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Du pain sur la planche (Sixième épisode)

Familles Quilan-Dancel. Deux couples d’un siècle à l’autre

Le jeudi 4 juin 2015, par Martine Hautot

Au lendemain de leur mariage, les deux couples Quilan-Dancel s’éloignent de quelques kilomètres. Charles et Marie ouvrent une charcuterie à Dieppe,19, rue du Mortier d’or tandis que Hippolyte et Adeline restent à Offranville dans la boulangerie familiale : c’est là que deux petits garçons, Georges( 1878) et Raoul (1881) naissent bientôt, suivis quelques années plus tard par une petite fille Marthe (1889 ). Mais celle-ci n’a pas encore fait ses premiers pas que son père meurt en 1890, à l’âge de 35 ans.

Adeline, à 34 ans, se retrouve veuve avec deux garçons de 11 et 9 ans et un bébé à élever. Courageusement elle maintient son commerce, aidée par un garçon boulanger en attendant que ses fils soient en âge de reprendre le métier. Peut-être rend-elle à l’occasion visite à sa sœur à Dieppe où celle-ci tient la boutique, entre deux accouchements. A trente ans Marie a déjà six enfants, une fille Jeanne, l’ainée de la famille (1877) et cinq garçons qui se suivent de près, Charles (1879), Gaston (1880), Raymond (1881), Maurice (1884), Octave (1885). La petite dernière Suzanne naitra douze ans plus tard (1897). La vie de Marie, à cette époque et dans ses jeunes années, nous est racontée dans le « compliment » écrit par son fils Raymond, devenu prêtre, à l’occasion des 90 ans de sa mère en 1944.

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« En dix-huit cent cinquante-quatre, à Offranville
Vingt Octobre naissait une petite fille
Dont le père et la mère étaient des laborieux
Qui peinaient sans relâche à l’instar des aïeux.

Au baptême l’enfant prit le nom de Marie.
On l’admirait, elle présageait longue vie.
Toute son enfance se passa près des siens
Chrétiennement forgée ainsi qu’aux temps anciens.

Première couturière en son adolescence
Jamais elle ne prit de repos, de vacances,
Mais toujours le travail de l’aube jusqu’au soir,
Revenant chaque jour, même au temps le plus noir.

Dieppe la connut depuis son mariage
Charcutière en renom jusqu’à cinquante d’âge
Élevant sa famille en nombre : sept enfants
Cinq garçons, deux filles, sans paraître indigents.

Mais pendant ce temps le pays se modernise : En 1874, la gare maritime de Dieppe est inaugurée. A partir de 1889, les travaux d’agrandissement du port permettent aux paquebots, assurant la liaison Dieppe-Newhaven d’avoir des horaires fixes, sans se soucier des marées.

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A Offranville on inaugure aussi, toutes proportions gardées. Une nouvelle mairie est construite en 1882, une gare en 1898 sur la ligne de chemin de fer Dieppe-Le Havre. Enfin l’électricité arrive vers 1908.

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Gare d’Offranville. Source Gallica

Mais bientôt pour les garçons vient le temps du conseil de révision. Depuis la défaite de 70, la France veut renforcer son armée et préparer la revanche. Une première loi de 1872 avait instauré le service militaire pour tous les français, sans possibilité de remplacement mais le tirage au sort était maintenu, les bons numéros faisant un an un an, les autres cinq.

Nouvelle loi en 1889 : le service militaire est ramené à trois ans et les dispensés (le mot est trompeur) ne font qu’une année. Les motifs de dispenses sont variés comme nous allons le voir avec les enfants des couples Dancel /Quilan :

A Offranville Georges qui est boulanger est d’abord ajourné pour faiblesse puis dispensé comme fils aîné de veuve.

Pour son frère Raoul, porteur de pain, pas de problème, la loi commune s’applique, il fait ses trois ans et il est successivement conducteur canonnier, trompette, brigadier trompette, avant d’être rendu à la vie civile en septembre 1905. Il se marie quelques années plus tard en 1908 et s’installe comme boulanger à Tourville-sur-Arques.

Voyons maintenant ce qu’il en est chez les cousins de Dieppe. Deux sont dispensés pour des motifs différents : Charles l’est comme aîné de sept enfants, Raymond comme élève ecclésiastique. Maurice, d’abord incorporé, voit son service réduit pour être devenu "postérieurement à son incorporation frère d’un militaire présent sous les drapeaux."

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Quant à Gaston, d’abord déclaré bon pour le service, il est, dès son incorporation, réformé pour « myopie de six dioptries et leucome ». Reste Octave qui fait un service normal ramené à deux ans par la loi de 1905.

Quels métiers font ces garçons au moment de leur recensement pour l’armée ? Charles et Gaston, les aînés sont garçons charcutiers chez leur père, Octave a quitté le foyer paternel. Il est charcutier à Saint-Saëns, un gros bourg du Pays de Bray, à une trentaine de kilomètres de Dieppe.

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Rue principale de Saint-Saëns : source Gallica

Maurice a pris un bateau pour l’Angleterre. Il est au moment de la conscription, cuisinier à Londres.

Tous donc dans les métiers de l’alimentation, sauf Raymond. Mais n’est-ce pas une autre forme de nourriture qu’il se prépare à distribuer à ses paroissiens ? En tous cas, c’est le premier qui ait fait des études longues dans cette branche des Quilan. On remarque à Offranville, comme à Dieppe, le rôle que joue encore le métier exercé par les parents dans les professions des enfants, même si d’autres voies s’ouvrent désormais.

Mais on entend à nouveau des bruits de bottes. Que deviendront les cousins dans la grande tourmente qui s’annonce ?

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5 Messages

  • Du pain sur la planche (Sixième épisode) 5 juin 2015 15:42, par CHAPELLE Pierre

    Sur la photo de la gare d’Offanville on voit un train venant de Dieppe et se dirigeant vers Fécamp. La ligne était à voie unique et a été déferrée il y a quelques années et est devenue une "avenue verte" depuis Petit Apperville jusqu’à Saint Pierre le Viger.
    Pierre Chapelle

    Répondre à ce message

  • Du pain sur la planche (Sixième épisode) 4 juin 2015 10:20, par André Vessot

    Bonjour Martine,

    J’ai encore lu avec beaucoup de plaisir votre chronique au rythme des événements familiaux et de la vie à Dieppe et Offranville. Charmant petit poème écrit par Raymond ; quelle chance d’avoir ce genre de document dans vos archives familiales.

    Bravo. Avec mes meilleures salutations.

    André VESSOT

    Répondre à ce message

    • Du pain sur la planche (Sixième épisode) 4 juin 2015 11:12, par Martine Hautot

      Bonjour, André
      Oui ce texte est émouvant et la suite qui raconte la vie de Marie auprès de son fils abbé et les bombardements de la dernière guerre ne l’est pas moins :

      Bonsecours ,puis Le Trait ,ensuite Sotteville
      Furent ses étapes ,de belle ardeur sénile
      Pour suivre son abbé, lui donner son appui
      Dans les difficultés partagées avec lui.

      Un jour l’heure sonna de la grande tourmente
      Avec bombardement et alerte effrayante
      Cailly fut son refuge auprès de ses enfants
      Qui pour elle toujours furent très prévenants .

      Quatre vingt dix printemps pour toi, ,ô notre mère
      Sont aujourd’hui vécus, tu peux en être fière
      Car ,si tu n’y voit plus ,par la lucidité
      Tu peux toujours penser avec grande clarté.

      Nous formons tous des vœux en cet anniversaire
      Que luise enfin le jour où il pourra se faire
      Qu’ à Sotteville ensemble on puisse demeurer
      Pour y vivre longtemps et t’y longtemps fêter »

      Ironie du sort le fils mourra avant la mère ,quelques mois après la fin de la guerre ,le 23 Novembre 1945.
      Marie vivra jusqu’en 1948 ,l’année de ma naissance. C’était mon arrière grand-mère.Même si je ne l’ai pas connue,je suis heureuse de lui avoir rendu cette hommage,avec les mots de son fils.
      Bien cordialement,
      Martine

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