En captivité.
Marius Gaston GUIRONNET et Charles DREVET sont compagnons d’infortune. Comme l’écrit Yves DURAND dans son beau livre « La captivité, histoire des prisonniers de guerre français 1939-1945 », ils vont connaître les durs chemins de l’exil.
« Le moment où ils sont tombés aux mains de l’ennemi est le plus souvent suivi d’un long calvaire, marqué par de pénibles transports sur les routes de France et des cantonnements improvisés. Abattus, découragés, affamés déjà parfois par plusieurs jours de retraite difficile, voici les hommes rassemblés au bord des routes... On leur fait jeter leurs armes. Bientôt, on séparera les officiers du gros de la troupe... On stagne au bord des fossés, on piétine sur la chaussée jusqu’au moment où des colonnes se forment et les marches commencent. Marches interminables, sous le soleil d’abord ; et bientôt sous la pluie... Les hommes font de longues étapes, du matin parfois jusque tard dans la nuit pour être transférés dans des campements provisoires... A l’issue de la marche, le soir, c’est le cantonnement. Pour loger cette masse énorme de captifs, rien ne pouvait être prévu... »
Après cinq jours restés sur place à Dunkerque, les « captifs de l’an 40 » partent le 9 juin, à pied. Pour quelle destination ? On les laisse dans l’ignorance la plus totale. La première étape est Lille où, pour la nuit, après soixante dix kilomètres à pied, Marius Gaston trouve refuge, avec d’autres compagnons, au pied du beffroi, sur la Grand Place !
Marius racontera plus tard que le matin ils boivent « un soit disant café » Les Allemands ne leur laisse pas le temps de s’arrêter.
« Y’en avait pas rien qu’un, y’en avait cinq ou six cents ! (de soldats français prisonniers) » : « Tu tenais ton quart. Ils t’y versaient du café... Pendant que tu marchais, le café, secoué, coulait par terre. Si bien que, à peine servi, y’en avait plus au fond, et tu avais fini de le boire ! »
Puis c’est la frontière belge (en peu de semaines, cela fait trois fois que Marius la traverse, dans un sens ou un autre !) Bruges et Anvers, perles architecturales des Flandres... Mais, comme il le dira
avec humour : « A ce moment là, je n’avais pas le temps de regarder ! »
En entrant aux Pays Bas, Marius repense aux combats de la région de Breda, en mai 1940.
Il y a un mois les Français partaient « sus à l’ennemi »... Aujourd’hui les voilà prisonniers des Allemands. Pour combien de temps ? Après plus de deux cent cinquante kilomètres parcourus à pied, mal nourris, sales (les conditions d’hygiène sont déplorables), encadrés par des soldats en armes, les hommes perdent espoir de revoir un jour leur famille.
Encore des jours et des jours de marche ! Force est de constater que les limites de la résistance humaine sont dépassées : Marius Gaston aurait-il imaginé un jour devoir endurer tout cela ?
Enfin ils arrivent à l’embouchure du Rhin, dans les faubourgs de Rotterdam.
Sur place, les hommes sont embarqués à bord de péniches à charbon : les coups de crosse et les baïonnettes des soldats allemands les obligent à se dépêcher malgré la fatigue accumulée. Deux prisonniers Nord-Africains, ne traversant pas assez vite la planche utilisée pour monter sur le bateau, sont poussés à l’eau sans ménagement par les soldats.
Ils se noieront sous les yeux de leurs camarades, sans qu’aucun ne puisse leur porter secours.
Heureusement pour eux, Marius et son ami DREVET sont sur le pont, serrés mais à l’air libre. Ils peuvent mieux respirer que leurs compagnons entassés, comme des marchandises, dans les cales. Depuis déjà plusieurs jours, ils n’ont « plus rien à bouffer ». Il reste à Marius une tablette de chocolat et quelques biscuits de soldat. Il les partage avec son ami affamé. DREVET a encore les larmes aux yeux quand il raconte, bien des années plus tard, cet épisode : sans son ami Gaston, que serait-il devenu ?
- Charles Drevet. Au dos est écrit "Souvenir de ton ami Drevet, à Marius Guironnet"
Les péniches remontent le Rhin. Le but de ce long voyage est Wesel, ancienne place forte et zone portuaire en Allemagne, au confluent avec la Lippe.
« On les conduit vers la gare. Là attendent des wagons de marchandises, des wagons à bestiaux. Ils s’y entassent plus ou moins... Souvent ils sont cinquante hommes entassés là dedans, parfois plus ; c’est un écrasement des corps les uns contre les autres. On ne peut ni se coucher ni se déplacer sans marcher sur son voisin. Les sentinelles ferment les portes et les verrouillent de l’extérieur. Il n’y a plus de lumière et de vision au dehors que par des vasistas haut placés. »
Les trains s’ébranlent. Commence une des plus dures étapes du calvaire des P.G de 1940 : « Sans espace, sans air, pourvus d’une nourriture dérisoire, privés d’eau, les enfermés roulent, secoués dans des wagons dépourvus d’amortisseurs. Ils respirent péniblement dans l’atmosphère confinée de cet espace étroit, comblé d’hommes obligés de faire sur place tous leurs besoins... L’air est empuanti. La fatigue gagne, sans le sommeil réparateur rendu impossible par l’entassement des corps... A l’arrivée dans les gares allemandes... c’est comme un vrai soulagement que de sortir enfin des wagons, de ces bouges où l’on étouffe et qui puent de toutes les odeurs laissées par la cohabitation forcée des hommes pendant deux à trois jours sans sortir... On respire, les corps se détendent... Sur les quais des gares vides, hurlements gutturaux, coup de crosse et menaces pour presser le mouvement ; les Allemands rassemblent à nouveau en colonnes les captifs. Ils traversent à pied les rues d’une ville, étrangère cette fois, encadrés de gardiens en armes... » (Y.DURAND)
Bocholt, ville sur l’Aa, au nord de la Ruhr, non loin de la frontière hollandaise, est un centre industriel important, les fonderies et manufactures textiles y sont nombreuses. C’est le point d’arrivée provisoire de ce périple débuté il y a trois semaines.
Au camp de Bocholt, le VI.F, Marius Gaston et DREVET sont soumis à la fouille. Ils doivent remettre pratiquement tout ce qu’ils ont de personnel. On ne leur laisse que le strict nécessaire : Marius Gaston peut garder sa pipe, son quart de militaire et sa couverture ! Ces objets le suivront pendant toute sa captivité, bien à l’abri dans une caisse de bois qu’il emportera partout avec lui.
Il conserve aussi sa plaque de soldat. Mais depuis son arrivée au camp il doit porter un autre numéro, 22672 : son immatriculation comme kriegsgefangener (K.G) c’est à dire prisonnier de guerre.« Ce numéro, gravé sur une plaque de métal, il devra toujours l’avoir sur lui, prêt à être présenté à toute réquisition. Le P.G gardera ce numéro matricule, restera attaché au camp où il a été immatriculé pendant toute la durée de sa captivité, quelles que soient ses pérégrinations et changements d’affectation. »
- La plaque de soldat de Marius Gaston Guironnet
Après trois semaines dans ce camp de transit, les prisonniers sont à nouveau enfermés dans des wagons à bestiaux, pour, cette fois, une bien plus longue étape !
Direction la Rhénanie Westphalie. Parfois le train fait de longues haltes sous le soleil.
Marius Gaston passe ainsi, dans un wagon surchauffé, plusieurs heures dans des gares de triage... La soif torture toutes les gorges, la faim tenaille les estomacs.
Ce n’est qu’arrivés à la gare de Cologne que la Croix Rouge obtient de faire ouvrir les wagons. Elle peut alors distribuer du café au lait aux prisonniers épuisés. Le pénible voyage touche à sa fin.
Fin juin 1940, les Allemands débarquent les captifs dans les faubourgs de Bonn. « Le stalag VI G, pourtant situé dans la riante vallée du Rhin à Bonn-Duisdorf, est bâti sur une pente tellement exposée au vent qu’il est aussi très froid... Les P.G logent dans deux garages en brique, très hauts de plafond, avec fenêtre sur une seule façade et obscurcies pour la défense passive... »
Il y a deux types de camps : les oflags pour les officiers et les stalags pour les hommes de troupe. La grande majorité des prisonniers ne restent pas au camp. Ils sont dispersés dans les détachements de travail ou Arbeits Kommandos. Dans cette région d’Allemagne, les prisonniers de guerre travaillent surtout dans l’industrie ou sur les chantiers. Ils sont répartis en fonction de la demande (et un peu aussi, peut être, en fonction de leurs compétences professionnelles) dans les villes et villages autour de Bonn. Avec un groupe de cent prisonniers, le kommando n°292, Marius Gaston arrive dans une petite localité de Rhénanie, au nord du Westerwald, dominée par les ruines d’un château féodal, à une cinquantaine de kilomètres à l’est de Bonn, entre Hennef et Siegen : Waldbröl.
« Waldbröl était une petite ville dans une région verdoyante, avec des collines souvent boisées, notamment vers le sud, l’altitude variant de 200 mètres à 400 mètres. Il y avait peu d’industrie, des fermes dans les hameaux avoisinants, surtout vers le nord et le nord-ouest. Un ruisseau qui s’appelle aussi Waldbröl coule vers l’ouest, se réunit au Bröl, et va vers Hennef se jeter dans la Sieg, affluent du Rhin. L’air y est sain ».
Le jour même de son arrivée à Waldbröl, c’est l’anniversaire de Marius Gaston, le 14 juillet 1940 ! Il a trente et un ans. Charles DREVET a réussi à rester avec lui.