En 1916 il a un fils Jean. Pendant ce temps, son frère Raoul, boulanger à Tourville-sur-Arques est dans une unité combattante - 4 ans, 3 mois, 8 jours - et sert dans l’artillerie. Chez les cousins originaires de Dieppe, seul Gaston marié et installé charcutier à Cailly, ne part pas, car sa réforme est confirmée à chaque contrôle en 1914 comme en 1917. Au milieu de la guerre, en 1916, après 10 ans de mariage, il a également un fils, prénommé Bernard. Une petite Rachel suivra, après la victoire, en 1919.
- Première charcuterie Quilan à Cailly
Raymond, devenu vicaire à Bonsecours, un lieu de pèlerinage près de Rouen, sert dans la zone des armées comme infirmier, les ecclésiastiques étant habituellement versés dans les services de santé. Les trois autres frères sont dans des unités combattantes. Maurice, revenu une nouvelle fois d’Angleterre pour servir son pays est cité à l’ordre de son régiment : « soldat d’un courage extrême et d’un dévouement absolu. Les 9,10 et 11 Juin 1918 a lutté avec vaillance, encourageant ses camarades par son exemple ». Il est décoré de la croix de guerre avec étoile de bronze.
Il y avait alors trois étoiles possibles : étoile de bronze pour une citation à l’ordre du régiment ou de la brigade, étoile d’argent pour une citation à l’ordre de la division, étoile de vermeil pour une citation à l’ordre du corps d’armée. Au-delà venait l’attribution de palmes de bronze ou d’argent.
Démobilisé le 14 Mars 1919, il peut rentrer en Angleterre. Cependant il a laissé sur le champ de bataille une grande partie de sa santé et il souffre de bronchite chronique et d’emphysème. Marie Dancel peut cependant se réjouir qu’aucun de ses fils n’ait disparu dans cette grande tuerie. Quant à Adeline, elle est décédée en 1917 sans connaître l’issue du combat. Sa sœur Marie lui survivra jusqu’en 1948 où elle meurt à Cailly chez sa fille. Elle aura connu trois guerres : 70, 14/18 et 39/45.
Pendant quatre ans à Offranville, comme dans tous les villages de France on a tremblé pour les siens. Soixante- neuf noms seront inscrits sur le monument aux morts. Les premières années de guerre ont été particulièrement douloureuses : dès le premier mois de guerre on déplore des tués comme ce garçon épicier Marcel Boulet disparu à 24 ans, le 22 Août 1914. Bien d’autres suivirent. C’est dans cette situation que le peintre Jacques Émile blanche qui loue à Offranville le manoir du Tôt depuis plus de dix ans pour y passer la belle saison et y recevoir ses amis lettrés : les Gide, les Mauriac et d’autres encore tel Jean Cocteau, propose, en 1916, à la municipalité, en accord avec l’abbé Genty, curé de la paroisse, de peindre un tableau en l’honneur des morts pour la France de la commune. Le maire Adrien de Casablanca et son conseil municipal acceptent avec reconnaissance la proposition du peintre.
Voici comment Jacques Emile blanche imagine le tableau évoquant le retour au pays de la dépouille d’un soldat tué au combat : : « Mais le voilà tout fait le tableau du Mémorial...! : une foule en vêtements de deuil, la voilà la belle tache noire autour d’un cercueil à demi-couvert d’un drapeau tricolore... Quels contrastes de couleurs sur le mur et quels sujets à peindre : des prêtres en surplis, des enfants de chœur en calottes rouges et capelines de grande cérémonie et le bedeau en grand uniforme et bicorne en bataille ... magnifique ! Tout y est et en arrière-plan, le portail de l’église sur un fond de ciel de Normandie et même ce ciel, on pourrait l’entrouvrir par une lumière fulgurante d’où sortirait une (sic) archange portant la palme du martyr... Je vois le tableau comme s’il était fait... Je vais demander à mon cher rapin de prendre toutes les mesures d’architecture pour établir la maquette et commander la toile... Dès demain, je vais entreprendre les portraits des principaux assistants : le doyen, le maire, le bedeau, le garde champêtre et puis... enfin tout Offranville. »
Et voici le tableau achevé que l’on peut contempler dans l’église d’Offranville.
Ce mémorial, sera inauguré solennellement, au milieu d’une grande assistance venue de tout le canton, en Août 1919 ce qui n’empêchera pas Offranville d’avoir un monument plus classique, érigé à la limite du champ de foire.
Sur l’inscription qui accompagne le tableau : il est précisé que tous les personnages qui figurent sur le tableau sont des habitants d’Offranville. Je ne saurais vous dire si on y trouve des Quilan. Mais sans doute Georges Quilan s’est-il associé, le 12 Novembre 1918, aux félicitations que le conseil municipal adresse à Clémenceau, Ministre de la guerre et président du conseil et au Maréchal Foch ainsi qu’aux « remerciements aux armées et à tous ceux qui ont contribué au triomphe final du droit sur la force brutale. »
Mais les affaires sont les affaires… Après le décès de sa mère Georges a repris à son nom la boulangerie familiale et sans aucun doute il fait partie de ces boulangers qui ont sollicité de la municipalité l’augmentation du prix du pain en 1919. Demande refusée : aucune circonstance exceptionnelle ne justifie une augmentation des tarifs. Le prix reste fixé à son taux de 1917. Tant pis, il continue au moins à vendre, avec son concurrent, au bureau de bienfaisance, de gré à gré, avec une remise de cinq centimes par six kilos, du pain pour les « nécessiteux ». La fin de la guerre n’a pas signifié pour tous la fin de la misère.
Georges est toujours boulanger à Offranville lors du recensement de 1926 mais dix ans plus tard le voici sans profession. Son fils Jean n’ayant pas repris le métier, ainsi s’arrête l’histoire des Quilan, boulangers à Offranville. En même temps, c’est la fin des familles nombreuses, Raoul et Georges ont chacun un fils, leurs cousins de Dieppe n’ont parfois pas d’enfant, ou 1 ou deux, rarement trois. De nouveaux métiers sont aussi apparus, un bon nombre d’enseignantes, un percepteur, un armateur…
Mon père, Bernard, le fils de Gaston, né pendant la guerre de 14 aurait bien pu reprendre la tradition. Car il a appris le métier de boulanger. C’était au milieu des années trente. Mais une autre guerre l’a conduit en captivité en Allemagne et à son retour, plus question de boulangerie, il a repris le fonds de son père passé au commerce des grains - charbons et pommes (on est en Normandie !). Le métier de boulanger délaissé ne lui a sans doute pas manqué car je crois bien qu’il ne nous a jamais fait la moindre brioche. Pourtant je l’entends encore nous dire : « Je ne traîne pas, j’ai du pain sur la planche. »