Adeline, à 34 ans, se retrouve veuve avec deux garçons de 11 et 9 ans et un bébé à élever. Courageusement elle maintient son commerce, aidée par un garçon boulanger en attendant que ses fils soient en âge de reprendre le métier. Peut-être rend-elle à l’occasion visite à sa sœur à Dieppe où celle-ci tient la boutique, entre deux accouchements. A trente ans Marie a déjà six enfants, une fille Jeanne, l’ainée de la famille (1877) et cinq garçons qui se suivent de près, Charles (1879), Gaston (1880), Raymond (1881), Maurice (1884), Octave (1885). La petite dernière Suzanne naitra douze ans plus tard (1897). La vie de Marie, à cette époque et dans ses jeunes années, nous est racontée dans le « compliment » écrit par son fils Raymond, devenu prêtre, à l’occasion des 90 ans de sa mère en 1944.
« En dix-huit cent cinquante-quatre, à Offranville
Vingt Octobre naissait une petite fille
Dont le père et la mère étaient des laborieux
Qui peinaient sans relâche à l’instar des aïeux.
Au baptême l’enfant prit le nom de Marie.
On l’admirait, elle présageait longue vie.
Toute son enfance se passa près des siens
Chrétiennement forgée ainsi qu’aux temps anciens.
Première couturière en son adolescence
Jamais elle ne prit de repos, de vacances,
Mais toujours le travail de l’aube jusqu’au soir,
Revenant chaque jour, même au temps le plus noir.
Dieppe la connut depuis son mariage
Charcutière en renom jusqu’à cinquante d’âge
Élevant sa famille en nombre : sept enfants
Cinq garçons, deux filles, sans paraître indigents.
Mais pendant ce temps le pays se modernise : En 1874, la gare maritime de Dieppe est inaugurée. A partir de 1889, les travaux d’agrandissement du port permettent aux paquebots, assurant la liaison Dieppe-Newhaven d’avoir des horaires fixes, sans se soucier des marées.
A Offranville on inaugure aussi, toutes proportions gardées. Une nouvelle mairie est construite en 1882, une gare en 1898 sur la ligne de chemin de fer Dieppe-Le Havre. Enfin l’électricité arrive vers 1908.
- Gare d’Offranville. Source Gallica
Mais bientôt pour les garçons vient le temps du conseil de révision. Depuis la défaite de 70, la France veut renforcer son armée et préparer la revanche. Une première loi de 1872 avait instauré le service militaire pour tous les français, sans possibilité de remplacement mais le tirage au sort était maintenu, les bons numéros faisant un an un an, les autres cinq.
Nouvelle loi en 1889 : le service militaire est ramené à trois ans et les dispensés (le mot est trompeur) ne font qu’une année. Les motifs de dispenses sont variés comme nous allons le voir avec les enfants des couples Dancel /Quilan :
A Offranville Georges qui est boulanger est d’abord ajourné pour faiblesse puis dispensé comme fils aîné de veuve.
Pour son frère Raoul, porteur de pain, pas de problème, la loi commune s’applique, il fait ses trois ans et il est successivement conducteur canonnier, trompette, brigadier trompette, avant d’être rendu à la vie civile en septembre 1905. Il se marie quelques années plus tard en 1908 et s’installe comme boulanger à Tourville-sur-Arques.
Voyons maintenant ce qu’il en est chez les cousins de Dieppe. Deux sont dispensés pour des motifs différents : Charles l’est comme aîné de sept enfants, Raymond comme élève ecclésiastique. Maurice, d’abord incorporé, voit son service réduit pour être devenu "postérieurement à son incorporation frère d’un militaire présent sous les drapeaux."
Quant à Gaston, d’abord déclaré bon pour le service, il est, dès son incorporation, réformé pour « myopie de six dioptries et leucome ». Reste Octave qui fait un service normal ramené à deux ans par la loi de 1905.
Quels métiers font ces garçons au moment de leur recensement pour l’armée ? Charles et Gaston, les aînés sont garçons charcutiers chez leur père, Octave a quitté le foyer paternel. Il est charcutier à Saint-Saëns, un gros bourg du Pays de Bray, à une trentaine de kilomètres de Dieppe.
- Rue principale de Saint-Saëns : source Gallica
Maurice a pris un bateau pour l’Angleterre. Il est au moment de la conscription, cuisinier à Londres.
Tous donc dans les métiers de l’alimentation, sauf Raymond. Mais n’est-ce pas une autre forme de nourriture qu’il se prépare à distribuer à ses paroissiens ? En tous cas, c’est le premier qui ait fait des études longues dans cette branche des Quilan. On remarque à Offranville, comme à Dieppe, le rôle que joue encore le métier exercé par les parents dans les professions des enfants, même si d’autres voies s’ouvrent désormais.
Mais on entend à nouveau des bruits de bottes. Que deviendront les cousins dans la grande tourmente qui s’annonce ?