La condamnation
"Nous disons que Philippe Hamel et Jean Delanoe dit Gaillard-Bois sont dûment atteints et convaincus d’êtres voleurs de chevaux et autres bestiaux...
Pour punition et réparation de quoy, avons lesdits Hamel et Delanoe dit Gaillard-Bois, condamnés à servir le roy comme forçats dans ses galères à perpétuité..." Baillage d’Argentan, le 25 mai 1715
Les personnages
D’après les documents (une centaine de pages), les juges et le procureur du roi se sont surtout attachés à la personnalité et au parcours du nommé Gaillard-Bois.
Ce dernier est originaire de Ménil-Jean, paroisse rurale enserrée dans une boucle de l’Orne, petit fleuve normand qui, ultérieurement, a donné son nom à un département. Né vers 1675, il se marie avec Anne Lemasson dont il a une seule fille Marguerite. Au moment des faits, il est veuf, "sans demeure fixe" et sa fille est à Pont-Ecrepin pour garder les bestiaux de Madame Bocher. Au cours des interrogatoires, on apprend que, souvent, il couche dehors et que de temps à autre il "squatte" des fermes abandonnées [1] à Ménil-Jean, à Athis, etc, fermes qui constituent des repaires de voleurs que la maréchaussée n’ose pas approcher.
Il fréquente les foires de la région et notamment celles d’Argentan. Philippe Hamel, originaire de Fromantel, ami de Gaillard-Bois depuis vingt ans et co-accusé, décrit un de leurs séjours en ville : "Ils vinrent à la foire de la Pentecôte pour acheter un cheval au prix de vingt écus. Dans la nuit du lundi au mardi, ils couchèrent sur le Cours. L’un des chevaux fut attaché à la jambe de Hamel, l’autre à un arbre. Le lendemain matin, ils allèrent à la messe dans l’église de l’hôpital et déjeunèrent chez le nommé Alliot et mirent les chevaux dans son écurie."
La chevauchée fatale
Le 1er août 1712, Louis Lesénechal, laboureur de Joué-du-Plain, constate le vol d’un cheval et d’une jument dans ses herbages. La rumeur publique lui apprend qu’on a vu Gaillard-Bois et Hamel dans les environs sur des chevaux ressemblant fort à ceux qui ont disparu.
Marin Leboeuf, le maréchal de Joué-du-Plain, mène l’enquête et pour cela, fréquente force de cabarets. A Champsecret, les deux malandrins auraient volé deux vaches, il y a un mois. Un témoin refuse de dire où ils se cachent "parce qu’ils le tueraient". Finalement l’information capitale parvient à Louis Sénéchal : ses chevaux sont à Athis. Il s’y rend dès le lendemain. Au cabaret, il apprend que le cheval a disparu mais que la cavale, fort amaigrie, est à la Touroudière, ferme abandonnée. Malheureusement on ne peut s’en approcher parce qu’ils y sont "cinq voleurs à port d’armes". Louis Sénéchal fait avertir la brigade de Condé-sur-Noireau mais celle-ci ne réagit pas.
Libre, Gaillard-Bois continue ses activités jusqu’à son arrestation fin 1714 par les archers du sel de la Ferté-Macé, mais sans sel, dit-il. Il est alors détenu à la prison seigneuriale de la Motte-Fouquet. Ce qu’apprenant, le procureur du roi le fait transporter à Argentan pour y être jugé des vols commis les années précédentes.
En prison
Le 30 janvier 1715, amené par le concierge de la prison royale et placé sur la sellette, il répond à ses juges qu’il vit du transport du sel blanc et gris et parfois du charbon.
Pour les juges, une question est essentielle : "A-t-il des chevaux pour faire son commerce ?" A quoi, il répond qu’il avait une jument, qui valait bien sept pistoles, lorsqu’il fut arrêté par les archers des gabelles, quoiqu’il n’eût pas de sel, insiste-t-il. Il l’a achetée le 15 du même mois à la foire de St Germain près de Condé-sur-Noireau à un particulier qu’il ne connaît que de vue et qu’il croit être de Mortain.
Auparavant, il se servait d’un cheval rouan qu’il avait acheté en Bretagne et qu’il perdit lorsqu’il fut arrêté, chargé de sel, par les archers de Louvigny et qu’il se sauva.
Il y a quatre ou cinq ans, il fut à nouveau arrêté avec deux compagnons et neuf chevaux chargés de sel. Il resta quinze mois prisonnier à Fougères. Condamnés à être marqués et fouettés, ils ne le furent point. Sorti depuis trois jours, il fut arrêté à nouveau à Clairefougère par les archers du sel de Falaise quoique qu’il n’en eût pas. De là, il fut transféré aux prisons de Caen dont l’intendant le fit sortir un an plus tard.
Le tribunal entend ensuite de nombreux témoins puis prononce la condamnation citée ci-dessus.
Conclusion en forme d’interrogations
La documentation connue ne permet pas de savoir ce que sont devenus ces personnages :
- Ont-ils fait appel du jugement au Parlement de Rouen ?
- Ont-ils été envoyés aux galères ? Les recherches, en l’état, ne donnent nul renseignements.
Gaillard-Bois, s’il reconnaît faire le commerce du faux-sel, prend bien soin de faire savoir que lorsqu’il fut pris, il n’en avait pas. Pensait-il échapper ainsi aux condamnations les plus lourdes ? On voit que ce chef d’accusation n’est pas retenu officiellement par les juges mais il a pu peser. D’autre part, ce tribunal n’hésite pas à condamner à la pendaison de simples voleurs. Son système de défense (il n’y a pas d’avocat) était risqué, la condamnation le prouve.