez le maire, il compte changer cela. Il prend son rôle de maire très au sérieux. Pour cela, il a un plan, il veut réparer le grenier à foin de la commune qui se situe à côté du cimetière.

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L’église

Le lendemain, le 9 mai [7], il rajoute qu’il veut réparer l’église, sa cloche et le presbytère qui sont dans des états alarmants. Le problème, c’est que, comme il le dit, la commune est pauvre. Le conseil va donc être d’accord pour demander 1500 francs au préfet qui va accepter. Le village est très pauvre à cette époque mais Pierre Bagarie va tenter de rénover le plus de bâtiments. L’église est un lieu important pour tous les villageois, vouloir la rénover semble indispensable surtout quand Pierre explique que le toit menace de s’effondrer, qu’il y fait très froid, qu’on ne peut même plus s’assoir sur les bancs.
Bagarie ne va pas s’arrêter là. Lors du conseil du 9 octobre 1836 [8], il souhaite réparer les chemins vicinaux et demande trois journées de prestations par habitant et cela va être accordé. Tous les habitants vont donc s’atteler à réparer ces petites routes qui sont indispensables pour la vie du village. C’est là que les marchandises circulent ainsi que les hommes et femmes et ces chemins sont vraiment dans un piteux état. Les délibérations municipales qui suivent cette année de 1836 sont moins intéressantes car rien de remarquable ne peut être noté.

Dans les délibérations municipales de 1840 à 1863 [9], nous en apprenons plus sur le rôle de Pierre dans la vie du village. De 1840 à 1853 il siège au conseil municipal sans interruption, il est réélu à chaque fois. Le conseil du 4 septembre 1853 [10]nous apprend qu’il est maire. Un changement politique important a lieu quelques années auparavant. En effet, le 24 février 1848, la Seconde République est instaurée, elle change les règles des élections des maires en amenant le suffrage universel masculin. Pour les villages de moins de 6000 habitants, ce sont les conseillers municipaux qui élisent le maire. Notre Pierre Bagarie n’est pas élu une seule fois maire durant cette période de République. Peut-être qu’il ne s’est pas présenté ou alors il n’a tout simplement pas gagné.

En 1852, le Second Empire est proclamé par Louis Napoléon Bonaparte. Le préfet va de nouveau nommer le maire pour les villages de moins de 3000 habitants. Il semble que ce mode de nomination arrange Pierre, puisque en 1853 il est indiqué qu’il est maire de Saint Pierre Dels Forcats [11]. Ce n’est plus un jeune maire mais un homme expérimenté qui est toujours vu comme un homme de confiance par le préfet et le sous-préfet. Il cite sans cesse les codes durant tous les conseils municipaux. Comme durant son premier mandat il est chargé de la nomination de l’entrepreneur de la coupe d’affouage pour chaque année. L’affouage c’est tout simplement le fait que le conseil réserve une partie des bois de la forêt communale pour l’usage domestique des habitants. Durant tout le XIXe siècle le maire est chargé seul de l’administration du village et ce depuis la loi du deux pluviôse de l’an IX de la république. Celle-ci est renforcée par la loi du 18 juillet 1837 qui permet au maire d’avoir les pouvoirs de police locale. Pierre Bagarie va donc largement s’occuper de l’administration forestière, des budgets, des dépenses, de l’école primaire. Pierre Bagarie est aussi à l’origine du libre parcours des bestiaux dans la forêt communale à partir du 11 février 1856 [12]. Un décret de 1851 concernant cela avait expiré.

Durant ces années, il va aussi vendre des biens de la commune pour pouvoir payer des dettes du village. Le 29 janvier 1857 [13], une délibération va se tenir sur la levée de fonds afin de venir en aide à la classe indigente de la commune et c’est Pierre qui en est à l’origine. En effet, le ministère de l’Intérieur alloue des fonds pour cela. Mais le conseil va décider de ne rien donner car ils vont s’en servir pour rembourser la dette de la commune envers l’état.

Notre maire est aussi à l’origine, en 1860 [14], de la construction d’un canal d’irrigation qui va d’ailleurs grandement lui profiter du point de vue personnel car la majeure partie du canal va passer sur ses terrains.

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Une vieille carte postale de Saint-Pierre
On voit qu’il n’y a pas de forêts sauf en altitude

Une des dernières sessions qu’il va tenir va être le 10 février 1861 [15]concernent le reboisement des montagnes sur les vacants communaux. Le conseil va décider qu’ils ne vont pas reboiser car les habitants ont besoin de ces pâtures pour leurs bêtes et il va indiquer que le village dispose déjà d’une forêt communale. Cela montre bien le pouvoir de décision qu’avait un maire dans ce genre de petit village. En effet, c’est le gouvernement français qui souhaite ce reboisement car durant le XIXe siècle, la majeure partie des forêts françaises a disparu. Mais cette volonté nationale ne va pas empêcher un petit village tel que Saint-Pierre-Dels-Forcats de décider lui-même de sa politique. En 1861, Pierre Bagarie n’est plus maire ni conseiller municipal.

Ainsi, le cas de Pierre Bagarie est vraiment très intéressant pour mieux comprendre le rôle d’un maire dans un petit village pyrénéen au XIXe siècle. La nomination d’un maire n’est pas anodine, il faut que le préfet puisse avoir confiance en lui. Il apparaît que Pierre est un homme digne de confiance et qui a fait ses preuves en politique, et ce, à multiples reprises. Nous voyons qu’il a une réelle préoccupation pour son village et qu’il ne prend pas son rôle de maire à la légère. Cette conscience politique n’est d’ailleurs pas si rare dans ces Pyrénées catalanes, Pierre Bagarie en est un excellent exemple. Il s’éteint à l’âge de 71 ans le 2 décembre 1870 [16]et laisse derrière lui une femme, deux fils et de nombreux petits-enfants.


[1Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 2E 3579-3581, fol. 10 de l’an 7.

[2Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 3E 56/291, N°4.

[3Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 6M 201/188.

[4Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 6M 211/188.

[5MARCET JUNCOSA Alicia, 2003, Mots-clefs de l’Histoire catalane du nord, Trabucaire, col. Historia.

[6Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 153EDT11.

[7Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 153EDT11.

[8Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 153EDT11.

[9Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 153EDT12.

[10Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 153EDT12.

[11Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 153EDT12.

[12Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 153EDT12.

[13Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 153EDT12.

[14Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 153EDT12.

[15Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 153EDT12.

[16Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 2E 3588-3589, n°22 de l’année 1870.

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