Ma grand-mère, Marianne Tornatore, épouse Mange, est sur la photo ci-dessous,
prise vraisemblablement dans les années précédant la 1re guerre mondiale. Elle était née en Italie, à Cirie, près de Turin, en 1892. Les parents Tornatore et leurs trois enfants, Marianne, Giovanni et Françoise, vinrent s’établir à Lyon à la fin du XIXe siècle. Ils y avaient de la famille dont un chanteur d’opéra et des cousins possédant une petite fabrique de maillons (pièces utilisées sur les métiers à tisser la soie). Le père, ébéniste, ouvrit un atelier et demanda la nationalité française.
L’institutrice des enfants Tornatore convoqua mes arrière-grands-parents pour leur demander de ne plus parler italien à la maison, mais uniquement le français, condition indispensable, selon elle, à leur intégration. Petite fille, j’aurais aimé entendre grand-maman parler italien, mais elle avait complètement oublié sa langue maternelle, revendiquant haut et fort sa nationalité française et admirant inconditionnellement Charles de Gaulle. Ce n’est qu’à la fin de sa vie, alors que son esprit était un peu perturbé, qu’elle se mit à fredonner des comptines italiennes, sans doute apprises dans sa lointaine enfance.
Jusqu’à ses quatre-vingt dix ans, ma grand-mère fut une femme élégante aimant porter la toilette et de beaux et grands chapeaux, comme en témoigne le magnifique couvre-chef qu’elle portait lors d’une promenade dans un jardin lyonnais. Elle fut certainement photographiée par mon grand-père qu’elle photographia à son tour puisque je possède une photo de lui prise au même endroit. Son cou était invisible, caché par un col très montant. Elle me raconta, qu’un été, alors que la température était caniculaire, sa sœur Françoise et elle, voulurent adopter une tenue plus confortable : un chemisier fermé mais sans col, avec des manches trois-quart. Cette tenue provoqua la colère du grand-père Tornatore qui la jugeait indécente. Mais les deux jeunes filles obtinrent néanmoins gain de cause.
Sur la photo ci-dessous, quelques années plus tard, ma grand-mère est photographiée avec mon grand-père, Félix Mange, et leur fille Lily (ma mère, née en 1914).
Cette photo dut être tirée peu après la guerre. Mon aïeule est en « grand deuil » de sa propre mère et porte une capeline couverte d’un voile relevé à cet instant mais sans doute rabattu en d’autres occasions. Si aujourd’hui on ne porte plus que très rarement le deuil et, dans ce cas, pour une courte période, il en allait tout autrement il y a encore quelques décennies : le grand deuil pendant plusieurs mois, le demi-deuil pendant encore plusieurs mois, puis l’abandon du noir et du gris foncé pour un passage à d’autres couleurs comme le violet, par exemple. Ce qui explique que les femmes étaient le plus souvent vêtues de noir. Notez que mon grand-père a négligemment posé son chapeau melon sur un rocher. Quant à la petite Lily, elle porte un charmant bonnet garni de petits pompons.
Sur la photo suivante, l’élégante jeune femme est Elise Mange, la sœur de Félix.
Avec sa belle robe de soie et de dentelle, son ombrelle entre les mains, elle porte un superbe chapeau couvert de plumes. A noter sa taille très fine sans doute moulée, en dessous, dans un corset bien serré, véritable instrument de torture pour les femmes de jadis. La façon dont elle tient son ombrelle lui permet de creuser encore davantage sa taille et peut-être de prendre son souffle. Voyez aussi son fier port de tête.
C’est Françoise Tornatore, épouse Petit, qui figure sur cette dernière photo, plus récente.
Ma grand-tante était en villégiature dans le midi et portait, elle aussi, un chapeau et une ombrelle pour se protéger du soleil. Contrairement à aujourd’hui où il est de bon ton d’être bronzée toute l’année, il convenait à l’époque de conserver une peau bien blanche, signe d’une classe privilégiée non tenue de travailler dehors. La beauté des mains, bien blanches et sans callosités, était aussi un signe qui ne trompait pas. Ma grand-mère m’expliquait que sa sœur et elle, jeunes filles, enfilaient des gants avant d’aller se coucher, après avoir enduit leurs mains de crème et de talc.
Déjà à l’époque, que ne faisait-on pas pour obéir aux dictats de la mode !