Mgr CHAMPION de CICÉ, dès son installation au poste d’évêque de Rodez, va adresser aux curés de son diocèse un questionnaire destiné à apprécier la situation, tant sur les aspects généraux, économiques, de santé et bien sûr religieux de la vie des paroisses et des fidèles.
La gamme des questions ( regroupées en 10 chapitres avec sous-chapitres et questions multiples ) est en effet assez vaste : cela va de généralités, aux questions sur les productions agricoles ou industrielles, aux ressources, aux conditions de vie ( Y a-t-il un hôpital, un maître d’école ? ) à l’état d’esprit du clergé et des paroissiens ( le service divin s’y fait-il avec décence ? ) ; à ce titre cette enquête, lancée quelque 20 ans avant le déclenchement de la révolution, constitue un premier sondage en vraie grandeur sur l’état de cette partie du Rouergue ( 475 paroisses, 275.000 habitants en 1771 ).
Mais cette enquête recèle aussi des surprises, des « perles » ; En voici quelques-unes, parmi d’autres :
1 - Le climat
Question posée : « l’air ( de la paroisse ) est-il salubre ou mal sain ? »
Sans surprise, le climat de la région est jugé bon ; mais il y a différentes façons de le dire : le mode direct : « air vif et glacial, par conséquent fort sain » ( Viarouge, il est vrai à quelques 1000m d’altitude ) ; le mode explicatif : « Il n’y a point eu de malade depuis 18 mois et les gens y deviennent assez vieux, sans qu’ils aient des corps robustes » ( La Capelle Viaur ) ; le mode réservé : « assez salubre quoiqu’au bord du Lot » ( Ste Eulalie d’Olt ).
Mais tout n’est pas aussi rose : « Pays aqueux » se contente de noter le curé de Salles-Courbatiès ; « pesant et humide, climat marécageux et malsain » ( Alrance ) ; « [l’air] est un peu crasse » ( St Michel d’Aubin ) ; ou pire encore « en général malsain, à cause des charbonniers et des nuages épais » ( Vialarels - paroisse absorbée plus tard par Decazeville, capitale du Bassin houiller à venir ).
Il y a aussi ceux qui, même sur une question aussi anodine ne veulent pas se mouiller : « l’air n’y est ny salubre ny mal sain », répond le brave curé de Sermur ! Allez donc savoir...
2 - Pauvres et mendiants
Deux questions sont consacrées aux pauvres et aux mendiants ; il est en outre demandé de les classer par catégorie : valides / invalides, de la paroisse / étrangers à la paroisse, secourus / non secourus.
À côté de curés qui restent très factuels : « 83 pauvres » ( Recoules ; mais la paroisse ne compte que 323 habitants... ), ou « 110 pauvres » ( Le Nayrac, 750 âmes ) ou encore « 25 mendiants » ( Onet l’église ), il y a ceux qui s’exclament : « Il est plus aisé de dire combien il y a de riches » ( Coubisou ; et d’en citer 2 plus 10 autres « maisons aisées » sur 630 habitants ) ; « presque tous les habitants sont pauvres » ( Ste Eulalie du Causse ) ; « Il n’y a personne aisé dans la paroisse » ( Limouze ). On a dit qu’il y avait eu volonté de noircir le tableau, afin d’éviter une augmentation des impôts ; voire ! Plusieurs disettes récentes ont marqué les esprits sinon les corps et les quelques chiffres de revenus cités dans l’enquête inclinent à penser que la situation est en effet difficile pour le grand nombre.
Quant aux mendiants, c’est un concert de lamentations : « grand nombre de mendiants qui ne sont pas de la paroisse, et environ 40 d’elle » ( Rulhe ) ; « la paroisse est sur le chemin des personnes de la montagne » ( Sénergues ) ; pire : « tous ceux de la montagne nous tombent sur les bras ! » ( Prades d’Aubrac ) ; ou encore « je serais en peine de faire le détail des mendiants étrangers » ( Combret ).
Quelques curés restent cependant optimistes comme Benoit BURC, curé de Truels, mais lui, pour une raison évidente : « point de paroissien, donc point de pauvres » (cette paroisse, voisine de Compeyre, est vide de paroissien en 1771 ! elle disparaîtra à la mort de ce curé, déjà âgé) ; « point de mendiants, ils (les pauvres) travaillent tous et vivotent » ( Brocuéjouls ; mais ce curé est-il bien au fait des réalités, comme on le verra plus loin ? ). Il y a enfin les curés au discours plus offensif : « mes paroissiens ont la mendicité en horreur ! » (Compeyre) ou encore « Il paraît que s’il était défendu aux mendiants de sortir de leurs paroisses, ceux qui ne veulent pas travailler pouvant le faire y seraient forcés ». Pecaïre ! ... Les registres sont pleins de ces mendiants trouvés morts et ensevelis dans un anonymat presque complet.
3 - Les sages-femmes
À la question « Y a-t-il une sage-femme ? » on pourra s’étonner du nombre important de réponses négatives, y compris pour des paroisses assez peuplées ; sachant qu’en outre ces femmes sont l’objet de critiques de la part des curés, comme : « Il y a une brave femme, mais aujourd’hui elle est vieille et hors d’état » ( Coubisou ) ; « il y en a une fort habile mais suspecte dans ses mœurs » ( Millau ) ; ou encore « celle qui fait la fonction n’y entend rien » ( Cransac )...
Et pourtant : « Il n’y a point de sage-femme ; elle serait fort nécessaire » ( Aubin, paroisse qui compte alors 1612 habitants ) ; même à Rodez, on a dû faire venir une personne ..... de Paris ! « une sage-femme venue de Paris qui reçoit une pension de 300 Livres [1] »
L’explication nous est finalement donné par le curé d’Auzits : « Point de sage-femme ; il y en a plusieurs qui s’en mêlent mais aucune de reçue » ; pour l’église d’alors, la sage-femme doit avoir prêté serment ( on trouve quelques mentions de prestation de serment dans les registres ), faute de quoi elle ne sera pas officiellement reconnue ( et les baptêmes - ondoiements - seront alors déclarés ‘sous-condition’ ).
Il n’y a que notre brave curé de Brocuéjouls pour noter : « Point de sage-femme ; Dieu y pourvoit » !!
4 - L’ardeur des paroissiens
Le sentiment religieux est à cette époque, profond en Rouergue ; sans surprise donc, à la question : « les paroissiens sont-ils assidus ? », les curés se déclarent en général satisfaits de leurs ouailles.
Il y a bien quelques jusqu’au-boutistes : « mon église est toujours pleine ; cependant certaines personnes se contentent de la seule messe matutinale » ( Rignac ) ; ou encore « Oui, excepté à Vêpres, quoique très souvent avertis d’être assidus » ( St Rémy de Bedène ). Mais alors d’où vient la critique contenue dans le cahier de doléance rédigée pour la préparation des états généraux de 1789 par les nobles de notre région, qui dénoncent : « ...les progrès effrayants de l’irréligion [et] la dépravation des mœurs... » ?
En cherchant bien, on trouvera parmi les réponses certaines notes pouvant en partie justifier ces foudres : « Il s’en faut infiniment que tous les habitants se rendent assidûment aux offices » ( Compeyre ) ; ou bien « Il se trouve beaucoup [de paroissiens] qui préfèrent le cabaret à l’église » ( Lunet ) ; plus grave : « une bonne partie ne peut y assister, étant obligé d’aller entendre la messe assez loin, ce qui leur donne occasion à la fréquentation des cabarets, à des rendez-vous entre les personnes de différents sexes, et à un grand nombre de crimes » ( Cransac ). Bigre !
L’évêque a dû être autrement satisfait par cette réponse : « Ils sont assidus par goût » ! ( oui mais celui-là n’est autre que ce curé de Brocuéjouls, un saint homme assurément ).
Bien au-delà de ce que cette enquête révèle de critique sociale « un grand nombre de seigneurs pour une sy misérable paroisse » ( La Vinzelle, en réponse à la question II-1 : Nom du (des) seigneur(s) direct(s) ) ou encore « tous ces seigneurs emportent le quart de tous les grains de la paroisse » ( Barriac ), c’est une radiographie de la vie de nos ancêtres, avec ses dures réalités, mais aussi ses aspects parfois cocasses, qui nous est contée.